Intervention de Denis Robert

Commission d'enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre — Réunion du 11 septembre 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Denis Robert essayiste

Denis Robert :

Je vous répondrai par une métaphore scientifique. On a très longtemps pensé que la matière noire de l'univers n'existait pas. Ceux des astrophysiciens qui affirmaient croire à son existence se faisaient traiter de fous. La matière noire est corroborée par la plupart des astrophysiciens un peu sérieux. Elle représente 90 % de la matière de l'univers. Je pense que la comparaison est exactement la même avec les paradis fiscaux. Il existe bien une matière noire de la finance. Ce sont les paradis fiscaux. La définition du paradis fiscal pose toutefois problème : l'Autriche en est un au même titre que la City de Londres. Plusieurs tentatives ont été entreprises pour les classifier. Je considère ces démarches relativement vaines. Le paradis fiscal est d'abord un paradis judiciaire. Quand un Etat ne répond pas à une injonction comme ce peut être le cas de l'Angleterre, il participe ainsi indirectement à la dissimulation globale. Les paradis fiscaux participent à l'achat des démocraties. Le juge Van Ruymbeke le disait lui-même en 1996 : « Les politiques ne scieront certainement pas la branche sur laquelle ils sont assis ! ». Son propos illustre le caractère illusoire de la lutte contre les paradis fiscaux. Je vous l'ai dit, la quasi-totalité des partis politiques ont versé, de près ou de loin, dans le financement occulte. Les circuits de financement passaient alors par les paradis fiscaux ! Dès lors vous comprendrez pourquoi je parle souvent de « leurre ». J'ai été très régulièrement invité par des organisations non-gouvernementales à témoigner. Je leur ai toujours dit qu'il était vain de manifester. Je n'irai donc jamais protester dans la rue contre les paradis fiscaux ou contre les chambres de compensation. Ce type de démarche est totalement illusoire et définitivement vaine. Il est inutile de porter haut des banderoles et de défiler dans les rues de Jersey ou de Luxembourg comme je l'ai vu. Le Grand-Duché joue la montre en multipliant les promesses. Certes, la plupart d'entre elles sont tenues s'il s'agit des particuliers. En revanche, il n'en est pas des mêmes concernant les sociétés !

Quel pire mensonge avons-nous connu ces dernières années que celui de Nicolas Sarkozy nous assurant, à la fin du G20, que les paradis fiscaux allaient inéluctablement disparaître ! Ils n'ont pourtant jamais été aussi florissants ! Il suffit, pour cela, de se rendre à Singapour ou au Luxembourg pour constater que les banques n'y connaissent nullement la crise. Si je dis que les paradis fiscaux sont des leurres, c'est parce que je considère que le vrai combat à mener est ailleurs. Il conviendrait plutôt de s'interroger sur la manière dont les transactions sont opérées plutôt que traquer indéfiniment - et vainement - les paradis fiscaux. En 2001, 107 pays étaient recensés dans les fichiers de Clearstream auxquels j'ai eu accès. Sur ces 107 pays, 42 étaient des paradis fiscaux notoirement connus ! Trois ans plus tard, le nombre des pays recensés était passé à 140. Je me suis récemment rendu en Guadeloupe. L'avion à bord duquel j'avais embarqué a survolé, à un moment donné, l'ile de Montserrat. Savez-vous que ce bout de terre désertique héberge 17 succursales, parmi lesquelles certaines succursales de banques italiennes ou indonésiennes ? Il ne sert à rien de se rendre à Montserrat. En revanche, il est très important de contrôler les mouvements qui s'opèrent depuis cette ile.

On m'a souvent proposé de m'engager en politique, considérant que ma contribution serait opportune au regard des causes que je défends. Je n'en ai jamais eu l'intention. En revanche, je reste persuadé que le combat, non seulement contre les paradis fiscaux, mais surtout en faveur du contrôle des chambres de compensation, n'est pas suffisamment pris en compte. Le seul moyen d'y parvenir est de le faire mettre en oeuvre par des organismes indépendants. Les autoroutes de la finance fonctionnent comme les voies rapides. Sur les autoroutes de la finance, circulent des véhicules qui ne sont pas immatriculées, mais qui, pourtant, circulent fort librement. Clearstream est une autoroute de la finance. Les banques qui y sont répertoriées sont des automobiles. Elles passent et repassent en toute liberté. Si l'on veut remporter la bataille contre le « noircissement » de l'économie et les trous noirs de la finance, il convient de former des brigades autoroutières ou inventer des « radars » informatiques qui permettront d'intercepter ces véhicules en infraction circulant librement que sont les banques. Il s'agit là d'un combat très important à conduire. Si j'ai été autant attaqué, c'est parce que la parole que je porte n'est pas suffisamment audible, notamment des banques, que ces dernières soient françaises, européennes ou mondiales. Parmi les banques françaises incriminées, je pense à BNP Paribas, au Crédit Lyonnais (LCL) ou à la Société générale. On entrevoit aujourd'hui que ces établissements possèdent des comptes dans des paradis fiscaux. Je l'affirmais pourtant dès 2001 dans un livre ! BNP Paribas en détient aux Iles Vanuatu. Quant à la Société générale, elle en possède aux Iles Caïman. Je voudrais vous illustrer l'ampleur du désastre et la complicité des plus hautes autorités. J'ai rencontré il y a quelques années l'ancien gouverneur de la BCE Jean-Claude Trichet, alors gouverneur de la Banque de France. Je l'avais interrogé sur les mesures qui sont prises en cas de découverte d'un compte possédé par une banque française dans un paradis fiscal par la Commission bancaire. Exaspéré par mon insistance, Jean-Claude Trichet a estimé qu'une banque qui détient un compte dans un paradis fiscal n'est pas « nécessairement un fraudeur ». Quant au contrôle exercé sur la filiale bancaire sur le territoire en question, il a considéré que la législation du pays considéré - tout paradis fiscal qu'il était - devait « probablement » s'appliquer ». Je vous laisse apprécier la réponse de cet ancien Gouverneur de la Banque centrale européenne !

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