Intervention de Jean-Louis Lorrain

Réunion du 7 avril 2011 à 9h30
Bioéthique — Article 14

Photo de Jean-Louis LorrainJean-Louis Lorrain :

Permettez-moi à mon tour de vous livrer quelques éléments de réflexion.

Nous entrons, les uns et les autres, beaucoup trop souvent et trop rapidement dans le registre émotionnel. Les médecins, dont je suis, savent qu’il faut de la distanciation. D’ailleurs, à ce sujet, rassurez-vous, le médecin tout-puissant est en voie de complète disparition. Tous ceux qui travaillent dans ce domaine sont engagés au service de l’autre. Je pense notamment à ces médecins anonymes pour lesquels on charge un peu facilement la barque.

Je ne reviendrai pas sur la désorganisation du don, la perturbation du couple, la place trop grande donnée à la génétique. Je rappellerai simplement que la fécondation est une fonction biologique. Cet élément peut aussi aider à la réflexion.

On parle de l’approche sociale. Beaucoup de comportements doivent en effet être modifiés, ajustés, notamment dans le mode d’annonce de la fécondation, dans l’accompagnement, avec des informations que je souhaiterais non identifiantes. D’ailleurs, les secrets, que nombre d’entre nous ont évoqués, sont multiples et divers. Même s’ils sont douloureux, ils sont aussi quasi constitutifs des familles et pas seulement sur le plan de la filiation.

En termes de raisonnement, ce débat – on peut le déplorer, mais cela a aussi son originalité – est très français. Même si j’apprécie les travaux qui peuvent être menés dans les think tanks par certains sociologues, le prêt-à-penser n’est pas ma tasse de thé.

J’en viens aux acteurs.

Il y a les personnes en souffrance sur leur origine dont la demande est tout à fait justifiée. On peut déplorer l’hypermédiatisation de certaines affaires, mais elle est quelquefois utile pour se faire entendre. Il faut reconnaître que ces demandeurs, comme la forme de leurs demandes, peuvent être divers, multiples, qu’ils doivent être écoutés, entendus.

Si l’on veut avancer, ne pas demeurer dans le statu quo et l’immobilisme, il est important, surtout pour l’avenir, que l’on parvienne à définir un statut du donneur. On nous dit, bien sûr, qu’il n’y a pas d’affiliation, mais lever l’anonymat pose fondamentalement le problème de l’identité du donneur ; cela entraîne une modification du don, même si la notion de geste gratuit, généreux persiste.

Cela veut dire aussi introduire de nouveaux partenaires, qui sont plus ou moins prêts. Dans le couple, il y a l’homme, pour qui la stérilité n’est pas toujours facile à assumer. Mais il y a aussi les enfants du donneur : y a-t-on pensé ? C'est pourquoi la levée totale de l’anonymat me semble dangereuse, en tout cas pour l’instant. Peut-être que les réflexions de la génération à venir permettront d’engager une évolution vers un partenariat accepté, réfléchi et non pas imposé comme une intrusion venant bouleverser la vie des familles.

Dans ce débat, il est peu question du don d’ovocytes alors que l’on parle beaucoup de gamètes, sous-entendu mâles. Ne voyez dans ce propos aucune démagogie, mais cela est peut-être révélateur de la place de la femme dans la société. Il serait pourtant intéressant de réfléchir sur la levée de l’anonymat pour les dons d’ovocytes et les conséquences que cela entraînerait pour les donneuses.

Ce débat s’inscrit aussi dans un cadre juridique. Le droit à la connaissance a été reconnu à l’enfant, mais le droit pose aussi des limites et des règles. À cet égard, j’aimerais que la part importante des juristes s’affirme.

Les droits de l’enfant, auxquels je suis favorable, peuvent être en opposition avec les droits de la parentalité, ce qui risque d’entraîner des conflits juridiques. Dans cet ensemble, n’oublions pas non plus les droits des couples d’accueil. Le droit de l’un ne va pas sans celui de l’autre.

Ce qui justifie mon vote, c’est l’intérêt et le bien de l’être humain, auquel chacun de nous ici est attaché, mais cet intérêt doit prévaloir dans sa globalité, et non pas seulement en fonction du donneur ou du cas particulier.

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