Nous vivons, sur une longue période, une transformation du monde. Les entités obscures dissimulant leurs activités préoccupent la communauté internationale depuis 1989. Ce processus va, me semble-t-il, formidablement s'accélérer à cause de la crise que nous venons de connaître. Les lieux de forte opacité se trouvaient indéniablement dans certaines places offshores. Elles faisaient commerce de cette absence de transparence, certes, auprès des personnes pratiquant l'évasion fiscale mais également et particulièrement, auprès de celles ayant des activités criminelles. Certains pays avancés parfaitement respectables considéraient que l'opacité fiscale faisait partie de leur culture. Les pratiques de ce genre disparaissent depuis peu et extrêmement rapidement ; il faut s'en féliciter. En dehors de l'Europe, beaucoup de pays se prêtent encore à cette obscurité. Je n'établirai pas de liste même si, je l'ai dit, je souhaiterais qu'il en existe une sur les pays dont nous considérons qu'ils constituent une juridiction non-coopérative.
Concernant l'assainissement des finances publiques, j'ai demandé que le traité soit respecté. La BCE ne prétend pas inventer ni la loi, ni la législation secondaire. J'ai énormément regretté que le pacte de stabilité et de croissance ne soit pas appliqué. Durant toute ma vie professionnelle, j'ai expliqué l'importance de ce pacte. Nous avons en effet été très audacieux en établissant une monnaie unique. Celle-ci nécessite cependant un cadre. Cela n'allait malheureusement pas de soi, notamment en France, en Allemagne ou en Italie. Ma première bataille en tant que Président de la BCE a consisté à rompre des lances pour le pacte de stabilité et de croissance. Le respect même des règles fixées a été difficile.
Je sais que notre pays est attaché à l'harmonisation des fiscalités et des prélèvements obligatoires. Cependant, je crois qu'il existe un malentendu. Le niveau de la fiscalité dépend du niveau de dépense jugé approprié par le pays. Nous ne pouvons pas forcer un Etat qui souhaite peu dépenser, à disposer de gigantesques excédents budgétaires sur l'autel de l'harmonisation fiscale. De la même manière, nous ne pouvons imposer à un Etat souhaitant dépenser une importante part de son PIB un déficit permanent. J'insiste sur ce point : nous ne pouvons traiter l'harmonisation des recettes fiscales sans traiter l'harmonisation des dépenses. Je sais que ces propos sont impopulaires. La France est, au sein de la zone euro, le pays dont les dépenses publiques en proportion du PIB sont les plus élevées. Cette position n'est pas dans les chromosomes français. Lors du choc pétrolier de 1973, nos dépenses publiques étaient inférieures à celles de l'Allemagne et du Royaume-Uni. L'évolution de notre pays, presqu'à son insu, nous place dans une position beaucoup plus défavorable pour la croissance et la création d'emplois. La Suède a connu une évolution similaire. Le montant de ses dépenses publiques en proportion de son PIB a même été supérieur au nôtre. Pourtant, grâce à ses efforts, elle a pu abaisser de 10 % ses dépenses publiques, améliorant ainsi sa situation.
Dans votre dernière question, vous utilisez sans doute le terme « euro » en pensant à l'intégrité de la zone euro. L'euro en tant que monnaie a prouvé sa capacité à se protéger contre la crise. La seule remarque émise à son égard est qu'il est trop solide. Depuis le début de la crise, il a constamment préservé son propre crédit ainsi que la confiance que nous avons en lui. Depuis le 9 août 2007, l'euro est resté très solide. Je ne dis pas qu'il a été trop solide ; il a rempli la tâche qui lui avait été confiée par les démocraties européennes. La BCE devait préserver la stabilité des prix : cela a été fait puisque sur quatorze ans, la hausse des prix s'est élevée à 2,3 % dans l'ensemble de la zone. Ce résultat explique la stabilité monétaire tout au long de la crise. Si votre question est « La zone euro, dans son intégrité, va-t-elle demeurer ? », je vous réponds que cela n'était pas le sentiment de l'ensemble des observateurs après le troisième épisode de la crise. Cependant, le sentiment général des observateurs depuis un an est que quatre éléments ont joué un rôle majeur dans la stabilisation de l'intégrité de la zone euro. Le premier est que les pays auparavant très mal gérés ont réalisé d'énormes progrès. La balance des paiements courants des cinq pays attaqués est désormais pratiquement à l'équilibre. Le deuxième tient dans l'important renforcement de la gouvernance économique et budgétaire de la zone. Le troisième est la démonstration qu'aucun pays ne souhaitait expulser ceux en difficulté. Enfin, l'action de la BCE a joué un rôle. Nous avons démontré à deux reprises que nous pouvions intervenir sur les valeurs du Trésor afin d'assurer l'efficacité de la politique monétaire dans l'ensemble de la zone. Cette intervention pouvait se faire en cas, d'une part, de conditionnalité appropriée et d'autre part, de solidarité de l'ensemble de la zone. Ces quatre raisons expliquent que, vu du reste du monde, l'intégrité de la zone euro paraît solide. Son élargissement à 18 pays le démontre. Tous les problèmes ne sont bien évidemment pas réglés. Nous sommes selon moi au milieu du gué mais nous prouvons notre résilience à tous ceux qui pensaient que la zone était extrêmement fragile. J'entends par « nous », l'ensemble des Européens de la zone euro.