Intervention de Pierre Condamin-Gerbier

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 12 juin 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Condamin-gerbier gestionnaire de fortune ancien associé-gérant chez reyl private office

Pierre Condamin-Gerbier :

J'ai été licencié de chez Reyl pour des raisons qui n'ont rien à voir avec l'actualité présente. Dans notre métier, nous devons être les ambassadeurs des grandes familles que nous servons, sans aucun conflit d'intérêt. Nous sommes donc amenés à mettre en concurrence notre banque et ses concurrentes. La famille Reyl partageait cet état d'esprit lorsque nous nous sommes associés et comprenait la nécessaire indépendance du family office. Toutefois, elle a par la suite recruté une nouvelle direction qui ne comprenait pas ce qu'était véritablement un family office et n'admettait pas son indépendance. J'ai dénoncé ces conflits d'intérêts et annoncé mon départ. Celui-ci a été vécu comme une trahison, la plupart de mes clients ayant quitté le family office en même temps que moi. L'établissement Reyl a trouvé une bonne raison de me licencier. François Reyl était un ami. Il n'y a aujourd'hui aucune vindicte personnelle.

J'ai lu à l'occasion de l'affaire Cahuzac qu'il était suspicieux que le solde du compte ne soit que de 600 000 euros. Rappelons que lorsque Monsieur Cahuzac a ouvert son compte chez Reyl, celui-ci était un gérant indépendant très ambitieux, aux démarches commerciales très ouvertes. Les minima d'ouverture de compte ne me semblent donc pas dans ce cas-là pertinents. Ces minima sont avant tout un argument commercial participant à un jeu de dupes entre les banques suisses. Les banques suisses collectent toutes à des niveaux de fortune restreints. Cela relève donc de la communication et du marketing. Soulignons que n'est pas appréciée uniquement la taille des actifs, mais aussi l'accès que peut procurer un client à différents cercles d'influence.

Auparavant, la Suisse regroupait une partie « software » et une partie « hardware ». Tant l'ingénierie patrimoniale que les structures et les équipes permettant la fraude fiscale étaient en Suisse. Aujourd'hui, la Suisse conserve des professionnels qui réfléchissent aux solutions internationales, mais celles-ci sont mises en oeuvre hors d'Europe, notamment au Moyen-Orient et à Hong-Kong, qui accueille la plupart des grandes fortunes internationales. La Suisse ne peut se permettre de risquer les exportations de ses grands industriels. Les points de pression sont donc immédiats. Au contraire, la Chine dispose de plus d'un milliard de consommateurs.

L'argent est donc envoyé plus loin, et les structures se sophistiquent. Les journalistes évoquent souvent les trusts. C'est un instrument de droit anglo-saxon qui concerne à l'origine la protection familiale, la préservation de patrimoine ou la gestion de fonds de pension. Des avocats fiscalistes parisiens et londoniens l'ont détourné de ces motifs louables et licites. Le trust est toutefois aujourd'hui beaucoup moins utilisé.

L'assurance-vie luxembourgeoise est le seul moyen d'ouvrir un compte auprès d'une banque suisse sans que les titulaires réels ne figurent dans les documents d'ouverture de compte comme ayants droit économiques. La France a appliqué des textes européens en matière d'investissement immobiliers. Lorsque vous achetez un bien immobilier en France au travers d'une structure de droit étranger, l'administration fiscale française vous donne deux possibilités : révéler qui est derrière cette structure ou payer 3 % de la valeur de marché du bien par an. Lorsque vous utilisez un contrat d'assurance-vie dont le prestataire est une société européenne ou une société dont la maison mère est cotée sur un marché européen, vous avez le droit de faire l'acquisition du bien immobilier français au travers de la structure intermédiaire étrangère avec la société d'assurance-vie comme contrepartie réelle. L'administration française s'en contente et accepte que la société d'assurance-vie soit désignée comme ayant droit économique. Ceci est très largement utilisé. La plupart des très grandes structurations de réinvestissement de l'argent non déclaré en France se font au travers l'assurance-vie luxembourgeoise. De grands noms français ont par exemple racheté des immeubles parisiens.

L'autre grande technique pour le réinvestissement des capitaux non déclarés est celle des prêts lombards. Si un client souhaite acquérir un bien immobilier en France avec de l'argent non déclaré placé en Suisse, il sollicite un prêt auprès d'un établissement bancaire qui se garantit par une hypothèque sur le bien immobilier en question. La véritable garantie se situe hors livre. Elle est donnée par la filiale suisse à sa maison mère parisienne, dans un contrat et une comptabilité parallèles.

S'il y a un défaut sur le remboursement du prêt immobilier, les actifs seront saisis auprès de la filiale immobilière de la banque à Genève, où la banque paye d'ailleurs très peu d'impôts par rapport à la France.

Les techniques se sont sophistiquées. Le curseur a été seulement déplacé. Les « cellules de dégrisement » mises en place n'ont attiré que des clients peu importants ou mal conseillés. Le véritable argent est parti plus loin et s'est opacifié. D'excellentes techniques existent pour le rapatrier.

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