Permettez-moi tout d'abord d'excuser le président de notre commission actuellement en déplacement à l'assemblée générale des Nations unies. Nous souhaitons entendre, Monsieur l'ambassadeur, la position de votre pays sur la crise syrienne. Le Royaume-Uni était engagé aux côtés de la France dans l'opération Harmattan en Libye, mais la crise syrienne est très sensiblement différente. La communauté internationale est aujourd'hui dans l'impasse. Nous sommes très intéressés par votre analyse, qui apportera un éclairage utile pour mieux comprendre ce problème.
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - C'est un honneur pour moi d'être entendu ici comme témoin. La politique britannique en la matière rejoint largement les positions françaises. La crise syrienne est très grave. Le niveau de violence que le gouvernement syrien déploie contre sa propre population est inacceptable. La communauté internationale a cherché à mettre fin à cette tuerie, sans trouver jusqu'à présent de moyens appropriés, en dépit des efforts des Nations unies, en particulier de son secrétaire général, de son prédécesseur Kofi Annan et de Lakhdar Brahimi, émissaire spécial. Bachar El Assad est allé beaucoup trop loin pour que nous puissions désormais accepter qu'il reste au pouvoir. Nous nous situons donc dans un contexte de changement de régime. Notre action s'organise autour de trois axes :
- premièrement, maintenir la pression internationale sur le régime. Mais nous sommes en butte à la position russe, qui bloque l'adoption d'une résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le premier ministre britannique, David Cameron, a eu des mots très clairs à ce sujet dans sa récente déclaration devant l'assemblée générale des Nations unies. Pour autant, nous continuons nos efforts. Une rencontre est d'ailleurs prochainement prévue entre les ministres des affaires étrangères britannique et russe ;
- deuxièmement, nous apportons un appui politique à l'opposition syrienne et nous encourageons son unification. Cette action est destinée à faciliter la formation d'un conseil de transition qui puisse réellement être un gouvernement transitoire, comme ce fut le cas en Libye. L'opposition manque pour le moment d'un leader coordonnant ses différentes composantes. Mais nous travaillons à son unification dans les zones dites libérées, sans toutefois aller jusqu'à la livraison d'armes ;
- troisièmement, nous apportons un soutien humanitaire à la population syrienne. Le gouvernement britannique a financé à hauteur de trente millions de livres l'action des organisations humanitaires et vient de consentir huit millions de livres de crédits complémentaires, principalement pour les programmes de l'ONU pour la sauvegarde des enfants.
La piste d'une intervention militaire n'est pas d'actualité. Les incidents à la frontière turque sont sérieux, mais nous estimons que la Turquie, membre de l'OTAN, avec laquelle nous sommes solidaires, a eu une réaction proportionnée.
L'option militaire n'est pas ouverte, tout d'abord parce que nous n'avons pas de base légale, en l'absence d'une résolution du conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi car celle-ci ne ferait qu'ajouter au niveau de violence. Le contexte syrien est très différent de la Libye, tant sur le plan géographique que démographique ou encore géopolitique. Nous ne pouvons pas dupliquer les mêmes modes d'intervention et nous devons bien reconnaître que la situation actuelle n'est pas satisfaisante.
Quels sont à votre sens les origines de la crise ? L'ambassadeur de Russie en France y voit un conflit religieux entre sunnites et chiites, en même temps qu'une aspiration du peuple syrien à plus de démocratie, mais aussi, ce qui nous étonne, un affrontement entre les Etats-Unis et la Russie.
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Je n'ai pas cette lecture. Ce conflit ne me semble pas être une confrontation de type guerre froide. J'y vois la prolongation en Syrie de l'aspiration des peuples ailleurs dans le monde arabe à plus de démocratie, sauf que cette aspiration a buté, en Syrie, contre une dictature qui n'a pas su apporter de réponse aux revendications de liberté qui s'exprimaient. Le régime a choisi de lancer une véritable guerre civile contre son propre peuple, déployant un niveau de violence inacceptable. L'implication iranienne dans la crise n'est certainement pas constructive non plus. Les Etats-Unis ne cherchent pas querelle à la Russie. La situation résulte simplement de l'incapacité du pouvoir syrien à comprendre les aspirations de sa population.