En réponse à votre deuxième question, j'ai eu connaissance de cette situation pour en avoir été le témoin direct. Plusieurs de mes employeurs m'ont demandé d'intervenir dans des dossiers où avaient été identifiées des personnalités politiques. Mon témoignage repose sur la connaissance de dossiers très précis sur lesquels j'ai déjà eu l'occasion de m'entretenir avec les enquêteurs. J'ajouterai qu'un certain nombre d'institutions périphériques, prenant la forme de cercles mondains sont parfois très opportunément utilisées pour servir d'intermédiaires.
En réponse à votre première question, il est évident que nos grandes entreprises ont été les plus grandes utilisatrices de ces structures pour gérer leur trésorerie ou pour régler des commissions licites ou illicites. Nos services secrets également ont été très utilisateurs de ces structures et ont une maîtrise parfaite des techniques de dissimulation. Il est ensuite facile de les utiliser pour des raisons beaucoup moins publiques. Ces circuits sont utilisés par la plupart des Etats européens. Je ne rentrerai pas dans une théorie du complot avec l'existence de circuits parallèles. Il existe chez les banquiers des comptes de passage. Ils ont au départ une utilisation licite : certaines transactions demandent un certain délai entre l'ordre et le règlement de livraison. Avant le règlement de livraison, les banques ne peuvent pas affecter les transactions par portion à leurs différents clients. Elles sont obligées de réserver temporairement ces transactions sur des comptes de passage dont le titulaire est la banque elle-même. Au bout de trois ou cinq jours, les différentes transactions sont affectées au compte concerné. Aujourd'hui, la quasi-totalité de ces comptes de passage est utilisée pour dissimuler le trajet réel des actifs lors la fermeture et de la réouverture de compte. Lorsqu'une banque propose à un client de transformer ses avoirs détenus à titre personnel ou au travers d'une société dans une assurance-vie luxembourgeoise, cela permet d'éviter que l'émetteur sache qui est le récepteur, et vice-versa. Ces techniques sont très largement utilisées.
Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'aller en Suisse pour faire tout cela. L'affaire UIMM concernait des millions d'euros sortis en liquide d'agences de banques françaises à Paris. Connaît-on les suites de cette affaire ? Je n'en ai pas le souvenir. Les pratiques des banques françaises sont tout aussi sidérantes. J'ai travaillé pour une famille britannique, les Hambros . Du fait de dissensions familiales, cette famille a vendu sa banque à la Société Générale. J'ai vécu le changement de culture entre les deux. Les équipes de wealth planning sont allées dans toutes les régions rencontrer les conseillers en gestion. La Société Générale a présenté un cas d'école à ces conseillers et chacun est venu expliquer comment il aurait aidé le client, notamment à frauder. Les directeurs régionaux ont ensuite déterminé qui a été le plus convaincant.
C'est un système généralisé. Les mesures de comparaison de comptabilité envisagées aujourd'hui me semblent d'une efficacité nulle vis-à-vis de ces pratiques indétectables.