Intervention de Philippe Leroy

Réunion du 9 avril 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe LeroyPhilippe Leroy, rapporteur :

Or la forêt croît dans des zones que l’agriculture dédaigne. Là est le vrai problème !

Depuis Colbert, la forêt satisfait globalement bien l’ensemble de ses fonctions écologiques et sociétales.

Enfin, la filière forêt-bois regroupe plus de 450 000 salariés, de l’amont à l’aval. L’accroissement biologique annuel, de plus de 100 millions de mètres cubes, est largement supérieur aux prélèvements opérés, de l’ordre de 60 % à 70 % seulement.

Vous le voyez, cette énorme surface ne coûte pas cher, elle est en bon état écologique et remplit globalement bien ses fonctions. On ne peut donc pas la charger de tous les péchés du monde, même s’il convient de développer des projets et de formuler des propositions.

En effet, la production forestière n’est pas adaptée aux besoins d’un marché européen peu demandeur en bois feuillu. Or les forêts françaises, par tradition, produisent du bois feuillu !

En outre, on assiste à une compétition pour les usages du bois, avec une montée en puissance des utilisations énergétiques des petits bois, devenues plus rentables pour les producteurs que certains usages plus traditionnels, comme le panneau ou le papier, grâce aux subventions accordées par kilowattheures « énergie renouvelable ». Comme quoi il faut parfois se méfier des grands projets énergétiques qui peuvent désarticuler un certain nombre de filières traditionnelles…

Dernier point : la balance commerciale « bois » de notre pays est aujourd’hui largement déficitaire. Comme nous produisons des quantités importantes de feuillus, et peu de résineux, nous sommes condamnés à importer des bois résineux pour les besoins de notre marché, ce qui nous coûte extrêmement cher.

Mes chers collègues, pour pouvoir tirer pleinement profit de notre forêt, il faudrait que nous y investissions davantage en vue de la renouveler et de la moderniser.

Il nous semble important de « mettre le paquet » sur l’enseignement, la recherche et l’innovation dans la filière bois.

M. Didier Guillaume a évoqué cette nécessité s’agissant de l’agriculture. Je le dis solennellement, notre déficit est énorme en matière d’enseignement, de recherche et d’innovation dans le secteur de la forêt.

L’exemple des bois de feuillus le montre bien : il nous faut absolument développer la recherche sur de nouveaux usages de ces bois, et former des techniciens et ingénieurs susceptibles de répondre au formidable défides forêts françaises.

Permettez-moi de vous livrer deux réflexions personnelles.

Aujourd’hui, lorsque nous avons besoin de bons ingénieurs forestiers, il nous faut les « importer », ce qui contribue au déficit de notre commerce extérieur. On fait venir des Belges ou des Suisses, car on ne forme plus en France de bons ingénieurs sylviculteurs ! C’est un problème.

Dans un autre ordre d’idées, la France – et je pense notamment à ses régions ultramarines – pourrait, afin de conserver sa renommée de grand pays forestier, s’appuyer sur la recherche et l’innovation. Elle pourrait, pour assurer son rayonnement mondial et lutter contre l’exploitation illégale des forêts tropicales et équatoriales, s’appuyer sur l’exemple de la forêt guyanaise.

Il y a là un réservoir énorme de connaissances. C’est une forêt presque intacte, pas complètement dévastée par les orpailleurs, que l’on pourrait utiliser pour montrer le savoir-faire de la France en matière forestière.

Monsieur le ministre, au regard de toutes ces problématiques, le projet de loi que vous nous présentez va dans le bon sens. Cependant, nous pouvons l’améliorer encore sur certains points. Je pense notamment aux amours compliquées entre sylviculteurs et chasseurs… §

On n’ose jamais en parler. Ne dit-on pas, dans nos provinces, que si l’on veut éviter qu’un repas de famille ne tourne à la catastrophe, il ne faut parler ni de politique ni de chasse ? Or les forestiers et les chasseurs sont souvent de la même famille. Ils se détestent ou ils s’adorent. En général, un forestier est chasseur et un chasseur est forestier. C’est donc une relation compliquée. Comme dans toutes les querelles de famille, des deux côtés, on ne s’exprime jamais sans réticence et mauvaise foi.

Mes chers collègues, j’aimerais que l’on avance sur cette question. C’est pourquoi j’ai déposé deux amendements, après en avoir discuté avec la Fédération nationale des chasseurs et la Fédération nationale des propriétaires forestiers sylviculteurs, qui essaient d’organiser, région par région, département par département, des rencontres entre sylviculteurs et chasseurs, de façon à les obliger à parler ensemble de leurs problèmes et à tenter de trouver des solutions. On accomplirait un progrès considérable si l’on pouvait poursuivre dans cette direction.

En ce qui concerne le fonds stratégique, je sais, monsieur le ministre, que vous ne pourrez pas accepter l’idée de mettre en place un compte d’affectation spéciale. Je ne vous en veux pas, car c’est techniquement, et peut-être même constitutionnellement, impossible dans l’immédiat. Toutefois, c’est un combat que nous allons devoir mener, en espérant que le Gouvernement, dans un prochain projet de loi de finances, pourra créer un compte d’affectation spéciale : il faut environ100 millions d’euros pour relancer la machine forestière.

Mes chers collègues, je souhaite évoquer une dernière question, qui fait peur à tout le monde : celle du défrichement dans les zones surboisées. D’une façon générale, la loi – et le présent texte n’échappe pas à la règle – tend à protéger les forêts de toute tentative de défrichement. Nous ne pouvons pas imaginer que cet énorme poumon, ce remarquable patrimoine naturel qu’est la forêt soit sacrifié à des intérêts immédiats, mais, dans les zones de montagne, certains villages connaissent un taux de boisement tel que la vie y devient impossible. Les paysans ne peuvent plus s’installer ou développer des formes nouvelles d’agriculture de montagne. Cela entraîne un blocage des spéculations agricoles et économiques dans ces villages, lesquels sont menacés de disparaître. C’est pourquoi j’ai élaboré, en lien avec des élus de la montagne de gauche et de droite, des amendements visant à autoriser les villages de montagne surboisés à procéder à quelques défrichements si cela peut permettre un développement économique, solution qui fait frémir les orthodoxes, si je puis dire, de l’administration forestière… §

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