Je vais commencer par une très courte introduction qui pourra paraître légèrement subversive. J'ai vécu de très nombreuses années au coeur du système financier. J'ai donc été amené à réfléchir aux conditions et aux contraintes d'exercice de ce métier.
Tout d'abord, je souhaite revenir sur des règles de comportement importantes. Dans une organisation de vie collective, des règles sont établies et inscrites dans les lois et les règlements. La règle établie et reconnue collectivement, je n'ai aucune hésitation sur le fait qu'elle doive être respectée dans toutes ses dimensions. En revanche, je ne crois pas qu'il y ait lieu de considérer qu'existe à côté de la loi une morale collective ayant pour conséquence que certains actes légalement autorisés soient moralement condamnables. Il est certes possible pour chacun d'avoir une morale personnelle, qui ne peut cependant être la base du jugement du comportement d'autrui.
J'aimerais citer deux exemples.
J'ai écrit en 1974 un livre intitulé L'économie de spéculation. De mon point de vue, la spéculation est inutile et nocive. Ce regard personnel sur la spéculation n'est pas partagé par tous. Il n'y a aujourd'hui rien qui condamne collectivement des comportements spéculatifs. Je ne peux donc pas dans l'exercice de mon métier refuser de considérer l'action des spéculateurs. Ma morale personnelle ne l'emporte pas sur le jugement collectif tel qu'il est exprimé.
J'en viens à mon deuxième exemple. J'ai constaté à mon arrivée au Crédit Lyonnais que certains conseillers commerciaux avaient une relation commerciale très particulière avec des personnes âgées. Leur dévouement était tel que certains d'entre eux devenaient bénéficiaires d'assurance-vie. Cela était absolument contraire à ma morale personnelle. Je ne pouvais cependant pas sanctionner les personnes en question. Rien dans le règlement intérieur ne me le permettait. J'ai donc changé le règlement intérieur, en respectant le formalisme nécessaire.
Le présent sujet est plein de ces zones intermédiaires entre morale personnelle et jugement collectif. Ce qui conduit à des condamnations radicales qui ne sont pas fondées en l'état actuel des textes.
J'en viens donc au coeur du sujet.
Il n'existe pas de liste des paradis fiscaux. En tant que président de banque, j'ai besoin d'une liste définie. Que signifie « paradis fiscal » ? Il existe plusieurs caractéristiques : le refus de la communication des données fiscales, un niveau de fiscalité très bas, une faible transparence et une faible reconnaissance des règles de régulation communément acceptées. Un paradis fiscal est caractérisé par l'une et/ou l'autre de ces différentes caractéristiques.
L'encouragement à la fraude fiscale est absolument condamnable dans ma morale personnelle et le jugement collectif commence à le condamner également. Je m'en réjouis. Il est intolérable qu'un pays voisin de la France fabrique sa prospérité sur le viol de la souveraineté fiscale de la France. Au début des années 2000, les Etats-Unis ont exigé que toutes les banques leur communiquent le nom des résidents américains ayant un compte dans celles-ci, sous peine de se voir enlever leur licence d'exploitation aux Etats-Unis. La fraude fiscale étant condamnée depuis longtemps à l'intérieur même du territoire français, je n'ai jamais favorisé cette pratique dans les banques que j'ai dirigées.
Je pense que la transparence devrait être très fortement renforcée dans l'ensemble des opérations bancaires et financières. Il existe une exigence de connaissance du client. Les banquiers internationaux dépendent les uns des autres. La transparence ne peut progresser qu'à travers la progression de règles communes planétaires. La réflexion doit porter sur les cas légitimes de protection de l'anonymat. Je ne tranche pas la question. J'ai toutefois toujours préféré la transparence à l'obscurité.
Certains pays disposent d'une régulation extrêmement faible. Beaucoup d'opérateurs y ouvrent des filiales. Au nom de quoi puis-je interdire à mes clients d'aller ouvrir un compte dans une place off-shore, où leurs opérations ne seront pas soumises à l'examen attentif d'une autorité régulatrice ? Si l'on désire faire disparaître les points d'ombre du territoire mondial, il faut interdire les transactions financières avec ces zones. Il existera alors un règlement explicite auquel tout le monde se pliera.
Je ferai la même remarque sur le niveau de fiscalité. L'optimisation fiscale est selon moi beaucoup plus importante en volume que la fraude fiscale. La fraude fiscale sert de paravent au problème de l'optimisation fiscale. Tant que les différences de fiscalité existent, au nom de quel jugement peut-on empêcher les agents économiques d'optimiser leur situation ? Il faut donc réduire les différences de fiscalité. A nouveau, nous sommes confrontés à une responsabilité explicite du politique. Les jugements moraux ne donneront pas de résultats. Une taxe supplémentaire à l'échelle nationale ne sera pas non plus efficace, puisqu'il est possible de déplacer les opérations. Beaucoup de sujets, qui d'ailleurs sont souvent de dimension internationale, reposent sur la volonté politique.
Merci de m'avoir écouté.