La commission examine le rapport de M. Jean-Louis Carrère et du texte proposé par la commission pour le projet de loi n° 225 (2012-2013) autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne.
Nous sommes réunis cet après midi pour examiner un texte important, puisqu'il concerne l'élargissement de l'Union européenne, qui, en accueillant la Croatie au 1er juillet 2013, passera de 27 à 28 États membres.
Nous aurons fait au total trois rapports en un peu plus d'un an sur cette adhésion. C'est dire que nous aurons suivi ce sujet de près. Il revêt une importance politique et symbolique forte, puisqu'il concerne notre communauté de destin et de valeurs qu'est l'Europe. C'est pourquoi nous avons invité récemment au Sénat le commissaire européen à l'élargissement, Stefan FULE. C'est pourquoi je me réjouis que le Gouvernement ait choisi de saisir le Sénat en premier. C'est aussi pourquoi j'ai souhaité rapporter ce texte, façon de marquer, vis-à-vis de nos amis croates en particulier, l'importance qu'accorde notre commission toute entière à cette question.
C'est la dernière fois que le Parlement français pourra ratifier un élargissement de l'Union européenne à la majorité simple ; les prochains élargissements devront être adoptés soit par référendum, soit, depuis la dernière révision constitutionnelle de 2008, par le Parlement, mais à la majorité qualifiée des trois cinquièmes.
Parmi les États membres, tous ont choisi de ratifier le traité d'adhésion de la Croatie par voie parlementaire. A ce jour, 19 états sur 27 ont procédé à cette ratification. Nous ne sommes pas en avance, c'est pourquoi j'ai accepté l'irruption un peu « impromptue » de ce texte dans notre ordre du jour.
Vous pourrez lire le détail des négociations d'adhésion, qui ont duré près de 10 ans, dans mon rapport écrit. Devant vous cet après-midi, je m'en tiendrai brièvement rassurez-vous !- à 3 questions : où en est l'élargissement de l'Union Européenne, la Croatie est-elle prête pour adhérer et enfin, quelle est la situation dans les Balkans occidentaux ?
Où en est l'élargissement, tout d'abord.
Comme vous le savez, la « vocation européenne » des pays des Balkans occidentaux, c'est-à-dire le principe de leur adhésion à l'Union européenne, a été reconnu au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française de l'Union européenne, et a été régulièrement réaffirmée depuis. Mais pour un pays candidat, la route est longue - et c'est souhaitable, car il faut laisser le temps d'une transformation en profondeur, certains auraient dit « il faut donner du temps au temps » -. La route a même été rallongée au sommet de Copenhague en 2006, aux termes d'un « consensus renouvelé sur l'élargissement » aux règles plus strictes qu'avant. Avant d'adhérer à l'Union, un pays doit d'abord se voir reconnaître la qualité de « pays candidat ». Ensuite, l'Union européenne doit approuver l'ouverture des négociations, chapitre par chapitre, qui durent ensuite plusieurs années. Après la clôture des négociations, un pays ne peut adhérer à l'Union qu'après la signature et la ratification du traité d'adhésion. Chacune de ces étapes est soumise à une décision prise à l'unanimité par tous les États membres.
L'adhésion est soumise au respect des 4 critères dits « de Copenhague » :
- critères politiques : être une démocratie respectueuse de l'État de droit, des droits de l'homme, des minorités ;
- critères économiques : disposer d'une économie de marché viable capable de faire face à la pression concurrentielle du marché ;
- critère tenant à la reprise de l'acquis communautaire ;
- s'y ajoute désormais la « capacité d'absorption » de l'Union européenne à intégrer les nouveaux États. A la différence de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, l'adhésion des pays des Balkans occidentaux à l'Union européenne se fait donc de manière différenciée, uniquement en fonction de l'état de préparation de chaque pays, sans calendrier pré-établi.
Cette longue route bute sur deux principaux écueils : la fatigue de l'élargissement chez les états membres actuels, qui confine parfois à la lassitude, et la fatigue des réformes chez les pays candidats.
Contrairement au grand élargissement à l'Est de 2004, qui était porteur de sens pour les opinions publiques, puisqu'il s'agissait de réconcilier une Europe jusqu'alors artificiellement divisée par le rideau de fer, les élargissements suivants n'ont pas soulevé la même adhésion populaire. L'entrée de la Croatie se fera, je le crains, dans une indifférence quasiment totale de nos concitoyens pour ne pas dire dans une certaine méfiance-. C'est sans doute à cause du « précédent » de la Roumanie et de la Bulgarie, entrées au 1er janvier 2007, peut être un peu trop rapidement, à tel point qu'un « mécanisme de coopération et de vérification » a dû être instauré pour suivre les progrès de la réforme judiciaire et de la lutte contre la corruption, et ce une fois qu'ils étaient déjà membres de l'Union européenne. Tout le monde a eu le sentiment que ces lacunes auraient du en fait être corrigées avant l'adhésion et non pas après. Le mécanisme n'a encore été levé pour aucun des deux, signe que, s'il permet de suivre précisément les évolutions, il n'a pas pour l'heure permis de corriger toutes les défaillances.
Je ne reviens pas sur le panorama actuel de l'élargissement que nous a brossé très en détail le commissaire Fule l'autre jour : la « prochaine » adhésion pourrait être l'Islande -si les Islandais le souhaitent, ce qui n'est pas acquis-, tandis que 4 autres pays ont à ce jour le statut de candidat : Turquie avec laquelle la Commission européenne souhaite rouvrir les négociations, Macédoine, Monténégro et Serbie. Trois pays sont des « candidats potentiels » : Albanie, Bosnie-Herzégovine et, bien que 5 états membres n'aient pas reconnu cet État, Kosovo.
Deuxième question : la Croatie est elle prête à entrer dans l'Union européenne ?
Dix fois plus petite que la France, peuplée de 4,5 millions d'habitants, d'origine slave, de religion catholique à 90 % et utilisant un alphabet de caractères latins, au carrefour des influences de la Méditerranée, de l'Europe centrale et des Balkans, la Croatie, ancienne république de la Fédération Yougoslave, a une histoire douloureuse, n'acquérant son indépendance qu'aux termes d'un conflit meurtrier au début des années 1990. Ce conflit, il y a 20 ans à peine, résonne encore dans le débat public, malgré la détermination des dirigeants croates à être tout entiers tournés désormais vers leur avenir européen. Nous l'avons vu, il y a un mois encore, avec des scènes de liesse populaire à Zagreb à l'annonce de l'acquittement en appel par le Tribunal pénal international de la Haye du Général Gotovina, lourdement condamné en première instance, commandant de l'opération « Tempête », en 1995, de reconquête de la Krajina prise par les Serbes.
Le système politique croate, à l'origine présidentiel et semi autoritaire du temps de Tudjman, a été rééquilibré en régime parlementaire. La Croatie est membre de l'OTAN depuis 2009. Sur le plan économique, la Croatie est, après la Slovénie, la plus avancée de la région, avec un revenu moyen par habitant égal à 65 % de la moyenne européenne, deux fois supérieur à celui de la Roumanie. Le tissu industriel croate est toutefois limité et le secteur public encore hypertrophié : 67 entreprises publiques représentent le quart du PIB, et seule une vingtaine sont bénéficiaires.
Le traité d'adhésion de la Croatie signé le 9 décembre 2011 a été approuvé par référendum par près de 66 % des électeurs croates en janvier 2012, couronnant ainsi un processus de plus de dix ans qui a fait consensus au sein des principales formations politiques du pays.
Quand nous avons rencontré la ministre des affaires étrangères, Mme Pusic, ici même, en octobre, elle a estimé que la Croatie payait le prix du précédent élargissement. Elle n'avait pas tout à fait tort. En effet, le processus de négociation a été bien plus exigeant qu'avant. Le nombre de « chapitres » de l'acquis communautaire est passé de 30 à 35, dont un nouveau chapitre 23 « pouvoirs judiciaires et droits fondamentaux », spécifiquement créé dans le domaine de l'État de droit. Le nombre de critères d'ouverture et de clôture de ces chapitres a été augmenté et les critères renforcés : ils insistent davantage sur la mise en oeuvre concrète de l'acquis communautaire dans le pays.
Surtout, un mécanisme spécifique de suivi entre la clôture des négociations et l'adhésion a été introduit, pour la première fois. La France et l'Allemagne ont été à l'initiative de la mise en place de ce suivi renforcé, condition pour boucler les négociations d'adhésion au printemps 2011.
C'est grâce à l'application de cette stricte conditionnalité que la Croatie arrive bien préparée au stade final. Le rapport de suivi complet de la Commission européenne d'octobre 2012, réalisé sur la base des missions d'experts sur place des différents États membres, dont la France, constate des progrès dans tous les domaines, mais a identifié une liste de 10 actions très concrètes à mener d'ici au printemps prochain, comme finaliser la privatisation d'un chantier naval, écluser un stock de procès en attente, recruter dans la police de l'air et des frontières, mettre en place une « commission sur les conflits d'intérêts », adopter les décrets d'application de la loi sur la police.... Ce rapport a provoqué un sursaut et une nouvelle mobilisation du gouvernement croate. C'est une façon un peu dure de « maintenir la pression », mais qui s'avère très efficace.
Au total, depuis 2001, la Croatie a bénéficié de 1,5 milliard d'euros d'aide de préadhésion, soit environ 363 euros par habitants. En 2013, 687 millions sont prévus pour la Croatie, somme qui devrait augmenter à partir de 2014, puisqu'il y a une montée en puissance progressive des fonds structurels, des fonds de cohésion et des crédits de la politique agricole commune. La Croatie a 12 observateurs au Parlement européen et organisera sans doute en mai l'élection de ses 12 députés européens. Elle participe à l'ensemble des groupes de travail de l'Union, sauf ceux sur l'élargissement et les Balkans occidentaux. Elle disposera au jour de son adhésion d'un commissaire européen.
Dans un tableau globalement positif, je ne vous cache pas qu'il reste encore quelques zones d'ombre. Il y a d'abord la crainte de nouvelles complications slovènes sur la route de l'adhésion. La relation avec la Slovénie s'est récemment tendue, en lien avec la question de la restitution des avoirs de particuliers croates auprès de la Banque de Ljubljana, au moment de la dissolution de l'ex-Yougoslavie. Pour mémoire, la Slovénie avait déjà bloqué pendant plus d'un an les négociations sur l'adhésion de la Croatie en raison d'un différend portant sur la frontière maritime en baie de Piran. Ce blocage a été levé fin 2009 par un accord prévoyant le recours à un arbitrage, qui est en cours. Cela augure mal des relations entre ces deux futurs membres de l'Union européenne... Il faut veiller à ne pas « importer » les contentieux balkaniques au sein de l'Union...
Il y a aussi la question de la frontière avec la Bosnie Herzégovine. Le commissaire Fule nous a dit sa préoccupation face au retard pris par la Bosnie-Herzégovine pour préparer ce déplacement de la frontière extérieure de l'Union pour le transit des marchandises, notamment les exportations de produits alimentaires. Je mentionne pour mémoire le problème frontalier relatif au « corridor de Neum », accès à la mer qui coupe le territoire croate sur une dizaine de kilomètres et isole la partie sud de la Dalmatie. Un projet de pont ou de corridor routier sont à l'étude. Un différend territorial existe par ailleurs entre les deux pays pour la possession de deux îles et d'un bout de côte....
Ces « irritants », typiques des Balkans, me fournissent une transition toute naturelle vers la troisième question : où en sont les Balkans occidentaux, États dont Bismarck disait qu'ils « produisent plus d'histoire qu'ils n'en peuvent consommer » ?
La dénomination de « Balkans occidentaux » regroupe les 6 États nés de l'ex Yougoslavie (Serbie, Croatie, Slovénie, Monténégro, Macédoine, Bosnie-Herzégovine), plus le Kosovo et l'Albanie. Dans cette région, l'adhésion à l'Union européenne agit comme un instrument de stabilité et de réconciliation. On pourrait même dire, pour certains États, que l'intégration européenne est à l'origine d'un processus de construction nationale.
Dix après les grandes déclarations sur la vocation européenne des Balkans Occidentaux, le bilan est assez mitigé. Un seul État, la Slovénie, a rejoint l'ensemble européen, en 2004, un deuxième, la Croatie, le fera en juillet 2013. Le Monténégro et la Serbie ont le statut officiel de candidat, ainsi que la Macédoine, bloquée par le véto grec. L'Albanie a déposé sa candidature ; la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo demeurent en quelque sorte « sur le seuil de la porte ».
Cette lenteur est due aux difficultés de la transition démocratique et de la construction des institutions dans ces états, à la difficulté de tourner la page sur un lourd passif historique, aux imbroglios ethniques et frontaliers, ou à la part, dans certains cas, de l'économie criminelle et de la corruption. En Serbie, les élections ont porté au pouvoir, en mai 2012, le président Nikolic, aux antécédents nationalistes, tandis que le dialogue avec Pristina, que l'Union européenne pose comme préalable aux négociations d'adhésion, vient tout juste de reprendre. En Bosnie-Herzégovine la solution institutionnelle semble introuvable. En Macédoine, les relations inter ethniques se tendent. En Albanie, la situation politique était bloquée il y a peu de temps encore, et le bilan des réformes est mince en termes d'État de droit notamment.
Certains agitent la menace que les Balkans, lassés de soupirer à la porte d'une Europe concentrée sur la gestion de ses propres crises, ne deviennent un lieu de compétition entre puissances émergentes, un peu comme au XIXe siècle entre les anciens empires : tropisme russe de la Serbie, présence traditionnelle de la Turquie dans la région, ou encore montée en puissance économique de la Chine, en recherche de portes d'entrées vers le grand marché européen à partir des ports grecs.
Je pense quant à moi que l'Union européenne reste et demeure pour ces États un horizon de stabilité et de prospérité à long terme. Mais soyons attentifs à ce que l'élan européen continue bien à être le moteur de la transformation de ces sociétés.
Il faut trouver un équilibre, délicat, entre la nécessaire dynamique européenne à impulser dans une région où la réconciliation demeure fragile et la crédibilité indispensable d'un élargissement qui doit vraiment renforcer l'Union, et non pas la fragiliser. D'un élargissement qui respecte le tempo fixé par les États membres, et qui ne les entraîne pas dans un engrenage, car la Commission européenne est très allante : elle voulait que le Conseil ouvre les négociations avec la Macédoine, octroie le statut de candidat à l'Albanie et fixe dès maintenant la date de l'ouverture des négociations avec la Serbie à juin 2013. Ce sont les États membres qui doivent rester maîtres du jeu.
Je souhaite que la Croatie soit, au sein de l'Union européenne, une alliée pour trouver ce juste équilibre. Car elle a su surmonter son passé et est aujourd'hui, selon les termes de Mme Clinton à Zagreb il y a peu, une « ancre de stabilité » dans la région.
Je vous proposerai donc de ratifier le traité d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne.
Nous allons naturellement ratifier cette adhésion qui est dans l'ordre historique des choses et qui répond à un engagement moral de l'Union européenne vis-à-vis des pays de l'Est après la chute du Mur en 1989 et vis-à-vis des Balkans après l'éclatement de la Yougoslavie. Cet engagement doit être respecté. Des efforts ont été faits pour satisfaire aux conditions de l'adhésion, plus ou moins bien suivant les pays. J'étais en Roumanie et en Bulgarie juste avant l'adhésion et nous savions pertinemment que la situation n'était pas totalement satisfaisante, mais qu'il était politiquement important de les accueillir dans l'Union européenne. La situation n'est d'ailleurs pas idéale en Hongrie où les principes démocratiques les plus élémentaires ne sont pas toujours respectés. Dans un vote récent, le peuple croate a montré son adhésion au projet européen, mais son entrée dans l'Union risque de se faire dans l'indifférence générale, ce qui pose la question de la force propulsive de la construction européenne. Le projet européen n'est-il pas en train de perdre de sa puissance et de sa spécificité ? Du fait des circonstances historiques, nous avons raté le débat entre l'élargissement et l'approfondissement. Nous portons tous une idée de la construction européenne qui n'est pas compatible avec les conditions de l'élargissement actuel. Je prends l'exemple de la politique de sécurité et de défense communes : la Croatie sera, comme les autres candidats, que nous avons récemment rencontrés à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN à Prague, un élément de l'ensemble, mais ces pays ont-ils une autre ambition en matière de défense qu'une simple protection contre le retour des vieux démons de l'Europe balkanique et centrale ? C'est donc sans enthousiasme que nous voterons cette ratification.
On parle beaucoup des critères d'adhésion à l'Union européenne, que les candidats s'efforcent de respecter, mais qu'en est-il pour les membres actuels de l'Union européenne ? Dans le cas hongrois, l'Union européenne ne fait que constater, impuissante... La Croatie a une relation historique avec l'Allemagne et renforcera donc la position de cette dernière en Europe, ce qui va déstabiliser encore plus les rapports de force.
Ayant suivi pendant de nombreuses années la mise en place des accords de Dayton au nom du Conseil de l'Europe, j'atteste de la solidité de la Croatie, peuple exceptionnel. L'allié français traditionnel dans la zone est la Serbie, mais les Croates ont su se reconstruire et c'est un pays des Balkans à qui l'on peut faire confiance.
J'ai voulu tout comme vous l'élargissement de l'Europe, sauf que la crise économique s'est installée concomitamment... La Méditerranée reste une zone instable et la perspective européenne y agit comme un élément de stabilisation. C'est d'ailleurs bien le rôle des fonds structurels et des instruments de sécurité collective. Or, plutôt qu'un grand dessein européen, ce sont plutôt les nationalismes en tous genres qui y ont prospéré, comme en Hongrie ou en République Tchèque. Il ne faut pas oublier non plus le rôle déstabilisateur de la Russie, qui se cache derrière tous les conflits « gelés ».
La Croatie est armée pour entrer dans l'Union. Je pense tout comme vous que l'élargissement s'est fait trop rapidement, sans préparation suffisante parfois, pour des raisons politiques louables : il fallait réunifier une Europe divisée. Se pose aujourd'hui la question d'une Europe à plusieurs vitesses, y compris pour les politiques budgétaire et fiscale.
Je partage les analyses précédentes sur le dilemme entre l'élargissement et l'approfondissement. Je suis favorable à l'entrée de la Croatie, par raison, et non par enthousiasme. Nous devons réfléchir à la nouvelle architecture de l'Europe, une Europe à géométrie variable, ou plutôt à cercles concentriques, autour du noyau franco-allemand, moteur qui restera essentiel, avec un deuxième cercle réunissant les états qui souscrivent à une approche fédérale de l'Europe, qui recoupent plus ou moins la zone euro, et enfin, un troisième cercle, celui de « l'Europe espace », intergouvernemental et libre-échangiste, rassemblant à la fois les nouveaux entrants, en phase « d'acclimatation », et les États qui, par leur culture ou leur histoire, n'accepteront pas l'Europe fédérale. Mais l'Union européenne ne doit pas pour autant devenir un conglomérat de rythmes différenciés.
Après les élections européennes de 2014, les chefs d'État doivent retrouver la vision des pères fondateurs, avoir le courage de poser le problème et de faire des propositions pour avancer.
Quelle est la différence entre l'Europe des cercles concentriques et la Tour de Babel ?
C'est faute d'installer une nouvelle architecture qu'on en arriverait à la Tour de Babel. Il faut, pour commencer, renforcer l'entente franco-allemande, que je qualifierai de « quasi-nation ». Certains peuples veulent aller plus loin à l'heure de la mondialisation, d'autres n'ont pas cette conception. Nous devons articuler « l'Europe espace » et « l'Europe puissance », le tout dans une ambiance de morosité économique et politique.
Je partage vos analyses. Mais si on souhaite une harmonisation sociale, il faut aussi une harmonisation fiscale.
et économique également. C'est une vaste question, qui dépasse notre débat d'aujourd'hui.
Puis la commission adopte, à l'unanimité, le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Croatie à l'Union européenne.
La commission auditionne M. Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du Service européen pour l'action extérieure (SEAE).
Nous sommes très heureux, Monsieur le Secrétaire Général, de vous accueillir à nouveau devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Je rappelle que vous avez eu une brillante carrière de diplomate, que vous avez été le directeur de cabinet de plusieurs ministres des affaires étrangères et ambassadeur de France à Washington.
Depuis le 1er décembre 2010, vous occupez les fonctions de secrétaire général exécutif du nouveau Service européen pour l'action extérieure, auprès de la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Lady Catherine Ashton.
Nous sommes donc très intéressés de vous entendre sur la mise en place de ce service. Quel bilan peut-on tirer, depuis deux ans, de la mise en place du nouveau service européen pour l'action extérieure ? Quels sont ses effectifs et quelle est la proportion respective des fonctionnaires issus de la Commission européenne, du secrétariat général du Conseil et des diplomaties nationales ? Qu'en est-il de la représentation de l'Union européenne auprès des organisations internationales et auprès des pays tiers ? Comment se passe l'articulation avec les diplomaties nationales ? Peut-on déjà constater l'émergence d'une « culture diplomatique commune », entre les Etats membres mais aussi entre les fonctionnaires issus de la Commission et ceux du Conseil ?
Plus généralement, assiste-t-on à des progrès de la politique étrangère commune et les Etats membres parlent-ils réellement d'une seule voix ?
L'expérience récente du vote sur le statut d'Etat observateur de la Palestine à l'assemblée générale des Nations unies, où les pays européens sont apparus fortement divisés, entre ceux qui ont voté « oui » (comme la France), ceux qui se sont abstenus (comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni) et ceux qui ont voté « non » (comme la République tchèque), ne semble pas aller dans ce sens.
Nous souhaiterions également vous entendre sur la politique de sécurité et de défense commune.
Alors que l'Europe de la défense semblait en panne, depuis quelques mois, nous avons le sentiment que les choses sont peut-être en train d'évoluer en Europe, avec en particulier le lancement de nouvelles opérations, notamment au Mali, les initiatives en matière de capacités, à l'image du ravitaillement en vol, la lettre des ministres des affaires étrangères et de la défense des pays dits de « Weimar Plus », ou encore les conclusions du dernier Conseil européen qui dressent des perspectives intéressantes en vue du futur Conseil européen sur la défense qui se tiendra en décembre 2013. Le service européen pour l'action extérieur devrait d'ailleurs être amené à formuler des propositions, notamment sur les opérations de l'Union européenne.
Enfin, lors d'un récent déplacement en Libye, nous avons pu nous interroger sur la coordination entre la représentation des Nations unies et celle de l'Union européenne en ce qui concerne le renforcement de la sécurité dans ce pays. Je vous laisse maintenant la parole.
Je voudrais rappeler, tout d'abord, le cadre dans lequel s'est mis en place le Service européen pour l'action extérieure, qui est lié à la mise en oeuvre du traité de Lisbonne, et qui présente plusieurs spécificités.
Ce service, prévu par le traité de Lisbonne, a été installé un an après la mise en oeuvre de celui-ci, le temps de prendre les décisions nécessaires. En effet, après les référendums français et néerlandais de 2005, les institutions européennes étaient devenues très prudentes et avaient préféré attendre que les vingt-sept États membres aient tous ratifié le traité de Lisbonne avant de rien engager en la matière.
La première particularité de ce service, qui n'est pas une institution mais une administration de l'Union européenne - j'insiste sur ce point -, est de n'appartenir ni à la Commission ni au Conseil des ministres, mais de travailler en étroite liaison avec ces deux institutions et de relever, selon les domaines concernés, de l'une ou l'autre de ces institutions. Il se situe entre les deux, dans un effort de synthèse et d'innovation institutionnelle, qui n'a pas peu contribué à augmenter les difficultés de sa mise en place. Nous avons essuyé les plâtres, aux côtés de nos collègues de la Commission et du Conseil. On aurait pu imaginer de créer une agence dotée d'une autonomie financière et de règles propres concernant son personnel, mais cette idée a été rejetée, tant elle suscitait de fortes oppositions, notamment de la part de la Commission européenne. Le SEAE est donc soumis au régime de droit commun, ce qui est légitime dès lors que l'on respecte dans le même temps les spécificités liées au caractère particulier de ce service. Il s'agit en réalité d'un service diplomatique commun, qui regroupe une administration centrale à Bruxelles, mais aussi - ce que l'on a souvent tendance à oublier - des délégations de l'Union européenne auprès des organisations internationales ou de pays tiers, présentes dans 140 pays et organisations environ. Le SEAE gère, en effet, le réseau des délégations européennes, qui ont remplacé les délégations de la Commission européenne. Ces délégations remplissent la fonction de véritables ambassades de l'Union européenne même si elles n'en portent pas le nom de peur de froisser certains États membres. Elles ont à leur tête pour un grand nombre d'entre elles des diplomates issus des États membres.
Sa seconde caractéristique est de répondre à la notion d'« approche globale » ou d'« approche intégrée » contenue dans le traité de Lisbonne, qui vise à assurer une meilleure coordination des différentes institutions dédiées à l'action extérieure de l'Union européenne. Cette action sollicite à la fois les instruments traditionnels de la Commission européenne - l'action commerciale, humanitaire, énergétique, de développement et de coopération ou de transport -, et les instruments des États membres et du secrétariat du Conseil - l'action diplomatique, politique, de sécurité et de défense. L'objectif du SEAE est de donner un cadre général à tous ces instruments afin de leur assurer une efficacité maximale, notamment en période de crise. Le SEAE, en coordonnant l'action des différents instruments de l'Union européenne, met donc en oeuvre une approche intégrée.
Celle-ci n'allait pas de soi dans l'Europe d'avant Lisbonne, où chacun agissait de son côté, qu'il s'agisse du commissaire chargé des relations extérieures, du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) - M. Javier Solana - ou encore de la présidence tournante qui, tous les six mois, présentait un programme différent et des priorités nouvelles.
Le SEAE a la spécificité d'accueillir, en son sein, à la fois des fonctionnaires issus de la Commission, d'autres issus du secrétariat du Conseil et des diplomates issus des États membres. Au total, le service européen pour l'action extérieure comprend environ 3 500 agents, dont 1 500 fonctionnaires à Bruxelles et environ 2 000 au sein des délégations, auxquels s'ajoutent environ 4 000 fonctionnaires issus des différentes directions générales de la Commission européenne, comme les directions générales chargées du commerce, du développement, de l'environnement ou des transports, selon les priorités géographiques. Les fonctionnaires relevant du SEAE ne représentent donc en moyenne qu'environ un tiers des effectifs des délégations de l'Union européenne dans les pays tiers. Sur les 3 500 agents qui relèvent du SEAE, les fonctionnaires de catégorie A, les fonctionnaires AD pour reprendre la terminologie communautaire, représentent environ 900 postes. 60 % environ de ces 900 fonctionnaires de catégorie A sont issus de la Commission européenne, entre 10 et 15 % proviennent du secrétariat général du Conseil, et autour de 28 % (soit 270 à 275) sont des diplomates nationaux détachés. L'objectif est de voir ces derniers représenter d'ici à la mi 2013 un tiers des effectifs, conformément à l'objectif fixé lors de la création du SEAE. Ils apportent au SEAE la culture diplomatique des États membres. Il convient toutefois de relever qu'au sein des délégations de l'Union européenne, les agents issus des diplomaties nationales représentent déjà plus d'un tiers des effectifs du SEAE, autour de 35 %, alors qu'ils sont moins bien représentés au sein de l'administration centrale à Bruxelles. On distingue, en effet, trois grandes fonctions qui peuvent être occupées par des agents du SEAE au sein des délégations de l'Union européenne, celle de chef de la délégation, soit l'équivalent de l'ambassadeur, celle de chef de la chancellerie politique, et celle de chef du service administratif.
Les diplomates nationaux sont détachés par leur administration d'origine au sein du SEAE pour une période de quatre ans, renouvelable éventuellement pour une période supplémentaire de quatre ans, pouvant encore être prolongée de deux ans. Ils sont rémunérés par le budget de l'Union européenne. Alors qu'ils pourraient donc théoriquement rester dix ans, la plupart des secrétaires généraux des ministères des affaires étrangères des Etats membres nous ont indiqué qu'ils ne souhaitent pas de manière générale prolonger les détachements de leurs diplomates, afin d'encourager une véritable mobilité des agents entre leur administration et le SEAE. A partir de 2013, le recrutement du service pourra s'élargir à d'autres sources, notamment en provenance des fonctionnaires ou anciens élus du Parlement européen, qui pourront accéder à l'ensemble des fonctions de catégorie A.
Quel bilan peut-on tirer du service européen pour l'action extérieure, deux ans après sa mise en place ?
En ce qui concerne les aspects positifs, le premier élément que l'on peut mentionner est que le service a pu commencer à fonctionner rapidement.
Le traité de Lisbonne a retiré à la présidence tournante tout rôle propre en matière de politique étrangère et de sécurité et une seule personne, le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, actuellement Lady Ashton, a remplacé à la fois le commissaire chargé des relations extérieures et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Lady Ashton est actuellement à la fois Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité mais aussi Vice-Président de la Commission européenne chargé de coordonner les différents volets des relations extérieures au sein de la Commission européenne. Elle est à ce titre présidente du Conseil des ministres des affaires étrangères, du Conseil des ministres de la défense et du Conseil des ministres chargés du développement.
Le service européen pour l'action extérieure préside par ailleurs la plupart des différents groupes de travail relevant du Conseil des affaires étrangères, du Conseil Défense et du Conseil chargé du développement, ainsi que le Comité de politique et de sécurité (COPS).
Le SEAE a accueilli en son sein les différentes entités qui constituaient le secteur de la politique de défense et de sécurité : le comité militaire, l'état-major, avec notamment la Direction de la planification et de la gestion de crises - CMPD pour Crisis Management and Planning Directorate - et la Capacité civile de planification et de conduite - CPCC pour Civilian Planning and Conduct Capability. La France en particulier s'était demandé si ces différents services devaient être intégrés dans le SEAE, tout en reconnaissant qu'on ne pouvait pas plaider pour une approche globale et en écarter la dimension militaire. C'est pourquoi ces services ont été finalement intégrés comme éléments d'un ministère de la défense à l'intérieur d'un service qui se conçoit comme un ministère des affaires étrangères, ce qui est assez novateur. De ce fait, le SEAE a désormais la capacité d'intégrer immédiatement la dimension militaire dans les efforts consentis pour développer la gestion de crise.
En définitive, la machine s'est mise en place rapidement et la plupart des Etats membres sont plutôt satisfaits de la manière dont cela s'est passé, en particulier en ce qui concerne les délégations de l'Union européenne auprès des pays tiers. Ainsi, comme j'ai pu moi-même le constater en tant qu'ambassadeur de France, à Washington, la délégation de l'Union européenne est considérée aujourd'hui par les Américains comme l'interlocuteur naturel pour toutes les questions qui relèvent de l'Union européenne.
De plus, sur les grands dossiers internationaux où l'Union européenne est en première ligne, le SEAE a poursuivi le travail commencé avec succès par Javier Solana et a démontré une réelle « valeur ajoutée ».
Ainsi, concernant les Balkans occidentaux, nous avons ainsi contribué à la mise en place d'un dialogue entre Belgrade et Pristina, qui a pu être engagé malgré la victoire des nationalistes aux élections en Serbie et qui a déjà permis de réaliser certaines avancées.
S'agissant du programme nucléaire militaire de l'Iran, l'Union européenne dirige le groupe des six ou 3 + 3 et, à défaut d'obtenir des concessions de la part de l'Iran, a réussi à maintenir son unité face à l'Iran et à renforcer les sanctions, alors que la Russie et la Chine ne sont pas entièrement sur notre ligne.
Sur un dossier aussi complexe que le processus de paix au Proche Orient, l'Union européenne a conservé sa place au sein du « Quartette », même si ce groupe est de plus en plus contesté.
Comme vous l'avez souligné dans votre propos liminaire, il est vrai que les deux premières années de la mise en oeuvre du traité de Lisbonne se sont accompagnées d'une baisse de rythme dans le domaine de la sécurité et de la défense européenne. Durant ces deux années, aucune nouvelle opération n'a été lancée, tant en matière civile que militaire, alors que dans la période précédente, sous Javier Solana, jusqu'à deux opérations étaient lancées chaque année, pour atteindre un total de vingt-trois. Il faut noter qu'à la mise en place de la nouvelle organisation se sont ajoutés les effets d'une crise financière et économique très forte, qui a paralysé l'action des États membres. Faisant le point des opérations existantes, notamment en Géorgie, au Kosovo ou en Afghanistan, nous avons observé que les contributions annoncées ne s'étaient pas entièrement concrétisées. Ainsi, sur les 150 observateurs prévus en Géorgie, moins d'une centaine est encore en place. Au Kosovo, quatre grandes unités de police avaient été annoncées dans le cadre de l'opération Eulex : elle n'en comprend à l'heure actuelle qu'une seule, essentiellement assurée par la Pologne, les autres pays ayant rapatrié leurs renforts pour des raisons de politique intérieure. Il a donc fallu dans un premier temps se réorganiser.
Toutefois, le mouvement est reparti dans le bon sens depuis quelques mois. Il en est ainsi, dans la Corne de l'Afrique, où, en complément au soutien financier apporté par l'Europe à la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM) - l'Europe en est le premier donateur - et à la Mission européenne de formation des soldats des forces somaliennes (EUTM Somalia), nous mettons en place une troisième opération, Eucap Nestor, qui vise à renforcer les capacités maritimes notamment de Djibouti et du Kenya, en accompagnement de la mission militaire « Atalanta » de lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe d'Aden et dans l'océan Indien, et à aider ces États à se doter de l'appareil sécuritaire et juridique leur permettant de lutter contre la piraterie et, au-delà, de renforcer la sécurité maritime le long de leurs côtes. L'opération, qui en est au stade du concept opérationnel, est conduite par l'amiral français Launay.
Nous avons par ailleurs installé au Niger une mission civile et militaire, qui sera renforcée dans les mois à venir en cas d'opération au Mali. Il s'agira d'une opération de formation de l'armée malienne. Nous préparons également une opération dans la République du Soudan du Sud, autour de l'aéroport de Djouba, la capitale.
Vous avez mentionné le cas de la Libye et les difficultés de coordination entre la représentation des Nations unies, qui a été désignée comme chef de file pour l'aide internationale, et la représentation de l'Union européenne. Il est vrai que nous avons peut être sous-estimé au départ, tant les Nations unies que l'Union européenne ou les pays membres, les difficultés rencontrées par les autorités libyennes pour mettre en place de nouvelles institutions et pour se doter d'une administration efficace, et que nous avons peut être trop attendu. On a demandé à l'Union européenne de s'occuper dans un premier temps de la société civile, avant de réaliser l'importance des questions de sécurité pour les nouvelles autorités de ce pays. Nous réfléchissons donc actuellement avec nos partenaires libyens à une opération de l'Union européenne visant à renforcer les contrôles frontaliers, notamment au Sud mais aussi à l'Est, notamment en assurant la formation de la police des frontières. Les autorités libyennes, qui se mettent lentement en place, sont demandeurs en la matière. L'Europe a donc de nouveau la volonté politique d'aller de l'avant. Nous avons d'ores et déjà envoyé une mission exploratoire à Tripoli, à Benghazi et dans le Sud. Le principe d'une opération de l'Union européenne a été accepté par les autorités libyennes. Un concept de gestion de cette opération devrait être adopté prochainement par le Conseil. Les États membres devront évidemment y contribuer sur les plans humain et financier - nous dépendons d'eux pour monter de telles opérations -. D'ores et déjà, plusieurs Etats membres, comme la France, le Royaume-Uni ou l'Italie, ont encouragé le SEAE à aller de l'avant et ont indiqué qu'ils seraient disposés à contribuer à cette opération. Il y a urgence car la sécurité des frontières est une vraie préoccupation pour le gouvernement libyen.
Nos réflexions portent également sur les capacités de l'industrie d'armement européenne et sur la possibilité de mutualiser les efforts des Etats Membres pour combler les carences observées dans l'appareil militaire européen, carences que l'intervention militaire en Libye a révélées, qu'il s'agisse des avions ravitailleurs, qui ont fait largement défaut, de la formation et de l'entraînement des pilotes d'hélicoptères ou des hôpitaux de campagne. Il convient de travailler de manière conjointe - le pooling and sharing en langue bruxelloise - pour concevoir dès l'origine les programmes que nous pourrions lancer comme des programmes européens, complémentaires de ceux que l'OTAN mène dans le cadre de l'initiative de Smart Defence, lancée lors du sommet de Chicago. Nous travaillons à cette fin en étroite liaison avec l'OTAN.
Cette volonté d'avancer dans le domaine des capacités sera discutée lors du Conseil européen du mois de décembre prochain. Les chefs d'État et de gouvernement viennent en effet de confier une telle mission pour 2013 au SEAE, à la Commission et à l'Agence européenne de défense, sans oublier les autres entités du secteur de la sécurité et de la défense. Un rapport sera remis à la fin de l'année prochaine aux chefs d'État et de gouvernement qui valideront, ou non, les orientations qui auront été définies dans le cadre de cette mission.
De plus, Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services, a monté une task force chargée d'examiner du point de vue des compétences de la Commission européenne la manière de renforcer l'industrie des armements. Il s'agira, notamment, de faire tomber les obstacles subsistant au sein du marché intérieur pour permettre aux industries de la défense de mieux travailler entre elles et de renforcer l'impact des programmes de recherche et technologie vis-à-vis du secteur de la défense.
Un deuxième motif de satisfaction tient au fait que l'action du SEAE est saluée par les partenaires extérieurs de l'Union européenne. Il est d'ailleurs frappant de constater que, si le SEAE suscite souvent des critiques de la part des Etats membres, des think tanks ou des journalistes, à l'inverse, ses meilleurs avocats sont les diplomates issus de pays étrangers, à l'image des partenaires stratégiques de l'Union européenne, comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine ou le Brésil, qui considèrent que la mise en place du SEAE leur permet d'avoir un interlocuteur unique et bien identifié à Bruxelles pour les questions qui relèvent de l'Union européenne. Ces diplomates comprennent très bien la distinction entre le SEAE et les diplomaties nationales. Par ailleurs, les partenaires stratégiques et les organisations régionales, comme l'ASEAN, sollicitent de plus en plus souvent le SEAE. Contrairement à une idée répandue, selon laquelle il y aurait un conflit presque structurel entre l'Union européenne et les diplomaties nationales, et qu'il serait difficile pour le SEAE de trouver sa place, les partenaires extérieurs savent très bien distinguer ce qui relève de l'Union européenne et ce qui relève des Etats membres.
S'agissant des points de faiblesse, je mentionnerai d'abord les relations avec les autres institutions, comme le Conseil ou la Commission européenne, qui ont vu partir vers le SEAE un certain nombre de leurs fonctionnaires et de leurs attributions et qui ont pu légitimement nourrir un certain ressentiment à l'égard du SEAE. Il faut donc rebâtir patiemment une nouvelle relation de travail, une meilleure synergie et une plus grande coordination entre le SEAE, le Conseil et la Commission.
La deuxième difficulté tient à la nécessité d'aller vers une véritable culture diplomatique commune. Aujourd'hui encore au sein du SEAE, on peut immédiatement deviner l'administration d'origine du rédacteur d'une note, savoir s'il est issu de la Commission européenne, du secrétariat général du Conseil ou bien des diplomaties nationales, tant les différences de culture sont encore très fortes entre ces trois catégories d'agents. Dans un service encore largement dominé par la culture de la Commission européenne, où l'approche est traditionnellement axée sur les aspects économiques et d'aide au développement, il faut parvenir avec le temps à introduire davantage de diplomatie régalienne, telle qu'elle est pratiquée par les diplomaties nationales. Par ailleurs, il est très important que l'administration centrale travaille plus étroitement avec les délégations de l'Union européenne auprès des pays tiers, ce qui n'était pas le cas précédemment.
Enfin, la troisième et dernière difficulté tient à la nécessité de dépasser le travail quotidien pour essayer d'élaborer une vision stratégique, au moins sur les trois ou quatre prochaines années, des relations de l'Union européenne avec ses principaux partenaires. Je pense par exemple à l'avenir des relations de l'Union européenne avec des partenaires stratégiques, comme la Russie, la Chine ou les Etats-Unis, ou encore de l'attitude de l'Europe à l'égard des pays méditerranéens après le « printemps arabe ».
Vous m'avez également interrogé, Monsieur le Président, sur le vote récent à l'assemblée générale des Nations unies sur le rehaussement du statut de la Palestine et l'attitude des pays européens. Certes, d'un côté l'Union européenne est apparue divisée, puisque, en dépit de nos efforts visant à ce que les pays européens se limitent à deux positions de votes, soit le vote « pour », soit l'abstention, un pays - la République tchèque - a préféré au dernier moment voter « non » au statut d'Etat observateur de la Palestine à l'assemblée générale des Nations unies. Malgré ces différences, l'Union européenne a adopté, le même jour et à l'unanimité, une forte déclaration rappelant ses positions par rapport aux objectifs du processus de paix, c'est-à-dire une solution fondée sur la coexistence pacifique de deux Etats, contenant une ferme condamnation de la politique israélienne d'implantations illégales en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et un appel à la réconciliation inter-palestinienne.
Sans aller jusqu'à parler d'une seule voix, nous nous efforçons ainsi de ne pas mettre en avant nos désaccords et de privilégier au contraire ce qui nous rassemble.
Ainsi, sur le dossier du Sahel et du Mali, nous parvenons à avancer en préservant l'unité des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne, malgré nos différentes sensibilités. Sur le plan de la sécurité, l'Union européenne monte, pour le début de l'année prochaine, une opération de formation et d'entraînement des troupes maliennes. Une force africaine d'intervention, qui pourrait s'installer à la limite séparant le nord et le sud du pays, est par ailleurs prévue. Un tel schéma rappellera celui qui a présidé à la sortie de crise en Somalie, où une force africaine, l'AMISOM, est épaulée par une force européenne de formation et d'entraînement, l'EUTM, la complémentarité de ces deux initiatives ayant permis de ramener progressivement un début de stabilité en Somalie, où le pays a retrouvé ses institutions - un président désigné par le Parlement et un gouvernement -, même si la situation demeure, il est vrai, fragile du fait de la présence persistante des rebelles à la frontière avec le Kenya. Au Mali, il est nécessaire d'aider à la réconciliation nationale entre les différents partis politiques et de relancer le processus électoral interrompu, sans oublier le développement économique et social. Si l'Union européenne a suspendu son aide, celle-ci est prête à redémarrer en parallèle avec le processus de réconciliation nationale. L'aide humanitaire, quant à elle, n'a jamais cessé et continue de se développer. Nous essayons de conduire au Mali une action aussi illustrative que possible de cette 'approche intégrée voulue par le Traité de Lisbonne.
De même, s'agissant de la Syrie, et même si l'on constate des nuances entre les vingt-sept capitales, nous poursuivons nos efforts diplomatiques pour mettre un terme aux violences et trouver une solution à cette crise. Sur ce dossier, le SEAE travaille actuellement, comme les Nations unies et la Ligue arabe, sur le « jour d'après », c'est-à-dire après le départ de Bachar el-Assad. Deux hypothèses doivent être prises en compte. La première est celle d'une transition se déroulant dans une relative stabilité, dans l'hypothèse où l'actuel émissaire de l'ONU, M. Lakhdar Brahimi, aurait réussi à mener à bien une initiative diplomatique permettant de mettre en place dès maintenant une transition politique. La seconde, qui serait la conséquence de l'échec de ces efforts diplomatiques, est celle de la disparition du régime actuel sans processus de transition préalable, ce qui pourrait mettre le pays dans une situation très instable. Ces deux hypothèses impliqueront évidemment des modes opératoires très différents. Dans le premier cas, on peut envisager l'installation d'une force de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies, la promotion d'opérations de développement économique et de reconstruction ainsi que la mise en place d'un nouvel ordre institutionnel, débouchant, comme en Libye, sur un processus constitutionnel et électoral. Dans le second cas, il conviendra tout d'abord de trouver les moyens de ramener la stabilité, avec l'aide des Nations unies, dans un contexte qui sera beaucoup plus difficile.
L'un des enjeux du SEAE est d'aider certains Etats en difficulté à devenir des Etats de droit. C'est vrai pour la Libye, c'est vrai aussi pour le Mali. C'est un rôle que peut jouer pleinement l'Europe. La question que je me pose est comment fonctionne l'Europe dans ces Etats en construction ou en reconstruction quand des intérêts économiques des Etats membres sont en jeu. Y-a-t-il un moyen d'être équitable ? Les fonctionnaires de la Commission et des différentes délégations jouent-ils la carte de l'Europe ou bien jouent-ils la carte des pays dont ils sont issus ?
Par ailleurs, je m'interroge beaucoup sur le Mali. On se rend compte que les hommes en place ne sont pas nécessairement acceptés par tous les Maliens, ce qui crée des risques de déstabilisation politique. L'armée malienne comporte quatre vingt deux généraux, tous inaptes au commandement. La preuve en est que c'est un capitaine qui a pris le pouvoir. Alors comment former ces militaires ? Nous sommes peut être encore très loin de l'objectif consistant à avoir une armée malienne capable de rétablir la souveraineté de l'Etat sur l'ensemble de son territoire.
Nous rentrons avec quelques collègues de Washington où se déroulait le forum transatlantique, organisé par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN avec le Conseil transatlantique. Il y a été fortement question de la position des Etats-Unis - du « pivot » ou « rééquilibrage » en direction de l'Asie, les mots changent aujourd'hui, mais néanmoins c'est clairement l'idée que les Etats-Unis confèrent aux Européens une responsabilité particulière dans leur propre défense. Notre sentiment, confirmé par le rapport d'Hubert Védrine, est que dès lors que la France a réintégré l'OTAN, il faut qu'elle y occupe intégralement sa place. Le conseil des ministres qui vient d'avoir lieu prépare pour 2013 un sujet important pour renforcer cette politique européenne de sécurité et de défense commune. Votre service, comme d'autres - la Commission, l'Agence européenne de défense - sont chargés de faire des propositions. Nous sommes très intéressés en France, au moment même où nous rédigeons le Livre blanc, de trouver des partenaires de qualité prêts à porter avec nous cette responsabilité d'une défense européenne, de façon équilibrée. Alors quelles sont les pistes raisonnables sur lesquelles travailler ? Le Sénat vient de mettre en place un groupe de travail chargé de réfléchir à cette question qui devra produire ses réflexions pour le premier semestre 2013. On ne sait pas trop s'il faut dire Europe de la défense ou défense européenne. L'objectif n'est pas de compiler tout ce qui s'est dit ou fait sur le sujet. Les institutions sont là, les outils sont là. Quelles pièces pouvez-vous verser au dossier dès maintenant, à partir des pistes ouvertes par le dernier Conseil des ministres européens ?
Nous avons reçu il y a quinze jours une délégation de dix-huit députés du Bundestag, emmenée par la présidente de la commission de la défense, Mme Suzanne Kastner, ici-même, afin de rencontrer les membres de la commission de la défense de l'Assemblée nationale et ceux de notre commission. Ils souhaitaient une confrontation franche avec nous sur un ordre du jour préparé à l'avance, pour essayer de trouver des pistes pour l'Europe de la défense, ou la défense de l'Europe. La confrontation a été franche mais agréable, notamment sur la question du Nord Mali. L'approche que nous avions méritait d'être nuancée par les déclarations de nos amis allemands. C'est pourquoi, comme le dit Hubert Védrine, si on veut avancer sur le chemin de l'Europe de la défense, il faut se dire les choses crûment, et en ce domaine, nous avons encore beaucoup de chemin à faire.
J'ai une observation à faire : je regrette le peu de visibilité dans les médias de l'action de votre service. On peut en avoir deux interprétations. Soit vous retenez plus astucieux de ne pas heurter les susceptibilités des diplomaties nationales. Mais l'Europe demande quand même à avoir une voix. Soit, vous avez véritablement une incapacité à le faire, car les Etats ne veulent pas que vous débordiez de vos compétences. Cette dernière hypothèse n'est pas à écarter, quand on observe le processus de nomination et que l'on voit - je le dis très franchement - la nomination d'un président du Conseil européen qui n'était même pas candidat et qui, même si ses capacités personnelles ne sont pas en cause, a davantage un rôle de secrétaire général qu'un rôle de président. Je voudrais donc qu'on réfléchisse à la façon d'améliorer la présence de votre service sur la scène internationale.
Par ailleurs, face la crise économique et financière qui s'aggrave, des voix s'élèvent pour que soit nommé un ministre européen de l'économie chargé de fédérer l'ensemble des secteurs, surveiller les divergences de compétitivité, faire avancer l'Europe bancaire etc. Compte tenu de votre expérience, quels conseils donneriez-vous à celui qui occuperait votre poste sous l'autorité de ce ministre européen de l'économie, sur quels sujets lui recommanderiez-vous de se concentrer, sur quels points appelleriez vous son attention ? Est-ce que votre expérience peut être reproduite pour un service des questions économiques ?
J'ai sursauté quand vous avez reparlé du Quartette au sujet de la Palestine. Vous avez dit : « il est contesté ». Non. Ce n'est pas le cas. La vérité est qu'on n'en parle plus, pas plus qu'on ne parle encore de la feuille de route, pas plus qu'on ne parle de l'action de M. Tony Blair. Je ne sais même pas ce qu'il est advenu de lui et de ses missions. Tout cela est dramatique, tant il y a une demande d'Europe dans cette région.
La France s'est honorée avec le vote sur la Palestine à l'Onu et cela a peut être influé sur le vote d'autres pays européens, en particulier celui de nos amis allemands, dont il faudra bien un jour qu'ils se libèrent de leur mauvaise conscience, et qui sont actuellement un poids pour l'action européenne.
Quand vous dites que nous sommes toujours d'accord sur la solution des deux Etats - et vous n'avez pas osez dire tout le reste, c'est-à-dire les frontières de 1967, etc, tant tout cela devient une litanie qui n'a plus de sens - il faudrait peut être que nous arrêtions de dire cela ? Est-ce que vous croyez encore aux deux Etats ? C'est quand même terrible. L'Etat qui vient d'être reconnu à l'Onu est totalement virtuel. Pour peu que la colonisation continue, il n'y aura plus d'autorité palestinienne en Cisjordanie. La seule autorité qui reste c'est le Hamas et c'est à Gaza. C'est là le résultat de l'action de la communauté internationale. Alors la question que je vous pose est : quand allons nous nous décider à parler de la colonisation ? C'est le moment ou jamais, qu'en pensez-vous ? Et puis, il y a quand même dans les fonds qui ont été bloqués par les Israéliens aux frontières, des fonds européens, me semble-t-il ? C'est quand même curieux qu'ils soient en charge du transfert de ces fonds aux Palestiniens.
Vous êtes directement au contact d'un certain nombre de problèmes. Il y en a sur lesquels vous pouvez peu. Mais si on prend par exemple celui du Nord Mali, vous avez quand même une certaine latitude. Vous vous êtes rendu sur place à Bamako. Vous y avez rencontré je crois M. Romano Prodi. Mais avant toute action, il y a bien évidemment la question du pouvoir malien. Or de ce point de vue, la situation est préoccupante. Quelle évaluation en faites vous ? J'entends dire qu'il faut préserver l'intégrité territoriale du Mali. Très bien. Mais pour ce faire, il faut un gouvernement à Bamako. Il faut qu'il soit légitime, donc qu'il soit élu. Comment tout cela s'organise-t-il ? A-t-on vraiment pris la mesure de ce pays improbable qu'est le Nord Mali, dans cette immense bande sahélienne ? Quelles conditions faut-il remplir pour qu'une intervention soit possible ? En outre, il y a dans ce pays un arrière plan de misère et de désertification qui nécessite d'être traité avant toute chose par une politique active de développement. Est-ce que cela peut se mettre en mouvement et dans quelles conditions ? S'agissant de la formation de l'armée malienne, sur quels contingents pouvons nous compter ? Nous avons rencontré des parlementaires allemands. Ils ne nous paraissent pas extrêmement motivés sur une opération pourtant modeste : former l'armée malienne... Quand on regarde le problème, il y a d'un côté la CEDEAO, de l'autre l'Union européenne, dans un pays où la colonisation française avait au moins eu le mérite d'installer la paix. A-t-on bien pris la mesure du problème ? Et quelles conditions réunir pour que ce problème puisse être - non pas résolu ; ce serait trop ambitieux - mais au moins maîtrisé ? C'est notre intérêt, c'est celui des pays africains. C'est une affaire où le SEAE devrait se sentir en première ligne. Ce n'est pas comme si on vous demandait de résoudre les problèmes entre la Chine et le Japon.
En réponse à M. Guerriau, je dirai que les problèmes de l'Etat de droit constituent un domaine où l'Union européenne peut jouer un rôle. Je ne pensais pas uniquement au Mali, mais aussi à tous les pays d'Afrique du nord : la Tunisie, l'Egypte, la Libye. Le SEAE n'agit d'ailleurs pas directement car il va chercher dans les Etats membres de bons experts de droit constitutionnel, d'administration, etc... En Libye par exemple, nous avons aidé ce pays sur les questions électorales. On peut aider également sur la mise en place du processus constitutionnel et institutionnel, en particulier pour définir une nouvelle organisation des collectivités territoriales.
Le fonctionnement des délégations par rapport aux intérêts nationaux est assez simple, car il s'agit de défendre des intérêts qui sont communs à tous les Etats membres de l'Union, par exemple des règles générales de droit commercial ou de droit économique, comme la protection de la propriété intellectuelle ou la sécurité juridique pour les investissements. Quand, en revanche, il s'agit de défendre les intérêts d'une entreprise française par rapport à une entreprise italienne, ce n'est plus notre affaire. Nous n'avons pas à prendre partie. Cela devient l'affaire de l'ambassade de France ou de l'ambassade d'Italie. L'un des défauts des institutions de Bruxelles, nous le savons tous, c'est qu'elles sont trop souvent enfermées sur elles mêmes, un peu trop nombrilistes, et manquant de contacts avec les Etats membres. Le fait d'avoir au sein du SEAE des diplomates nationaux bien au fait des sensibilités de leurs pays nous permet d'aller beaucoup plus vite pour prendre la mesure des opinions publiques nationales et de celle des décideurs. Quand Mme Ashton veut savoir ce que pensent les autorités françaises sur tel ou tel dossier, je peux l'aider car je sais à peu près comment me repérer dans les arcanes de l'administration française. C'est la même chose pour mes collègues britannique, allemand ou polonais. Sur le Mali, je dirai, premièrement, que la situation est en effet très complexe. Deuxièmement, l'Union européenne peut jouer un rôle important, et ce à la demande même des Africains. Au tout début du conflit, la CEDEAO et l'Union africaine se sont tournées vers nous et nous ont invités à participer à leurs réunions. Nous avons plusieurs fois discuté avec le président intérimaire du Mali et les autres autorités de ce pays. Les officiers de l'état-major présents chez nous ont été consultés pour aider les forces maliennes et la CEDEAO à définir leur concept de gestion, tout cela en liaison avec nos partenaires français, anglais et américains.
Comment analysons-nous le problème - quelle évaluation en faisons-nous ? Il y a d'abord un problème de stabilité politique. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous l'avons dit aux autorités maliennes et nous continuons à le dire. Nous sommes prêts à aider et à former les forces armées maliennes, mais à deux conditions. Il faut d'abord un effort de réconciliation nationale autour d'assises nationales. Et puis nous avons demandé l'élaboration d'une feuille de route, c'est-à-dire d'un calendrier pour la tenue des élections, la mise en place des institutions et éventuellement un processus constitutionnel. Dans ce contexte, notre action de formation aura aussi l'avantage de permettre aux militaires maliens de se concentrer sur l'action de reconquête de leur intégrité territoriale. Dans cette entreprise de reconquête du Nord du Mali, il faudra jouer tout à la fois sur le registre du dialogue avec certains éléments situés au nord, le MNLA, les Touaregs, voire certains mouvements tels Ansar Eddine. Cela, c'est pour l'essentiel l'affaire des Maliens. Par ailleurs, avec la CEDAO et l'Union Africaine, il s'agira de mettre en place une force susceptible de s'interposer entre le Nord et le Sud.
Troisième élément, c'est évidemment tout ce qui tourne autour du développement économique et social du pays. En ce domaine, il faut être lucide : si nous en sommes là aujourd'hui, c'est que ce qui a été fait avant en la matière n'a pas été suffisant, en particulier parce que les différents acteurs du développement se sont essentiellement occupées du sud du pays. Donc si nous voulons aller de l'avant, il faudra que nous prenions à bras le corps le problème du nord et que nous essayions de le régler.
En réponse à MM. Guerriaud et Reiner, sur la politique de sécurité et de défense, il est vrai que les Américains sont attirés par l'Asie. Je ne crois pas qu'il faille en déduire pour autant qu'ils vont se détourner de la relation transatlantique, ne serait-ce que pour tous les avantages que cette relation leur procure, à commencer par un allié qui reste un allié sûr et avec lequel ils partagent les mêmes valeurs et les mêmes principes. L'intérêt économique est également évident : le marché européen et le marché américain représentent près d'un tiers du marché mondial et une grosse part du PIB mondial. Enfin, dans le domaine des industries de défense, nous sommes en face d'un marché important, en particulier dans le domaine de la R & D. Dans ce que les Américains appellent la smart defense, ce que nous appelons le pooling and sharing, il faut que nous Européens soyons capables d'avoir nos propres technologies et d'éviter que l'industrie américaine, notamment par sa puissance en matière d'innovation, n'accapare toutes les parts de marché. Il faut donc se doter d'une industrie de défense européenne mieux coordonnée et mieux unifiée. C'est pour cela que nous allons travailler avec la Commission pour essayer de faire tomber un certain nombre d'entraves à cette coopération entre industries d'armement pour que les Européens, s'ils le souhaitent, soient capables de constituer une industrie d'armement plus performante au niveau européen. Au moment où tous les budgets européens de la défense diminuent, ceci va devenir une question de survie. Toute la réflexion qu'on va avoir au cours de l'année 2013 pour aboutir en fin d'année prochaine à des décisions au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement porte sur ce thème.
Vous disiez qu'avec vos collègues du Bundestag, il y avait des doutes sur ce que faisait la France au Mali. Nos partenaires allemands ont examiné avec beaucoup d'attention le projet d'opération au Mali, et ils l'ont accepté précisément parce que celle-ci s'en tient à une action de formation.
Sur la lisibilité de l'action du SEAE, nous avons sans doute encore beaucoup de progrès à faire. Mais le fait est que nous avançons avec prudence et pas à pas, car effectivement, les Etats membres pourraient prendre ombrage de notre action si nous étions tentés de trop nous mettre en avant.
Sur un éventuel ministre européen de l'économie, ce que je ressens à travers l'expérience encore toute neuve du SEAE, c'est la nécessité de travailler en même temps et de manière très étroite avec la Commission, le Conseil et les Etats Membres afin que ce ministre européen puisse être un honnête courtier dans des domaines où les sensibilités nationales sont à fleur de peau.
Sur le problème palestinien abordé par Mme Durrieu, je dirai qu'à maints égards je suis d'accord avec elle. Le Quartette a beaucoup de faiblesses et chacun le reconnaît; mais il a le mérite de maintenir la Russie à bord, ce qui est important. Sur le processus de paix, tout ce qui se passe en ce moment va dans le sens contraire de ce que l'on souhaite promouvoir avec la solution des deux Etats. A cet égard, il y a eu des discussions intéressantes entre les vingt sept ministres des Affaires étrangères au dernier conseil des ministres. On y a vu en particulier une volonté très claire d'aller dire à la nouvelle administration Obama qu'elle ne peut pas rester à l'écart de ce problème. Quand les s élections israéliennes auront eu lieu, il sera temps alors pour les Européens de prendre des initiatives pour débloquer la situation. Sinon, le risque est bien que le processus de paix s'enlise et que les événements du printemps arabe touchent à leur tour les territoires palestiniens où domine en ce moment un sentiment de frustration qui risque de rendre la situation de plus en plus difficile.
L'Union européenne aujourd'hui reste un partenaire essentiel pour l'administration palestinienne. Celle ci fait face à de graves difficultés financières, par exemple pour payer les salaires de ses fonctionnaires. Pour les Européens, il est clair qu'il faut continuer à soutenir l'Autorité Palestinienne car sinon face à la pression du Hamas, Mahmoud Abbas et Salam Fayyad ne pourront pas tenir longtemps.
Il appartient donc aux Européens d'être actifs aussi bien à Washington qu'à Ramallah dans les mois et les semaines qui viennent et de s'engager dans des initiatives à la hauteur des défis qui sont devant nous.
J'ai trois questions à vous poser en conclusion. La première est l'attitude de nos alliés allemands en matière de financements d'industrie de la défense et de recherche. Ils sont très regardants pour ce qui est des autorisations d'exportation. Et à un moment où les industriels américains vont devenir de plus en plus agressifs sur les marchés d'export, si nous nous mettons nous-mêmes trop d'entraves, cela va poser des problèmes insurmontables.
Deuxième question : est-il envisageable de nommer un haut représentant européen pour le Sahel ?
Enfin, qu'en est-il de la représentation de l'Union européenne au sein des organisations internationales, en particulier l'Onu ?
Sur votre première question : vous avez raison. Cette préoccupation allemande a encore été notée vendredi dernier au conseil européen où nous avons adopté le mandat confié aux différentes administrations européennes pour travailler sur la sécurité et la défense européenne en matière de capacités militaires et de base industrielle. Nos partenaires allemands étaient très soucieux de mettre les points sur les « i », en matière de recherche. Leurs craintes est que, dans la compétition qui se développe aujourd'hui entre industriels européens, certains d'entre eux puissent tirer parti des ressources du budget communautaire davantage que d'autres.
Ce que nous devons faire, c'est de démontrer que tout le monde peut tirer parti du budget européen à travers les crédits de recherche. Il est frappant à cet égard d'observer que l'économie américaine a rebondi après chaque récession, notamment dans les années 1980 en bénéficiant des aides fédérales en matière de recherche et des retombées économiques des grands programmes d'armement.
Nous aurions donc tort de ne pas en faire de même. Tout le monde en est conscient et il faudra donc avancer sur cette voie.
Un représentant spécial pour le Sahel - oui : c'est l'objectif. La haute représentante l'a indiqué récemment aux ministres de la défense et des affaires étrangères. On va travailler dans le cadre de la procédure habituelle, c'est-à-dire définir une lettre de mission pour ce représentant spécial, puis le sélectionner sur la base des candidatures que présenteront les Etats membres.
Enfin, la représentation de l'Union européenne dans les organisations internationales : nous avons des représentants dans une dizaine d'organisations : à New-York à l'ONU, à la FAO, à Genève, à l'OMC. Ce sont des délégations de l'Union européenne, comme les délégations dans les Etats tiers. La grande difficulté est que le rôle que nous pouvons y jouer soit accepté par les Etats membres, ce qui n'est pas toujours le cas et conduit parfois à de longues et fastidieuses discussions entre Etats membres. Mais nous avançons avec pragmatisme et, par exemple à New-York, aux Nations unies, nous avons un excellent chef de délégation qui nous permet de jouer notre rôle et de tenir notre rang.