Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de SE. M. Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni sur la situation en Syrie.
Permettez-moi tout d'abord d'excuser le président de notre commission actuellement en déplacement à l'assemblée générale des Nations unies. Nous souhaitons entendre, Monsieur l'ambassadeur, la position de votre pays sur la crise syrienne. Le Royaume-Uni était engagé aux côtés de la France dans l'opération Harmattan en Libye, mais la crise syrienne est très sensiblement différente. La communauté internationale est aujourd'hui dans l'impasse. Nous sommes très intéressés par votre analyse, qui apportera un éclairage utile pour mieux comprendre ce problème.
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - C'est un honneur pour moi d'être entendu ici comme témoin. La politique britannique en la matière rejoint largement les positions françaises. La crise syrienne est très grave. Le niveau de violence que le gouvernement syrien déploie contre sa propre population est inacceptable. La communauté internationale a cherché à mettre fin à cette tuerie, sans trouver jusqu'à présent de moyens appropriés, en dépit des efforts des Nations unies, en particulier de son secrétaire général, de son prédécesseur Kofi Annan et de Lakhdar Brahimi, émissaire spécial. Bachar El Assad est allé beaucoup trop loin pour que nous puissions désormais accepter qu'il reste au pouvoir. Nous nous situons donc dans un contexte de changement de régime. Notre action s'organise autour de trois axes :
- premièrement, maintenir la pression internationale sur le régime. Mais nous sommes en butte à la position russe, qui bloque l'adoption d'une résolution par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le premier ministre britannique, David Cameron, a eu des mots très clairs à ce sujet dans sa récente déclaration devant l'assemblée générale des Nations unies. Pour autant, nous continuons nos efforts. Une rencontre est d'ailleurs prochainement prévue entre les ministres des affaires étrangères britannique et russe ;
- deuxièmement, nous apportons un appui politique à l'opposition syrienne et nous encourageons son unification. Cette action est destinée à faciliter la formation d'un conseil de transition qui puisse réellement être un gouvernement transitoire, comme ce fut le cas en Libye. L'opposition manque pour le moment d'un leader coordonnant ses différentes composantes. Mais nous travaillons à son unification dans les zones dites libérées, sans toutefois aller jusqu'à la livraison d'armes ;
- troisièmement, nous apportons un soutien humanitaire à la population syrienne. Le gouvernement britannique a financé à hauteur de trente millions de livres l'action des organisations humanitaires et vient de consentir huit millions de livres de crédits complémentaires, principalement pour les programmes de l'ONU pour la sauvegarde des enfants.
La piste d'une intervention militaire n'est pas d'actualité. Les incidents à la frontière turque sont sérieux, mais nous estimons que la Turquie, membre de l'OTAN, avec laquelle nous sommes solidaires, a eu une réaction proportionnée.
L'option militaire n'est pas ouverte, tout d'abord parce que nous n'avons pas de base légale, en l'absence d'une résolution du conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi car celle-ci ne ferait qu'ajouter au niveau de violence. Le contexte syrien est très différent de la Libye, tant sur le plan géographique que démographique ou encore géopolitique. Nous ne pouvons pas dupliquer les mêmes modes d'intervention et nous devons bien reconnaître que la situation actuelle n'est pas satisfaisante.
Quels sont à votre sens les origines de la crise ? L'ambassadeur de Russie en France y voit un conflit religieux entre sunnites et chiites, en même temps qu'une aspiration du peuple syrien à plus de démocratie, mais aussi, ce qui nous étonne, un affrontement entre les Etats-Unis et la Russie.
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Je n'ai pas cette lecture. Ce conflit ne me semble pas être une confrontation de type guerre froide. J'y vois la prolongation en Syrie de l'aspiration des peuples ailleurs dans le monde arabe à plus de démocratie, sauf que cette aspiration a buté, en Syrie, contre une dictature qui n'a pas su apporter de réponse aux revendications de liberté qui s'exprimaient. Le régime a choisi de lancer une véritable guerre civile contre son propre peuple, déployant un niveau de violence inacceptable. L'implication iranienne dans la crise n'est certainement pas constructive non plus. Les Etats-Unis ne cherchent pas querelle à la Russie. La situation résulte simplement de l'incapacité du pouvoir syrien à comprendre les aspirations de sa population.
L'opposition vous semble-t-elle en mesure d'assurer la transition et l'après Bachar al Assad ?
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Elle n'est pas vraiment en mesure aujourd'hui de prendre le relai et de gouverner le pays. C'est pourquoi nous travaillons à la constitution de véritables formations politiques capable de diriger et réformer la société civile. Aujourd'hui il n'existe pas de structure alternative ; il nous faut la construire, travailler avec l'opposition pour créer une structure capable de gouverner après le départ de Bachar Al Assad.
Quelle est la perception de la crise par l'opinion publique anglaise ? En particulier, après plusieurs mois, certaines évolutions comme la situation des femmes, a pu éroder l'image positive qu'avaient à leurs débuts les printemps arabes.
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Au début la perception de ces soulèvements était extrêmement positive : la population aspirait à plus de liberté, plus de démocratie, plus de choix. Il n'y a pas un seul « printemps arabe » ; mais plusieurs, tant la situation est différente entre le Maghreb, l'Égypte, la Lybie, le Yémen, les pays du Golfe, ou encore la Syrie. Dans le Maghreb il s'agissait d'une volonté d'ouverture à plus de démocratie, d'une aspiration économique et politique. En Lybie, nous devons stabiliser la gouvernance et faire face à des difficultés qui sont normales, après la chute d'un régime dictatorial long de 41 années. Il faut du temps pour créer une société civile... En Égypte, pays central dans le monde arabe, le nouveau président oeuvre à enraciner des évolutions plutôt positives. Les pays du Golfe semblent désormais stabilisés. Quant au Yémen, on était également dans le cadre d'un changement de régime.
L'opinion publique continue de juger favorablement l'ambition qui sous-tend les printemps arabes. Le rôle de l'Europe est de les aider à fleurir et à s'installer.
L'opposition n'est pas encore prête à gouverner la Syrie. L'ambassadeur de Russie soulignait ce matin qu'il était impossible de négocier avec quelqu'un à qui on demande de partir. Ne vous semblerait-il pas plus réaliste dans le contexte actuel de nous résigner à une négociation entre le régime et l'opposition ?
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - La transition peut arriver vite ou prendre plus de temps, personne ne peut le prédire. L'opposition est éclatée, entre l'intérieur et l'extérieur, entre militaires et civils : elle n'est pas totalement prête pour l'exercice du pouvoir. Il semble impossible de négocier avec Bachar Al Assad après ce qu'il a fait à son peuple. Le seul point de discussion possible est celui des modalités de son départ. En outre nous n'avons plus de diplomates sur place.
Ne pensez-vous pas que l'opinion publique occidentale change de perception sur la crise syrienne, du fait des divisions de l'opposition qui n'apparaît pas comme une réelle alternative au régime, mais aussi des doutes sur la capacité de certaines de ses composantes à vouloir promouvoir en Syrie une cohabitation pacifique des diverses ethnies et religions ? Certains semblent penser que le régime protègerait mieux certaines minorités que le fanatisme religieux qui peut s'exprimer ici ou là.
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Je ne pense pas que l'opinion publique ait changé, vu les atrocités quotidiennes, les massacres de civils, d'enfants, vu le niveau incroyable de violence. Pas plus en occident que dans le monde arabe, où les opinions publiques craignent une contagion à d'autres pays. La coalition d'États qui soutiennent les amis de la démocratie en Syrie est plus large que dans le cas libyen, ces Etats sont plus nombreux et plus déterminés.
Les frictions entre la Syrie et la Turquie peuvent-elles dégénérer par ricochet, je pense notamment au Kurdistan : peut-il être un nouveau foyer d'affrontements ?
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Le danger de dispersion de la crise existe, même si nous estimons que la Turquie, notre alliée au sein de l'OTAN, a eu une réaction proportionnée et mesurée. Pour le moment les Turcs essaient de calmer le jeu, mais cette frontière reste fragile et sensible.
La plupart des analystes de la crise syrienne mettent en avant des facteurs politiques et religieux ; je suis quant à moi attentif à ses sous-jacents économiques et sociaux, et en particulier aux déséquilibres engendrés par la captation des richesses par le clan alaouite, et la communauté d'affaire chrétienne et druze autour des alaouites. Les aspirations de la petite bourgeoisie arabe ont sans doute été un facteur déclenchant sous-estimé. L'armée syrienne est particulièrement aguerrie, le régime n'est pas si impopulaire dans ces sphères d'influence : en conséquence peut-on craindre que le changement de dirigeant ne se traduise par le simple remplacement de Bachar Al Assad par une personnalité « neuve » mais qui incarne, en fait, la même coalition d'intérêts économiques et sociaux ? Dans ce cas la crise ne serait pas réglée, ses causes profondes demeureraient.
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Ce n'est pas une coïncidence si la crise syrienne s'est déclenchée à la suite des soulèvements dans les autres pays arabes puisque c'est partout la même aspiration qui s'exprime : ce sont les mêmes jeunes, qui cherchent l'accès aux mêmes droits, les mêmes possibilités de réussite économique et d'expression politique. Sauf qu'en Syrie, le régime s'y est brutalement opposé, faisant payer à son peuple un prix exorbitant.
Je ne peux vous dire sur quoi débouchera précisément la transition politique, mais le niveau des violences atteint est si élevé qu'il semble improbable que la crise puisse se résoudre par simple « échange » de dirigeant. On analyse mal les forces telluriques à l'oeuvre aujourd'hui en Syrie, faute de diplomates sur place pour les décoder.
Le parti Baas a eu le soutien des occidentaux pendant 50 ans, aussi bien en Irak qu'en Syrie, en particulier parce qu'il était à l'origine -avant de se crisper en dictature - un parti laïc, garantissant à tous la liberté d'expression et de pratique religieuse. L'option politique de sortie de crise, qui reste à inventer, devra garantir à toutes les communautés qu'elles seront représentées et qu'elles pourront vivre paisiblement. Quel modèle vous semblerait transposable : le modèle libanais, voire irakien ?
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Notre objectif est naturellement d'arriver à garantir la sécurité de l'ensemble des communautés dans la Syrie de demain. Il est difficile de se référer à un modèle en particulier, mais cet objectif est central pour la transition.
Certaines communautés chrétiennes sont des soutiens du régime actuel...
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Nous ne souhaitons pas voir l'islamisme intégriste chasser les autres religions. Il faut trouver un moyen de les faire vive ensemble.
Le blocage du Conseil de sécurité des Nations unies n'ouvre pas la voie à un consensus sur la question. Pourtant l'ambassadeur russe nous a affirmé que son pays ne recherchait qu'une chose : le retour à la paix en Syrie....
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Le ministre britannique des affaires étrangères va rencontrer prochainement son homologue russe pour tenter de se mettre d'accord sur l'objectif à poursuivre en Syrie : un état indépendant, capable de se gouverner. Les Russes pourraient accepter un départ de Bachar Al Assad. Les événements sur le terrain pourraient nous prendre de vitesse. Le blocage du conseil de sécurité des nations unies est particulièrement frustrant.
Qu'aurait changé exactement l'adoption d'une résolution ?
Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni - Nous n'envisageons pas de recours à la force sur le fondement du chapitre 7 des Nations unies, mais un déblocage du Conseil de sécurité, en reflétant la cohésion de la communauté internationale, donnerait tout son poids aux tentatives de médiation engagées par les émissaires des Nations unies.
Madame l'ambassadeur d'Allemagne, chère madame Suzanne Wasum-Rainer, soyez la bienvenue dans notre commission. C'est la première fois que nous avons l'occasion de nous rencontrer et c'est un grand plaisir pour moi de vous accueillir au nom de tous mes collègues.
Cette audition s'inscrit dans un cycle de sept auditions. Nous avons déjà entendu hier M. l'ambassadeur du Liban et ce matin les ambassadeurs de Jordanie et de Russie. Nous venons d'entendre Sir Peter Ricketts et nous entendrons demain les représentants des Etats-Unis, de la Turquie, et peut être d'Israël dont nous attendons encore la réponse.
Notre président, Jean-Louis Carrère, actuellement à l'Assemblée générale de l'ONU, a souhaité que la commission puisse entendre les représentants des différents Etats concernés par cette crise syrienne et que ceux-ci puissent leur donner la position de leur propre pays, et les raisons qui les sous-tendent, sans aucun filtre médiatique.
Je vous remercie donc Madame l'ambassadeur d'avoir eu la gentillesse de bien vouloir vous prêter à cet exercice.
Permettez-moi tout d'abord de souligner que la concertation avec nos partenaires français sur la question syrienne est particulièrement étroite, et ce à tous les niveaux. En la personne de l'ambassadeur Chevallier, la France dispose d'un diplomate de grande envergure, très impliqué et excellent connaisseur du terrain qui jouit d'une grande estime en Allemagne.
J'aimerais dans un premier temps dresser un tableau de la situation telle qu'elle apparaît au gouvernement fédéral. Puis, j'évoquerai nos actions et notre ligne politique en vue de résoudre ce conflit.
La crise syrienne est à un moment critique. La spirale de la violence s'amplifie sans cesse. Près d'un millier de personnes meurent chaque semaine ; la plupart d'entre elles sont des civils. Les victimes sont désormais quatre fois plus nombreuses qu'en mai et juin !
Le conflit en Syrie aurait déjà fait 30 000 victimes. Le nombre de réfugiés officiellement enregistrés dans les États voisins serait supérieur à 300 000. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime qu'ils seront plus de 700 000 d'ici la fin de l'année. Plus de trois millions de personnes en Syrie sont directement concernées par les combats.
L'hiver approche et la pénurie en produits alimentaires s'aggrave : nous allons être confrontés à une situation humanitaire critique.
La semaine passée, l'armée syrienne a tué une femme et ses enfants dans la localité turque d'Akçakale située à la frontière syrienne. Ce genre d'événements montre que le conflit syrien peut très facilement prendre une dimension régionale. Le gouvernement turc a réagi avec beaucoup de sang-froid. Des incidents comparables se sont déjà produits aux frontières avec la Jordanie et le Liban.
Le régime syrien ne montre aucun signe d'un changement de cap et n'a respecté aucun de ses engagements définis dans le plan de paix en 6 points de la résolution n° 2042 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Au contraire : les nombreux massacres perpétrés ces derniers mois, dont celui d'Houla, et le large recours aux forces aériennes, montrent que le régime est prêt à une escalade quasiment sans limite.
En plus de l'armée, l'appareil de répression civile continue à opérer. Des milliers d'opposants sont emprisonnés ; la torture et les assassinats sont monnaie courante. À Alep et Damas, l'armée, les services secrets et les milices (les chabbiha) sont engagées ensemble dans les combats de rue et font preuve d'une violence sans scrupule à l'égard de ceux qu'ils soupçonnent d'être des opposants.
Le régime dispose toujours d'importantes réserves militaires : son armée est la plus professionnelle de la région et compte 300 000 hommes en armes. Les approvisionnements en armes et en capitaux viennent en premier lieu d'Iran mais aussi de Russie.
Entre 35 et 40 000 opposants armés font face au régime. Seuls certains d'entre eux sont affiliés à des structures organisées. Nous estimons qu'il existe environ 200 groupes indépendants, agissant en partie de manière coordonnée et en partie de manière indépendante les uns des autres.
Essentiellement composée de soldats syriens de l'armée régulière ayant déserté, l'Armée syrienne libre fédère différentes factions locales. Sur le territoire syrien également, on trouve différents « conseils militaires » qui coordonnent les activités de l'opposition armée, parfois en coopération avec les forces civiles.
Nous notons aussi une augmentation du nombre de combattants étrangers qui importent des techniques de combat développées lors d'autres conflits, en Iraq et en Afghanistan par exemple. Il s'agit pour certains de djihadistes internationaux et pour d'autres d'hommes animés de motivations terroristes islamistes.
Les groupes rebelles commettent eux aussi de nombreuses violations des droits de l'homme. Nous tenons à ce que ces groupes respectent eux aussi le droit humanitaire international. Un point positif : certains groupes se sont donné des codes de conduite qui correspondent aux dispositions internationales.
À l'heure actuelle, la guerre en Syrie n'est toujours pas de nature religieuse. Nous constatons toutefois une augmentation du nombre d'incidents locaux dans lesquels le conflit a un caractère religieux. El-Assad a ouvertement encouragé cette évolution néfaste. Les luttes pour la répartition des terres ou pour des positions de pouvoir à l'échelle locale par exemple compliquent encore la situation.
Nous entendons régulièrement parler d'enlèvements, de demandes de rançons, de l'émergence de zones de non-droit. Visiblement, ces phénomènes sont le fait des deux parties au conflit : les milices gouvernementales et les groupes liés à l'opposition.
Dans ce contexte, les alaouites et de nombreux chrétiens en particulier craignent de plus en plus une vacance du pouvoir et les représailles qu'ils pourraient alors subir. Le régime tire profit de cette peur.
Malgré la répression massive exercée par le gouvernement, les Syriens continuent de trouver le courage de défiler pacifiquement dans les rues. C'est très impressionnant. Vendredi dernier encore, des manifestations pacifiques ont eu lieu après la prière à Idleb, Alep et dans les faubourgs de Damas.
C'est d'autant plus impressionnant que de nombreux leaders de l'opposition ont désormais dû quitter le pays et se sont réfugiés dans d'autres pays de la région ou chez nous, en Europe.
Globalement, l'état de l'opposition n'est pas encore satisfaisant : jusqu'à présent, le Conseil national syrien n'a pas répondu aux attentes placées en lui, même s'il reste, et de loin, la plus grande et une très importante force d'opposition en exil.
De nombreux groupes indépendants, en exil mais surtout en Syrie, ne se sentent pas suffisamment représentés par le CNS.
Le gouvernement allemand juge primordial que l'opposition forme une plate-forme commune la plus représentative possible et intégrant notamment les groupes locaux d'opposition de l'intérieur de la Syrie. Seule une telle plate-forme permettra à l'opposition de proposer une alternative crédible au régime d'El-Assad.
Pour cela, il faut parvenir à convaincre les groupes soutenant encore le régime en place qu'ils auront aussi leur place dans une nouvelle Syrie.
Les 2 et 3 juillet dernier au Caire, l'opposition s'est entendue sur un pacte pour une nouvelle Syrie. Il s'agit à présent de mettre en oeuvre ce programme.
C'est le seul moyen de briser la spirale de la violence et d'engager un processus de transition politique.
Concernant les efforts internationaux, notre action reste fondée sur le plan en 6 points adopté par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le document adopté en juin à Genève par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et d'autres puissances régionales reste également valable.
Le nouvel émissaire spécial de l'ONU en Syrie, Lakhdar Brahimi, définira lui aussi de nouvelles priorités. Il a rendu compte de la situation au Conseil de sécurité pour la première fois le 24 septembre dernier et a mené un nombre incalculable de consultations lors de la semaine ministérielle à New York. En ce moment, il est à nouveau dans la région afin d'explorer de possibles marges de manoeuvre.
Nous le soutiendrons dans sa mission.
Il est toutefois difficile d'imaginer qu'il soit possible d'engager un processus politique tant que la communauté internationale ne fera pas unanimement pression sur E1-Assad pour qu'il quitte la tête du pays.
Malgré des consultations extrêmement intenses entre toutes les parties prenantes lors de la semaine de l'Assemblée générale de l'ONU, le blocage au Conseil de sécurité n'a malheureusement pas pu être levé. Pour y parvenir, il faudrait que Moscou revoie sa position.
Nous ne pensons pas que la Russie ait pour objectif de maintenir à tout prix le régime d'El-Assad. Ce qui compte en réalité pour la Russie, c'est l'influence qu'elle pourra conserver au Proche-Orient. Il est clair également que la position actuelle de la Russie nuit aux intérêts russes dans la région plus qu'elle ne les sert.
Il reste à espérer que l'analyse que fait la Russie de la situation se rapprochera de la nôtre. Nous partageons d'ailleurs quelques intérêts stratégiques : la Russie non plus n'a pas intérêt à une déstabilisation grandissante de la Syrie ni à une amplification des mouvements islamistes.
Tant que le Conseil de sécurité des Nations unies sera bloqué, nous devrons chercher une solution à ce conflit par le biais d'autres forums internationaux. Les Amis du peuple syrien, dont la dernière réunion s'est tenue ici à Paris, jouent un rôle central à cet égard.
Conjointement avec les Émirats arabes unis, le gouvernement fédéral a lancé une initiative de planification de la transition économique de la Syrie : le groupe de travail pour la reconstruction économique, qui est une émanation du groupe des Amis du peuple syrien et dont le secrétariat se trouve à Berlin.
Avec ce groupe de travail, la communauté internationale cherche à préparer la transition économique afin de permettre un redressement économique rapide et bien coordonné de la Syrie de demain.
Ce groupe a également dressé un bilan détaillé des besoins actuels. À l'instar de ce que fait la France dans d'autres domaines, notre objectif est de coopérer avec les groupes qui gèrent et reconstruisent leurs communautés par eux-mêmes dans des zones qui ne sont pas contrôlées par le gouvernement.
Afin d'accentuer la pression sur le régime, l'Union européenne prépare une nouvelle série de sanctions pour le prochain conseil Affaires étrangères du 15 octobre. Dans le cadre du groupe des Amis de la Syrie, nous tâchons également d'inciter d'autres régions à adopter ou à appliquer elles aussi des sanctions (par exemple l'Amérique latine, les pays arabes).
La Syrie reste l'une des premières préoccupations de l'Assemblée générale et du Conseil des droits de l'homme des Nations unies ; là aussi, la Russie et la Chine s'opposent au consensus international. La dernière résolution de l'Assemblée générale a été approuvée par plus de 130 pays et seule une douzaine d'États - dont la Russie et la Chine - l'a rejetée.
Nous sommes confrontés à un véritable noeud gordien : le régime syrien est conçu pour des temps de guerre et ne peut donc consentir à des solutions politiques qui provoqueraient sa chute.
Une intervention militaire aurait d'énormes conséquences dans la région. Elle pourrait conduire à un affrontement entre sunnites et chiites ou à une guerre par procuration entre l'Iran et différents pays du Golfe dans laquelle Israël également pourrait être entraîné.
Contrairement à la Lybie, il n'y a aucune zone libre en Syrie. Les zones constituant l'enjeu des combats à l'ouest de l'axe Homs-Alep sont des mosaïques de minorités religieuses.
En outre, la forte densité de population dans ces zones disputées ferait inévitablement de nombreuses victimes dans la population civile.
Vous avez dit, à propos de la Russie, qui bloque actuellement toute initiative coercitive que sa position pourrait évoluer si elle se rendait compte que son intransigeance finira par nuire à ses intérêts dans la région. Pourriez-vous développer ce point de vue ? La Russie affirme, par ailleurs, que toute solution politique passe par une négociation entre toutes les parties, y compris le clan Assad et la communauté alaouite. Ne croyez-vous pas que nous pourrions, pour trouver un accord au sein du Conseil de sécurité, discuter de cette question directement avec les Russes.
Il est effectivement nécessaire d'avoir des discussions approfondies avec la Russie. Nous en sommes bien conscients. L'ensemble des pays actifs sur ce dossier y travaillent sans toutefois que l'on constate une évolution des positions russes. Cette situation est relativement frustrante, mais elle ne doit pas nous empêcher de poursuivre les discussions car il n'y aura pas de solution sans la Russie. J'ai évoqué l'idée que la Russie pourrait nuire à ses intérêts, car nombre d'acteurs de la région pensent qu'avec une telle intransigeance, elle risque de perdre son crédit international. Dans une situation aussi dramatique, s'agissant d'une crise qui pourrait déstabiliser l'ensemble de la région, tous les acteurs doivent faire preuve d'un sens des responsabilités.
Je vous remercie de cet exposé très clair qui rejoint les positions que nous avons entendues et que nous partageons. Selon vous, quelles sont les sanctions qui pourraient conduire la Syrie à infléchir ses positions ?
L'Union européenne a déjà adopté de nombreuses sanctions, le prochain conseil des affaires étrangères devrait adopter un dix-huitième train de sanctions. L'Allemagne soutient ces initiatives. Suite à l'embargo de l'Union européenne sur les importations de pétrole syrien, la Syrie connaît de grandes difficultés pour vendre son pétrole. Les sanctions à l'encontre des principales banques, y compris la Banque centrale, commencent à produire des effets, mais nous n'avons pas encore épuisé toutes les options possibles. Nous envisageons également le fichage d'autres banques et d'entreprises des secteurs des phosphates et des télécommunications. Pour ce faire, nous travaillons en étroite coopération avec nos collègues français pour convaincre d'autres partenaires. Nous nous impliquons activement dans le groupe de travail sur les sanctions dans le cadre du groupe des Amis du peuple syrien. Il s'agit avant tout d'accroître la pression sur les Etats qui ont voté des sanctions mais ne les ont pas encore appliquées, comme certains Etats de la Ligue Arabe, ou qui n'en ont pas envisagée du tout jusqu'à présent, comme l'Amérique latine.
Quel est le niveau des relations économiques entre l'Allemagne et la Syrie ?
Je ne dispose pas précisément des chiffres, mais compte tenu du contexte politique et des relations étroites de l'Allemagne avec Israël, les relations commerciales avec la Syrie étaient limitées.
L'Allemagne a contribué à hauteur de 23 millions d'euros à l'aide humanitaire en direction des victimes et des réfugiés. Nous travaillons pour atténuer les difficultés des réfugiés, notamment à travers la coopération décentralisée dans différents secteurs dont celui de l'eau.
Vous avez évoqué la Turquie et son sens de la retenue. Je souhaiterais savoir quel regard l'Allemagne porte sur les voisins de la Syrie. Je pense à la Turquie, mais également au Liban ou à la Jordanie. La situation au Liban est particulièrement critique, l'approche de distanciation du gouvernement est absolument nécessaire pour éviter un embrasement du pays. Comment voyez-vous l'évolution de la situation ?
Nous sommes en contact étroit avec la Turquie.
Nous ne souhaitons pas que des incidents à la frontière syrienne et d'éventuelles actions de provocations de la part du régime syrien nous conduisent, par le biais de l'OTAN, à un conflit armé. Je dois dire que les autorités turques ont fait preuve d'un grand sens des responsabilités. Certes, les discussions ont été entamées au sein de l'OTAN au titre de l'article 4. En revanche, les autorités turques n'ont pour l'instant pas évoqué l'article 5.
Nous avons, par ailleurs, plusieurs fois souligné auprès des autorités turques notre souhait que le problème kurde ne soit pas internationalisé à l'occasion de la crise syrienne.
Le Liban s'efforce quant à lui de tenir le conflit à distance. Mais la situation, vous avez raison, est très inquiétante et exige la mobilisation de toute la communauté internationale pour éviter une contagion à l'ensemble de la région.
Je vous remercie pour la clarté de vos réponses et je souhaiterais donner la parole à l'un de mes collègues qui voudrait vous poser une question qui ne concerne pas la Syrie mais les dossiers de l'Europe de la Défense.
Madame, un communiqué de presse, dans l'après-midi, nous a annoncé l'échec de la fusion entre EADS et BEA en raison, notamment, de l'opposition du gouvernement allemand. Pourriez-vous nous en donner les raisons ?
Cette décision a été prise dans l'après-midi et je ne peux malheureusement pas vous en dire plus. Le porte-parole du ministère des affaires étrangères allemand a simplement indiqué que la décision relevait des deux grandes entreprises et qu'il fallait la respecter.
Il serait paradoxal que ce soit le gouvernement allemand qui se soit opposé à cette fusion alors même que c'est l'Allemagne qui a insisté pour que les Etats n'interviennent pas dans le fonctionnement de EADS.