La focalisation du débat public sur le volet pénal de la prostitution aurait tendance à faire oublier que celui-ci est indissociable de son pendant social. Comment, en effet, aider les personnes qui le souhaitent à sortir de la prostitution sans leur proposer d'alternatives crédibles en termes de garantie de revenus, d'hébergement, de formation professionnelle et d'accompagnement psychologique ? Aussi, sans présager des futurs débats sur l'évolution du cadre légal de la prostitution, nous plaidons pour la mise en oeuvre d'un accompagnement social global des personnes désireuses de quitter la prostitution ainsi que des victimes de la traite.
Il faut tout d'abord agir dans le champ de la fiscalité. L'impôt sur le revenu étant payé avec une année de décalage, la fiscalisation des personnes prostituées constitue un obstacle important à la cessation de leur activité. Des remises gracieuses peuvent leur être accordées, mais les conditions pour y être éligible sont dissuasives et irréalistes. Il faut en effet que la personne prostituée prouve qu'elle n'a conservé aucun bien de son activité antérieure. C'est pourquoi nous proposons que seules deux conditions guident cette politique de remise fiscale : l'arrêt de la prostitution et l'engagement dans un parcours d'insertion professionnelle. Nous pointons, par ailleurs, l'attitude ambigüe de l'Etat s'agissant du régime fiscal applicable aux proxénètes : d'un côté, il s'est fixé comme objectif la lutte contre le proxénétisme, de l'autre, il a édicté des règles juridiques précises pour imposer les personnes se livrant à ce type d'activité ! La personne prostituée peut par exemple déduire des revenus qu'elle déclare les sommes reversées à son proxénète !
Quel que soit le mode d'exercice, tout arrêt de la prostitution entraîne mécaniquement une perte de revenus qui met les personnes concernées en situation de précarité et de vulnérabilité accrues. Se pose dès lors la question d'un soutien financier de transition permettant de faire face à la période d'inactivité avant l'insertion dans un parcours professionnel. Aujourd'hui, les personnes prostituées peuvent, selon leur nationalité et la régularité de leur séjour, avoir accès soit au revenu de solidarité active (RSA), soit à l'allocation temporaire d'attente (ATA). Or une catégorie demeure exclue de ces dispositifs : les personnes prostituées étrangères qui n'ont pas voulu ou pas pu porter plainte contre le réseau de traite ou leur proxénète. Une piste consisterait à leur ouvrir le droit à l'ATA à condition qu'elles soient engagées dans un parcours de sortie de la prostitution.
Les capacités d'accueil des personnes prostituées souhaitant abandonner cette activité ne sont ni suffisantes, ni toujours adaptées à la nature de la demande. Il nous paraît dès lors souhaitable de les faire bénéficier en priorité de l'accès au contingent d'un tiers des places d'hébergement d'urgence qui, conformément à l'engagement présidentiel, doivent être réservés aux femmes victimes de violence. En outre, les personnes prostituées souhaitant sortir de la prostitution ne sont pas considérées comme un public prioritaire pour l'accès au logement social, alors qu'elles entrent théoriquement dans le champ de l'article L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation. Une circulaire doit donc être adressée aux bailleurs sociaux afin de remédier à cette mauvaise interprétation des textes.
La sortie de la prostitution suppose de donner aux personnes concernées des perspectives crédibles en termes de formation professionnelle, au risque sinon de les voir « replonger ». Outre la question de la maîtrise de la langue, l'accès aux dispositifs de formation de droit commun se heurte, pour les victimes de la traite, à un obstacle : la détention d'un titre de séjour suffisamment long pour pouvoir suivre une formation professionnelle dans la durée. Nous estimons donc nécessaire de revoir les modalités de délivrance des titres de séjour pour ces personnes, qu'elles aient ou non porté plainte.
La violence subie est souvent telle que les répercussions sur la santé et le psychisme des personnes prostituées sont profondes et durables. Des troubles comme la honte de soi ou la peur des autres rendent difficiles tout parcours de « reconstruction ». Aussi, ces personnes, en particulier celles victimes d'exploitation, doivent pouvoir bénéficier d'un accompagnement psychologique ou psychiatrique sur le long terme.
Sur ce sujet de la sortie de la prostitution, l'Italie - où nous nous sommes rendus en juin dernier - a mis en place une politique globale qui s'inspire des mesures relatives à la lutte contre les réseaux mafieux et dont de nombreux aspects pourraient à nos yeux être transposés en France : la reconnaissance du statut de victime indépendamment du fait que la personne ait dénoncé ou non son trafiquant/proxénète et dès lors qu'elle est engagée dans un parcours d'insertion ; l'octroi d'un permis de séjour temporaire à titre humanitaire ; la protection immédiate dont bénéficie la victime grâce à son hébergement dans un « centre de fuite » ; la mise en place d'un accompagnement personnalisé en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle ; la saisie de l'argent des réseaux de traite au profit des victimes, soit directement sous la forme d'un dédommagement, soit indirectement via le financement de programmes d'insertion sociale et professionnelle ; la complémentarité d'action entre la politique d'aide aux victimes et la politique de lutte contre les réseaux.