En réponse à M. Guerriau, je dirai que les problèmes de l'Etat de droit constituent un domaine où l'Union européenne peut jouer un rôle. Je ne pensais pas uniquement au Mali, mais aussi à tous les pays d'Afrique du nord : la Tunisie, l'Egypte, la Libye. Le SEAE n'agit d'ailleurs pas directement car il va chercher dans les Etats membres de bons experts de droit constitutionnel, d'administration, etc... En Libye par exemple, nous avons aidé ce pays sur les questions électorales. On peut aider également sur la mise en place du processus constitutionnel et institutionnel, en particulier pour définir une nouvelle organisation des collectivités territoriales.
Le fonctionnement des délégations par rapport aux intérêts nationaux est assez simple, car il s'agit de défendre des intérêts qui sont communs à tous les Etats membres de l'Union, par exemple des règles générales de droit commercial ou de droit économique, comme la protection de la propriété intellectuelle ou la sécurité juridique pour les investissements. Quand, en revanche, il s'agit de défendre les intérêts d'une entreprise française par rapport à une entreprise italienne, ce n'est plus notre affaire. Nous n'avons pas à prendre partie. Cela devient l'affaire de l'ambassade de France ou de l'ambassade d'Italie. L'un des défauts des institutions de Bruxelles, nous le savons tous, c'est qu'elles sont trop souvent enfermées sur elles mêmes, un peu trop nombrilistes, et manquant de contacts avec les Etats membres. Le fait d'avoir au sein du SEAE des diplomates nationaux bien au fait des sensibilités de leurs pays nous permet d'aller beaucoup plus vite pour prendre la mesure des opinions publiques nationales et de celle des décideurs. Quand Mme Ashton veut savoir ce que pensent les autorités françaises sur tel ou tel dossier, je peux l'aider car je sais à peu près comment me repérer dans les arcanes de l'administration française. C'est la même chose pour mes collègues britannique, allemand ou polonais. Sur le Mali, je dirai, premièrement, que la situation est en effet très complexe. Deuxièmement, l'Union européenne peut jouer un rôle important, et ce à la demande même des Africains. Au tout début du conflit, la CEDEAO et l'Union africaine se sont tournées vers nous et nous ont invités à participer à leurs réunions. Nous avons plusieurs fois discuté avec le président intérimaire du Mali et les autres autorités de ce pays. Les officiers de l'état-major présents chez nous ont été consultés pour aider les forces maliennes et la CEDEAO à définir leur concept de gestion, tout cela en liaison avec nos partenaires français, anglais et américains.
Comment analysons-nous le problème - quelle évaluation en faisons-nous ? Il y a d'abord un problème de stabilité politique. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous l'avons dit aux autorités maliennes et nous continuons à le dire. Nous sommes prêts à aider et à former les forces armées maliennes, mais à deux conditions. Il faut d'abord un effort de réconciliation nationale autour d'assises nationales. Et puis nous avons demandé l'élaboration d'une feuille de route, c'est-à-dire d'un calendrier pour la tenue des élections, la mise en place des institutions et éventuellement un processus constitutionnel. Dans ce contexte, notre action de formation aura aussi l'avantage de permettre aux militaires maliens de se concentrer sur l'action de reconquête de leur intégrité territoriale. Dans cette entreprise de reconquête du Nord du Mali, il faudra jouer tout à la fois sur le registre du dialogue avec certains éléments situés au nord, le MNLA, les Touaregs, voire certains mouvements tels Ansar Eddine. Cela, c'est pour l'essentiel l'affaire des Maliens. Par ailleurs, avec la CEDAO et l'Union Africaine, il s'agira de mettre en place une force susceptible de s'interposer entre le Nord et le Sud.
Troisième élément, c'est évidemment tout ce qui tourne autour du développement économique et social du pays. En ce domaine, il faut être lucide : si nous en sommes là aujourd'hui, c'est que ce qui a été fait avant en la matière n'a pas été suffisant, en particulier parce que les différents acteurs du développement se sont essentiellement occupées du sud du pays. Donc si nous voulons aller de l'avant, il faudra que nous prenions à bras le corps le problème du nord et que nous essayions de le régler.
En réponse à MM. Guerriaud et Reiner, sur la politique de sécurité et de défense, il est vrai que les Américains sont attirés par l'Asie. Je ne crois pas qu'il faille en déduire pour autant qu'ils vont se détourner de la relation transatlantique, ne serait-ce que pour tous les avantages que cette relation leur procure, à commencer par un allié qui reste un allié sûr et avec lequel ils partagent les mêmes valeurs et les mêmes principes. L'intérêt économique est également évident : le marché européen et le marché américain représentent près d'un tiers du marché mondial et une grosse part du PIB mondial. Enfin, dans le domaine des industries de défense, nous sommes en face d'un marché important, en particulier dans le domaine de la R & D. Dans ce que les Américains appellent la smart defense, ce que nous appelons le pooling and sharing, il faut que nous Européens soyons capables d'avoir nos propres technologies et d'éviter que l'industrie américaine, notamment par sa puissance en matière d'innovation, n'accapare toutes les parts de marché. Il faut donc se doter d'une industrie de défense européenne mieux coordonnée et mieux unifiée. C'est pour cela que nous allons travailler avec la Commission pour essayer de faire tomber un certain nombre d'entraves à cette coopération entre industries d'armement pour que les Européens, s'ils le souhaitent, soient capables de constituer une industrie d'armement plus performante au niveau européen. Au moment où tous les budgets européens de la défense diminuent, ceci va devenir une question de survie. Toute la réflexion qu'on va avoir au cours de l'année 2013 pour aboutir en fin d'année prochaine à des décisions au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement porte sur ce thème.
Vous disiez qu'avec vos collègues du Bundestag, il y avait des doutes sur ce que faisait la France au Mali. Nos partenaires allemands ont examiné avec beaucoup d'attention le projet d'opération au Mali, et ils l'ont accepté précisément parce que celle-ci s'en tient à une action de formation.
Sur la lisibilité de l'action du SEAE, nous avons sans doute encore beaucoup de progrès à faire. Mais le fait est que nous avançons avec prudence et pas à pas, car effectivement, les Etats membres pourraient prendre ombrage de notre action si nous étions tentés de trop nous mettre en avant.
Sur un éventuel ministre européen de l'économie, ce que je ressens à travers l'expérience encore toute neuve du SEAE, c'est la nécessité de travailler en même temps et de manière très étroite avec la Commission, le Conseil et les Etats Membres afin que ce ministre européen puisse être un honnête courtier dans des domaines où les sensibilités nationales sont à fleur de peau.
Sur le problème palestinien abordé par Mme Durrieu, je dirai qu'à maints égards je suis d'accord avec elle. Le Quartette a beaucoup de faiblesses et chacun le reconnaît; mais il a le mérite de maintenir la Russie à bord, ce qui est important. Sur le processus de paix, tout ce qui se passe en ce moment va dans le sens contraire de ce que l'on souhaite promouvoir avec la solution des deux Etats. A cet égard, il y a eu des discussions intéressantes entre les vingt sept ministres des Affaires étrangères au dernier conseil des ministres. On y a vu en particulier une volonté très claire d'aller dire à la nouvelle administration Obama qu'elle ne peut pas rester à l'écart de ce problème. Quand les s élections israéliennes auront eu lieu, il sera temps alors pour les Européens de prendre des initiatives pour débloquer la situation. Sinon, le risque est bien que le processus de paix s'enlise et que les événements du printemps arabe touchent à leur tour les territoires palestiniens où domine en ce moment un sentiment de frustration qui risque de rendre la situation de plus en plus difficile.
L'Union européenne aujourd'hui reste un partenaire essentiel pour l'administration palestinienne. Celle ci fait face à de graves difficultés financières, par exemple pour payer les salaires de ses fonctionnaires. Pour les Européens, il est clair qu'il faut continuer à soutenir l'Autorité Palestinienne car sinon face à la pression du Hamas, Mahmoud Abbas et Salam Fayyad ne pourront pas tenir longtemps.
Il appartient donc aux Européens d'être actifs aussi bien à Washington qu'à Ramallah dans les mois et les semaines qui viennent et de s'engager dans des initiatives à la hauteur des défis qui sont devant nous.