Intervention de Joseph Maïla

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 novembre 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Joseph Maïla directeur de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes

Joseph Maïla, directeur de la prospective du ministère des affaires étrangères et européennes :

Je voudrais tout d'abord signaler, en ce qui concerne les révoltes arabes, que, parmi les éléments qui expliquent le changement, comme, par exemple, la lutte contre l'autoritarisme de l'État et la corruption, les associations des droits de l'homme qui ont joué un rôle important pendant le temps des dictatures ont été des substituts à des partis politiques impossibles. Ils ont permis de faire de la politique autrement et ont milité pour le triomphe des idées que nous voyons aujourd'hui fleurir.

La question qui m'a été posée est de savoir à partir de quand les indicateurs dont nous disposions pouvaient se changer en facteurs explicatifs et révélateurs d'un mouvement politique majeur. Tous ces éléments existaient, mais ils étaient très partiels et confinés à des secteurs de l'économie ou de la vie politique. La myopie, pour reprendre votre terme, a certes joué, car nous avons été trop centrés sur les grands équilibres stratégiques et sur la peur de l'islamisme. En quelque sorte, nous avons longtemps acheté notre stabilité au prix de notre myopie. Désormais, c'est l'observation des évolutions sociales tout autant que celles de l'Etat qui nous préoccupent. Pour notre pays, et pour la direction que je dirige, je signale la chance que constitue l'existence des 27 instituts français de recherche à l'étranger (IFRE), rattachés à la direction générale de la mondialisation du ministère des affaires étrangères et européennes, qui est une source d'analyse majeure sur l'évolution socio-économique des pays du monde. Notre grille de lecture a été centrée sur la géostratégique alors que ces révolutions sont intervenues par le bas.

Avec le partenariat de Deauville, nous disposons d'un outil formidable de développement économique au service du renforcement de la stabilité politique en Méditerranée.

En ce qui concerne le dialogue avec les islamistes, il existe s'agissant des Frères musulmans mais pas avec le Hamas qui est considéré comme une organisation terroriste. Les Anglo-Saxons ont une approche un peu différente de la nôtre concernant les dialogues avec les partenaires dits difficiles. J'ajoute que, dans le cadre du débat interreligieux, mené en particulier par les mouvements américains pentecôtistes, on peut rencontrer des mouvements islamistes et recueillir beaucoup d'informations sur la manière dont ils voient l'évolution de la société. Le Pôle religions du ministère joue donc un rôle très important.

Il est évident qu'au Maroc, le fait que le roi soit également le Commandeur des croyants joue un rôle central, qui a notamment permis la mise en place, il y a trois ou quatre ans, du code islamique du statut civil qui n'aurait pas pu être réformé le jour sans son autorité à la fois politique et religieuse. Les sociétés arabes sont entrées en débat sur la question du religieux et de la séparation des pouvoirs et des sphères de l'Etat et de la religion. Il est néanmoins évident qu'il y a une osmose au plan sociétal entre les deux. Le modèle des rapports entre religion et société serait plus à penser sur le modèle de l'Italie que de la France. Mais, en France comme en Europe, plus généralement, la prise en compte de cette dimension est en cours, y compris au sein du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) qui se dote d'un pôle prospective, un peu sur notre modèle. Il en va de même pour le State Department américain, qui s'est inspiré de notre Pôle religions, notamment à partir du rapport dit «God's gap », il y a quelques années.

La Turquie est un pays qui devient de plus en plus religieux sur le plan sociétal. Il reste laïc sur un plan institutionnel. La Turquie laïque n'hésite pas à se positionner comme un leader sunnite au plan international et dans le cadre du « printemps arabe ». Il faut savoir toutefois qu'en Turquie, le ministère des cultes comprend 80 000 personnes dans le cadre de l'application de la laïcité d'Etat puisque les imams des moquées de Turquie sont fonctionnaires de l'État. L'État contrôle le religieux en Turquie, alors qu'il est séparé du religieux en France.

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