Intervention de Tahsin Burcuoglu

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 11 octobre 2012 : 1ère réunion
Situation en syrie — Audition de se. M. Tahsin Burcuoðlu ambassadeur de turquie

Tahsin Burcuoglu, ambassadeur de Turquie :

En ce qui concerne les incidents frontaliers, au mois de juin dernier, un avion de reconnaissance turc sans armes a été abattu dans l'espace international en Méditerranée orientale. Il y a eu des excuses non officielles de la partie syrienne. Nous avons indiqué qu'il y aurait des réactions si cela se reproduisait.

A partir du 20 septembre, il y a eu des tirs d'obus d'artillerie qui ont fait des dégâts et un blessé. Nous avons fait des représentations au consulat général de Turquie à Istanbul, qui est resté ouvert après la fermeture des ambassades, et averti les Syriens qu'il y aurait des représailles du côté turc en cas de nouvel incident.

Le 3 octobre, il y a eu 5 morts dans la population civile. C'est un incident très sérieux. Ceci a entraîné une riposte. Désormais, à chaque tir, il est répondu par un nombre de tirs deux fois plus important. Le lendemain, l'Assemblée nationale a autorisé le gouvernement à donner les ordres nécessaires à l'armée turque pour se déployer afin de protéger la population locale et la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Turquie. Ce n'est pas une déclaration de guerre, mais la mise en oeuvre des dispositions constitutionnelles et démocratiques qui permettent au Parlement de donner au gouvernement les moyens d'agir. La Turquie a saisi l'OTAN, en application de l'article 4 - et non de l'article 5. Le Conseil de l'OTAN a publié une déclaration. La France a fait une déclaration qui a été très bien appréciée en Turquie car elle exprimait la solidarité et le soutien d'un pays allié. Les instances des Nations unies ont également réagi. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont réagi dans un premier temps en exprimant leur solidarité mais en appelant à la retenue, ce qui n'a pas été très bien accueilli, car la Turquie était victime de l'agression et se trouvait placée sur le même plan que l'agresseur. Ceci a été, dans un second temps, rectifié.

Hier, la Turquie a reçu une information selon laquelle un avion de ligne syrien effectuant la liaison Moscou-Damas transportait du matériel militaire sans déclaration préalable. Il a été intercepté, forcé d'atterrir à Ankara, et fouillé. Il a été trouvé du matériel de communication et des pièces électroniques susceptibles d'être utilisées comme composants de missiles. En application du droit international et des règles de l'Organisation internationale de l'aviation civile, ces matériels doivent être déclarés et leur transport est soumis à autorisation. Ce n'était pas le cas, c'est pourquoi le gouvernement turc avec l'accord du Premier ministre a agi. Le matériel a été confisqué et l'avion, un Airbus A320, a pu repartir avec ses 35 passagers (17 Russes et 18 Syriens). Nous allons maintenant expertiser ce matériel et cette expertise sera rendue publique.

En ce qui concerne le Conseil de sécurité des Nations unies, une comparaison peut être faite avec la situation en Bosnie, de nombreuses personnes ont été victimes de son blocage. C'est la même situation. Il est dommage que les Russes essaient de régler leurs comptes avec l'Occident sur le dossier syrien. Nous avons une communication élaborée avec les Russes, nous attendions une visite de M. Poutine en Turquie qui a été reportée, mais ceci est sans lien avec l'incident d'hier soir. Mais il y a un problème avec la position de la Russie. Nous avons beaucoup travaillé avec la France, les États-Unis, le Royaume-Uni pour convaincre les Russes de l'intérêt d'avoir au moins des zones tampons pour héberger les personnes déplacées, cela n'a pas été possible. Il y a bien eu une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU mais elle ne peut pas agir même dans le domaine humanitaire. Nous avons proposé des zones de sécurité, frontalières de la Turquie, mais sans résultat à cause du blocage du Conseil de sécurité.

Nous travaillons avec l'opposition mais celle-ci devient de plus en plus fragmentée et elle comprend maintenant des éléments plus radicaux qui risquent de dominer avec le temps. Ceci constitue un danger. L'opposition civile ne fonctionne pas bien, certains soutiennent la résistance armée, comme l'ancien président du Conseil national syrien (CNS), M. Burhan Ghalioun. Elle est divisée entre l'opposition exilée qui n'a pas assez de contacts avec les réalités locales depuis de nombreuses années et ceux qui sont sur place. Cela est compliqué.

Nous espérions avoir une évolution dans le bon sens du régime. Au début du printemps arabe, nous avons essayé de convaincre M. Bachar el-Assad d'évoluer. Le premier ministre turc, M. Erdogan a fermement conseillé à M. el-Assad d'écouter son peuple et de répondre à ses aspirations. A chaque fois, il y a eu des promesses mais elles n'ont pas été tenues. D'où notre conviction qu'il ne peut plus rester en place et qu'il doit partir.

Dans les pays frontaliers, il y a des fragilités : le gouvernement central irakien de M. Maliki, à majorité chiite, exprime une certaine solidarité confessionnelle avec le régime syrien qui complique les choses. Le Liban a tenu bon jusqu'à maintenant, même le Hezbollah observe une certaine retenue. En Jordanie, la situation devient difficile car il y a eu des manifestations et une poussée de radicalisation islamiste. Le Qatar et l'Arabie Saoudite soutiennent l'opposition, mais on ne voit pas quelle solution ils prévoient exactement pour l'avenir de la Syrie. Nous avons des relations avec eux et les objectifs à atteindre au-delà de la chute du régime sont en discussion.

Il y a un problème avec la radicalisation de l'opposition par la présence des salafistes et de certains éléments d'Al-Qaïda. C'est inquiétant car ces groupes sont mieux organisés, avec des réseaux d'approvisionnement en armes, et ils risquent de dominer les autres éléments de l'opposition. D'après nos services, l'opposition contrôle environs 65 % du territoire. Les grandes villes restent sous le contrôle du régime, mais dans les zones rurales, des comités locaux civils ou armés ont pris le pouvoir. Nous essayons d'établir des contacts et de les aider à s'organiser pour les besoins vitaux notamment. Il y aura une réunion à Paris, le 17 octobre pour coordonner nos efforts en direction de ces comités, pour les aider et faire en sorte qu'ils respectent les demandes des populations locales.

On accuse parfois la Turquie de jouer la carte du sunnisme, mais nous n'avons aucune intention de rétablir le Califat.

Ce qui est regrettable, c'est l'augmentation du nombre de victimes et le blocage du conseil de sécurité. La réforme du Conseil de sécurité ou son élargissement ne changera rien, si un droit de veto est maintenu. Nous travaillons avec les Russes et les Chinois. Auront-ils une chance de réviser leurs positions ? Pour le moment, ils continuent de bloquer les choses.

L'Iran apporte au régime un soutien logistique et en personnel, mais laisse aussi entrer les armes à travers l'Irak. Il y a un axe chiite ; Iran, gouvernement central irakien, Syrie, Hezbollah au Liban. La Syrie est donc un enjeu très fort pour l'Iran.

La Syrie est une mosaïque confessionnelle et de populations : sunnites, alaouites, chrétiens de différentes obédiences (orthodoxes, catholiques, arméniens) kurdes, druzes, turkmènes... Les chrétiens hésitent beaucoup à choisir leur camp, ils étaient à l'aise avec le régime en place ; avec la radicalisation, ils ont peur de perdre leur statut. Il est important de leur donner des garanties. Nous communiquons avec tous les segments de la société syrienne. La Syrie de demain devra respecter les droits de toutes les communautés, le droit des femmes et évoluer avec le temps vers la démocratie avec les efforts de toutes les composantes de la société.

En ce qui concerne les Kurdes, le groupe majoritaire travaille avec la Turquie -nous les aidons, nous les hébergeons- et avec M. Barzani en Irak, mais il y a une minorité qui coopère avec une organisation proche du PKK. C'est un problème pour la Turquie mais aussi pour la région kurde d'Irak, dirigée par M. Barzani avec laquelle nous avons de bonnes relations politiques et économiques.

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