Nous allons poursuivre les auditions de notre commission d'enquête par celle de Jean Peyrelevade, banquier d'affaires et ancien président du Crédit Lyonnais. Monsieur le Président, l'usage juridique tient à ce que vous prêtiez serment de dire la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « je le jure ».
Je vous remercie. Nous allons procéder de la manière suivante. Vous disposerez de dix minutes pour effectuer un exposé liminaire sur le sujet qui nous intéresse. Le rapporteur de la commission, Eric Bocquet, vous posera ensuite une première série de questions suivies de celles des sénateurs de la commission. Le rapporteur clôturera le débat. Vous avez la parole.
Je vais commencer par une très courte introduction qui pourra paraître légèrement subversive. J'ai vécu de très nombreuses années au coeur du système financier. J'ai donc été amené à réfléchir aux conditions et aux contraintes d'exercice de ce métier.
Tout d'abord, je souhaite revenir sur des règles de comportement importantes. Dans une organisation de vie collective, des règles sont établies et inscrites dans les lois et les règlements. La règle établie et reconnue collectivement, je n'ai aucune hésitation sur le fait qu'elle doive être respectée dans toutes ses dimensions. En revanche, je ne crois pas qu'il y ait lieu de considérer qu'existe à côté de la loi une morale collective ayant pour conséquence que certains actes légalement autorisés soient moralement condamnables. Il est certes possible pour chacun d'avoir une morale personnelle, qui ne peut cependant être la base du jugement du comportement d'autrui.
J'aimerais citer deux exemples.
J'ai écrit en 1974 un livre intitulé L'économie de spéculation. De mon point de vue, la spéculation est inutile et nocive. Ce regard personnel sur la spéculation n'est pas partagé par tous. Il n'y a aujourd'hui rien qui condamne collectivement des comportements spéculatifs. Je ne peux donc pas dans l'exercice de mon métier refuser de considérer l'action des spéculateurs. Ma morale personnelle ne l'emporte pas sur le jugement collectif tel qu'il est exprimé.
J'en viens à mon deuxième exemple. J'ai constaté à mon arrivée au Crédit Lyonnais que certains conseillers commerciaux avaient une relation commerciale très particulière avec des personnes âgées. Leur dévouement était tel que certains d'entre eux devenaient bénéficiaires d'assurance-vie. Cela était absolument contraire à ma morale personnelle. Je ne pouvais cependant pas sanctionner les personnes en question. Rien dans le règlement intérieur ne me le permettait. J'ai donc changé le règlement intérieur, en respectant le formalisme nécessaire.
Le présent sujet est plein de ces zones intermédiaires entre morale personnelle et jugement collectif. Ce qui conduit à des condamnations radicales qui ne sont pas fondées en l'état actuel des textes.
J'en viens donc au coeur du sujet.
Il n'existe pas de liste des paradis fiscaux. En tant que président de banque, j'ai besoin d'une liste définie. Que signifie « paradis fiscal » ? Il existe plusieurs caractéristiques : le refus de la communication des données fiscales, un niveau de fiscalité très bas, une faible transparence et une faible reconnaissance des règles de régulation communément acceptées. Un paradis fiscal est caractérisé par l'une et/ou l'autre de ces différentes caractéristiques.
L'encouragement à la fraude fiscale est absolument condamnable dans ma morale personnelle et le jugement collectif commence à le condamner également. Je m'en réjouis. Il est intolérable qu'un pays voisin de la France fabrique sa prospérité sur le viol de la souveraineté fiscale de la France. Au début des années 2000, les Etats-Unis ont exigé que toutes les banques leur communiquent le nom des résidents américains ayant un compte dans celles-ci, sous peine de se voir enlever leur licence d'exploitation aux Etats-Unis. La fraude fiscale étant condamnée depuis longtemps à l'intérieur même du territoire français, je n'ai jamais favorisé cette pratique dans les banques que j'ai dirigées.
Je pense que la transparence devrait être très fortement renforcée dans l'ensemble des opérations bancaires et financières. Il existe une exigence de connaissance du client. Les banquiers internationaux dépendent les uns des autres. La transparence ne peut progresser qu'à travers la progression de règles communes planétaires. La réflexion doit porter sur les cas légitimes de protection de l'anonymat. Je ne tranche pas la question. J'ai toutefois toujours préféré la transparence à l'obscurité.
Certains pays disposent d'une régulation extrêmement faible. Beaucoup d'opérateurs y ouvrent des filiales. Au nom de quoi puis-je interdire à mes clients d'aller ouvrir un compte dans une place off-shore, où leurs opérations ne seront pas soumises à l'examen attentif d'une autorité régulatrice ? Si l'on désire faire disparaître les points d'ombre du territoire mondial, il faut interdire les transactions financières avec ces zones. Il existera alors un règlement explicite auquel tout le monde se pliera.
Je ferai la même remarque sur le niveau de fiscalité. L'optimisation fiscale est selon moi beaucoup plus importante en volume que la fraude fiscale. La fraude fiscale sert de paravent au problème de l'optimisation fiscale. Tant que les différences de fiscalité existent, au nom de quel jugement peut-on empêcher les agents économiques d'optimiser leur situation ? Il faut donc réduire les différences de fiscalité. A nouveau, nous sommes confrontés à une responsabilité explicite du politique. Les jugements moraux ne donneront pas de résultats. Une taxe supplémentaire à l'échelle nationale ne sera pas non plus efficace, puisqu'il est possible de déplacer les opérations. Beaucoup de sujets, qui d'ailleurs sont souvent de dimension internationale, reposent sur la volonté politique.
Merci de m'avoir écouté.
Merci de vos propos introductifs.
J'adhère à l'idée de volonté politique. Vous parlez de prise de conscience collective. Nous sommes effectivement en train de franchir une étape en France, en Europe et dans le monde. La dimension internationale renvoie à la nécessité de travailler ensemble.
Vous avez dirigé un établissement bancaire important. Avez-vous été confronté à cette problématique de l'évasion off-shore ?
Bien sûr. Je vous donnerai deux exemples.
J'ai organisé les financements aéronautiques du Crédit Lyonnais et j'ai financé dans ce contexte toutes les exportations d'Airbus entre 1974 et 1981. Nous avons utilisé des plateformes dans les places off-shore pour tirer partie d'avantages fiscaux. Nous les répercutions sur le client final, ce qui était un moyen de baisser les taux d'intérêt et donc le coût du financement et de favoriser les exportations françaises. Cela se pratique toujours sur les exportations d'avions et sur les ventes de bateaux. Certains pays sont spécialisés dans l'immatriculation de bateaux.
Un autre exemple plus récent concerne le Luxembourg. Nous avons besoin dans la vie internationale de structures intermédiaires. Je m'occupe de la restructuration de la SAUR. Les trente banquiers, souvent étrangers, ayant prêté de l'argent à la SAUR doivent être regroupés dans une structure intermédiaire. Il est normal que cette structure soit placée dans un pays où il n'y a pas de frottement fiscal, comme le Luxembourg. Cela découle d'un regard professionnel d'optimisation fiscale. Le but est que le client final paye des taux d'intérêt moins élevés. Les grandes entreprises font en sorte qu'en toute légalité, leurs charges fiscales soient les moins élevées possibles.
Vous disiez ne pas approuver ce genre de pratique d'un point de vue moral. Vous tolérez donc l'optimisation jusqu'à ce qu'elle soit abusive. Où se situe alors la limite de l'acceptable ?
Cela relève de ma morale personnelle. Il n'existe pas pour l'instant de jugement collectif sur cette question. Je suis choqué, en tant que citoyen, que Google ne paie pas d'impôts. Je ne condamne pas cependant Google. Le législateur doit changer la loi.
Un lien plus étroit entre la valeur économique et la valeur fiscale ne devrait-il pas être noué ?
Je suis tout à fait d'accord avec cela. Toute la presse véhicule l'information selon laquelle les grandes entreprises françaises ne payent que 8 ou 9 % d'impôt sur les sociétés alors que les PME en payent 28 ou 30 %. Ces chiffres n'ont aucune signification à mes yeux, tant que la relation n'est pas faite entre la charge fiscale et le pays de création de valeur. L'INSEE et le fisc sont incapables d'arriver à une vision commune. Les grands patrons ne souhaitent apparemment pas éclairer cette relation, ni d'ailleurs les politiques. La holding est taxée en France. Elle regroupe tous les dividendes produits à l'étranger, sur lesquels des impôts ont déjà été payés dans le pays d'origine, ainsi en sens inverse que la totalité de la dette.
Les deux phénomènes jouent en sens inverses. Finalement, personne ne sait quel est le rapport entre le montant de création de valeur produite sur le territoire français et les impôts payés sur ce même territoire.
Une comptabilité pays par pays va tout de même être imposée aux banques. Certains souhaiteraient élargir cette comptabilité à l'ensemble des grands groupes. N'est-ce pas une réponse en matière de transparence et de justice ?
Je suis en effet favorable à cette mesure. La comptabilité nationale ne mesure pas la création de valeur à l'étranger. Toutefois, les comptabilités des grandes entreprises ne sont pas nécessairement établies par pays aujourd'hui. Je regrette que l'on ne dispose pas de quatre chiffres simples : la proportion de la valeur ajoutée créée en France et à l'étranger et la proportion des impôts payés en France et à l'étranger.
Je reviens à votre activité de dirigeant d'établissements bancaires. Combien de filiales étaient installées dans des territoires off-shore ? Quelles étaient les raisons de l'existence de ces filiales ? Le recours à des juristes chargés de structurer fiscalement les produits était-il une pratique courante ?
Qu'appelez-vous un territoire off-shore ?
La liste française des territoires considérés comme tels n'est toujours pas publiée à la date d'aujourd'hui. Vous en avez toutefois donné des critères assez significatifs.
Il est rare de retrouver sur un même territoire les quatre critères cités. Je disposais de filiales en Irlande, à Monaco, au Luxembourg, au Panama, en Suisse. Je ne crois pas avoir eu de filiales aux Bermudes, aux îles Caïman ou au Lichtenstein.
Cela dépend des territoires. Quand j'étais président du Crédit Lyonnais, je ne pouvais pas inspecter depuis Paris la filiale suisse qui faisait de la gestion de fortune. Le secret bancaire s'opposait à la maison-mère. Je ne pouvais contrôler que l'existence et les moyens techniques du contrôle interne. Je ne pouvais procéder moi-même aux inspections ni avoir le résultat détaillé des inspections.
C'était bien entendu un problème. Cependant, nous n'en tenions pas complètement compte, entrant ainsi en contradiction avec la loi suisse.
Pour BNP Paribas, le chiffre de 300 filiales off-shore a été cité. Les conditions de création de filiales sont-elles aussi draconiennes que celles régissant la création d'une banque ?
Cela dépend des réglementations locales. Il est par exemple très difficile et très coûteux de créer une banque en Suisse. Certains pays autorisent à créer des succursales, ce qui est beaucoup moins coûteux.
Je comprends que ces filiales sont créées dans l'intérêt du client. Elles constituent également un avantage pour les banques en termes d'optimisation fiscale.
Il y a plusieurs motifs de création d'une filiale. Mais les banques ne les créent pas pour leurs besoins propres. Seulement pour ceux de leur clientèle.
Tout d'abord, elle permet d'atteindre une clientèle locale. J'ai par exemple créé une filiale au Maroc destinée à servir la clientèle marocaine. Par ailleurs, une filiale donne accès à un meilleur service pour des motifs légitimes au regard de la législation existante. Une filiale peut être créée en Irlande dans le but de profiter d'un taux d'impôt sur les sociétés particulièrement bas, qui sera répercuté sur les clients. Enfin, la filiale peut avoir pour but de servir une clientèle propre dont vous savez qu'elle se livre à la fraude fiscale. Je n'ai jamais pratiqué cela. De mon point de vue, c'est très condamnable et très minoritaire en volume par rapport à l'optimisation fiscale.
A combien chiffreriez vous le montant minimum d'une transaction pour qu'il soit intéressant de la déplacer dans un paradis fiscal ?
Cela dépend de l'agent économique. Le particulier, qui trouve toujours que ses impôts sont trop élevés, est très vite tenté. J'ai connu un citoyen français qui, après avoir passé plusieurs années à l'étranger, continuait à y encaisser des revenus manifestement non déclarés. Il est venu me voir pour me demander de l'aider à les rapatrier en France. La tentation apparaît à partir de quelques centaines de milliers d'euros. Les sociétés ne font pas d'optimisation fiscale avant que le montant des transactions n'atteigne plusieurs millions d'euros.
Je pense que l'optimisation fiscale est légitime si la croissance de l'entreprise est mise en péril par l'excès d'impôt. Une harmonisation fiscale est quoi qu'il en soit nécessaire en Europe.
Par ailleurs, des propos diffamants ont été tenus l'année dernière sur des entreprises du CAC 40. Il leur a été reproché de conserver des avoirs à l'étranger plutôt que de les faire fructifier en France. Je ne trouve pas illégitime qu'un groupe comme Total, qui ne produit que 8 % de sa valeur ajoutée en France, paye ses impôts dans les pays où il crée sa valeur ajoutée.
L'augmentation considérable de la fiscalité n'a pas engendré l'augmentation attendue des recettes fiscales. Selon la formule, « trop d'impôt tue l'impôt ».
Je partage cette approche. Le politique doit s'attaquer au problème de l'évasion fiscale. L'optimisation fiscale est inéluctable tant que l'harmonisation fiscale n'est pas atteinte. Les pouvoirs politiques français successifs n'ont jamais attaqué sérieusement ce problème car tous savent que le taux français diminuerait dans l'hypothèse d'une harmonisation fiscale.
Par ailleurs, au fur et à mesure que la discipline fiscale de chaque pays se renforcera, ce seront désormais les activités elles-mêmes qui se déplaceront. Toutes les entreprises du CAC 40 disposent de plans pour le déménagement de leur siège social. Un exemple est le régime des résidents non domiciliés à Londres. J'ai essayé à plusieurs reprises d'attirer l'attention des politiques sur cette question. Les avantages sont effectivement énormes. Votre revenu et votre patrimoine ne sont plus imposés nulle part, sauf à Londres sur vos revenus britanniques uniquement.
L'une des motivations de la création de filiales ne peut-elle être d'optimiser les exigences des différentes supervisions bancaires en mutualisant les fonds propres par exemple, participant ainsi à la fragilisation du système bancaire global ?
Par ailleurs, vous avez indiqué que certaines entreprises n'ont pas de comptabilité par pays. Elles sont pourtant cotées. L'exigence de transparence pourrait être défendue par les marchés également. Les investisseurs n'ont-ils pas intérêt à savoir où est créée la valeur ajoutée ? Ne peut-on limiter les outils de transfert, comme les dividendes ou les facturations de prestations ? Enfin, j'aimerais aborder la question des prix de transfert. Comment mieux contrôler les transferts de la création de valeur d'un pays à l'autre ?
Si les niveaux de fiscalité sont harmonisés, le problème du prix de transfert disparaît. La question des brevets est d'ailleurs très intéressante. Certains pays ne fiscalisent pas les redevances des brevets. Les portefeuilles de brevets peuvent donc être placés dans ces pays. Si les niveaux de fiscalité sont très différents, l'activité elle-même se déplacera.
En tant que législateur, il est normal que vous soyez attaché au périmètre du pays. Toutefois, une grande entreprise ne raisonne pas ainsi. Total, par exemple, raisonne par métiers : production, exploration, raffinerie, chimie. Le groupe s'intéresse avant tout à la performance de chacun des métiers. La situation géographique est un problème second par rapport à la bonne santé de telle ou telle branche de Total. La notion de pays n'est pas cohérente pour agréger les données du groupe. Il répondra donc aux demandes explicites du régulateur mais ne le fera pas de manière spontanée.
La comptabilité d'une filiale faisant des opérations bancaires sur la totalité de l'Afrique n'est pas décomposée par pays. Les groupes ne pratiquent pas spontanément la comptabilité analytique par pays.
Le pays n'est pas une notion adaptée à la structure actuelle des échanges tels qu'ils se produisent dans le monde. Il faut organiser la rencontre entre des autorités fiscales nationales et des opérateurs économiques qui n'ont pas les mêmes critères de jugement. Les groupes ne sont pas attachés à un territoire pour des raisons économiques, mais pour des raisons politiques. Les entreprises opèrent un jugement froid sur leur situation géographique.
L'entreprise peut faire des métiers complètement différents. Elle sera consolidée en branches différentes à l'intérieur du groupe.
Dans le cadre que vous décrivez, il me semble impossible de faire payer l'impôt à ces entreprises sans harmonisation fiscale. Elles peuvent fabriquer en France mais facturer leurs produits à partir d'une filiale située dans un autre pays.
Je reviens aux quatre chiffres dont je parlais plus tôt. Supposons que l'on dispose de ces chiffres. Si l'impôt payé en France est plus élevé par rapport à l'impôt payé dans le reste du monde, vous avez entièrement raison. Je suis convaincu que tous les groupes du CAC 40 investissent proportionnellement davantage à l'extérieur de la France pour cette raison.
L'optimisation fiscale ne me choque pas, à condition qu'elle soit encadrée par des règles légales, acceptables. Sinon, ce n'est plus de l'optimisation.
J'appelle « optimisation » le déplacement légal d'écritures dans un premier temps et d'activités dans un deuxième temps. Ce n'est pas de la fraude fiscale.
Nous avons rencontré en Suisse l'Association des banquiers privés suisses. Ils ont remarqué qu'une grande partie de l'argent placé en Suisse est rapatrié en France à un moment donné. Les clients ont besoin de financement pour leur activité propre privée. Je m'interroge sur les montages financiers qui permettent le retour de cet argent en France.
Quelqu'un peut sortir de l'argent frauduleusement, comme en Amérique latine auparavant ou en Russie en ce moment, afin d'être complètement défiscalisé. Si cet argent est ensuite nécessaire localement, il est possible d'utiliser une plateforme étrangère pour se prêter son propre argent. C'est autorisé. La balance des paiements du pays concerné n'est pas affectée, mais l'impôt est perdu.
Les banquiers suisses ont basé leur prospérité sur la fraude fiscale. Je ne connais pas de corporatisme plus aigu et plus efficace que celui des banquiers suisses. Pour la première fois, ils sont en train de changer de discours.
Je voudrais juste citer ce mot d'un ancien parlementaire suisse : « rien ne bouge en Suisse sans l'accord des banques ». Cela conforte ce que vous venez de dire.
J'aimerais revenir sur vos propos concernant la filiale suisse du Crédit Lyonnais, à l'époque où vous le dirigiez. Cette situation de manque de contrôle interne m'interpelle.
Avez-vous eu connaissance de l'existence d'abus de biens sociaux à partir d'une filiale implantée dans un paradis fiscal ?
N'est-ce pas un grand risque financier et donc économique de ne pas pouvoir exercer de contrôle sur la filiale en question ? Ne conviendrait-il pas de faire évoluer cette règle ? Cela nous ramène à la question de la volonté politique et de son expression via la modification de la loi.
Le risque devient en effet gigantesque lorsque le manque de transparence est opposé à la maison-mère.
Les autorités de contrôle peuvent-elles jouer un rôle dans ce contexte ?
C'est pour moi une autre façon de souligner l'importance de la volonté politique. Il n'y a qu'une façon de faire. Si un pays ne respecte pas les règles de régulation internationales, le régulateur doit intervenir. Il peut interdire aux banques de travailler dans un pays au nom de l'intérêt général et de la stabilité du système financier. Je m'étonne que le régulateur ne soit pas plus ferme sur la question. J'ai pour ma part communiqué les problèmes liés à la Suisse au régulateur français. Il a agi sur le régulateur suisse, et je crois que cela a depuis changé. Sur les éléments de fraude, la loi doit déléguer au régulateur et celui-ci doit prendre ses responsabilités. Toutefois, si on agissait unilatéralement, cela mettrait le système financier français en situation de faiblesse par rapport aux systèmes financiers concurrents.
Un chiffre très frappant nous a été communiqué au moment du débat sur la loi bancaire : 26 % seulement de l'activité des banques françaises est en lien avec l'économie réelle.
Je ne vois pas d'où vient ce chiffre. Selon mon expérience, une grande banque française classique produit 80 ou 90 % de sa valeur ajoutée en lien avec l'économie réelle.
Je vous remercie de m'avoir reçu et écouté.
(Mercredi 12 juin 2013)
Je vous propose de poursuivre les auditions par celle de Pierre Condamin-Gerbier, gestionnaire de fortune et ancien associé-gérant chez Reyl Private Office. Devant notre commission, prêtez-vous serment de dire la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites « je le jure ».
Je vous remercie. Pour des questions qui nous échappent, nous devons impérativement quitter cette salle à 18 heures. Je vais vous laisser la parole pendant une dizaine de minutes pour présenter le sujet tel que vous voulez l'aborder. Notre rapporteur animera le débat, suivi éventuellement par mes collègues.
Je vous remercie de me recevoir ce soir.
Mon nom est Pierre Condamin-Gerbier, j'ai 42 ans, je suis français et je travaille depuis vingt ans dans le domaine du family office. Ce métier recoupe naturellement le placement des liquidités d'un certain nombre de grandes familles internationales, mais également une fonction de secrétaire privé. Je gère la quasi-totalité des différents aspects de la vie personnelle et professionnelle de nos clients. J'ai exercé ce métier dans l'environnement anglo-saxon au service d'une famille d'armateurs grecs et d'une grande famille française. J'étais basé à Londres mais je voyageais très régulièrement dans les places aujourd'hui qualifiées d'« off-shore » pour le compte de ces familles ou des familles avec lesquelles elles avaient des relations personnelles ou professionnelles. J'ai ensuite pris résidence en Suisse, Reyl & Co m'ayant proposé de les rejoindre afin de développer le métier de family office. J'ai eu l'occasion d'être témoin des pratiques de l'ensemble de leurs conseils, notamment bancaires. J'ai pu observer la totalité de la palette de solutions techniques imaginées par des banques, notamment françaises, au service de clients internationaux. Ces outils permettaient d'aider les clients à optimiser légalement leur fiscalité, ou parfois à mettre en place un exil fiscal, jusqu'à la fraude la plus sophistiquée telle qu'elle est aujourd'hui découverte dans l'environnement français au travers de l'affaire UBS. L'intégralité des banques suisses et étrangères présentes en Suisse ont eu des pratiques similaires sur le territoire français. UBS a amené cette pratique à une forme d'industrialisation. Toutes ces banques ont utilisé leurs bureaux parisiens pour y attirer des petites, moyennes et grandes fortunes françaises à la recherche de technique de non-déclaration ou de fraude. Ces familles étaient alors accompagnées en Suisse, et elles le sont aujourd'hui vers d'autres lieux ou vers d'autres techniques plus sophistiquées et plus opaques. Contrairement à ce que je lis dans les médias, ces pratiques ne s'arrêtent pas ; elles se sophistiquent.
Mes interventions dans les médias datent de 2006-2007 et de mon mandat de représentant officiel de l'UMP en Suisse. J'ai dénoncé les pratiques de ma famille politique. Ma motivation est celle d'un citoyen français.
Je constate aujourd'hui, et depuis vingt ans, une très large utilisation par des personnalités de l'ensemble des partis politiques des techniques mises à disposition par ces intermédiaires financiers. Cela relève selon moi d'une très grande hypocrisie.
L'attitude des autorités suisses dans l'affaire UBS est très révélatrice. Elle est très différente de celle que ces mêmes personnes ont adoptée face aux Etats-Unis. Le marché américain n'a en effet pas la même importance que le marché français. Toutefois, la Direction nie aujourd'hui des pratiques avérées et a un sentiment d'impunité très fort. Selon moi, UBS dispose d'un certain nombre d'informations compromettantes concernant des personnalités politiques françaises, ce qui n'était pas le cas face aux Etats-Unis. Les pratiques découvertes lors de l'affaire Cahuzac ne se résument pas au mensonge d'un homme ; elles sont aussi le fait du mensonge d'un système et de la classe politique française en général.
Les Suisses ont d'ailleurs inventé le secret bancaire en 1934 à l'occasion de l'affaire de la banque commerciale de Bâle. Des membres du gouvernement Herriot avaient reçu des bons d'obligations payés en liquide dans les locaux de cette banque. Cela ressemble fortement à l'affaire Cahuzac, 80 ans auparavant.
Dans le monde de la gestion de fortune, nous constatons depuis vingt ans ce qui est découvert aujourd'hui dans les médias. C'est le témoignage que je me propose de vous apporter.
Merci de cette introduction.
Ma première question est personnelle. Pouvez-vous nous expliquer les circonstances de votre licenciement de Reyl & Co en 2010 ? Est-ce cette rupture qui vous amène à tenir de tels discours, si percutants ?
Par ailleurs, cette commission d'enquête cherche à comprendre les mécanismes à l'oeuvre dans les constructions fiscales. Pourriez-vous nous dire à partir de quel niveau de fortune un client est pris en compte par un établissement bancaire ?
Enfin, vous assurez que ces pratiques perdurent. Aucune prudence n'est-elle née au sein des banques suisses ? Pourriez-vous illustrer cette idée ?
J'ai été licencié de chez Reyl pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'actualité présente. Dans notre métier, nous devons être les ambassadeurs des grandes familles que nous servons, sans aucun conflit d'intérêt. Nous sommes donc amenés à mettre en concurrence notre banque et ses concurrentes. La famille Reyl partageait cet état d'esprit lorsque nous nous sommes associés et comprenait la nécessaire indépendance du family office. Toutefois, elle a par la suite recruté une nouvelle direction qui ne comprenait pas ce qu'était véritablement un family office et n'admettait pas son indépendance. J'ai dénoncé ces conflits d'intérêts et annoncé mon départ. Celui-ci a été vécu comme une trahison, la plupart de mes clients ayant quitté le family office en même temps que moi. L'établissement Reyl a trouvé une bonne raison de me licencier. François Reyl était un ami. Il n'y a aujourd'hui aucune vindicte personnelle.
J'ai lu à l'occasion de l'affaire Cahuzac qu'il était suspicieux que le solde du compte ne soit que de 600 000 euros. Rappelons que lorsque Monsieur Cahuzac a ouvert son compte chez Reyl, celui-ci était un gérant indépendant très ambitieux, aux démarches commerciales très ouvertes. Les minima d'ouverture de compte ne me semblent donc pas dans ce cas-là pertinents. Ces minima sont avant tout un argument commercial participant à un jeu de dupes entre les banques suisses. Les banques suisses collectent toutes à des niveaux de fortune restreints. Cela relève donc de la communication et du marketing. Soulignons que n'est pas appréciée uniquement la taille des actifs, mais aussi l'accès que peut procurer un client à différents cercles d'influence.
Auparavant, la Suisse regroupait une partie « software » et une partie « hardware ». Tant l'ingénierie patrimoniale que les structures et les équipes permettant la fraude fiscale étaient en Suisse. Aujourd'hui, la Suisse conserve des professionnels qui réfléchissent aux solutions internationales, mais celles-ci sont mises en oeuvre hors d'Europe, notamment au Moyen-Orient et à Hong-Kong, qui accueille la plupart des grandes fortunes internationales. La Suisse ne peut se permettre de risquer les exportations de ses grands industriels. Les points de pression sont donc immédiats. Au contraire, la Chine dispose de plus d'un milliard de consommateurs.
L'argent est donc envoyé plus loin, et les structures se sophistiquent. Les journalistes évoquent souvent les trusts. C'est un instrument de droit anglo-saxon qui concerne à l'origine la protection familiale, la préservation de patrimoine ou la gestion de fonds de pension. Des avocats fiscalistes parisiens et londoniens l'ont détourné de ces motifs louables et licites. Le trust est toutefois aujourd'hui beaucoup moins utilisé.
L'assurance-vie luxembourgeoise est le seul moyen d'ouvrir un compte auprès d'une banque suisse sans que les titulaires réels ne figurent dans les documents d'ouverture de compte comme ayants droit économiques. La France a appliqué des textes européens en matière d'investissement immobiliers. Lorsque vous achetez un bien immobilier en France au travers d'une structure de droit étranger, l'administration fiscale française vous donne deux possibilités : révéler qui est derrière cette structure ou payer 3 % de la valeur de marché du bien par an. Lorsque vous utilisez un contrat d'assurance-vie dont le prestataire est une société européenne ou une société dont la maison mère est cotée sur un marché européen, vous avez le droit de faire l'acquisition du bien immobilier français au travers de la structure intermédiaire étrangère avec la société d'assurance-vie comme contrepartie réelle. L'administration française s'en contente et accepte que la société d'assurance-vie soit désignée comme ayant droit économique. Ceci est très largement utilisé. La plupart des très grandes structurations de réinvestissement de l'argent non déclaré en France se font au travers l'assurance-vie luxembourgeoise. De grands noms français ont par exemple racheté des immeubles parisiens.
L'autre grande technique pour le réinvestissement des capitaux non déclarés est celle des prêts lombards. Si un client souhaite acquérir un bien immobilier en France avec de l'argent non déclaré placé en Suisse, il sollicite un prêt auprès d'un établissement bancaire qui se garantit par une hypothèque sur le bien immobilier en question. La véritable garantie se situe hors livre. Elle est donnée par la filiale suisse à sa maison mère parisienne, dans un contrat et une comptabilité parallèles.
S'il y a un défaut sur le remboursement du prêt immobilier, les actifs seront saisis auprès de la filiale immobilière de la banque à Genève, où la banque paye d'ailleurs très peu d'impôts par rapport à la France.
Les techniques se sont sophistiquées. Le curseur a été seulement déplacé. Les « cellules de dégrisement » mises en place n'ont attiré que des clients peu importants ou mal conseillés. Le véritable argent est parti plus loin et s'est opacifié. D'excellentes techniques existent pour le rapatrier.
D'autres acteurs sont-ils impliqués dans les techniques que vous décrivez ?
Les banques sont les premiers acteurs du système que je décris. Elles ont développé en leur sein des équipes d'ingénierie patrimoniale qui suivent très précisément ces questions. Aux conférences d'ingénierie patrimoniale ou de family office organisées par des sociétés françaises ou anglo-saxonnes, l'une des premières remarques concerne l'absence de représentants de l'administration et la liberté de parole qui en découle. Elles vont chercher la valeur ajoutée auprès des grands cabinets d'avocats et fédèrent tous les professionnels nécessaires.
De nouvelles classes d'actifs, au-delà des marchés financiers, sont aujourd'hui très favorables, comme le mobilier ou l'art. Les banques ont ouvert des départements « art » par intérêt, car ce marché permet de mener une fraude à plus grande échelle et de façon moins régulée. De plus, les oeuvres d'art ne rentrent pas dans la base de calcul de l'ISF. Les banques sont très présentes sur ce marché. L'un des principaux sponsors de la foire d'art de Bâle est UBS.
Pensez-vous qu'il existe un système européen de gestion des avoirs dissimulés qui impliqueraient certains Etats ? Par quels circuits financiers passeraient-ils ?
Par ailleurs, vous avez évoqué des personnalités politiques de tout bord qui détiendraient des comptes dissimulés. Comment avez-vous eu connaissance de cette situation ?
En réponse à votre deuxième question, j'ai eu connaissance de cette situation pour en avoir été le témoin direct. Plusieurs de mes employeurs m'ont demandé d'intervenir dans des dossiers où avaient été identifiées des personnalités politiques. Mon témoignage repose sur la connaissance de dossiers très précis sur lesquels j'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec les enquêteurs. J'ajouterai qu'un certain nombre d'institutions périphériques, prenant la forme de cercles mondains sont parfois très opportunément utilisées pour servir d'intermédiaires.
En réponse à votre première question, il est évident que nos grandes entreprises ont été les plus grandes utilisatrices de ces structures pour gérer leur trésorerie ou pour régler des commissions licites ou illicites. Nos services secrets également ont été très utilisateurs de ces structures et ont une maîtrise parfaite des techniques de dissimulation. Il est ensuite facile de les utiliser pour des raisons beaucoup moins publiques. Ces circuits sont utilisés par la plupart des Etats européens. Je ne rentrerai pas dans une théorie du complot avec l'existence de circuits parallèles. Il existe chez les banquiers des comptes de passage. Ils ont au départ une utilisation licite : certaines transactions demandent un certain délai entre l'ordre et le règlement de livraison. Avant le règlement de livraison, les banques ne peuvent pas affecter les transactions par portion à leurs différents clients. Elles sont obligées de réserver temporairement ces transactions sur des comptes de passage dont le titulaire est la banque elle-même. Au bout de trois ou cinq jours, les différentes transactions sont affectées au compte concerné. Aujourd'hui, la quasi-totalité de ces comptes de passage est utilisée pour dissimuler le trajet réel des actifs lors la fermeture et de la réouverture de compte. Lorsqu'une banque propose à un client de transformer ses avoirs détenus à titre personnel ou au travers d'une société dans une assurance-vie luxembourgeoise, cela permet d'éviter que l'émetteur sache qui est le récepteur, et vice-versa. Ces techniques sont très largement utilisées.
Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'aller en Suisse pour faire tout cela. L'affaire UIMM concernait des millions d'euros sortis en liquide d'agences de banques françaises à Paris. Connaît-on les suites de cette affaire ? Je n'en ai pas le souvenir. Les pratiques des banques françaises sont tout aussi sidérantes. J'ai travaillé pour une famille britannique, les Hambros . Du fait de dissensions familiales, cette famille a vendu sa banque à la Société Générale. J'ai vécu le changement de culture entre les deux. Les équipes de wealth planning sont allées dans toutes les régions rencontrer les conseillers en gestion. La Société Générale a présenté un cas d'école à ces conseillers et chacun est venu expliquer comment il aurait aidé le client, notamment à frauder. Les directeurs régionaux ont ensuite déterminé qui a été le plus convaincant.
C'est un système généralisé. Les mesures de comparaison de comptabilité envisagées aujourd'hui me semblent d'une efficacité nulle vis-à-vis de ces pratiques indétectables.
Vous avez expliqué que les Etats eux-mêmes connaissent ces techniques d'opacité. Les partis politiques sont-ils aussi des évadés fiscaux ?
Absolument. J'ai pris les responsabilités de représentant UMP en Suisse juste avant l'élection présidentielle de 2007. La communauté française en Suisse ne compte pas que des gestionnaires de fortune ou des banquiers, mais aussi et avant tout des jardiniers, des cadres, des cuisiniers. Nous avons accueilli des personnalités de l'UMP, dont Messieurs Woerth et Devedjian. Nous leur avons proposé de leur réserver des voitures les attendant à la gare de Genève. Ils sont arrivés dans l'avion privé de l'une des grandes fortunes délocalisées en Suisse qui soutient ce parti. Officiellement, ils étaient arrivés en train : il nous a été demandé de nous taire. Ils ont prétendu deux mois plus tard ne pas me connaître.
Quand j'ai pris le poste de représentant UMP en Suisse, j'ai pu avoir accès à toute la correspondance de l'UMP. J'y ai vu des choses aberrantes et scandaleuses. Je m'en suis ouvert à la personne représentant le PS en Suisse. Il avait vu des choses très similaires de son côté. Il est évident que certaines personnalités politiques ont mis à disposition de leur parti ou de leurs collègues des techniques qu'ils avaient expérimentées pour leur enrichissement personnel.
Je partage votre appréciation de la communauté française en Suisse. Vous avez dit vous être ouvert aux enquêteurs. Tout ce que vous savez a-t-il été transmis à la justice ? Peut-on connaître le nom du représentant du PS en Suisse ? Il faut donner à la justice les moyens de sanctionner et de juger les délits.
Dans un souci d'aide à la décision, pensez-vous que la priorité aujourd'hui se situe au niveau de l'harmonisation fiscale ou de la création d'une nouvelle régulation des opérateurs financiers ?
Pour répondre à la première question, j'ai abordé avec les enquêteurs l'examen très détaillé et documenté de pratiques. Pour des questions de sécurité personnelle, je n'ai pas encore fourni un certain nombre de noms. J'ai néanmoins rédigé un document qui regroupe toutes les pièces permettant de prouver mes accusations. Tous ces documents et ces notes ont été consignés auprès d'un tiers. Ils sont destinés à être communiqués lorsque j'évoluerai dans un environnement adapté.
Concernant la deuxième question, je crois que nous ne devrions pas revenir sur le passé. Le politiquement correct ne mène qu'à des demi-mesures. Il faut avoir le courage politique de dire que l'argent est déjà sorti de France. Sans mesures adéquates, on risque de ne le rapatrier que de manière marginale. On pourrait par exemple s'inspirer de l'exemple italien et mettre en place un rapatriement sur une base anonyme, avec une pénalisation non confiscatoire. La réponse serait ensuite de contraindre le réinvestissement de cet argent, par exemple dans un grand emprunt d'Etat servant à tous nos besoins publics. Je peux vous assurer, pour avoir parlé de cette mesure avec certaines personnes concernées, qu'elle serait extrêmement efficace.
Vous proposez ici des solutions pour gérer des anciens délits. Comment faire pour que la situation change ?
Aucune des mesures proposées par le gouvernement actuel n'aurait empêché l'affaire Cahuzac. Les déclarations d'honneur ne peuvent rien changer. C'est peut-être l'occasion de s'interroger sur les raisons pour lesquelles le premier réflexe d'un entrepreneur qui a réussi est celui de la fraude ou du départ.
Je n'excuse pas les pratiques des politiques. Toutefois, la rémunération du personnel politique et les contraintes du financement des partis politiques créent peut-être un système encourageant les pratiques que nous remarquons. C'est en fait une réflexion sur le système fiscal français qu'il faudrait mener.
En tout cas, régler le passé et rapatrier des sommes non négligeables nous permettrait d'exercer une influence positive sur l'ensemble de nos besoins de financement.
Quelle est la nature de l'environnement défavorable que vous subissez à l'heure actuelle ?
L'environnement est très clair. Je n'ai aujourd'hui pas de liste à proposer, et je n'exerce pas un jugement moral sur l'ensemble des personnes dont nous avons parlé aujourd'hui. Ma motivation a été uniquement de dénoncer des personnes qui n'ont pas l'honnêteté morale de se taire face aux pratiques qu'elles appliquent à elles-mêmes. Les moralisateurs sont les premiers acteurs du système qu'ils dénoncent. Je dénoncerai ces pratiques dans un acte citoyen désintéressé. Je ne les dénonce pas aujourd'hui pour des raisons personnelles et familiales. Je me trouve dans une situation de menace sur mon intégrité physique et celle de ma famille, et d'exercice de décrédibilisation systématique de ma personne auprès de l'ensemble de mes interlocuteurs. Je communiquerai ces éléments le jour où je ne me sentirai plus la possible victime de ces menaces. J'ai déjà une idée précise des canaux par lesquels je le ferai.
J'aimerais revenir à certains chiffres. Combien de comptes dissimulés, correspondant à combien de personnes, avez-vous pu identifier ? Pour quel montant ? Combien concernaient des hommes ou femmes exerçant des responsabilités politiques ? Y a-t-il des ministres ayant exercé sous l'ancienne ou l'actuelle législature ?
Pensez-vous par ailleurs que l'Etat suisse conforte ses positions à partir de la connaissance qu'il a de certaines situations fiscales de responsables politiques étrangers ?
Enfin, bénéficiez-vous de mesures de protection ?
En ce qui concerne les situations d'actifs non déclarés dont j'ai pu être témoin depuis vingt ans, il s'agit très certainement de plusieurs centaines de comptes, dont la taille va d'une centaine de milliers d'euros à des montants atteignant le milliard d'euros. Les situations politiques directes dont je peux témoigner concernent une quinzaine d'individus, incluant des anciens ministres et des ministres actuels.
Je ne bénéficie aujourd'hui d'aucune mesure de protection, pour n'en avoir pas demandé.
Concernant la Suisse, il ne faut pas oublier que dans l'environnement suisse Reyl & Co n'a rien fait d'illégal. Le problème des Suisses est de gérer à la fois les intérêts des opérateurs financiers, qui sont parmi leurs plus gros contribuables et employeurs, et ceux du monde industriel. Les premiers ne souhaitent pas d'harmonisation fiscale en Europe tandis que les seconds encouragent cette intégration afin de pouvoir vendre leurs produits sans discrimination.
La problématique française n'a rien à avoir avec la problématique américaine. Les grandes banques suisses ne seraient pas très affectées par la perte de leur licence bancaire en France, d'autant plus qu'elles n'ont pas beaucoup percé le marché institutionnel français.
Je vous remercie chaleureusement pour votre intervention, qui représente pour moi une heure de vérité très utile. Au nom de la commission, seriez-vous disposé à nous rencontrer pour nous exposer les techniques dont vous avez apporté quelques exemples extrêmement intéressants ?
Je vous remercie de nouveau. Je souhaite que votre environnement s'apaise et libère des informations très intéressantes.