La question de l'attitude du gouvernement américain est extrêmement importante. L'ensemble de la démocratie américaine s'y est d'ailleurs penchée. Je vais vous donner ma propre interprétation des faits.
Lehman Brothers est la quatrième entité que j'évoquais tout à l'heure. La première était Bear Stearns. Elle a pu être sauvée par une intervention privée, considérablement favorisée par les autorités américaines. Il y avait alors eu consensus au sein de l'administration et de la banque centrale face à la gravité de la situation et à l'important risque de contagion. La reprise, bien que privée, avait tout de même été très critiquée. Beaucoup d'Américains considèrent en effet que le propre de l'économie de marché est l'abandon des mauvais gestionnaires. Le débat public avait fortement critiqué l'administration.
Par la suite, Freddie Mac et Fannie Mae, deux entités spécialisées dans le financement du logement, ont également connu d'importantes difficultés. Si Bear Stearns était une banque d'investissement réputée conservatrice, les deux suivantes correspondaient à une sensibilité opposée, spécialisées dans le logement des plus pauvres. L'administration américaine a dû se mobiliser pour sauver ces deux entités. Leur disparition aurait été absolument abominable. La mobilisation d'argent public a été considérée comme très critiquable. Le débat portait sur l'utilisation de l'argent du contribuable afin d'empêcher l'effondrement d'entités mal gérées. En simplifiant outrageusement, je dirais que les critiques de gauche d'une part, et de droite d'autre part, ont convergé.
Lehman Brothers arrive suite à ces trois expériences et aux critiques qui ont suivi. Pour cette quatrième entité, aucune solution privée n'est apportée. Je pense que l'exécutif américain a estimé qu'il devait arrêter cette série de sauvetages très critiqués dont il ignorait quand elle prendrait fin. En effet, si Lehman Brothers avait été sauvé, l'exécutif aurait dû faire de même pour AIG et d'autres. Une rationalisation a posteriori, montre que nous avions face à nous un risque systémique majeur. L'arrêt de l'effondrement séquentiel du système devait lui-même être de nature systémique ; il ne pouvait se limiter à une série ininterrompue de sauvetages. Effectivement, les conséquences redoutables du dépôt de bilan de Lehman Brothers sur l'ensemble du système, ont amené l'exécutif américain à présenter le programme TARP devant arrêter l'effondrement systémique. Le refus, dans un premier temps, de ce programme par le parlement américain démontre à quel point l'élite américaine était inconsciente de la gravité des événements.
Rétrospectivement, nous voyons que ces sauvetages ont été critiqués puisque l'opinion ignorait que l'ensemble du système était en cause. Lorsqu'il est apparu, après notamment l'effondrement des valeurs boursières, que le risque systémique se transformait en véritable sinistre, le programme TARP a été voté par le Congrès des Etats-Unis. Il s'agissait là de la première grande opération d'arrêt de la menace d'effondrement. Je me suis concentré sur les Etats-Unis mais l'ensemble des pays avancés ont dû faire face à des défis de même nature, dans des conditions aussi difficiles.