Permettez-moi tout d'abord de souligner que la concertation avec nos partenaires français sur la question syrienne est particulièrement étroite, et ce à tous les niveaux. En la personne de l'ambassadeur Chevallier, la France dispose d'un diplomate de grande envergure, très impliqué et excellent connaisseur du terrain qui jouit d'une grande estime en Allemagne.
J'aimerais dans un premier temps dresser un tableau de la situation telle qu'elle apparaît au gouvernement fédéral. Puis, j'évoquerai nos actions et notre ligne politique en vue de résoudre ce conflit.
La crise syrienne est à un moment critique. La spirale de la violence s'amplifie sans cesse. Près d'un millier de personnes meurent chaque semaine ; la plupart d'entre elles sont des civils. Les victimes sont désormais quatre fois plus nombreuses qu'en mai et juin !
Le conflit en Syrie aurait déjà fait 30 000 victimes. Le nombre de réfugiés officiellement enregistrés dans les États voisins serait supérieur à 300 000. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime qu'ils seront plus de 700 000 d'ici la fin de l'année. Plus de trois millions de personnes en Syrie sont directement concernées par les combats.
L'hiver approche et la pénurie en produits alimentaires s'aggrave : nous allons être confrontés à une situation humanitaire critique.
La semaine passée, l'armée syrienne a tué une femme et ses enfants dans la localité turque d'Akçakale située à la frontière syrienne. Ce genre d'événements montre que le conflit syrien peut très facilement prendre une dimension régionale. Le gouvernement turc a réagi avec beaucoup de sang-froid. Des incidents comparables se sont déjà produits aux frontières avec la Jordanie et le Liban.
Le régime syrien ne montre aucun signe d'un changement de cap et n'a respecté aucun de ses engagements définis dans le plan de paix en 6 points de la résolution n° 2042 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Au contraire : les nombreux massacres perpétrés ces derniers mois, dont celui d'Houla, et le large recours aux forces aériennes, montrent que le régime est prêt à une escalade quasiment sans limite.
En plus de l'armée, l'appareil de répression civile continue à opérer. Des milliers d'opposants sont emprisonnés ; la torture et les assassinats sont monnaie courante. À Alep et Damas, l'armée, les services secrets et les milices (les chabbiha) sont engagées ensemble dans les combats de rue et font preuve d'une violence sans scrupule à l'égard de ceux qu'ils soupçonnent d'être des opposants.
Le régime dispose toujours d'importantes réserves militaires : son armée est la plus professionnelle de la région et compte 300 000 hommes en armes. Les approvisionnements en armes et en capitaux viennent en premier lieu d'Iran mais aussi de Russie.
Entre 35 et 40 000 opposants armés font face au régime. Seuls certains d'entre eux sont affiliés à des structures organisées. Nous estimons qu'il existe environ 200 groupes indépendants, agissant en partie de manière coordonnée et en partie de manière indépendante les uns des autres.
Essentiellement composée de soldats syriens de l'armée régulière ayant déserté, l'Armée syrienne libre fédère différentes factions locales. Sur le territoire syrien également, on trouve différents « conseils militaires » qui coordonnent les activités de l'opposition armée, parfois en coopération avec les forces civiles.
Nous notons aussi une augmentation du nombre de combattants étrangers qui importent des techniques de combat développées lors d'autres conflits, en Iraq et en Afghanistan par exemple. Il s'agit pour certains de djihadistes internationaux et pour d'autres d'hommes animés de motivations terroristes islamistes.
Les groupes rebelles commettent eux aussi de nombreuses violations des droits de l'homme. Nous tenons à ce que ces groupes respectent eux aussi le droit humanitaire international. Un point positif : certains groupes se sont donné des codes de conduite qui correspondent aux dispositions internationales.
À l'heure actuelle, la guerre en Syrie n'est toujours pas de nature religieuse. Nous constatons toutefois une augmentation du nombre d'incidents locaux dans lesquels le conflit a un caractère religieux. El-Assad a ouvertement encouragé cette évolution néfaste. Les luttes pour la répartition des terres ou pour des positions de pouvoir à l'échelle locale par exemple compliquent encore la situation.
Nous entendons régulièrement parler d'enlèvements, de demandes de rançons, de l'émergence de zones de non-droit. Visiblement, ces phénomènes sont le fait des deux parties au conflit : les milices gouvernementales et les groupes liés à l'opposition.
Dans ce contexte, les alaouites et de nombreux chrétiens en particulier craignent de plus en plus une vacance du pouvoir et les représailles qu'ils pourraient alors subir. Le régime tire profit de cette peur.
Malgré la répression massive exercée par le gouvernement, les Syriens continuent de trouver le courage de défiler pacifiquement dans les rues. C'est très impressionnant. Vendredi dernier encore, des manifestations pacifiques ont eu lieu après la prière à Idleb, Alep et dans les faubourgs de Damas.
C'est d'autant plus impressionnant que de nombreux leaders de l'opposition ont désormais dû quitter le pays et se sont réfugiés dans d'autres pays de la région ou chez nous, en Europe.
Globalement, l'état de l'opposition n'est pas encore satisfaisant : jusqu'à présent, le Conseil national syrien n'a pas répondu aux attentes placées en lui, même s'il reste, et de loin, la plus grande et une très importante force d'opposition en exil.
De nombreux groupes indépendants, en exil mais surtout en Syrie, ne se sentent pas suffisamment représentés par le CNS.
Le gouvernement allemand juge primordial que l'opposition forme une plate-forme commune la plus représentative possible et intégrant notamment les groupes locaux d'opposition de l'intérieur de la Syrie. Seule une telle plate-forme permettra à l'opposition de proposer une alternative crédible au régime d'El-Assad.
Pour cela, il faut parvenir à convaincre les groupes soutenant encore le régime en place qu'ils auront aussi leur place dans une nouvelle Syrie.
Les 2 et 3 juillet dernier au Caire, l'opposition s'est entendue sur un pacte pour une nouvelle Syrie. Il s'agit à présent de mettre en oeuvre ce programme.
C'est le seul moyen de briser la spirale de la violence et d'engager un processus de transition politique.
Concernant les efforts internationaux, notre action reste fondée sur le plan en 6 points adopté par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le document adopté en juin à Genève par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et d'autres puissances régionales reste également valable.
Le nouvel émissaire spécial de l'ONU en Syrie, Lakhdar Brahimi, définira lui aussi de nouvelles priorités. Il a rendu compte de la situation au Conseil de sécurité pour la première fois le 24 septembre dernier et a mené un nombre incalculable de consultations lors de la semaine ministérielle à New York. En ce moment, il est à nouveau dans la région afin d'explorer de possibles marges de manoeuvre.
Nous le soutiendrons dans sa mission.
Il est toutefois difficile d'imaginer qu'il soit possible d'engager un processus politique tant que la communauté internationale ne fera pas unanimement pression sur E1-Assad pour qu'il quitte la tête du pays.
Malgré des consultations extrêmement intenses entre toutes les parties prenantes lors de la semaine de l'Assemblée générale de l'ONU, le blocage au Conseil de sécurité n'a malheureusement pas pu être levé. Pour y parvenir, il faudrait que Moscou revoie sa position.
Nous ne pensons pas que la Russie ait pour objectif de maintenir à tout prix le régime d'El-Assad. Ce qui compte en réalité pour la Russie, c'est l'influence qu'elle pourra conserver au Proche-Orient. Il est clair également que la position actuelle de la Russie nuit aux intérêts russes dans la région plus qu'elle ne les sert.
Il reste à espérer que l'analyse que fait la Russie de la situation se rapprochera de la nôtre. Nous partageons d'ailleurs quelques intérêts stratégiques : la Russie non plus n'a pas intérêt à une déstabilisation grandissante de la Syrie ni à une amplification des mouvements islamistes.
Tant que le Conseil de sécurité des Nations unies sera bloqué, nous devrons chercher une solution à ce conflit par le biais d'autres forums internationaux. Les Amis du peuple syrien, dont la dernière réunion s'est tenue ici à Paris, jouent un rôle central à cet égard.
Conjointement avec les Émirats arabes unis, le gouvernement fédéral a lancé une initiative de planification de la transition économique de la Syrie : le groupe de travail pour la reconstruction économique, qui est une émanation du groupe des Amis du peuple syrien et dont le secrétariat se trouve à Berlin.
Avec ce groupe de travail, la communauté internationale cherche à préparer la transition économique afin de permettre un redressement économique rapide et bien coordonné de la Syrie de demain.
Ce groupe a également dressé un bilan détaillé des besoins actuels. À l'instar de ce que fait la France dans d'autres domaines, notre objectif est de coopérer avec les groupes qui gèrent et reconstruisent leurs communautés par eux-mêmes dans des zones qui ne sont pas contrôlées par le gouvernement.
Afin d'accentuer la pression sur le régime, l'Union européenne prépare une nouvelle série de sanctions pour le prochain conseil Affaires étrangères du 15 octobre. Dans le cadre du groupe des Amis de la Syrie, nous tâchons également d'inciter d'autres régions à adopter ou à appliquer elles aussi des sanctions (par exemple l'Amérique latine, les pays arabes).
La Syrie reste l'une des premières préoccupations de l'Assemblée générale et du Conseil des droits de l'homme des Nations unies ; là aussi, la Russie et la Chine s'opposent au consensus international. La dernière résolution de l'Assemblée générale a été approuvée par plus de 130 pays et seule une douzaine d'États - dont la Russie et la Chine - l'a rejetée.
Nous sommes confrontés à un véritable noeud gordien : le régime syrien est conçu pour des temps de guerre et ne peut donc consentir à des solutions politiques qui provoqueraient sa chute.
Une intervention militaire aurait d'énormes conséquences dans la région. Elle pourrait conduire à un affrontement entre sunnites et chiites ou à une guerre par procuration entre l'Iran et différents pays du Golfe dans laquelle Israël également pourrait être entraîné.
Contrairement à la Lybie, il n'y a aucune zone libre en Syrie. Les zones constituant l'enjeu des combats à l'ouest de l'axe Homs-Alep sont des mosaïques de minorités religieuses.
En outre, la forte densité de population dans ces zones disputées ferait inévitablement de nombreuses victimes dans la population civile.