Intervention de Pascal Saint-Amans

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 3 juillet 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Pascal Saint-amans directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'ocde

Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE :

L'environnement a significativement changé en cinq ans, et cette évolution s'accélère. Les États sont souverains ; historiquement, la fiscalité est au coeur de cette souveraineté ; l'interaction entre souverainetés fiscales est intervenue tardivement, avec le modèle de convention fiscale développé dans les années 1920 par la Société des nations pour éliminer les doubles impositions sur les investissements transnationaux. Cela a impliqué un renforcement de la coopération entre États.

Ce modèle de convention fiscale a été repris par l'OCDE dans les années 1950 et développé depuis. Il comporte toujours un article 26 qui prévoit des dispositions relatives à la coopération fiscale. Pendant longtemps, des États y ont opposé le secret bancaire.

L'OCDE a renforcé ses travaux sur ce thème dans les années 1990. Le rapport sur les paradis fiscaux, que le G8 lui a demandé en 1996, a conduit au développement d'un standard selon lequel les États devraient par principe échanger des renseignements, y compris bancaires, dans les cas autres que la bonne application des conventions fiscales. La Belgique, l'Autriche, la Suisse ou le Luxembourg, qui étaient des États à secret bancaire, ont exprimé des réserves. En dehors de l'OCDE, des États ou juridictions avaient une approche restrictive : les territoires d'outre mer du Royaume-Uni ou les dépendances de la couronne, telles Jersey, Guernesey, ou l'île de Man ; les territoires dépendant des Pays-Bas, ou de la Chine, comme Hong-Kong ou Macao. L'OCDE a donc dressé au début des années 2000 une liste des paradis fiscaux, définis comme des États ou des juridictions où il n'y avait pas de transparence, et qui ne coopéraient pas (en plus de quelques autres critères).

Le standard de l'échange de renseignements, y compris bancaires, sur demande, lorsqu'ils sont vraisemblablement pertinents pour l'administration fiscale de l'État requérant figure dans le nouvel article 26 du modèle d'accord d'échange de renseignements développé en 2002. De nombreuses juridictions ont pris l'engagement de l'appliquer, mais ne l'ont pas tenu. En 2008, à la suite du scandale du Liechtenstein, la pression politique s'est accrue, à gauche comme à droite. MM. Woerth et Schroeder, avec notre soutien, ont organisé le 22 octobre 2008 une réunion à Paris, puis le G20, réuni pour la première fois au niveau des chefs d'États et de gouvernements le 15 novembre 2008, a appelé à mettre fin au secret bancaire. En février et mars 2009, en préparation du G20 d'avril, l'OCDE a été invitée à établir un rapport de progrès - en fait une liste des pays qui avaient pris l'engagement d'appliquer le standard, mais n'avaient pas passé un minimum de douze accords d'échanges de renseignements.

Le Forum mondial que nous avons ensuite mis en place rassemble 120 pays et juridictions sur un pied d'égalité. Il organise une vérification par les pairs, autour de dix critères, que l'information existe sur les contribuables, les détenteurs de sociétés, de trusts, de comptes bancaires, mais aussi sur les comptabilités, que l'administration fiscale y a accès sans obstacle juridique, et que la juridiction examinée coopère avec tous les partenaires qui lui en font la demande. Plus de cent rapports ont été produits. Dans une première phase, l'on examine si le cadre légal et réglementaire correspond aux dix critères. Si ce n'est pas le cas, l'on formule des recommandations ; autrement l'on passe à la phase deux et à l'examen de la pratique de l'échange d'information du pays, en demandant aux 119 partenaires potentiels s'ils échangent avec ce pays, et comment. L'objet est de transformer le standard en pratique universellement admise.

Depuis quelques années, l'OCDE promeut également l'échange automatique de renseignements, favorisé par le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) américain. Le FATCA a été conçu de manière « punitive » après que certaines banques, notamment suisses, ont dissimulé qu'elles avaient des clients américains, en contravention avec leurs accords avec l'administration américaine. Pour protéger leurs bases taxables, les États-Unis ont édicté une législation unilatérale extraterritoriale, obligeant les institutions financières non-américaines à leur transmettre à compter du 1er janvier 2014 le solde des comptes bancaires, les intérêts, dividendes ou plus-values, les contrats d'assurance-vie des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source de 30% sur tous les revenus de source américaine versés à tous leurs clients. Cette législation a suscité l'émoi des pays qui pratiquent l'échange automatique, comme la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie... Pourquoi ne pas établir un accord protégeant leurs banques ? L'OCDE a facilité la négociation d'un modèle d'accord intergouvernemental avec échange automatique de renseignements, de sorte que les banques des Etats signataires sont réputées compatibles avec le FATCA.

Les conséquences de cette dynamique sont importantes : puisque les pays à tradition de secret bancaire donnent aux États-Unis toute l'information, pourquoi ne les donneraient-ils pas à d'autres partenaires ? Les affaires comme Offshore Leaks, ont renforcé cette évolution et suscité des débats sur la directive européenne « Epargne ». Signataires du modèle d'accord international, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie, veulent s'associer plus étroitement entre eux en s'inspirant du FATCA.

Le G8 a déclaré que l'échange automatique devait devenir le standard. Le 20 juillet, nous proposerons au G20 d'élaborer une plateforme technique pour que tous les pays disposent du même niveau d'information que les États-Unis. Nous associons à nos groupes de travail tous les pays du G20, ainsi que l'industrie financière, car il s'agit d'un sujet technique : la collecte coûterait très cher si nous ne nous mettions pas d'accord sur un standard unique.

Nous proposons également une plateforme juridique : la signature de la convention multilatérale d'assistance mutuelle en matière administrative, dont nous recommandons la signature, prévoit l'échange d'information et, sur option, l'échange automatique de renseignements. Elle a été signée en mai par Singapour, le Luxembourg, l'Autriche ; la Suisse en discute actuellement... Quelle évolution ! Nous prônons le passage à l'échange automatique de renseignements dans les dix-huit prochains mois. Les contribuables ne pourront plus se dissimuler : nous passons des paroles aux actes. L'échange sur demande sera renforcé par l'échange automatique : les administrations seront mieux à même de poser des questions.

Les obstacles techniques restent nombreux, à commencer par les structures juridiques telles que trusts, Anstalts, et autres sociétés offshore : les Iles Vierges britanniques comptent 850 000 sociétés offshore incorporées, les Seychelles sont passées de 20 000 à 120 000 sociétés offshore incorporées en trois ans... Nous souhaitons une information plus accessible sur les bénéficiaires de ces structures. Il y a déjà des moyens techniques pour cela. Que le Delaware accepte l'incorporation de sociétés sans identifier leur propriétaire constitue une défaillance sérieuse à traiter, de même que les obligations au porteur en Suisse ou à Panama. Nous essayons de préciser la définition du bénéficiaire effectif, pour que l'échange automatique soit plus efficace. D'ici dix-huit mois, le Forum mondial mettra en place un mécanisme de suivi de la bonne application de l'échange automatique de renseignements. L'on ne se contentera pas de mots.

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