Mes chers collègues, nous allons poursuivre notre après-midi d'auditions par celle de M. Denis Robert. Conformément à la règle en vigueur dans le cadre d'une Commission d'enquête, nous allons recevoir votre serment. Je ne vous dirai, parce que l'énumération est un peu longue et que vous le savez déjà, qu'un parjure, volontaire ou involontaire, à ce serment vous exposerait à un certain nombre de peines qui sont prévues dans le Code pénal.
M. Robert, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « Je le jure ».
Je vous remercie. Vous pouvez vous rasseoir. Je vous invite à prendre la parole. Vous disposez d'une dizaine de minutes pour nous livrer vos premières analyses et nous dire ce que vous souhaitez sur le thème qui nous occupe cet après-midi.
Après votre exposé, le Rapporteur de la Commission vous posera un certain nombre de questions à son tour et reviendra sur celles que nous souhaitons vous poser. Enfin, je céderai la parole aux membres de notre Commission, s'ils souhaitent vous interroger à leur tour. Peut-être moi-même me permettrai-je de vous interroger. En toute hypothèse, c'est à Eric Bocquet, notre Rapporteur, qu'il reviendra de clore cette audition en vous posant une dernière question.
M. Robert, vous avez la parole.
En préambule, je souhaitais vous livrer un témoignage personnel. Je viens de terminer un livre qui m'a obligé à passer beaucoup de temps dans les Archives du Sénat, ce grâce à Internet. Je me suis notamment plongé dans les rapports des commissions d'enquête. J'ai notamment retrouvé - et utilisé pour la rédaction d'un de mes chapitres - un rapport de 1981 dont le rapporteur était l'ancien Président du Sénat M. Christian Poncelet. Ce rapport, qui m'a passionné, était consacré à l'industrie du textile. S'il m'a passionné, c'est d'abord par le travail considérable qu'il a représenté et la qualité des personnes auditionnées en vue de sa rédaction, mais aussi la pertinence de ses conclusions. Si les élus avaient suivi les préconisations du rapport, je demeure persuadé que la crise industrielle, voire la guerre économique à laquelle nous avons assisté et continuons d'assister, n'auraient pas eu lieu de la même façon. Les rapports des commissions restent, pour la plupart, des travaux qui sont extrêmement documentés et très pertinents. Ils prennent bien trop vite la poussière.
Cela étant dit, je suis très fier et heureux de pouvoir témoigner et apporter ma modeste pierre à votre édifice. Je crois que la lutte contre le blanchiment est très importante. Mieux, une véritable réflexion sur le capitalisme financier doit être entreprise. Si je n'avais qu'un seul souhait, c'est que les travaux de votre commission d'enquête puissent déboucher sur des lois et puissent « changer le monde ». Les contacts que j'ai noués avec des hommes politiques ou des magistrats, voici plusieurs années, m'ont permis de constater qu'il existe un réel problème d'acculturation et de connaissance des circuits financiers, des méthodes y présidant et de leurs bénéficiaires. Un des intérêts de la crise que nous connaissons en ce moment est que les élus, qu'ils soient nationaux ou locaux, s'intéressent de plus en plus à ces questions, à l'image de nos concitoyens. C'est grâce à cet intérêt que le monde peut changer et pourra, je le souhaite ardemment, changer.
Ce préambule ayant été posé, abordons la question qui nous occupe cet après-midi. Je suis ici pour vous parler de Clearstream et du rôle absolument fondamental que jouent les chambres de compensation, notamment celle qui est située sur le territoire du Grand-Duché, dans les circuits de blanchiment. Il s'agit d'un point trop souvent méconnu, oublié, voire nié pour un certain nombre de raisons. Parmi ces raisons, retenons la puissance des deux chambres de compensation existant au monde. Je ne connais pas l'étendue de tous vos travaux. Toutefois, il me semble que, pour le moment, cet aspect-là n'a pas encore été abordé. Je souhaiterais donc l'évoquer avec vous. Comment moi-même m'y suis-je donc intéressé ? J'ai aujourd'hui 55 ans. J'ai suivi à l'origine une formation de psychosociologue et de psychologue. Je suis entré dans le journalisme comme on entre en religion car il n'y avait pas autre chose pour moi qui pouvait exister que les livres et que le journalisme. J'ai donc passé quatorze ans au sein de la rédaction du quotidien Libération, dont plus de dix ans comme journaliste d'investigation. J'ai d'ailleurs été un des premiers à m'intéresser de façon approfondie aux paradis fiscaux. Je m'y intéressé dès le début des années 90 , à tout ce qui pouvait en découler, notamment le financement des partis politiques. Je dois ici vous dire de la manière la plus simple et la plus catégorique, qu'à ma connaissance, tous les partis politiques disposaient de circuits de financement et de filiales dans les paradis fiscaux, le PS, le RPR, le CDS, le PR, etc. Le seul parti sur lequel je n'ai pas enquêté est le Parti communiste français. Je ne m'engagerai donc pas à son sujet. Si les démocraties ont lâché prise, c'est parce que tous les partis politiques étaient contaminés. C'est la thèse que je développe dans un de mes livres Pendant les affaires, les affaires continuent. J'ai, par la suite, été l'initiateur d'un mouvement, réunissant sept magistrats originaires de cinq Etats européens différents qui ont lancé l'« Appel de Genève ». Ce texte, signé précisément le 1er octobre 1996, avait fait considérablement de bruit à l'époque. J'ai récemment relu cette parution. Elle est demeurée d'une actualité absolument incroyable. Vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre de colloques ou de sessions auxquels j'ai participés avec des élus ou des Ministres de la Justice. A chaque fois, je les sensibilisais à la question des paradis fiscaux et des circuits de financements. Tous m'encourageaient et me félicitaient, déplorant qu'il n'existe pas de justice européenne et s'engageant à entreprendre ce qui devait l'être. Dans les faits, il ne s'est strictement rien passé. Il a fallu attendre le premier semestre de 2013 et la fameuse affaire Cahuzac pour que les pouvoirs publics fassent progresser leur discours sur ce terrain-là. Cette évolution s'explique également par la très forte attente des citoyens.
Mon parcours m'a amené, à partir de l'Appel de Genève, à travailler sur ces questions. J'en suis ressorti un peu épuisé et souhaitant passer à un autre sujet, d'autant que, durant toutes ces années, mes recherches ont buté sur le problème des paradis fiscaux. Dès que je parlais à un magistrat, quelle que sa nationalité en Europe, de ces paradis fiscaux, je constatais bien vite qu'ils étaient des murs infranchissables empêchant toute enquête, que celle-ci fut judiciaire ou journalistique. Je n'avais, en fait, pas réfléchi suffisamment, en ma qualité de journaliste, sur la nature propre de l'argent et les mécanismes de sa circulation. J'ai fini par comprendre que les paradis fiscaux étaient des leurres. Le mot même n'a pas lieu d'être puisque nous savons que les territoires concernés sont d'abord des paradis judiciaires, puis des paradis bancaires, puis peut-être des paradis fiscaux. Le terme même dissimule la financiarisation du capitalisme qui, à l'origine, était essentiellement industriel. Cette mutation s'est opérée au moyen d'une révolution numérique qui a bouleversé tous les circuits de financement et la circulation de l'argent elle-même. Il m'a fallu rencontrer un certain nombre de personnes pour comprendre qu'il existait une traçabilité des échanges financiers. Ce n'est pas parce qu'un virement passe la frontière d'un paradis fiscal qu'il va disparaître, comme certains magistrats ou journalistes le pensaient, dans un « maelstrom » improbable. C'est donc dans le cadre de ces contacts que j'ai découvert l'existence de ces chambres de compensation internationales, sortes de gares de triage permettant de ficher et de centraliser les transactions financières réalisées de par le monde. Ces gares offrent la possibilité, à qui les investit, de retracer des itinéraires financiers. Mon travail va ainsi se focaliser sur l'une des deux gares existant au monde, Clearstream, l'autre étant Euroclear. J'y ai consacré deux années de ma vie et ai pu rencontrer des témoins de l'intérieur qui ont accepté de me parler. Cette enquête m'a permis de comprendre - dans un premier temps de façon intuitive - le fonctionnement de ces boîtes, fonctionnement qui est loin d'être très évident ! Ce n'est qu'ensuite, au regard de l'adversité et l'affrontement que j'ai eu à subir et des difficultés que j'ai rencontrées, que ma connaissance du système s'est affinée. J'ai, de la sorte, rédigé deux livres, le premier en 2001 et le deuxième en 2003. J'ai, aussi, réalisé deux documentaires. Ma connaissance est encore devenue meilleure quand j'ai découvert les méthodes utilisées pour me faire taire.
Je vous parle de manière très détendue et très libre sur le sujet car j'ai gagné tous mes procès. Je rappelle que j'ai dû répondre à une soixantaine de procédures intentées à mon endroit dans cinq pays différents. La Cour de cassation, dans un arrêt de février 2011 qui fait désormais jurisprudence, a considéré que mon enquête était « sérieuse, de bonne foi et servait l'intérêt général ». Cela signifie que le contenu de mes films et livres, longtemps interdit, est désormais accessible au grand public. Je considère que cet arrêt est une victoire. J'en tire de la fierté, mais aucune vanité. Nous sommes confrontés à un cruel et étrange paradoxe. Ce paradoxe est le suivant : je porte des accusations d'une très grande gravité à l'égard de cette multinationale, de ses hauts dirigeants et de ses actionnaires. Je considère que la fonction « essentielle » de Clearstream reste la dissimulation ainsi que l'aide au blanchiment et au noircissement. Je ne parle ici pas de sa fonction « officielle », mais de sa fonction « officieuse ». J'accuse cette entreprise d'effacer industriellement des traces de transactions. Son système informatique fait l'objet d'interventions humaines qui permettent de supprimer les circuits suspects. Je vais plus loin dans mes accusations qui figurent dans mes livres. J'affirme aussi que la Mafia, à partir des années 1980, a élaboré un dispositif de comptes non-publiés au sein de Clearstream, qui a permis de généraliser les évasions fiscales. Une des phrases-clés de mon travail est celle-ci : « Si Clearstream est la banque des banques, l'affaire Clearstream est l'affaire des affaires. ». Clearstream, en effet, est lié, de près ou de loin, à toutes les affaires qui ont défrayé la chronique depuis la fin des années 70, que ce soit le Banco Ambrosiano ou le règlement de la rançon versée à la République islamique d'Iran pour la libération des otages américains de l'ambassade de Téhéran, par exemple. Le paradoxe le plus cruel pour moi est que ces accusations très graves peuvent être étayées, en vue de l'arrêt de la Cour de cassation. En revanche, rien ne se passe. Clearstream continue d'agir en toute impunité.
Comment pouvez-vous définir Clearstream ? Est-ce une banque à proprement parler ?
Non, Clearstream est une « chambre de compensation ». Elle continue d'opérer de la même façon, sur le territoire luxembourgeois. Elle a pignon sur rue dans la capitale grand-ducale. Clearstream n'a jamais été inquiétée. Le problème, toutefois, n'est pas seulement luxembourgeois. Il est aussi français et, plus largement, européen. Dans La Boîte noire, j'ai écrit que « Clearstream [n'était] pas contrôlée. Un organisme non-contrôlé se développe de façon incontrôlable et répond à une logique interne originale. Des logiques s'affrontent qui finissent par cohabiter. Le profit efface les scrupules. Le mimétisme ambiant les rend aveugles. Les nettoyeurs font le reste. ». Le nettoyage - à échelle industriel - est intervenu après la publication de mes livres, qui ont notablement précipité la chute du PDG de cette chambre de compensation. J'observe d'ailleurs que ce dernier - et plus largement tous les hauts-dirigeants de Clearstream - n'ont jamais tenté de se justifier et n'ont jamais répondu aux invitations qui leur étaient faites par les commissions d'enquête. Le seul moment où ils se sont sentis « fragilisés » a été l'annonce de la constitution d'une commission d'enquête parlementaire à Bruxelles. Clearstream a toujours pu s'appuyer sur le paradis fiscal qu'est le Grand-Duché du Luxembourg.
Je m'exprime sur le sujet sans colère et sans haine, n'ayant aucunement l'intention de régler des comptes à quiconque. J'ai remporté la mise. Ma vie est désormais ailleurs. Je ne suis plus accaparé par cette affaire qui m'a évidemment marqué. Cette affaire a bien évidemment été longue et douloureuse pour moi. J'ai reçu la visite de 418 huissiers à mon domicile. Elle a parfois impacté ma famille ou mon compte en banque parce qu'elle m'a fait perdre de l'argent. Toutefois, j'en parle désormais très librement, avec de la distance, mais sans beaucoup d'espoirs. Vous allez sans doute me trouver sympathique et intéressant ! J'espère cependant que mon témoignage produira des effets sur le réel et que le jour où la Direction de Clearstream s'expliquera viendra. Soyez sûrs que celle-ci serait bien en peine de vous apporter des traces au sujet de l'effacement de transactions ! Apprenez d'ailleurs que, cette année, Clearstream a estimé la valeur des sommes entreposées dans ses « coffres » à 11 trillions d'euros ! La chambre de compensation réalise chaque année 250 000 transactions représentant entre 80 et 100 millions d'euros. Nous sommes dans la quatrième dimension de la finance !
Je cède, à présent, la parole à notre Rapporteur Eric BOCQUET. Il va vous poser un certain nombre de questions.
Je vous remercie, Denis Robert, de vos explications. En vous écoutant me revient à la mémoire l'audition de Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart, qui déclarait que, « dans les affaires en cours, les paradis fiscaux constituent un invariant ». J'imagine évidemment que vous partagez son analyse ! Sur un plan général, les paradis fiscaux constituent-ils, à vos yeux, un vrai danger pour l'équilibre général de l'économie mondiale ?
Je vous répondrai par une métaphore scientifique. On a très longtemps pensé que la matière noire de l'univers n'existait pas. Ceux des astrophysiciens qui affirmaient croire à son existence se faisaient traiter de fous. La matière noire est corroborée par la plupart des astrophysiciens un peu sérieux. Elle représente 90 % de la matière de l'univers. Je pense que la comparaison est exactement la même avec les paradis fiscaux. Il existe bien une matière noire de la finance. Ce sont les paradis fiscaux. La définition du paradis fiscal pose toutefois problème : l'Autriche en est un au même titre que la City de Londres. Plusieurs tentatives ont été entreprises pour les classifier. Je considère ces démarches relativement vaines. Le paradis fiscal est d'abord un paradis judiciaire. Quand un Etat ne répond pas à une injonction comme ce peut être le cas de l'Angleterre, il participe ainsi indirectement à la dissimulation globale. Les paradis fiscaux participent à l'achat des démocraties. Le juge Van Ruymbeke le disait lui-même en 1996 : « Les politiques ne scieront certainement pas la branche sur laquelle ils sont assis ! ». Son propos illustre le caractère illusoire de la lutte contre les paradis fiscaux. Je vous l'ai dit, la quasi-totalité des partis politiques ont versé, de près ou de loin, dans le financement occulte. Les circuits de financement passaient alors par les paradis fiscaux ! Dès lors vous comprendrez pourquoi je parle souvent de « leurre ». J'ai été très régulièrement invité par des organisations non-gouvernementales à témoigner. Je leur ai toujours dit qu'il était vain de manifester. Je n'irai donc jamais protester dans la rue contre les paradis fiscaux ou contre les chambres de compensation. Ce type de démarche est totalement illusoire et définitivement vaine. Il est inutile de porter haut des banderoles et de défiler dans les rues de Jersey ou de Luxembourg comme je l'ai vu. Le Grand-Duché joue la montre en multipliant les promesses. Certes, la plupart d'entre elles sont tenues s'il s'agit des particuliers. En revanche, il n'en est pas des mêmes concernant les sociétés !
Quel pire mensonge avons-nous connu ces dernières années que celui de Nicolas Sarkozy nous assurant, à la fin du G20, que les paradis fiscaux allaient inéluctablement disparaître ! Ils n'ont pourtant jamais été aussi florissants ! Il suffit, pour cela, de se rendre à Singapour ou au Luxembourg pour constater que les banques n'y connaissent nullement la crise. Si je dis que les paradis fiscaux sont des leurres, c'est parce que je considère que le vrai combat à mener est ailleurs. Il conviendrait plutôt de s'interroger sur la manière dont les transactions sont opérées plutôt que traquer indéfiniment - et vainement - les paradis fiscaux. En 2001, 107 pays étaient recensés dans les fichiers de Clearstream auxquels j'ai eu accès. Sur ces 107 pays, 42 étaient des paradis fiscaux notoirement connus ! Trois ans plus tard, le nombre des pays recensés était passé à 140. Je me suis récemment rendu en Guadeloupe. L'avion à bord duquel j'avais embarqué a survolé, à un moment donné, l'ile de Montserrat. Savez-vous que ce bout de terre désertique héberge 17 succursales, parmi lesquelles certaines succursales de banques italiennes ou indonésiennes ? Il ne sert à rien de se rendre à Montserrat. En revanche, il est très important de contrôler les mouvements qui s'opèrent depuis cette ile.
On m'a souvent proposé de m'engager en politique, considérant que ma contribution serait opportune au regard des causes que je défends. Je n'en ai jamais eu l'intention. En revanche, je reste persuadé que le combat, non seulement contre les paradis fiscaux, mais surtout en faveur du contrôle des chambres de compensation, n'est pas suffisamment pris en compte. Le seul moyen d'y parvenir est de le faire mettre en oeuvre par des organismes indépendants. Les autoroutes de la finance fonctionnent comme les voies rapides. Sur les autoroutes de la finance, circulent des véhicules qui ne sont pas immatriculées, mais qui, pourtant, circulent fort librement. Clearstream est une autoroute de la finance. Les banques qui y sont répertoriées sont des automobiles. Elles passent et repassent en toute liberté. Si l'on veut remporter la bataille contre le « noircissement » de l'économie et les trous noirs de la finance, il convient de former des brigades autoroutières ou inventer des « radars » informatiques qui permettront d'intercepter ces véhicules en infraction circulant librement que sont les banques. Il s'agit là d'un combat très important à conduire. Si j'ai été autant attaqué, c'est parce que la parole que je porte n'est pas suffisamment audible, notamment des banques, que ces dernières soient françaises, européennes ou mondiales. Parmi les banques françaises incriminées, je pense à BNP Paribas, au Crédit Lyonnais (LCL) ou à la Société générale. On entrevoit aujourd'hui que ces établissements possèdent des comptes dans des paradis fiscaux. Je l'affirmais pourtant dès 2001 dans un livre ! BNP Paribas en détient aux Iles Vanuatu. Quant à la Société générale, elle en possède aux Iles Caïman. Je voudrais vous illustrer l'ampleur du désastre et la complicité des plus hautes autorités. J'ai rencontré il y a quelques années l'ancien gouverneur de la BCE Jean-Claude Trichet, alors gouverneur de la Banque de France. Je l'avais interrogé sur les mesures qui sont prises en cas de découverte d'un compte possédé par une banque française dans un paradis fiscal par la Commission bancaire. Exaspéré par mon insistance, Jean-Claude Trichet a estimé qu'une banque qui détient un compte dans un paradis fiscal n'est pas « nécessairement un fraudeur ». Quant au contrôle exercé sur la filiale bancaire sur le territoire en question, il a considéré que la législation du pays considéré - tout paradis fiscal qu'il était - devait « probablement » s'appliquer ». Je vous laisse apprécier la réponse de cet ancien Gouverneur de la Banque centrale européenne !
Vous évoquez souvent l'implantation luxembourgeoise de Clearstream. Est-ce-à-dire que cette chambre de compensation n'est présente que sur le territoire grand-ducal ?
Non, elle s'appuie également sur un réseau d'agences présentes de par le monde. Je crois que leur nombre s'élève à une dizaine, dont New-York, Francfort et Londres.
Pourriez-vous nous expliquer le fonctionnement de cette chambre de compensation ?
Il n'y a que deux chambres de compensation au monde. La première est Euroclear et la seconde est Clearstream. Euroclear est une émanation de la banque nord-américaine JP Morgan. Clearstream était, jusqu'en 2002, la propriété d'un consortium bancaire qui l'a revendu, par la suite, à Deutsche Börse Group, qui en est l'actuel propriétaire. Rappelons que ces chambres de compensation sont nées au début des années 70. Elles ont permis à la plupart des acteurs industriels et bancaires nord-américains de s'implanter en Europe et d'y conquérir des marchés. La première chambre à avoir été instituée est Euroclear. Deux ans plus tard, est née Clearstream. Leur vocation première est d'être des « coopératives ». Elles répondaient à un véritable problème, celui des braquages dont était l'objet nombre de dirigeants d'entreprises ou d'hommes d'affaires à leur descente d'avion. L'avènement des chambres de compensation correspond à la dématérialisation de l'argent puisque les titres électroniques remplacent les titres en papier. Le problème est que ces chambres ont, par la suite, échappé à leurs concepteurs suite à leur perfectionnement. Elles sont devenues, à l'aune des années 90, des outils informatiques d'une puissance redoutable sur lesquels il n'était plus possible d'exercer de contrôle.
Les chambres de compensation sont devenues, en quelque sorte, des « notaires » car elles sont les « notaires de la finance ». Le propos n'est pas de moi, mais de l'ancien PDG de Clearstream. 2/3 des fonds traités dans cette dernière chambre sont des obligations, le dernier tiers étant constitué d'actions. On y trouve aussi de l'argent en liquide ou de l'or. La plupart des fonds sont toutefois constitués d'obligations et d'actions. A partir du moment où l'argent rentre dans les circuits financiers, elle devient une donnée électronique. Dès lors, la chambre de compensation devient le gestionnaire de cette donnée. L'enjeu, vous l'aurez donc compris, est absolument considérable, d'autant que Clearstream n'a jamais vraiment été contrôlé. Pendant longtemps, son auditeur était Arthur Andersen. Désormais, il s'agit d'Ernst & Young. En 2002, suite à mes premières révélations, Clearstream a missionné le cabinet Arthur Andersen pour auditer ses comptes. Ernst & Young a repris l'audit, quand le cabinet Arthur Andersen a sombré corps et biens avec l'affaire Enron. Cet audit a coûté un peu plus de 16 millions d'euros ! La Direction générale de Clearstream s'est appuyée sur le contenu de cet audit pour prouver sa transparence et la véracité de ses comptes. Pourtant, il n'a jamais été rendu public en dépit du fait qu'il a mobilisé une vingtaine d'auditeurs qui ont travaillé pendant trois mois à Luxembourg.
Les dirigeants de Clearstream n'ont jamais été très précis à ce sujet. Je leur ai pourtant demandé de préciser les points du premier livre faisant débat. Ils m'ont reproché différents propos que je n'avais jamais tenus ! Je n'ai, par exemple, jamais dit que Clearstream était la « plus grande lessiveuse d'argent sale » au monde. Un de mes témoins au procès était le directeur informatique de Clearstream. Il m'a avoué que les programmeurs avaient pour mission d'effacer toute trace de transaction dans les circuits informatiques de la chambre de compensation. Il évoquait cette tâche en disant qu'il « effaçait les zéros ». Il ajoutait que le nombre d'effacements était tel qu'il ne se souvenait plus des sommes considérées ! Cette stratégie d'effacement était très utile en ceci qu'elle empêchait les juges et les policiers qui auraient éventuellement souhaité enquêter sur les mouvements de fonds opérés dans les « caisses » de Clearstream d'avoir accès aux traces informatiques que pouvaient laisser lesdites transactions. L'effacement d'une trace correspondait à une prestation logiquement facturée. Cela a généré une double comptabilité. Bien évidemment, Clearstream n'a jamais été poursuivi. La mise en place de la mission d'information constituée à l'initiative d'Arnaud Montebourg et de Vincent Peillon en 2001, à la suite de la publication de mon premier livre, a contraint le Grand-Duché du Luxembourg à ouvrir une information judiciaire à l'endroit de Clearstream, qui a entraîné la mise en examen de l'état-major de la « banque ». C'est sous la pression de la France que cette information judiciaire a été diligentée. Mais la tactique adoptée par les dirigeants de la chambre de compensation a consisté à ne jamais répondre aux questions qui leur étaient posées. Je crois d'ailleurs que la procédure est en cours à ce jour. J'affirme que l'allongement de la procédure est délibéré : les magistrats financiers grand-ducaux sont sous pression.
Vous citez, dans vos livres, des chiffres très précis. Les comptes de Clearstream sont-ils publiés ?
Les chiffres que je rapporte sont ceux publiés par Clearstream.
Quelle est la forme juridique de ces chambres internationales de compensation ?
Elles relèvent du statut de sociétés anonymes. Clearstream est une filiale de Deutsche Börse Group qui la contrôle à 100 %. Clearstream a précédemment été la propriété de la société Clearstream International, entité dont l'actionnariat était contrôlé par 98 banques.
Ces chambres de compensation sont-elles uniquement « utilisées » par des banques ?
Non, elles le sont également par des sociétés financières. Ne me demandez pas quelle est la définition d'une « société financière ». Moi-même je l'ignore. Je sais simplement que celles-ci sont aussi bien implantées dans les paradis fiscaux que les banques ! Le drame est que les dirigeants bancaires sont dans une méconnaissance absolue des mécanismes présidant au fonctionnement de ces sociétés et au rôle que joue notoirement Clearstream dans leur « alimentation ». J'ai constaté avec effarement, par exemple, que l'ancien PDG du Crédit Lyonnais, avec qui j'échangeais sur le sujet, était dramatiquement ignorant de la question, même s'il se doutait de l'existence de ces réseaux. Jean-Claude Trichet, comme Jean Peyrelevade, n'appréhende pas vraiment le fonctionnement occulte de Clearstream et des sociétés financières et des liens obscurs que l'une et les autres entretiennent.
Je vous remercie, M. Robert, de votre propos et des informations que vous portez à la connaissance de la commission. Pourriez-vous mentionner des exemples d'opérations de blanchiment réalisées à partir ou à travers Clearstream ? Avez-vous pu, en outre, identifier des montages financiers impliquant la manipulation de produits obligataires utilisés pour divertir discrètement des capitaux aux fins de procéder ultérieurement à de la fraude fiscale ?
Je répondrai à votre question en citant l'exemple de la BCCI, banque indo-pakistanaise qui était présentée comme la « banque du crime et de la corruption ». Elle était poursuivie pour blanchiment d'argent de la drogue. Une instruction avait été ouverte à Tampa. Suite à cette ouverture, l'ensemble des comptes de la BCCI ont été fermés de par le monde. Cette banque était très présente dans les pays où la religion musulmane dominait. De violentes manifestations s'y sont déroulées, les particuliers étant furieux de voir leurs comptes vidés et les employés de la banque indignés de ne plus être payés. La fermeture des comptes a donc eu un impact très fort dans le monde extrême-oriental. L'accès aux microfiches de la chambre de compensation Clearstream nous a permis de constater qu'un mouvement fut pourtant opéré d'un compte encore actif de la BCCI vers un compte de la Banque générale de Luxembourg, banque de la famille grand-ducale. Ce mouvement de fonds était estimé à 100 millions d'euros ! Voilà un exemple de manipulation. BCCI se servait de Clearstream pour opérer ses transactions. Celle que je viens de citer put s'opérer grâce à sa complicité. Je pourrais également vous citer l'exemple du Banco Ambrosiano, désormais dénommé « Intesa ». Un magistrat italien m'a avoué le rôle absolument déterminant de Clearstream pour le blanchiment de l'argent de la mafia. Quand les mafieux ont découvert qu'il n'était plus indispensable de se déplacer à l'Institut des OEuvres de religion (IOR) pour réaliser les opérations de blanchiment puisque, d'une certaine manière, Clearstream le faisait pour eux, ils ne se sont pas privés pour l'utiliser. Ce sont d'ailleurs les mafieux qui ont institué le système de comptes non-publiés. Je pourrais parler longtemps des dérives mafieuses de la Banque du Vatican et des liens étroits qu'elle entretenait avec Clearstream. Le nouveau Pape, François, en a pleinement conscience. Vous comprenez plus facilement pourquoi la Direction de Clearstream avait tout intérêt à faire disparaître certains éléments ou certaines traces informatiques de ses comptes. Je pourrais également citer l'exemple de Pan Euro Life, sociétés d'assurance poursuivie en France, mais qui a pu poursuivre ses activités au Luxembourg grâce à Clearstream. Je vous renvoie à mes livres qui décrivent un système qui s'est perverti et qui est toujours opérant.
Iriez-vous jusqu'à dire, comme on le suggère ici ou là, que la Mafia avait tout intérêt à ce que soit médiatisée l'affaire des listings de Clearstream, ceci afin de dissimuler la vraie nature de l'activité de cette chambre de compensation ? Plus globalement, estimez-vous que la Mafia recourt toujours, directement ou indirectement, aux services de Clearstream ?
Il n'y a pas de rapport entre l'affaire Clearstream 2 et l'écume médiatique générée par l'affaire des listings. Est-ce dû à l'aveuglement et à la bêtise de certains médias qui se sont exclusivement focalisés sur la rivalité entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin et le rôle marginal de Rondot. Ils n'ont pas nécessairement réfléchi à la nature de l'activité de la chambre de compensation. Si vous ne devez retenir qu'une seule chose de nos échanges, c'est que Clearstream, chambre de compensation, est un outil essentiel pour les affaires des mafieux, qu'ils soient chinois, russes, italiens ou autres. Ce n'est pas pour rien qu'une loi a été votée au Luxembourg autorisant les banques à détruire leurs archives dans un délai de quinze ans. Les banques ont quinze ans pour détruire les traces informatiques de leurs agissements. Qui veut mettre le nez dans leurs archives doit s'y prendre avec tact et prudence, mais aussi avec acharnement et résolution car elles sont conservées dans des coffres localisés dans les sous-sols d'établissements bancaires. Ces archives recèlent des trésors en termes d'information. Politiquement, il est intéressant de savoir que Clearstream est la propriété de Deutsche Börse Group. Le pouvoir fédéral allemand aurait tout intérêt à s'intéresser aux activités de Clearstream lorsqu'on connaît les liens entre Clearstream et son unique actionnaire. Il est pourtant impuissant car le lobby bancaire l'en empêche. C'est la raison pour laquelle rien ne change. Le titre d'un de mes livres, Pendant les affaires, les affaires continuent, n'a jamais été aussi actuel.
Vous citez, parmi les comptes non-publiés qui sont hébergés par Clearstream, celui de la « DGSE » et celui du Ministère des Finances du Luxembourg. Avez-vous obtenu, sur ce point, des explications de vos interlocuteurs ?
J'en ai obtenu à propos du compte de la DGSE qui ne renvoie pas au service secret mais à la direction générale des services extérieurs de la Banque de France. Je ne vois aucun inconvénient à ce que la DGSE possède un compte chez Clearstream ! Le seul problème est l'interprétation qui en a été faite par la Banque de France. Celle-ci, en effet, a prétendu que ce compte permettait au pouvoir politique d'assister les entreprises françaises qui étaient attaquées sur les marchés. Cette réplique a été formulée par le Gouverneur de la Banque de France. Avez-vous conscience de l'impact d'une telle réponse qui vient révéler le dispositif anonyme mis en oeuvre par la France pour soutenir ses sociétés ? Nombre de traders m'ont révélé que de telles pratiques sont illégales ! Pour ternir ma réputation, Jean-Claude Trichet a utilisé un argument qui devrait se retourner contre lui. J'ajoute, sur un autre registre, que Clearstream a fréquemment été utilisé par les Etats pour le paiement des rançons. Les Américains ont ainsi sollicité les services de cette chambre au moment de la résolution de la crise des otages de l'ambassade de Téhéran : la rançon qui a été versée à la République islamique d'Iran l'a été via Clearstream ! Je suis très heureux de pouvoir témoigner devant vous. Comprenez que Clearstream est un outil essentiel pour le blanchiment. Sur 107 pays enregistrés par la chambre de compensation, 42 sont des paradis fiscaux alimentés par Clearstream. J'ai relevé 6 652 comptes dans les fameux listings, comptes ouverts dans des paradis fiscaux avec l'aval de Clearstream pour ses clients. Lorsqu'on travaille sur ces questions, on ne peut faire l'économie des données financières que je vous livre cet après-midi. Malheureusement, elles n'ont pas réellement été prises en compte par les médias et nos concitoyens, sous le fallacieux prétexte de leur trop grande complexité et de l'urgence que constituait l'affaire des listings. Alors, le temps passant, on a oublié à quel point Clearstream était un point nodal pour le blanchiment de l'argent. Je souhaite véritablement que vous intégriez cette affaire dans votre réflexion.
Quels sont les éléments de contestation des plaignants dans le procès que vous avez eu à subir ?
Pour constituer le dossier, Clearstream a sollicité les services d'un cabinet d'avocats. Il a notamment soudoyé l'avocat de Charlie Hebdo qui a participé à la cabale contre moi. Je retiens, parmi les plaintes engagées contre moi, le fait que je suis un « militant d'extrême-gauche » voulant « régler ses comptes avec le Luxembourg », que mes témoins sont des personnes inscrivant leur action dans une démarche purement « revancharde », que mes affirmations sont « plus farfelues les unes que les autres ». Des conférences de presse ont été organisées pour rappeler l'excellente réputation de Clearstream, société qui n'a jamais été impliquée dans des affaires de blanchiment. Parmi les autres arguments mis en avant par la chambre de compensation, je retiens le fait que les comptes non-publiés révélés à plusieurs reprises dans mes livres sont parfaitement « légaux », que Clearstream ne peut être tenue pour responsable des agissements - notamment frauduleux - de ses clients. Je goûte avec délectation les propos du PDG de Clearstream qui affirmait n'accepter que les clients justifiant d'un excellent rating et d'une très bonne réputation. Je me suis amusé, en reprenant ce propos, à incruster, lorsque j'ai réalisé le document sur l'affaire Clearstream, la liste des centaines de sociétés douteuses possédant un compte chez Clearstream. J'ai également mis en opposition le propos du PDG de la chambre de compensation assurant ne pas autoriser les multinationales à ouvrir des comptes avec la liste des multinationales qui en possèdent un, parmi lesquelles Siemens, Unilever, Carlson Wagon Lit Travel, etc. Je n'ai malheureusement jamais eu la chance d'être confronté aux dirigeants de Clearstream. Il en a été de même de la mission d'enquête parlementaire constitué à l'instar de Vincent Peillon et d'Arnaud Montebourg : l'ancien Président de Clearstream n'a jamais honoré les invitations qui lui étaient faites d'y témoigner. Il en fut de même avec la mission d'enquête constituée à l'échelon du Parlement européen.
Vous écrivez, dans un de vos livres, que « la finance parallèle n'est pas un appendice, mais une des composantes du système. ». Est-ce la conclusion à laquelle vous arrivez ou est-ce un constat de départ ?
Non, ce n'est pas le constat de départ. Les moyens qui ont été mis en oeuvre pour me briser au cours de ces dix dernières années étaient significatifs. Ils prouvent la qualité de mon travail. Sans doute n'étais-je pas suffisamment armé pour me battre contre ceux qui ont cherché à salir ma réputation et m'empêcher de travailler. N'ont-ils pas gagné la mise ? On ne parle désormais plus d'eux. J'espère vivement que votre travail débouchera sur des lois. Peut-être ne serions-nous pas là à discourir si l'affaire Cahuzac n'était pas survenue ? Le problème auquel vous allez être confronté est la contrainte européenne. Si loi il doit y avoir, elle ne peut être qu'européenne. Or, il n'existe pas, en ce domaine, une volonté globale à l'échelon européen. Je reste cependant persuadé que la voix de la France reste suffisamment puissante pour que le message soit entendu.
Nous procédons à présent à l'audition de M. Hervé Dreyfus, gestionnaire de fortune.
Monsieur Dreyfus, conformément à l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, votre audition doit se tenir sous serment ; tout faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal. Veuillez donc vous levez, et prêter serment en levant la main droite, et en disant : « Je le jure ».
Mon exposé sera extrêmement rapide.
Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, Mesdames, je suis né le 4 août 1953. J'occupe les fonctions de gestionnaire de portefeuille chez Raymond James Asset Management International (RJAMI).
Je suis honoré d'être convoqué par votre commission, et espère pouvoir contribuer à son information, même si j'ai été amené à interroger votre secrétariat sur l'objet de mon audition.
Gestionnaires de valeurs mobilières, ma contribution pouvait paraître limitée, alors que je suis, au surplus, tenu au secret professionnel.
Je ne peux pas ne pas faire le lien avec les mises en cause publiques dont je fais l'objet depuis près d'un ans, d'abord dans le cadre de l'affaire Cahuzac, puis, plus généralement, dans le cadre des attaques contre la banque Reyl, dirigée, à Genève, par mon frère, et présentée par M. Condamin-Gerbier, qui a été entendu par cotre commission et par les juges d'instruction, comme une « officine d'évasion fiscale », à laquelle j'aurais participé.
Ces faits font objet d'investigations judiciaires, comme j'ai eu l'honneur de le faire connaître au secrétariat de votre commission, puis par l'intermédiaire de mon conseil, le bâtonnier Iweins. Mon domicile et mes bureaux ont fait l'objet de perquisitions. Mon avocat s'est rapproché du magistrat instructeur, et je suis informé que je serai prochainement entendu. Je me dois donc de réserver mes déclarations sur toutes ces mises en cause au juge d'instruction saisi.
Mon avocat s'en est ouvert à vous par le courrier du 3 septembre, demandant à pouvoir m'accompagner. Votre secrétariat lui a fait savoir hier soir qu'il ne pourrait être à mes côtés.
Dans ces conditions, et pour le respect des droits de ma défense, comme de l'autorité judiciaire, je suis à votre disposition pour répondre à vos questions -un projet m'a d'ailleurs été adressé- sous cette double réserve des poursuites judiciaires en cours et, le cas échéant, du secret professionnel auquel je suis tenu.
Je vous ai parfaitement entendu. Je tiens toutefois à vous rassurer : vous êtes ici devant une commission d'enquête. Vous êtes ici auditionné et non interrogé. La différence a son importance...
Ce n'est ni l'usage, ni le droit, dans le cadre d'une commission d'enquête, que la personne entendue soit assistée pour -disons-le- « cribler ses réponses ».
Vous aurez la possibilité, lorsque vous le souhaiterez, de vous réfugier derrière un secret professionnel légalement protégé, comme celui des avocats ou des banquiers, établi par un code.
En ce qui concerne la procédure judiciaire, nous n'entrons pas dans le cadre de celle-ci ; de ce fait, sauf sur des points extrêmement précis entrant dans le cadre d'une infraction pour laquelle vous seriez mis en examen ou poursuivi -ce qui ne me semble pas le cas- notre commission est apte à vous entendre.
La parole est au rapporteur...
J'adhère pleinement à ce que le président vient de dire concernant les circonstances de cette audition. C'est du fait de votre profession qu'il nous a semblé utile de vous entendre. Notre commission s'intéresse au rôle des banques, aux acteurs financiers au sens général, dans la problématique de l'évasion fiscal, sujet aujourd'hui planétaire et incontournable. Nous y travaillons depuis un an et demi. C'est la seconde commission d'enquête portant sur ce sujet, mais celle-ci cible plus particulièrement le rôle des banques et des acteurs financiers.
Peut-être serait-il utile que l'on vous entende sur une présentation assez rapide de votre parcours professionnel, puisque c'est l'objet principal de votre invitation...
J'ai suivi des études de droit économique à l'université Panthéon-Assas, où j'ai obtenu une maîtrise. Lors de la préparation de mon diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS), j'ai été recruté par le Crédit commercial de France (CCF), banque dans laquelle j'ai travaillé durant onze ans à la direction internationale. J'ai été formé à la gestion de portefeuille pour de la clientèle non résidante, avec une spécialisation très pointue sur le marché des eurobonds et le marché des changes. Cette clientèle était surtout maghrébine et moyen-orientale.
Après onze ans passés au CCF, j'ai rejoins RJAMI, fin 1993, début 1994, où je suis depuis toujours. J'y fais de la gestion de portefeuille de clientèle résidante.
En quoi consiste mon métier ? Un client nous confie une certaine somme d'argent à gérer. Tous les trois mois, un comité d'investissement se réunit, composé d'intervenants extérieurs -professeurs d'université, économistes. Nous établissons les grandes stratégies de notre gestion de portefeuille, c'est-à-dire les zones dans lesquelles nous allons investir. Nous décidons ensuite du genre de support que nous allons utiliser -obligations, actions ou monnaies.
De plus en plus d'acteurs financiers font de l'architecture ouverte. Dans la gestion de portefeuille, il s'agit d'utiliser les compétences d'établissements autres que le sien. Nous ne sommes pas bons dans tous les domaines, et travaillons donc avec d'autres banques françaises, anglaises, allemandes, suisses, où existent des compétences meilleures que les nôtres.
Nous décidons donc de choisir tel ou tel fonds ou SICAV. Une fois établie, nous appliquons la politique de gestion aux clients en fonction des mandats qu'ils nous ont confiés. Aujourd'hui, il existe quatre grandes catégories de mandats : un mandat prudent, un mandat équilibré, dynamique ou discrétionnaire. Nous appliquons notre politique de gestion en fonction du mandat que nous ont donné nos clients.
J'exerce ce métier depuis une trentaine d'années. Certains clients me font confiance depuis vingt-cinq ans.
Quelle est la place de l'optimisation fiscale dans les relations d'affaires ?
C'est le client qui décide du genre de produits qu'il accepte d'avoir dans son portefeuille. Nous réalisons une gestion globale, mais le client peut nous demander d'utiliser les produits d'optimisation fiscale qui existent en France -PEA ou assurance-vie, en plus du compte traditionnel.
En règle générale, c'est le client qui connaît son patrimoine de manière très précise qui nous aide, pour des raisons de succession ou d'économie d'impôts. Je suis, avec mon équipe, un simple technicien de gestion.
Les grandes banques françaises n'utilisent que leurs produits, SICAV et fonds maison, mais la BNP, par exemple, doit avoir une centaine de fonds investis dans différents pays et sur différents marchés. Elle peut se permettre, pour gérer les portefeuilles de ses clients, de répartir leurs comptes sur ses différents fonds. Pour notre part, nous n'en avons pas la capacité. Je me réserve donc la possibilité de rechercher le bon gérant au Japon, ou sur les marchés obligataires, au Brésil ou en Inde. Nous n'avons pas de fonds limités. Nous ne gérons qu'un certain nombre de fonds. Nous n'avons de compétences que sur les Etats-Unis et sur l'Europe.
Disposez-vous de collaborations privilégiées avec certaines banques étrangères ?
Nous cherchons les bons interlocuteurs. Je peux utiliser une banque anglaise ou suisse. Nous l'avons déjà fait, ce n'est pas un secret : nous avons utilisé les compétences sur les pays émergents de la banque de mon frère, mais pour les Etats-Unis, nous utilisons nos propres compétences. Pour la zone du secteur pétrolier, nous utilisons une banque anglaise ou les banques françaises...
Jamais ! L'opacité est trop grande. J'ai des comptes à rendre à ma clientèle...
Lorsque j'étais au CCF, un client mexicain m'avait posé la question, mais il y a vingt ans de cela...
Beaucoup de banques françaises disposent d'entités dans de nombreux paradis fiscaux...
Je fais ce métier depuis trente ans. Le seul reproche que l'on peut m'adresser est que je suis très prudent dans ma gestion. Je n'ai jamais investi sur des produits structurés ou domiciliés dans les banques offshore, ni chez Bernard Madoff. Nous avons reçu ses représentants, comme toute la place parisienne, mais leur opacité était trop importante. Nous ne touchons jamais à ce genre de produits.
Aucun client depuis que j'exerce ce métier n'a pu une seule fois se plaindre qu'on lui a fait prendre des risques inconsidérés en utilisant des produits toxiques, ou opaques. Peut-être me l'a-t-on reproché dans certains cas...
Les gens de chez Madoff étaient très forts. Ils promettaient des taux rendements extrêmement élevés, qu'aucun gérant obligataire ne pouvait tenir et qui ne correspondaient pas aux taux que l'on pouvait obtenir sur les marchés. Leur astuce était de proposer aux personnes qui acceptaient de travailler avec eux des rémunérations conséquentes.
Certains intervenants du marché ont accepté, uniquement pour des raisons financières. Quand j'ai discuté technique avec les représentants de Madoff, je n'ai pas compris leur technique de gestion.
Ce sont ceux dont on a vu le nom dans les journaux, parmi lesquels quelques grandes banques françaises. Je n'en sais pas plus. J'ai entendu parler de clients qui ont tout perdu, des banques ayant investi la totalité de leur portefeuille sur des fonds Madoff. Je crois que les taux étaient garantis à plus de 10 %, ce qui est impossible à tenir.
C'est pourquoi notre société n'utilise jamais de produits offshore, structurés, exotiques...
Comment expliquer que des professionnels aguerris acceptent ce genre de proposition ?
Je ne peux répondre à leur place, mais la seule explication réside dans la rémunération.
Notre clientèle est à 100 % française et compte également des institutionnels. Je ne m'occupe personnellement que de clients privés. Quelques grands groupes Français sont aussi clients de nos fonds. Nous avons de très bonnes performances. Notre fonds europe fait depuis de l'année 15 %, notre fonds Etats-Unis 24 %. Par rapport à ce qu'ont fait les marchés cette année, je pense que ces résultats sont très honorables.
Nous sommes une petite structure, qui compte quatorze personnes. Il est difficile de se développer, malgré nos bonnes performances.
Nous sommes quatorze personnes et parvenons à l'équilibre tous les ans. Nous ne faisons pas de bénéfices, ne distribuons pas de dividendes. Nos actifs augmentant régulièrement, nous essayons d'engager un analyste ou un gérant supplémentaire. Nous avons régulièrement de nouveaux clients. Les choses se passent correctement.
A quel superviseur êtes-vous soumis, aussi bien en France qu'à l'étranger ?
En France, nous sommes soumis à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et à des contrôleurs internes réguliers. Il n'y a pas eu une seule plainte de clients depuis que nous existons. Il n'y a pas de raisons, étant donné nos résultats et notre sérieux.
Vous me posez là une colle... Le contrôleur vérifie à l'ouverture des comptes et tous les documents administratifs qui ont pu être remplis -pièces d'identité, justificatifs de domicile, etc.
Une fois le compte ouvert, le contrôleur vérifie régulièrement l'adéquation de la gestion du portefeuille du client par rapport à son mandat. Dans le cadre d'un mandat de gestion équilibré, nous n'avons pas le droit de dépasser 60 % d'actions. Nous serions en infraction si tel n'était pas le cas.
Non, c'est une personne qui occupe un poste à l'intérieur de la société. Nous avons des commissaires aux comptes qui contrôlent les comptes de la société chaque année. Nos bilans sont déposés au greffe et contrôlés par une équipe de commissaires aux comptes.
Je suis un peu surpris qu'un établissement qui dispose d'un effectif aussi modeste de quatorze personnes compte un contrôleur interne...
La réglementation est très complexe. Le contrôleur interne occupe un emploi à plein-temps. Toute société de gestion devrait disposer d'un contrôleur interne. La réglementation change régulièrement, qu'il s'agisse des comptes gérés, des contrats d'assurance-vie ou des plans d'épargne en actions (PEA). Un nouveau type de PEA vient d'être créé ; il sera indépendant des anciens PEA. Il existe dans ce domaine une demande de nos clients. Cela permettra aux sociétés de gestion de récupérer des fonds supplémentaires, mais les fonds devront être uniquement investis dans de petites et moyennes entreprises (PME). C'est très récent.
Nous avons une très forte demande. Nos clients sont prêts à nous faire le chèque. Or, nous ne disposons aujourd'hui d'aucun document. Nos services juridiques sont en train d'y travailler. Les choses devraient démarrer au 1er janvier, à hauteur de 75 000 euros. Cela représente une charge importante pour le contrôleur, qui travaille avec les services juridiques de nos banques dépositaires.
Combien de clients avez-vous dans votre portefeuille global, et quel est leur profil ?
Dans la société de gestion, nous avons environ 200 clients ; j'en gère 75.
Les profils sont variés. On trouve des petits-enfants qui ont hérité de leurs grands-parents et dont le compte avoisine 20 ou 30 000 euros, des professions libérales, des chefs d'entreprise, des femmes divorcées qui ont touché un petit capital et qui veulent le sauvegarder.... On n'a pas un type précis de client. Certains veulent une gestion très dynamiques, et sont prêts à accepter des pertes importantes ; d'autres nous confient 50 000 euros et préfèrent ne réaliser des gains que de 1 à 2 %, mais n'acceptent pas les risques.
Avez-vous observé un regain d'activité en matière de demande de réaménagement de patrimoine depuis un an ou deux ?
A notre niveau, pas du tout. Nous avons un flux régulier de nouveaux clients. La question du réaménagement de patrimoine devrait plutôt être posée à des experts juridiques. Les clients s'adressent à nous pour nous confier une certaine somme, qu'ils déposent sur un compte géré -contrat d'assurance-vie ou PEA. L'aménagement du patrimoine ne relève pas de notre domaine. Je ne fais que de la gestion de portefeuille.
Etes-vous amené à être directement en contact avec d'autres établissements étrangers, où votre client peut avoir des comptes ?
Comment un gérant de patrimoine se protège-t-il d'une éventuelle complicité de fraude fiscale, lorsqu'il estime que son client en comment une ?
Il est délicat de conseiller des clients, que nous connaissons depuis trente ans, qui nous demandent conseil à ce sujet...
Je les invite à consulter leur avocat ou leur domaine. Ce n'est pas mon domaine !
Si des héritiers viennent vous voir avec un certain volant financier qui ne vous paraît pas très clair, le déclarez-vous à TracFin ?
Vous n'avez donc jamais eu à vous poser la question de transférer une information à TracFin ?
Je pense que le contrôleur interne fait correctement son travail. Nous avons eu une fois un doute vis-à-vis d'un client australien. Nous lui avons refusé d'ouvrir un compte, mais nous ne sommes pas allés plus loin. On ne s'est jamais retrouvé dans la situation de constater, ayant ouvert un compte, que nous avions fait une erreur. C'est en amont que nous exerçons les contrôles.
Il oscille entre 150 et 250 000 euros. Nous avons des clients qui disposent de 800 ou de 900 000 euros. Certains jeunes clients ont 20 ou 30 000 euros.
Cela ne représente pas des sommes considérables, compte tenu du nombre de clients dont vous disposez !
C'est la fortune moyenne des gens qui, en France, disposent d'un peu d'argent. Les médias parlent des grosses fortunes, mais à 40 ou 50 ans, avoir sur son compte, en plus de sa résidence principale, 200 ou 250 000 euros représente un capital important. C'est en tout cas mon opinion...
Quel type d'opération êtes-vous amené à effectuer avec le Luxembourg ou la Suisse, qui ont des statuts très particuliers ?
La plupart des fonds commercialisés en France par des banques françaises sont enregistrés au Luxembourg. Nous achetons donc des fonds luxembourgeois, qui peuvent être des fonds du Crédit lyonnais (LCL) ou de la Société générale. Je ne suis pas spécialiste, mais je crois savoir que les SICAV sont moins chères au Luxembourg qu'en France.
La réponse est la même pour la Suisse. Dans notre architecture ouverte, nous cherchons les meilleurs produits. Il nous arrive donc d'utiliser des fonds luxembourgeois ou suisses, parce que nous estimons qu'il s'agit du meilleur gérant européen du créneau.
Travaillez-vous avec des banques privilégiées pour les opérations particulières que vous venez de citer ?
Non, je répète que nous recherchons les meilleurs produits.
En France, elle remonte à 1995. C'est un très grand groupe américain qui compte 2 000 bureaux aux Etats-Unis et 17 000 employés.
On parle beaucoup de régulation renforcée des flux financiers, y compris dans les G8 et les G20. Pensez-vous que cela aille dans le bon sens ou cela vous inquiète-t-il ? Les Américains ont pris des mesures sévères : faut-il s'en inspirer ?
Cela ne m'inquiète pas, au contraire. Je pense que cela va dans le bon sens. Les Américains essayent d'imposer leur loi au monde entier. Il conviendrait de leur résister. Il n'y a pas que du bon de ce côté. Il faut, à un moment donné, taper sur la table. Nous avons des lois. Aujourd'hui, un Américain, qu'il dispose d'un compte à Paris ou ailleurs, est soumis à la loi américaine et non aux autres lois, ce qui est assez extraordinaire !
Le Foreign account tax compliance act (FATCA) est une bonne chose, mais il faut quand même que le législateur français fasse valoir notre droit !
Aujourd'hui, les banques françaises refusent systématiquement d'ouvrir des comptes à des ressortissants américains. La complexité de la gestion administrative nécessite presque une personne à plein-temps par compte -rapports, notes, envois de documents fiscaux... On ne peut plus les accepter. Je parle ici en tant que gérant et administrateur.
Si j'ai bien compris, votre société compte des personnes physiques et des personnes morales...
En effet. Trois personnes s'occupent chez nous d'épargne salariale pour le compte d'entreprises françaises.
Vous ne comptez toutefois pas de sociétés du CAC 40 parmi votre clientèle...
Tout à fait. Nous avions ouvert le compte d'une PME, il y a quelques années, devenue aujourd'hui une très grosse entreprise française. Son dirigeant continue à nous faire confiance, au vu de nos résultats. C'est agréable pour nous. Il s'agit de quelqu'un qui avait déposé chez nous 100 000 euros au titre de l'épargne salariale : il a maintenant plusieurs millions d'euros sur son compte.
Si je décide de vous confier mon portefeuille, je transfère une somme d'argent sur votre compte...
Elle demeure donc sur mon compte. Il n'y a pas de transfert physique dans vos livres ?
Non. Nous sommes une société de gestion. Seule la banque dépositaire est garante des avoirs du client. Nous ne sommes pas une banque dépositaire. Le compte est ouvert au nom du client chez le dépositaire.
Actuellement, beaucoup de banques demandent à leurs clients de rapatrier les fonds qui se trouveraient dans des paradis fiscaux, au titre de la circulaire Cazeneuve. Avez-vous relevé une volonté de régularisation d'une grande partie de votre clientèle ?
J'en ai entendu parler, comme tout le monde. Je n'ai pas eu une seule demande de ma clientèle. Les gens qui peuvent avoir des comptes à l'extérieur s'adressent à leur avocat ou à leur notaire, pas à leur gérant de portefeuille. Ce n'est pas mon métier, je ne puis les aider.
Lorsqu'un client vient vous voir pour un placement, vous lui conseillez par exemple les produits les plus intéressants au Luxembourg. Il ouvre donc un compte chez vous...
Cela ne se passe pas du tout ainsi ! Un client qui a 100 000 euros à placer et qui vient chez nous sait a priori déjà quel type de structure il souhaite -compte traditionnel, contrat d'assurance-vie en vue d'une succession, ou un PEA.
On lui demande le type de risques qu'il souhaite prendre et nous lui faisons signer un mandat prudent, équilibré, ou discrétionnaire. Il n'a pas le droit d'intervenir ensuite dans le choix des produits, ni de nous donner des instructions dans ce domaine. C'est totalement illégal. Nous commettrions alors en infraction. C'est un problème juridique : si les choses tournent mal, nous sommes responsables. Nous décidons donc seuls du choix des instruments que nous allons mettre dans son portefeuille.
Vous décidez donc de choisir une banque, par exemple, au Luxembourg dont le produit est intéressant...
Nos correspondants sont à Paris. Ce sont des Français qui ont listé leur fonds au Luxembourg.
Vous placez donc les fonds qui sont qui sont sur le compte ouvert chez vous...
Nous achetons une part de fonds à 1 000 euros pour le client, qui la détient donc sur son compte. Ces fonds sont généralement cotés tous les jours. La valeur du portefeuille augmente ou diminue chaque jour. Chaque trimestre, nous adressons un relevé de portefeuille à nos clients, ainsi que nous y sommes tenus.
En pratique, les clients n'ouvrent jamais les courriers que nous leur adressons. Ils n'ouvrent que celle du 31 décembre pour leur déclaration d'impôt sur la fortune (ISF).
A combien estimez-vous le nombre de vos clients soumis à l'ISF ?
Comment formuleriez-vous, de façon simple, la nature du service que vous apportez à vos clients, par rapport à la Banque postale, qui propose des comptes, des assurances-vie, des PEA, et qui permet d'avoir accès à un livret de caisse d'épargne ?
Je n'ai aucune idée du nombre de mes clients qui sont soumis à l'ISF, ne m'occupant jamais de leurs déclarations fiscales.
Par ailleurs, quand un nouveau client vient me voir, généralement recommandé par un autre client, je lui propose toujours mon numéro de portable, afin qu'il puisse m'appeler à l'heure qui lui convient. Vous connaissez les horaires de la banque postale. Un chirurgien, qui commence à opérer le matin à 7 heures et finit le soir à 22 heures, est content de pouvoir me joindre à 6 heures 30 ou le soir, à 23 heures, pour me poser une ou deux questions...
Je ne sais s'il est très prudent de livrer son numéro de portable de cette façon. Il y a des précédents fâcheux !
Je vois ce que vous voulez dire mais, dans le métier que je fais, la disponibilité est un point important ainsi que nos performances.
Les clients n'ont pas envie de téléphoner à la Société générale, dont les horaires vont de 9 heures 15 à 17 heures 15. Ils travaillent, comme nous tous, et souhaitent contacter leur gérant le matin ou le soir, lorsqu'ils en ont le temps. Mon portable est ouvert pendant les vacances. J'ai une clientèle très fidèle depuis de nombreuses années, qui apprécie beaucoup de pouvoir me joindre quand elle en a envie. Je reconnais que ce n'est pas toujours agréable de recevoir un appel lorsque vous êtes en train de dîner avec vos enfants, mais c'est primordial.
Sans entrer dans des détails, qu'est-ce qui justifie qu'on vous appelle avant 8 heures et après 20 heures, dans la mesure où vous envoyez des correspondances régulières, et où tout est clair et transparent ?
Sans citer de nom, j'ai reçu hier un appel d'un professionnel de la santé qui a des horreurs épouvantables. Il envisage de vendre une partie de son cabinet à l'un de ses associés et va donc avoir une rentrée d'argent. Il voulait que nous en discutions calmement, lorsqu'il était seul, chez lui.
Il m'a appelé à une heure tardive. Je ne dis pas que c'est quotidien, mais cela arrive de temps en temps. Cette personne apprécie beaucoup de pouvoir me joindre lorsqu'il en a envie. Nous avons prévu un petit-déjeuner dans un mois, à 7 heures 15...
Dans la sociologie de votre clientèle, les professions de santé occupent-elles une place importante ?
Non. Ma clientèle compte des avocats, des chefs d'entreprises, des héritiers, plusieurs femmes divorcées qui ont eu la chance d'avoir un capital confortable...
Je le répète, nous avons récemment ouvert des comptes à de jeunes enfants, à qui les deux grands-parents avaient donné à chacun 10 000 euros. Ils ont ouvert tous trois un compte de 20 000 euros. Je ne travaille pas avec un secteur privilégié, ou sociologiquement spécialisé dans un domaine.
Dans mon métier, au contraire des grandes banques qui disposent de réseaux de commerciaux extrêmement importants, nous ne travaillons que par bouche-à-oreille. Nous n'avons pas les moyens de donner des réceptions ou d'organiser des fêtes. Seuls les grands groupes le peuvent.
Quel est le montant total des actifs que vous détenez en gestion directe ou déléguée ?
200 clients privés pouvant détenir plusieurs comptes, des personnes physiques, en plus de l'épargne salariale -mais ce n'est pas mon domaine. Il s'agit de comptes importants. Nous comptons deux groupes, l'épargne salariale et des institutionnels. Certaines banques et compagnies d'assurance investissent dans nos fonds.
Entre 150 et 250 000 euros. La fourchette peut être très large. L'une de nos clientes possède un compte de 2 millions d'euros.
En volume, les particuliers ne sont donc pas la part principale de vos activités...
Nous évoluons parmi les petits. Certaines grosses sociétés de gestion gèrent plusieurs milliards d'euros, comme Tocqueville, ou la financière de l'échiquier, qui font de la publicité dans les journaux.
Certaines sociétés de gestion ne gèrent que 20 ou 30 millions d'euros. En province, il en existe beaucoup de très petites.
Serait-il possible de connaître les noms des personnes qui siègent dans le comité de sélection des investissements ?
Je ne les ai pas ici. Ce n'est pas un comité de sélection des investissements mais un comité macroéconomique qui bâtit des scénarios et nous aide à définir notre stratégie.
En effet. Des Américains assistaient au dernier comité. L'un d'eux est professeur à Dauphine...
Je crois qu'ils facturent des honoraires, mais je n'en connais pas les montants.
Quels sont les critères de sélection pris en compte pour suggérer tel ou tel choix à tel ou tel client ?
Si l'on décide, après notre comité, qu'il est opportun d'acheter un fonds obligataire, une obligation étant aussi volatile qu'une action, nous allons chercher le meilleur gérant obligataire de la place. Nous étudions les performances sur les cinq dernières années, les montants gérés, les coûts de commission de gestion. Une fois ces critères définis, on demande à notre contrôleur interne de vérifier la solidité de l'établissement.
Il existe sur la place de très bons gérants qui n'ont qu'un fonds en gestion. Ils décident de se mettre à leur compte et font d'excellents professionnels. De temps en temps, il peut apparaître des problèmes de solidité financière. Cela peut donc prendre un mois pour trouver le produit adéquat.
Il n'est pas question d'aborder ici l'affaire de justice dans laquelle vous êtes impliqué, mais une issue défavorable pourrait-elle avoir des conséquences sur votre activité professionnelle au sein de ce cabinet ? Craignez-vous que l'AMF intervienne ?
L'AMF pourra prendre une décision positive ou négative. Les clients sont au courant : ils lisent les journaux. Je n'ai eu que des messages de soutien. Les gens me connaissent depuis très longtemps. Ils savent que c'est difficile. Je ne préjuge pas des décisions de l'AMF, mais aucun client n'a exprimé son désir de nous quitter.
Au contraire, on a aujourd'hui la chance d'avoir de nouveaux clients qui nous font confiance. Les gens ne nous jugent pas uniquement d'après ce que disent les médias -heureusement !
Absolument pas -et cela me fait plaisir, ainsi qu'à l'équipe avec laquelle je travaille.
Lors de son audition, M. Condamin-Gerbier a cité une autre banque. On est là sur un autre sujet...
Je n'aborderai pas ce sujet. Je dirais des choses peu agréables !