Séance en hémicycle du 9 avril 2014 à 21h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • d’avenir
  • forestier
  • forêt
  • l’agriculture
  • l’agroécologie

La séance

Source

La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, déposé sur le bureau du Sénat le 9 avril 2014.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 1er de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le troisième rapport sur la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable 2010-2013.

Il a été transmis à la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 9 avril 2014, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 1242-2 et L. 1243-10 du code du travail

conclusion et exécution du contrat de travail à durée déterminée

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (projet n° 279, texte de la commission n° 387 rectifié, rapport n° 386, avis n° 344 et 373).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec grand plaisir que je prends la parole ce soir pour cette première lecture au Sénat du projet de loi d’avenir pour l’agriculture.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Je suis d’autant plus heureux que je connais l’assiduité des sénateurs, leur pertinence, parfois aussi leur impertinence, mais surtout leur connaissance des choses de l’agriculture, …

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

… des territoires et de la ruralité.

Je ne peux ouvrir ce débat sans rappeler le contexte dans lequel nous sommes, mais pour tout de suite affirmer avec force que, pour moi, l’agriculture participe et participera pleinement au redressement productif de notre pays, qu’il s’agisse de l’agriculture en tant que secteur de production, de l’agroalimentaire, dans toute la diversité de cette industrie, mais également de l’ensemble des économies qui se développent aux niveaux local et régional, et que nous devons accompagner, ce qui fera sûrement l’objet de nos débats.

J’ai souvent entendu dire que ce texte n’aurait pas ou pas suffisamment intégré les grandes dimensions économiques de l’agriculture. §Comme si ce secteur d’activité devait faire l’objet d’un traitement différent par rapport aux grands enjeux qui ont été fixés par le Président de la République et présentés par le Premier ministre hier dans sa déclaration de politique générale et encore cet après-midi, ici, au Sénat !

Notre agriculture a vu sa présence reculer sur les marchés européens, voire internationaux, et ce en même temps que l’ensemble de notre industrie. Nous devons faire ce constat et nous persuader que l’enjeu du redressement pour notre pays passe autant par l’industrie que par l’agriculture, laquelle doit avoir les mêmes objectifs et bénéficier des mêmes mesures que celles qui valent pour le reste de l’économie, en particulier l’industrie.

Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, les pactes de responsabilité et de solidarité concernent bien l’agriculture : la baisse des charges qui va être mise en œuvre bénéficiera à l’agriculture, en particulier grâce à l’enveloppe de 1 milliard d’euros consacrée aux travailleurs indépendants, dont font partie les agriculteurs. Il en va de même des baisses de charges proposées pour les salaires du niveau du SMIC et un peu au-delà, ainsi que pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Malheureusement, les coopératives agricoles n’y auront pas accès, mais elles bénéficieront de toutes les exonérations de cotisations sociales prévues dans les deux pactes que j’évoquais.

J’y insiste donc, l’agriculture s’inscrit pleinement dans la logique du redressement productif ; elle est partie prenante de ce redressement nécessaire de la production en France, dans toutes les dimensions et dans toute la diversité de la production agricole.

Car il faut bien prendre en compte la spécificité de l’agriculture. Ce secteur de production n’est pas l’affaire, comme l’industrie automobile, de quelques acteurs, en l’occurrence de deux constructeurs, voire un peu plus si nous considérons les constructeurs étrangers ayant investi en France. L’agriculture est au contraire constituée d’une multitude d’agriculteurs et d’exploitations agricoles s’insérant dans une grande diversité de paysages, de terroirs, à l’origine de produits agricoles divers dotés de signes de qualité différents. La même diversité prévaut pour les circuits de production, qui peuvent être courts, moyens ou longs, ainsi que pour les exportations, nombreuses, qui peuvent concerner des produits de luxe, comme le champagne…

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques. La clairette de Die !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

M. Stéphane Le Foll, ministre. …– bien sûr, monsieur le rapporteur

N

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

L’agriculture française se caractérise donc par la diversité de ses productions, mais elle n’en est pas moins un acteur économique important.

Ce projet de loi a donc pour objet de définir, compte tenu de la réforme de la politique agricole commune qui a été négociée et qui entrera en vigueur à compter de 2015, le cadre dans lequel nous souhaitons inscrire les exploitants agricoles de France pour préparer l’avenir, l’avenir de notre agriculture, l’avenir de nos agriculteurs.

Les objectifs ont été fixés par le Président de la République, en particulier dans son discours de Cournon-d’Auvergne. Le chef de l’État a notamment pointé à cette occasion la nécessité de rééquilibrer les aides afin de tenir compte des difficultés que rencontre l’élevage. À cet égard, s’il y a un sens à donner aux politiques publiques, c’est bien ici celui de compenser les handicaps pour maintenir l’activité agricole.

Il s’agit aussi d’engager une mutation de l’agriculture avec l’intégration de la dimension environnementale. Les grands enjeux liés à l’agroécologie feront l’objet d’un débat, ici au Sénat, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis : la loi d’avenir pour l’agriculture ne se limitera pas à traiter isolément la dimension environnementale, même si c’est déjà très important, mais tendra à la combiner avec les enjeux économiques. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la « double performance », …

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

… qui deviendra triple performance, avec la dimension sociale, grâce aux travaux de la commission des affaires économiques du Sénat.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Ce débat sur l’agroécologie nous permettra justement de définir cette mutation. Pour ma part, j’ai toujours considéré que, pour sa réussite, elle devait résulter d’une dynamique provenant des territoires et des acteurs agricoles eux-mêmes.

Je le sais, ici, au Sénat, et sur toutes les travées, certains d’entre vous relaient le ras-le-bol des agriculteurs face aux normes environnementales.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

C’est justement tout l’enjeu de ce texte : comment créer une dynamique vertueuse pour que l’environnement soit compris comme un élément de la réussite économique.

Nous en reparlerons, mais je puis d’ores et déjà vous assurer que, dans le cadre de l’agroécologie, nous connaîtrons des changements de modèle de production.

L’idée est simple, et chacun doit pouvoir faire l’effort de la comprendre : si l’on baisse les consommations intermédiaires grâce auxquelles s’est construite l’agriculture depuis l’après-guerre, c’est-à-dire si l’on consomme moins d’énergies fossiles, moins de phytosanitaires, moins d’antibiotiques, le résultat est bon non seulement pour l’environnement, mais également pour l’équilibre économique des exploitations.

Nous devons être capables de porter, de développer, de faire vivre cette idée au travers de ce texte, même si, in fine, cette mutation doit s’appuyer sur une dynamique territoriale, locale, impulsée par les acteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les agriculteurs.

C’est notamment le débat que nous aurons sur les groupements d’intérêt économique et environnemental, ces GIEE qui devront non seulement porter cette dynamique, mais aussi redonner un sens et surtout une réalité à l’esprit collectif en agriculture.

J’ai regardé, peut-être comme vous, un documentaire remarquable sur l’agriculture française, son histoire et ses grandes mutations, diffusé à la suite d’Apocalypse : la Première Guerre mondiale, sur France Télévisions. Ce programme reprenait des témoignages d’agriculteurs aux accents très divers, ce qui m’est apparu comme une magnifique manière de présenter la diversité des territoires et des terroirs, par les hommes qui les font vivre.

Il y eut deux moments essentiels dans l’histoire de ces mutations. Le premier fut celui de la modernisation, avec le développement du machinisme agricole, et la création des coopérations d’utilisation de matériel agricole, les CUMA, premières manifestations d’un processus d’organisation collective.

Le second moment fut celui des remembrements. Certains, ici, doivent s’en souvenir ; pour ma part, ayant grandi dans un petit village sarthois de 256 habitants, je me souviens parfaitement du remembrement et du traumatisme qu’il a pu causer chez certains agriculteurs ayant perdu des terres qui étaient leur propriété historique. Beaucoup, d’ailleurs, ne s’en sont pas remis.

Marques d’approbation sur toutes les travées.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Quelle mutation avons-nous à organiser aujourd’hui ? Quel est l’enjeu auquel nous devons faire face tous ensemble ? À mon sens, il s’agit de cette combinaison, que j’évoquais à l’instant, entre l’économique, l’environnement et le social. Chaque époque a une responsabilité ; la nôtre est tout entière dans ce défi, et nous devons le relever.

Mais ce projet de loi tend également à s’attaquer à d’autres défis, aux enjeux aussi importants, car, si nous voulons réussir cette mutation, nous devons être capables d’engager ce processus dans l’éducation et l’enseignement agricoles. Tel est l’objet des articles 26 et 27.

Nous devons ainsi être capables de penser le développement agricole en nous appuyant sur les outils qui existent, de développer toutes les capacités de diffusion des savoirs et des éléments techniques qui vont permettre cette mutation. À cet égard, les chambres d’agriculture, les instituts techniques, les ONVAR, les organismes nationaux à vocation agricole et rurale, mais aussi tous ceux qui, à un titre ou à un autre, assurent déjà aujourd’hui la diffusion des connaissances, notamment l’enseignement agricole, ont un rôle primordial à jouer.

Il s’agit donc d’un processus global, qui implique l’éducatif – c’est l’enseignement agricole – le développement agricole, ainsi que la recherche, je ne l’oublie pas. L’innovation et la recherche sont essentielles ! Je vous renvoie au débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur les organismes génétiquement modifiés.

La recherche est donc capitale pour assurer cette mutation. C’est pourquoi nous avons d’ores et déjà engagé des changements au sein de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, où une chaire consacrée à l’agroécologie a été créée, et que nous proposons, dans ce projet de loi, de créer cet institut qui regroupera l’agriculture, la forêt et l’enseignement vétérinaire, parce que l’on a besoin d’identifier, au fond, ce qui fait l’essence même du ministère de l’agriculture, son histoire : l’enseignement vétérinaire, l’agronomie, la forêt.

C’est un beau message que nous faisons passer avec ce projet de loi, pour l’avenir même de ce que représentons, de ce que nous voulons défendre, de ce que nous voulons porter. Tel est l’enjeu qui est au cœur de ce texte, pour aujourd’hui et pour demain.

De manière plus sectorielle, ce texte aborde aussi les grandes questions posées par la forêt et son développement. Je sais que le Sénat compte des spécialistes de ces questions…

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

… et je me suis déjà souvent entretenu avec eux.

Là aussi, il y a un enjeu : faire le même diagnostic que pour l’agriculture et assurer la même mutation de la forêt française pour l’adapter aux conditions actuelles.

Nous devons en effet prendre en compte une réalité économique majeure : les produits de notre forêt, les arbres et le bois, sont exportés et nous perdons toute la valeur ajoutée de la transformation et du sciage. Ce problème est abordé par le projet de loi d’avenir : comment faire en sorte d’inciter les propriétaires à investir pour valoriser le bois, de créer un fonds pour relayer cette politique, de mieux s’organiser, de mettre en place des groupements d’intérêt économique et environnemental forestiers, adaptés aux zones de montagne, aux massifs forestiers pour permettre d’organiser la production et, surtout, la transformation ?

La forêt comporte une dimension environnementale, avec la lutte contre le réchauffement climatique, la promotion de la biodiversité et les loisirs, et une dimension économique majeure pour beaucoup de nos départements : la forêt représente un potentiel de création d’emplois. Il faut que nous soyons tous ensemble à la hauteur de ces enjeux. Je sais que, sur ces questions, nous saurons nous rassembler largement.

Je n’oublie pas non plus les outre-mer, avec leurs spécificités : chacune de leurs agricultures présente des particularités régionales qui ne sont pas celles que l’on retrouve en métropole. C’est pourquoi ce texte comporte un volet consacré aux outre-mer, car il faut que nous soyons capables de leur offrir des possibilités. Je pense, en particulier, à un certain nombre de matières actives spécifiques propres aux régions tropicales que l’on ne retrouve pas en métropole et qu’il faut adapter à l’enjeu agroécologique des outre-mer.

Il faut également fixer des objectifs précis à ces agricultures pour reconquérir les marchés locaux là où la part des productions locales a baissé : c’est un enjeu d’équilibre et d’emploi pour ces territoires. On retrouve bien là ce qui est affirmé dès le titre préliminaire du projet de loi concernant la triple dimension économique, environnementale et sociale.

Voilà pourquoi le volet relatif aux outre-mer est également d’importance.

Forêt, agriculture, groupements d’intérêt économique et environnemental, enseignement agricole, recherche : l’ensemble de ces points constitue la loi d’avenir, sans oublier les grandes questions liées à l’accès au foncier et à l’installation des jeunes. Car comment faire pour que, demain, l’agriculture ait renouvelé les générations qui sont aujourd’hui en activité ?

Cette question doit être envisagée d’un double point de vue.

Tout d’abord, la formation doit permettre l’accès à l’activité agricole à des jeunes qui n’ont pas d’origines familiales agricoles – ce que l’on appelle le « hors cadre familial ». Nous savons très bien que le nombre des agriculteurs, aujourd’hui, ne permettra pas un renouvellement des générations. Nous aurons donc des agriculteurs qui viendront d’ailleurs, des personnes qui se seront intéressées à l’agriculture. C’est tout le débat sur l’installation, et la loi d’avenir ouvre des perspectives importantes dans ce domaine.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Encore plus avec cette loi d’avenir, monsieur le sénateur !

Nous avons pris en compte, par exemple, le fait que l’on ne s’arrête plus à la surface minimum d’installation, car, pour un jeune agriculteur, ce n’est pas la surface qui fait la réussite de l’installation, c’est sa capacité à dégager un revenu de son activité. Tout ramener à la surface revient à réduire la capacité à ouvrir l’installation. C’est pourquoi le passage à l’activité minimale d’assujettissement est un enjeu en soi.

Ensuite, se pose la question de l’accès au foncier, capitale pour l’activité agricole. Elle fait l’objet de nombreux débats et propositions, car elle est extrêmement difficile : nous sommes coincés entre le droit de propriété, constitutionnellement garanti, et notre volonté de permettre aux jeunes de s’installer et d’avoir accès au foncier.

Cela suppose de renforcer les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, avec une nouvelle gouvernance, de développer des méthodes et des mesures pour éviter les agrandissements, de faire en sorte que les formes sociétaires ne soient pas des outils qui permettent l’agrandissement en interne.

Tous ces sujets, extrêmement importants, figurent dans ce projet de loi d’avenir, car l’accès au foncier est la condition pour permettre l’installation, renouveler les générations, donner à des jeunes l’envie de produire et de construire leur vie en agriculture.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands enjeux de cette loi d’avenir qui feront l’objet de nos débats dans les soirées que nous allons passer ensemble. J’ai rappelé les grands axes dans lesquels s’inscrit notre démarche : la réforme de la politique agricole commune, l’accent mis sur la production et la compétitivité – c’est l’objet des pactes de responsabilité et de solidarité –, une loi d’avenir qui organise et donne des perspectives.

Voilà pourquoi ce débat est important. Je sais que, au sein de la Haute Assemblée, nous aurons l’occasion d’échanger pour améliorer le texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale. Il faut surtout que nous soyons capables, ensemble, d’envoyer un message aux jeunes de ce pays qui croient en l’avenir de l’agriculture comme nous y croyons, nous aussi !

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, rapporteur.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer Stéphane Le Foll, de le féliciter d’avoir été nommé à nouveau à ce poste dans le gouvernement de Manuel Valls et de lui dire toute la confiance que nous avons, compte tenu de la qualité de nos relations, de sa connaissance de l’agriculture, alors que nous allons aborder, dans les mois qui viennent – ils seront difficiles, n’en doutons pas –, la réforme de la politique agricole commune ainsi que la mise en place de cette loi d’avenir, sans oublier les crises qui ne manqueront pas de voir le jour en France.

Monsieur le ministre, il fallait un ministre de combat pour relever ces défis, vous en êtes un ! J’espère que vous réussirez dans cette tâche.

M. le président de la commission des affaires économiques applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte mondial, européen et français difficile. Rappelons-nous qu’il y a encore quelques mois, rien n’était gagné en ce qui concerne la politique agricole commune. Toutes et tous, nous nous faisions beaucoup de souci quant à cette renégociation. Même si l’on peut toujours estimer que le verre est à moitié vide, force est de constater, en ce qui concerne la France, que le verre est plus qu’à moitié plein. !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Grâce aux négociations menées par le Président de la République et par vous, monsieur le ministre, l’agriculture française pourra continuer à se développer - le résultat aurait pu être tout l’inverse - et aller vers son destin.

Nous savons très bien que l’on ne peut plus parler aujourd’hui du budget agricole français sans y adjoindre le budget agricole européen. Cette renégociation de la politique agricole commune permettra, n’en doutons pas, parce que le cadre est dorénavant connu, de donner au ministre des marges de manœuvre supplémentaires pour mener la politique agricole dont la France a besoin, notamment en matière de couplage d’aides directes et de modulation des aides en fonction de la surface.

Pourquoi cette loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ? Tout simplement parce que la situation de l’agriculture en France mérite que l’on s’y attarde et que nous essayions ensemble de l’améliorer.

Ce projet de loi, M. le ministre vient de le dire, prend en compte un impératif : celui de l’économie et de la compétitivité. Comment parler d’agriculture sans parler d’économie, de compétitivité, de balance du commerce extérieur, sans faire en sorte que celles et ceux qui en vivent – parfois pas très bien, d’ailleurs – puissent vivre le mieux possible ?

Le fait que l’agroalimentaire soit rattaché au ministère de Stéphane Le Foll, alors que cela n’avait pas été le cas depuis fort longtemps, montre bien que l’agriculture et l’agroalimentaire sont deux piliers du développement économique de notre pays.

Évidemment, nous avons déjà adopté d’autres lois. Il n’y a pas si longtemps, Bruno Le Maire présentait sa loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, qui comportait des éléments positifs, notamment en termes de contractualisation, de coopération entre les acteurs, de structuration des filières, d’interdiction des pratiques commerciales abusives – nous avions même évoqué le problème de l’assurance récolte. Force était de constater, cependant, qu’il fallait aller encore plus loin. Cette loi d’avenir ne remet nullement en cause la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, mais elle essaie de franchir un pas, une marche, un cap supplémentaire.

M. le ministre l’a bien dit : ici, au Sénat, peut-être plus qu’ailleurs, nous connaissons l’agriculture. La plupart d’entre vous, mes chers collègues, sont agriculteurs ou agriculteurs retraités. La plupart d’entre nous sommes fils et filles d’agriculteurs. Nous connaissons donc cette histoire, ce patrimoine agricole, nous savons ce qu’est notre culture, nous savons combien il est difficile de vivre en zone rurale, combien il est difficile, pour un petit exploitant, de vivre des revenus de son activité.

C’est la raison pour laquelle, surtout, il ne faut pas opposer les agricultures entre elles. Il ne faut pas opposer l’agriculture biologique à l’agriculture conventionnelle, il ne faut pas opposer les grandes cultures au maraîchage, il ne faut pas opposer l’agriculture de plaine à l’agriculture de montagne, il ne faut pas opposer les circuits courts aux circuits longs et aux exportations salvatrices, il ne faut pas opposer l’enseignement agricole public à l’enseignement agricole privé. C’est à cette condition, et forts de tout cela, que nous pourrons nous en sortir et faire en sorte que l’agriculture puisse se développer.

Pour la première fois – soyez-en remercié, monsieur le ministre ! –, une loi agricole n’oppose pas environnement et agriculture. Bien au contraire, elle cherche à gagner sur les deux tableaux, celui de la production – parce qu’il faut produire pour nourrir nos concitoyens – et celui du respect de l’environnement. C’est gagnant-gagnant !

Il s’agit d’organiser la transition vers l’agroécologie. Ce terme peut faire peur à certains, parce qu’il comporte le mot « écologie », mais personne ne pourra s’abstraire du mouvement. Dans tous les pays où l’agriculture est une force économique, il faut bien le reconnaître, les pratiques agricoles anciennes, qui ont connu leur heure de gloire et ont donné de bons résultats, ne peuvent pas continuer, parce qu’il faut transformer nos moyens de production, pour continuer à produire, et produire plus, c’est indispensable, mais aussi produire mieux : c’est une demande de l’Europe, c’est une demande sociétale et c’est un engagement que nous assumons tous !

Je ne connais pas un seul agriculteur, en France, qui ajouterait volontairement des intrants aux intrants. Tous réfléchissent et adoptent une pratique agricole respectueuse de l’environnement, évidemment. Assumons-le et disons, tout simplement, qu’il ne faut pas opposer la production – la productivité de l’agriculture, n’ayons pas peur des mots ! – à la défense de l’environnement.

M. le ministre l’a dit, cette loi ne tourne pas le dos à la compétitivité. Bien au contraire, l’économie et la compétitivité sont inscrites, dès ses premiers articles, comme l’alpha et l’oméga de ce que doit être l’agriculture de demain : une agriculture compétitive, rémunératrice, qui prend soin de l’environnement, avec le double objectif, à l’intérieur des frontières, de nourrir nos concitoyens et, au-delà, de faire en sorte que la balance de notre commerce extérieur, excédentaire pour l’agriculture, continue à l’être. Voilà l’enjeu de cette loi, et l’agroécologie nous invite à innover. §

Tel me paraît donc être, mes chers collègues, le socle de cette loi : faire plus et mieux, reconquérir l’économie agricole en tournant le dos à la standardisation à outrance.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Si nous arrivons à faire ce constat commun – et nous pouvons le faire, même si, sur certains points, nous ne serons pas forcément d’accord – alors oui, monsieur Mirassou, nous irons de l’avant !

Permettez-moi d’aborder deux thèmes indispensables, celui de la jeunesse et de l’innovation. Je ne m’attarderai pas sur la jeunesse, que le ministre a évoquée, sinon pour souligner qu’elle est l’avenir de notre agriculture, d’autant plus lorsque l’on sait que le renouvellement des générations, qui est tellement essentiel, pose problème. En effet, les agriculteurs âgés de moins de quarante ans représentent moins d’un quart de la profession dans certaines filières et il arrive que la moyenne d’âge globale dépasse cinquante ans.

Alors, faute d’installer des jeunes, ce sera la fin de l’agriculture. Aujourd’hui, comme l’a dit le ministre, plus de 30 % de ceux qui s’installent le font hors cadre familial. C’est bien la raison pour laquelle il faut mettre au premier plan de toute loi agricole et de tout engagement agricole les thèmes de la jeunesse, de l’installation et du renouvellement des générations. Et si l’accès au foncier est indispensable pour l’ensemble des agriculteurs, il l’est encore plus pour les jeunes.

Or ces thèmes, l’installation, la jeunesse, le renouvellement des générations et l’accès au foncier, figurent vraiment avec force dans ce texte.

Qui dit jeunes, dit formation, une formation doublement essentielle, d’une part, pour aller vers l’agroécologie et des pratiques nouvelles, mais aussi, d’autre part, parce que, comme je le disais, un grand nombre de jeunes qui s’installent le font hors cadre familial.

Et je ne saurais trop insister ici, à cette tribune, comme le fera certainement le rapporteur pour avis Brigitte Gonthier-Maurin, sur ce joyau que constitue l’enseignement agricole. En effet, l’élève qui entre dans l’enseignement agricole en sort quasi systématiquement avec un métier, contrairement à ce que l’on constate dans d’autres filières. Cet enseignement agricole doit donc être défendu, secouru, le cas échéant. Et, même si le sujet n’est pas d’actualité, il doit naturellement continuer de relever du ministère de l’agriculture.

L’enseignement agricole doit être dispensé dans toutes les structures, qu’elles soient publiques ou privées : les lycées, évidemment, mais aussi les centres de formation professionnelle et de promotion agricoles, les CFPPA, sans oublier les maisons familiales rurales, qui jouent un rôle essentiel pour l’aménagement du territoire en ce qu’elles parviennent à rattraper des jeunes qui, sinon, ne réussiraient peut-être pas.

Ce que prévoit à cet égard ce texte, notamment les passerelles, l’accès à l’enseignement supérieur et la recherche, la possibilité d’aller de l’avant, va dans le bon sens. Si nous voulons pour demain une agriculture dynamique et différente, il faut que l’enseignement prodigué aux jeunes soit lui-même dynamique et différent.

J’en viens à l’innovation, longuement évoquée par M. le ministre. L’innovation ne se décrète pas, mais il faut sans cesse la porter, car elle est indispensable. La création du groupement d’intérêt économique et environnemental, le GIEE, fournira l’instrument du regroupement des agriculteurs avec, éventuellement, d’autres acteurs, pour faire mieux et mettre en œuvre des actions innovantes.

Il faut aller encore plus loin. L’innovation en agriculture peut prendre des formes très diverses. Si la loi en parle, c’est surtout avec l’intervention des agriculteurs qu’elle se concrétise. Je citerai l’amélioration variétale, la gestion des intrants, le développement du bio-contrôle comme technique alternative aux traitements phytopharmaceutiques classiques, les nouvelles techniques pour les semis avec le non-labour, la recherche de l’autonomie fourragère.

Je pourrais en citer encore beaucoup, mais je me contenterai de dire que l’innovation doit se développer dans cette direction. Il existe un foisonnement d’initiatives. Soutenons-les, mettons-les en avant, assurons leur rayonnement. Les GIEE sont, me semble-t-il, l’outil pour ce faire, pour montrer à d’autres régions, à d’autres territoires, que l’innovation est possible, qu’il ne faut jamais baisser les bras, même si c’est dur. C’est que, mes chers collègues, la transformation de l’agriculture est toujours possible !

Aujourd’hui, la performance passe par la nouveauté, par l’expérimentation. Mais on ne peut parler d’’innovation sans poser la question de la recherche. Et c’est peut-être sur ce point qu’il nous faudra aller encore plus loin cette semaine, puis en deuxième lecture. En effet, si l’innovation se fait au niveau des territoires, elle doit aussi se faire « en haut ». La création d'un institut agronomique et vétérinaire de France va y contribuer. Il faut absolument que, en relation avec les autres pays d’Europe, notre recherche, notre innovation, notre recherche-développement soient fortes. C’est par la recherche et par l’innovation que nous avancerons. Le ministre citait les OGM, mais il y a beaucoup d’autres sujets.

Le Premier ministre nous appelait cet après-midi, ici au Sénat, à appréhender la politique différemment. Il nous appelait, dans un discours très sincère – apprécié, me semble-t-il, sur toutes les travées – à éviter le plus possible ces postures qui interdisent le débat : même si nous avons des désaccords, il nous faudra débattre.

Ainsi, à propos des OGM, nous devons dépasser le clivage des pour et des contre, pour mieux nous interroger sur les enjeux et les risques. Nous devons aller de l’avant pour mieux appréhender les éventuels effets négatifs sur la santé de nos concitoyens. N’ayons pas peur de parler, n’ayons pas peur d’échanger, n’ayons pas peur de chercher et, après, de trancher !

Avec mon collègue Philippe Leroy, rapporteur du volet « forêt » de ce projet de loi, avec les rapporteurs pour avis, Brigitte Gonthier-Maurin et Pierre Camani, nous avons tenté de faire le meilleur travail possible. Nous avons beaucoup écouté, nous avons conduit un grand nombre d’auditions et consacré de longues heures à notre réflexion. Ces rencontres ont été très enrichissantes et je veux vraiment remercier les collègues qui y ont participé, outre le rapporteur et les rapporteurs pour avis, que je tiens à saluer tout particulièrement.

J’ai essayé, pour ce qui concerne les volets du texte que je rapporte, d’aborder ce texte sans dogmatisme, mais avec pragmatisme. L’objectif, le seul qui nous a guidés, c’était de déterminer ce qui est bon pour l’agriculture et pour les agriculteurs. Après quoi, nous nous sommes efforcés de développer et d’aller le plus loin possible. Et je dois dire que le rapport est vraiment une œuvre collective : nous l’avons élaboré tous ensemble !

Beaucoup d’amendements ont été acceptés. Je prendrai quelques exemples des avancées qui ont été réalisées par la commission.

Tout d’abord, sur les GIEE, le ministre l’a dit, nous voulons passer de la double performance à la triple performance : économique, environnementale et sociale. Cela nous a semblé évident.

Ensuite, sur le bail environnemental, nous avons cherché à être pragmatiques pour que, sans remettre en cause le bail environnemental, ce dispositif ne soit pas un handicap, notamment pour les installations et pour les jeunes. Nous avons posé des garde-fous pour empêcher les dérives et protéger l’agriculteur qui aurait cinq ou six parcelles à des endroits différents. Je crois que nous sommes parvenus à un point d’équilibre.

J’en viens à la compensation agricole. Sur ce sujet, monsieur le ministre, il faudra sûrement aller encore un peu plus loin. Il y a une compensation environnementale, mais la compensation agricole est importante. Lorsque des agriculteurs ont dû, en raison de déviations, de constructions de routes ou d’autoroutes, de lignes à grande vitesse, vendre des terres et les mettre à disposition de la collectivité à des fins d’intérêt général, il faut absolument leur offrir une compensation. Nous devrons avancer.

Sur le registre, nous avons eu de longs débats, et, je le sais, ils vont se poursuivre. Je remercie les collègues de la commission qui ont cheminé avec nous jusqu’au point d’équilibre. Nous avons fait en sorte qu’aucune catégorie ne soit oubliée de ce registre, lequel doit vraiment servir à l’agriculture.

Sur la clause miroir pour les coopératives, monsieur le ministre, vous avez fait vous-même un pas. Je pense que nous sommes arrivés à une situation satisfaisante. On ne peut pas demander à toutes les assemblées générales de tout faire, surtout pour les grandes coopératives, mais, d’un autre côté, il faut que les sociétaires aient l’information.

Sur les interprofessions, nous avons essayé d’éviter les blocages dans le cadre de la structuration des filières et des accords commerciaux.

Nous avons essayé de même de simplifier la procédure de reconnaissance des GAEC, les groupements agricoles d’exploitation en commun, et c’était sans doute justifié.

Nous avons progressé vers l’ouverture des espaces de communication sur les radios et les télévisions pour les produits frais.

J’en viens à la place du vin, sujet cher à mes collègues Gérard César et Roland Courteau. Nous avons eu un très long débat sur la place du vin dans la société. Mes chers collègues, osons affirmer que le vin tient une place indispensable dans le patrimoine national, qu’il faut la défendre et que c’est aussi l’un des rôles d’une loi agricole.

Marques d’approbation sur un grand nombre de travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Il n’a pas été simple de défendre une meilleure protection des appellations et indications géographiques, mais nous y sommes parvenus.

J’en arrive à la prise en compte de l’agriculture dans les études d’impact sur les grands projets. Le rôle des CDPENAF a été maintenu et nous avons acté, à la demande de M. Mirassou et d’autres de ses collègues, la présence des fédérations de chasseurs au sein de ces commissions.

Un sujet était totalement transversal et comptait autant de partisans que d’opposants. Je veux tout simplement parler, monsieur le ministre, mes chers collègues, du logement : quand un agriculteur, notamment un jeune agriculteur, achète des terres et qu’il ne peut pas se loger à côté, c’est de la discrimination ! C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que l’agriculteur puisse se loger à proximité.

Et que l’on ne vienne pas nous parler du mitage ! Ces arguments, nous ne pouvons pas les entendre ! Nous connaissons tous des agriculteurs qui doivent parcourir dix, vingt, voire vingt-cinq kilomètres pour aller travailler ! C’est une réalité, même si la situation diffère selon les départements.

Ce débat, nous l’aurons, car je veux défendre les agriculteurs qui ont besoin de travailler et de surveiller leurs terres. C’est indispensable !

Nous avons conforté le rôle, très important, des laboratoires départementaux d’analyse, démarche également indispensable si l’on veut éviter de s’en remettre pour tout au secteur privé.

Les outre-mer n’ont pas été oubliés même si, comme toujours dans un texte législatif, les articles qui les concernent sont toujours situés à la fin du texte. Chers collègues ultramarins, ce qui compte, ce n’est pas l’emplacement des articles dans le texte, c’est la force de leur contenu !

Vous souhaitiez que l’ODEADOM, l’office de développement de l’économie agricole d’outre-mer, soit conforté ; cela sera fait. La loi crée le comité d’orientation stratégique du développement agricole qui va mettre du lien entre les chambres et tous les acteurs. Cet organisme va bien fonctionner.

Il est un dernier point que je souhaite évoquer avec gravité : monsieur le ministre, les éleveurs n’en peuvent plus du prédateur qu’est le loup.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. Didier Guillaume, rapporteur. Je pense que ce sujet doit être abordé tranquillement, sans excitation, sans effusion.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Fils d’éleveur ovin et élu d’un département qui pratique l’élevage ovin, j’ai la conviction que, si nous ne disons pas très clairement que le loup est incompatible avec la présence de l’élevage, alors, c’en est fini de l’élevage ovin, de l’élevage de montagne sèche !

Je veux le dire ici, à cette tribune, très solennellement, mais très tranquillement, il faut affirmer cette incompatibilité !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Monsieur le ministre, ce n’est pas parce que la tâche est difficile qu’il ne faut pas essayer. Il faut inscrire à l’agenda de l’Europe la rediscussion de la directive Habitat et de la convention de Berne. Le loup n’est plus une espèce en voie de disparition. Nous sommes pour la biodiversité ; il ne s’agit donc pas d’éradiquer le loup. Mais moi, je n’accepte pas que les éleveurs soient éradiqués !

Nous défendrons un amendement en ce sens lors de la discussion des articles.

Avant de conclure, je veux vous remercier, monsieur le ministre, de nous avoir proposé un projet de loi de très grande qualité, qui va permettre de répondre à de nombreux défis – sûrement pas à tous : il y aura sûrement une autre loi après vous, voire avec vous.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Prenons les lois telles qu’elles viennent, les unes après les autres. Cette loi va améliorer la précédente, comme elle avait elle-même amélioré celle qui l’avait précédée.

Cette loi, prenons là telle qu’elle est : une loi d’avenir, une loi d’ambition, une loi qui veut changer les pratiques, une loi qui fait de la compétitivité, de l’innovation, le phare de l’agriculture moderne, une loi qui doit tout simplement être utile à l’agriculture et aux agriculteurs.

Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Je le disais, tous les groupes ont contribué à enrichir le texte, déposant des amendements et participant à la rédaction du rapport.

Je rejoins M. le Premier ministre : l’agriculture mérite que l’on dépasse nos positionnements, nos postures, nos oppositions frontales – même si je peux les comprendre.

Le monde agricole n’attend pas que les politiques s’écharpent, il n’attend pas davantage des solutions clés en main, il attend tout simplement de disposer d’outils qui lui permettront de vivre dignement des fruits de son travail. Eh bien, ces outils sont là !

Je souhaite, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’au cours des séances à venir nous parvenions à enrichir encore ce texte afin de faire en sorte que la loi d’avenir mérite véritablement son titre et que, surtout, elle atteigne son objectif : garantir un avenir à l’agriculture française et à nos agriculteurs !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du RDSE et du CRC.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

M. Jean-Marc Todeschini. Qu’avez-vous à dire sur le loup ?

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

M. Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques. J’ai bien quelques idées sur le loup, mais vous me permettrez de ne pas en faire état maintenant...

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera spécifiquement sur le volet forestier du projet de loi.

Je veux vous dire tout le plaisir que j’ai eu à travailler avec Didier Guillaume, qui vient de faire la démonstration de ses qualités : il a obtenu aujourd’hui son brevet de rapporteur – et un rapporteur brillant -, qui le rend à même de devenir, à l’occasion de futures alternances, un grand ministre de l’agriculture.

Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Je voudrais tout d’abord, monsieur le ministre, resituer le débat forestier dans son contexte.

Dès votre arrivée au ministère de l’agriculture, vous avez confié à notre collègue député Jean-Yves Caullet le soin de rédiger un rapport sur la forêt, un bon rapport au demeurant qui, bien qu’il soit le énième sur le sujet, était nécessaire. Et le ministre que vous êtes a compris ce que contenait ce rapport, et c’est assez rare pour être noté !

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Je l’ai même lu !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

M. Philippe Leroy, rapporteur. On pourrait presque le croire...

Nouveaux sourires sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Nous avons apprécié les mesures en faveur de la forêt que vous avez fait adopter dans la loi de finances rectificative et la loi de finances pour 2014.

La loi de finances rectificative a permis de confirmer des avantages fiscaux et financiers qui avaient été conférés aux forestiers.

Mais la principale innovation, contenue dans la loi de finances pour 2014, fut la création d’une action n° 13 au sein du programme 149, intitulée « Fonds stratégique de la forêt et du bois ». C’est une très bonne surprise – je le dis sans arrière-pensée ! –, qui a été appréciée par toutes les professions de la filière bois, qu’elles soient forestières ou industrielles.

Près de quinze ans après la suppression, scélérate, du Fonds forestier national, le 1er janvier 2000, la mise en place de ce fonds, que vous avez voulue et que vous avez osée, répond au besoin de la filière de disposer d’un instrument financier dédié pour l’essentiel au soutien des investissements forestiers indispensables au renouvellement de nos massifs, à leur adaptation aux événements climatiques ainsi qu’à leur richesse écologique. Il fallait le faire, monsieur le ministre, et vous l’avez fait ! Je vous en rends hommage.

Ce fonds, doté de 25 millions d’euros dans le budget de 2014, est consacré et officialisé dans le projet de loi que nous allons examiner. C’est une grande avancée.

Nous avons cependant souhaité, sur ce point, aller plus loin – j’ai déposé un amendement en ce sens à l’article 29 – en faisant de ce fonds un compte d’affectation spéciale, seule formule à même de pérenniser son existence.

Le compte d’affectation spéciale est, je le sais, un gros mot qui fait frémir l’ensemble des technocrates de Bercy, quelle que soit la couleur politique du gouvernement, ainsi que la plupart des parlementaires familiers des questions financières. Pourtant, en l’absence d’un tel fonds, la pérennité des crédits nécessaires à la forêt et à son renouvellement ne sera pas garantie, et l’on ne pourra pas donner les assurances nécessaires aux professionnels du bois pour qu’ils s’engagent dans des travaux forestiers.

Dans le secteur forestier, je le rappelle, avant de planter un arbre, il faut quatre ou cinq ans pour fabriquer le plant en pépinière, puis attendre vingt ans avant d’être rassuré sur son sort. Pendant toutes ces années, il faut pouvoir bénéficier d’une sécurité financière, pour assurer l’avenir.

Ce fonds est donc une avancée formidable et il nous faudra veiller, au cours de nos discussions, dans la mesure où c’est possible, à le rendre permanent.

Nous pourrions le doter des 25 millions d’euros déjà inscrits en loi de finances et l’alimenter par l’indemnité de défrichement dont nous allons parler ainsi que par le produit de la vente en Europe des « quotas carbone ».

Sur un autre plan, félicitons-nous que soit réaffirmée, à l’article 29, la reconnaissance d’intérêt général de la forêt et du bois, et de leurs nombreuses « externalités positives », comme disent les savants d’aujourd’hui.

La forêt représente une richesse patrimoniale irremplaçable pour la France, de par sa multifonctionnalité : il s’agit d’un potentiel économique, bien sûr, mais aussi environnemental et social.

Ce potentiel, énorme, qui couvre près du tiers de la surface de notre territoire, s’autofinance à près de 100 %, et ne coûte donc pas cher au contribuable.

Permettez-moi à cet instant un clin d’œil à mes amis écologistes et agriculteurs. Rappelons-nous que les premiers écologistes d’Europe ont été les forestiers, aux XVe et XVIe siècles. Nous avons inventé le rendement soutenu, que Colbert a formalisé dans différents édits. Les Anglais, qui travaillaient sur cette question à la même époque, l’appelaient le sustainable development. Cela correspond tout à fait à la formule retenue dans le protocole de Kyoto !

Nous avons donné à nos forêts une triple mission, économique, environnementale et sociale. Je constate que les agriculteurs tendent désormais à adopter ce triplet, ce qui représente un progrès pour l’agriculture.

Le texte aborde aussi le regroupement de la petite propriété forestière, vaste problème que nous aurons à évoquer longuement.

Première forêt feuillue d’Europe, la forêt française est en effet essentiellement privée, pour 74 % de sa surface, avec 3, 8 millions de propriétaires, dont 200 000 seulement possèdent plus de 10 hectares. Elle est donc, pour une partie significative, atomisée en une myriade de petites propriétés, dont les parcelles s’enchevêtrent. Il s’agit là de l’héritage de l’exode rural qui a marqué le XXe siècle.

L’article 30, en créant les groupements d’intérêt économique et environnemental forestiers, représente également une avancée appréciable pour la petite forêt.

Autre clin d’œil : je remarque que les petites forêts constituent un remarquable réservoir de biodiversité, donc une richesse non moins remarquable. Il convient donc de ne pas les considérer comme un handicap absolu. Il faudra de nombreuses années, en dépit des initiatives que vous nous proposez de prendre à leur endroit, pour traiter le problème de ces petites propriétés forestières : cela ne se fera pas en moins d’une génération. Nous devons faire preuve d’humilité sur cette question ; c’est important pour la suite de nos discussions.

Les forêts publiques sont, quant à elles, minoritaires en surface. Qu’elles soient domaniales ou communales, elles sont gérées par l’Office national des forêts, l’ONF, conformément au régime forestier.

Les forêts privées dont la surface est supérieure à 10 ou 25 hectares peuvent ou doivent présenter un document de gestion approuvé par l’État : le plan simple de gestion. En l’occurrence, les choses vont relativement bien.

Pour les propriétés de faible surface, les règlements types de gestion ou les codes de bonnes pratiques sylvicoles constituent pour les volontaires un statut de bon forestier.

Il convient de garder ces instruments, monsieur le ministre, tout simplement – et c’est un rappel à la modestie – parce qu’il nous faut des solutions diversifiées, qui nous permettront peu à peu de porter remède au morcellement forestier, sans que l’on cherche pour autant à imposer un modèle unique.

La France est très diverse. Laissons cette diversité s’épanouir, y compris dans les formules de reconnaissance de la bonne gestion forestière !

Il faudra aussi s’entendre pour définir les différentes catégories de professionnels habilités à intervenir auprès des propriétaires privés. C’est compliqué ! Mais je les appelle tous, car je les connais bien, à la patience et à la tolérance. Les experts forestiers, les gestionnaires forestiers professionnels, les coopératives et bien d’autres doivent faire en sorte de s’entendre et ne pas chercher à se concurrencer inutilement. Il y a de la place pour tout le monde ! Le projet de loi nous permettra d’aborder ces différentes questions.

Je voudrais à présent vous dire quelques mots des grandes problématiques de la forêt française qui ont retenu notre attention.

Notre forêt se porte bien, quantitativement. Sa surface couvre aujourd’hui environ 15 millions d’hectares et en gagne de nouveaux chaque année. Cela fait bondir certains agriculteurs, dans la mesure où les terres agricoles disparaissent tandis que la forêt continue à croître.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Or la forêt croît dans des zones que l’agriculture dédaigne. Là est le vrai problème !

Depuis Colbert, la forêt satisfait globalement bien l’ensemble de ses fonctions écologiques et sociétales.

Enfin, la filière forêt-bois regroupe plus de 450 000 salariés, de l’amont à l’aval. L’accroissement biologique annuel, de plus de 100 millions de mètres cubes, est largement supérieur aux prélèvements opérés, de l’ordre de 60 % à 70 % seulement.

Vous le voyez, cette énorme surface ne coûte pas cher, elle est en bon état écologique et remplit globalement bien ses fonctions. On ne peut donc pas la charger de tous les péchés du monde, même s’il convient de développer des projets et de formuler des propositions.

En effet, la production forestière n’est pas adaptée aux besoins d’un marché européen peu demandeur en bois feuillu. Or les forêts françaises, par tradition, produisent du bois feuillu !

En outre, on assiste à une compétition pour les usages du bois, avec une montée en puissance des utilisations énergétiques des petits bois, devenues plus rentables pour les producteurs que certains usages plus traditionnels, comme le panneau ou le papier, grâce aux subventions accordées par kilowattheures « énergie renouvelable ». Comme quoi il faut parfois se méfier des grands projets énergétiques qui peuvent désarticuler un certain nombre de filières traditionnelles…

Dernier point : la balance commerciale « bois » de notre pays est aujourd’hui largement déficitaire. Comme nous produisons des quantités importantes de feuillus, et peu de résineux, nous sommes condamnés à importer des bois résineux pour les besoins de notre marché, ce qui nous coûte extrêmement cher.

Mes chers collègues, pour pouvoir tirer pleinement profit de notre forêt, il faudrait que nous y investissions davantage en vue de la renouveler et de la moderniser.

Il nous semble important de « mettre le paquet » sur l’enseignement, la recherche et l’innovation dans la filière bois.

M. Didier Guillaume a évoqué cette nécessité s’agissant de l’agriculture. Je le dis solennellement, notre déficit est énorme en matière d’enseignement, de recherche et d’innovation dans le secteur de la forêt.

L’exemple des bois de feuillus le montre bien : il nous faut absolument développer la recherche sur de nouveaux usages de ces bois, et former des techniciens et ingénieurs susceptibles de répondre au formidable défides forêts françaises.

Permettez-moi de vous livrer deux réflexions personnelles.

Aujourd’hui, lorsque nous avons besoin de bons ingénieurs forestiers, il nous faut les « importer », ce qui contribue au déficit de notre commerce extérieur. On fait venir des Belges ou des Suisses, car on ne forme plus en France de bons ingénieurs sylviculteurs ! C’est un problème.

Dans un autre ordre d’idées, la France – et je pense notamment à ses régions ultramarines – pourrait, afin de conserver sa renommée de grand pays forestier, s’appuyer sur la recherche et l’innovation. Elle pourrait, pour assurer son rayonnement mondial et lutter contre l’exploitation illégale des forêts tropicales et équatoriales, s’appuyer sur l’exemple de la forêt guyanaise.

Il y a là un réservoir énorme de connaissances. C’est une forêt presque intacte, pas complètement dévastée par les orpailleurs, que l’on pourrait utiliser pour montrer le savoir-faire de la France en matière forestière.

Monsieur le ministre, au regard de toutes ces problématiques, le projet de loi que vous nous présentez va dans le bon sens. Cependant, nous pouvons l’améliorer encore sur certains points. Je pense notamment aux amours compliquées entre sylviculteurs et chasseurs… §

On n’ose jamais en parler. Ne dit-on pas, dans nos provinces, que si l’on veut éviter qu’un repas de famille ne tourne à la catastrophe, il ne faut parler ni de politique ni de chasse ? Or les forestiers et les chasseurs sont souvent de la même famille. Ils se détestent ou ils s’adorent. En général, un forestier est chasseur et un chasseur est forestier. C’est donc une relation compliquée. Comme dans toutes les querelles de famille, des deux côtés, on ne s’exprime jamais sans réticence et mauvaise foi.

Mes chers collègues, j’aimerais que l’on avance sur cette question. C’est pourquoi j’ai déposé deux amendements, après en avoir discuté avec la Fédération nationale des chasseurs et la Fédération nationale des propriétaires forestiers sylviculteurs, qui essaient d’organiser, région par région, département par département, des rencontres entre sylviculteurs et chasseurs, de façon à les obliger à parler ensemble de leurs problèmes et à tenter de trouver des solutions. On accomplirait un progrès considérable si l’on pouvait poursuivre dans cette direction.

En ce qui concerne le fonds stratégique, je sais, monsieur le ministre, que vous ne pourrez pas accepter l’idée de mettre en place un compte d’affectation spéciale. Je ne vous en veux pas, car c’est techniquement, et peut-être même constitutionnellement, impossible dans l’immédiat. Toutefois, c’est un combat que nous allons devoir mener, en espérant que le Gouvernement, dans un prochain projet de loi de finances, pourra créer un compte d’affectation spéciale : il faut environ100 millions d’euros pour relancer la machine forestière.

Mes chers collègues, je souhaite évoquer une dernière question, qui fait peur à tout le monde : celle du défrichement dans les zones surboisées. D’une façon générale, la loi – et le présent texte n’échappe pas à la règle – tend à protéger les forêts de toute tentative de défrichement. Nous ne pouvons pas imaginer que cet énorme poumon, ce remarquable patrimoine naturel qu’est la forêt soit sacrifié à des intérêts immédiats, mais, dans les zones de montagne, certains villages connaissent un taux de boisement tel que la vie y devient impossible. Les paysans ne peuvent plus s’installer ou développer des formes nouvelles d’agriculture de montagne. Cela entraîne un blocage des spéculations agricoles et économiques dans ces villages, lesquels sont menacés de disparaître. C’est pourquoi j’ai élaboré, en lien avec des élus de la montagne de gauche et de droite, des amendements visant à autoriser les villages de montagne surboisés à procéder à quelques défrichements si cela peut permettre un développement économique, solution qui fait frémir les orthodoxes, si je puis dire, de l’administration forestière… §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis du titre IV du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, consacré à l’enseignement agricole.

Je tiens à souligner, en préambule, que le bilan des travaux accomplis en commission est positif, puisqu’une grande majorité de nos amendements ont été adoptés et intégrés dans le texte de la commission des affaires économiques, grâce à un travail constructif avec les rapporteurs au fond, Didier Guillaume et Philippe Leroy.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Reste l’article 27, sur lequel nos avis divergent ; j’y reviendrai.

Cela a été souligné, l’enseignement agricole est un levier essentiel pour transformer le système de production français et assurer la diffusion de l’agroécologie. Plus que la course à la performance économique, c’est le souci de la performance sociale et écologique qui doit être mis au cœur du projet pédagogique et éducatif de l’enseignement agricole.

L’article 26 du projet de loi rappelle ainsi la participation de cet enseignement à la politique de développement durable. Est bienvenu, à ce titre, l’ajout aux missions des établissements de la promotion de la diversité des systèmes de production agricole, de l’agroécologie et de l’agriculture biologique.

Nous nous félicitons également de l’élaboration d’un projet stratégique national pour l’enseignement agricole auquel devront se conformer les projets d’établissement. Cet élément est de nature à conforter et à compléter le cadre de référence national.

Par ailleurs, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication soutient le Gouvernement dans sa volonté de renforcer les capacités de promotion sociale de l’enseignement agricole pour lutter contre les inégalités de destin persistantes entre jeunes urbains et jeunes ruraux. Elle approuve ainsi la création d’une voie d’accès spécifique aux formations d’ingénieurs de l’enseignement supérieur agricole grâce à l’instauration de classes préparatoires professionnelles.

Pour étendre le dispositif du Gouvernement, nous avons fait adopter plusieurs amendements, en cohérence avec les positions globales de notre commission en matière de politique éducative et universitaire.

Le ministre chargé de l’agriculture aura notamment la faculté de fixer un taux minimal de bacheliers professionnels agricoles dans les sections préparant au BTSA.

Nous avons également demandé et obtenu la mise en place d’un accompagnement spécifique des bacheliers professionnels agricoles et des titulaires du BTSA dans les formations d’ingénieurs des écoles agronomiques. C’est le pendant de mesures que nous avions inscrites dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

La plupart de nos amendements étaient cependant consacrés à l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, l’IAVF.

Un débat approfondi sur ce sujet a eu lieu en commission de la culture, notamment à la suite de notre déplacement à l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Celui-ci a en effet mis au jour des inquiétudes et confirmé les incertitudes qui demeurent quant à la création de l’IAVF.

C’est pourquoi notre commission a élaboré sa réflexion en deux temps.

Elle a d’abord adopté l’amendement de suppression de l’IAVF que je lui soumettais, car, au cours de mes auditions –une vingtaine pour seulement deux articles –, j’ai acquis la conviction que ce projet comportait des risques et qu’un travail d’approfondissement était encore nécessaire.

Dans un second temps, anticipant la possibilité que cette position ne soit pas partagée par les rapporteurs saisis au fond, notre commission a proposé une série d’amendements visant à préciser le statut, le périmètre et les missions de l’IAVF, amendements que la commission des affaires économiques a retenus.

Aux termes de la rédaction actuelle du texte de la commission, l’IAVF prendrait donc la forme d’un établissement public national à caractère administratif. Les organismes de recherche sous tutelle du ministère de l’agriculture, c’est-à-dire l’Institut national de la recherche agronomique et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture, y seraient intégrés d’emblée et obligatoirement. Les fondations reconnues d’utilité publique, comme l’Institut Pasteur, pourraient y adhérer. La formation initiale et continue des personnels de l’enseignement technique agricole ferait partie des missions de l’IAVF. Enfin, des conventions de partenariat pourraient être conclues à cet effet avec les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

Nous n’avons redéposé que trois amendements pour l’examen de ce texte en séance publique. L’un tend à préciser que chaque membre de l’IAVF dispose d’au moins un siège au conseil d’administration. Les deux autres visent à supprimer les modifications apportées par l’article 27 bis à la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.

Sous réserve de leur adoption, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a rendu un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

Pour conclure, je tiens à indiquer que, à titre personnel, je continue à plaider pour la suppression du projet de création de l’IAVF en l’état. Je souhaite que nous mettions à profit le délai imparti par la loi Fioraso pour travailler à trouver une solution. Cette conviction a d’ailleurs été confortée par l’échange que j’ai eu, la semaine dernière, avec une délégation intersyndicale que mon groupe a reçue à sa demande. Elle réclame l’abandon de ce projet : les interrogations et les inquiétudes exprimées quant à l’efficacité de cette nouvelle structure font ainsi écho à celles que j’ai développées dans mon rapport pour avis. Je souhaite donc que le débat sur l’article 27 nous permette d’améliorer ce projet de loi dans son ensemble. §

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la disparition de 25 % des exploitations en dix ans et un recul de ses parts de marchés à l’exportation, l’agriculture française traverse, il est vrai, des difficultés. Toutefois, la « ferme France » reste l’une des plus performantes du monde.

C’est dans ce contexte en demi-teinte que s’inscrit la discussion du projet de loi que nous présente aujourd’hui le Gouvernement. Elle intervient aussi dans un cadre européen renouvelé par la réforme de la politique agricole commune.

Ce texte traduit la volonté de donner un nouvel élan à notre agriculture, en favorisant des modèles de développement à la fois plus performants et plus durables : compétitivité économique et compétitivité environnementale ne sont plus opposées.

La performance environnementale devient même un atout dans la compétition mondiale. Elle n’est plus perçue comme une contrainte. Au contraire, elle ouvre le champ des possibles, favorise le collectif, l’initiative, l’innovation, l’expérimentation et l’échange.

Dans son rapport consacré à l’agroécologie, Marion Guillou, ancienne présidente-directrice générale de l’INRA, a recensé nombre de pratiques innovantes qui ont fait leurs preuves. Les acteurs de l’agroécologie ont réussi, dans un cadre le plus souvent collectif, à diversifier leur production, à réduire la dépendance de leurs exploitations en matière d’eau, d’énergie, d’engrais et de produits phytosanitaires.

Je me félicite que ce texte permette d’amplifier ces initiatives, en offrant un véritable cadre au développement de l’agroécologie et en favorisant la multiplication de ces expériences innovantes.

Quatre volets de ce projet de loi ont plus particulièrement intéressé la commission du développement durable : les premiers articles, qui posent les grands principes de la politique agricole et inscrivent celle-ci dans une perspective de développement durable réaliste ; les articles concernant la modernisation de nos outils fonciers, pour mieux lutter contre la consommation d’espaces agricoles ; les articles relatifs aux pesticides, qui visent à perfectionner le dispositif de mise sur le marché et de suivi des produits phytosanitaires, tout en encourageant la réduction des intrants ; enfin, le titre relatif à la forêt, dans la mesure où, dans ce domaine également, une inflexion forte est attendue, par l’ensemble des acteurs concernés, en faveur d’une gestion meilleure et plus durable des forêts.

L’article 3 du projet de loi prévoit la création de groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, destinés à favoriser les pratiques agroécologiques. Cette mesure est inspirée d’expériences étrangères réussies. C’est là un tournant historique : il s’agit de promouvoir avec ambition, mais aussi réalisme, une agriculture durable, non pas en imposant une norme uniforme, mais bien en partant des spécificités des territoires.

Ce tournant s’accompagne d’une modernisation des outils fonciers pour mieux lutter contre la consommation d’espaces agricoles, améliorer la répartition parcellaire, concourir à la diversité des systèmes de production et, surtout, mettre fin à la dichotomie stérile entre espaces naturels et espaces agricoles ou forestiers.

En commission du développement durable puis au sein de la commission des affaires économiques, nous avons beaucoup discuté de l’opportunité d’intégrer, dans le diagnostic des SCOT, la prise en compte du potentiel agronomique du territoire. Un amendement en ce sens a été déposé par nos collègues Renée Nicoux et Bernadette Bourzai.

L’intérêt d’une telle démarche est double : connaître le potentiel agronomique d’un territoire permet non seulement d’améliorer les pratiques, mais également d’éviter que l’expansion urbaine s’opère sur les terres agricoles les plus productives.

Je n’ignore pas les coûts à court terme de tels diagnostics et les difficultés opérationnelles qu’il faudra régler pour aboutir. Cependant, à l’heure d’engager l’avenir de notre agriculture, je suis persuadé qu’il s’agirait d’une mesure utile pour s’inscrire dans le long terme et atteindre l’objectif d’une double performance économique et environnementale.

J’en arrive aux apports de la commission du développement durable sur les articles relatifs aux produits phytosanitaires.

Notre commission a tout d’abord souhaité sécuriser le transfert à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de la mission de délivrance des autorisations de mise sur le marché, les AMM, pour les produits phytosanitaires.

Ce transfert est bienvenu : la double instruction des dossiers, par le ministère et par l’ANSES, crée des retards dont les conséquences sur le terrain sont considérables en termes de production.

Je pense, en particulier, à certaines cultures maraîchères, comme les fraises, dont la saison commence – mon département est le premier producteur de France –, qui ont un besoin crucial d’options de traitement phytosanitaire.

L’enjeu est bien, ici, l’efficacité économique par la simplification du droit et la rapidité des procédures. Il est toutefois apparu à notre commission que ce transfert devait s’effectuer dans le strict respect du principe de séparation de l’évaluation du risque et de la gestion de celui-ci.

Dans cette optique, la commission du développement durable a adopté trois amendements.

Le premier tend à doter les inspecteurs de l’ANSES de pouvoirs d’inspection et de contrôle, afin que ces agents puissent mener correctement leur nouvelle mission en matière d’autorisation et de suivi des mises sur le marché.

Un deuxième amendement vise à la réécriture de l’article 22 bis : nous avons renommé le conseil d’orientation créé par les députés « conseil de suivi des autorisations de mise sur le marché ». Y siégeront des représentants des ministères de tutelle, ainsi que des experts de l’ANSES. Point important, notre amendement tend à rendre publics les avis de ce conseil. La transparence est en effet une garantie d’indépendance.

Enfin, un troisième amendement a pour objet de donner au ministre de l’agriculture le pouvoir de prendre, en urgence, toute mesure de retrait ou d’interdiction d’une autorisation de mise sur le marché. C’est là une avancée fondamentale : dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, le ministre doit pouvoir intervenir en urgence, sans préjudice de la compétence confiée à l’ANSES en matière de délivrance des autorisations de mise sur le marché.

Cet amendement garantit que le pouvoir politique restera responsable en matière de pesticides. En effet, nous avons pu le constater ces dernières années, ce qui est compliqué, c’est non pas de donner une AMM, mais bien de la retirer à temps.

Avec l’amendement adopté par la commission des affaires économiques sur l’initiative de Didier Guillaume, qui donne un droit de veto au ministre chargé de l’agriculture sur les décisions d’AMM de l’ANSES, nous disposons désormais d’un dispositif complet et sécurisé, qui permettra un gain d’efficacité considérable.

Restera à régler la question des moyens de l’ANSES, qui sont aujourd'hui insuffisants au regard de ses nombreuses missions, et du plafond d’emplois de l’agence. Nous aurons l’occasion de reparler de ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015.

De manière générale, notre commission se félicite des dispositions relatives aux pesticides contenues dans le projet de loi, car elles visent clairement à atteindre l’objectif de réduction des intrants. Les GIEE doivent également contribuer à cet objectif, en permettant de mutualiser les pratiques innovantes, sobres en pesticides. La dynamique de groupe est, à ce titre, fondamentale.

Dans mon département, le Lot-et-Garonne, une charte de coexistence a été signée en décembre 2012 entre apiculteurs, agriculteurs multiplicateurs de semences, agriculteurs en agrobiologie et collectivités locales. Cette charte a constitué l’une des orientations proposées lors des états généraux de l’agriculture départementale organisés par le conseil général, au cours desquels chacun a pu exprimer ses attentes à l’égard des autres filières et des collectivités.

L’objectif de la charte est, d’une part, de maîtriser les flux de pollen, auxquels sont sensibles les productions de semences hybrides, et, d’autre part, de protéger les abeilles et l’agriculture biologique de la dispersion des produits phytosanitaires.

En deux ans de mise en œuvre, la charte a permis de développer le dialogue entre les différents usagers de l’espace agricole, de mieux prévenir la contamination des semences par les flux de pollen, de préserver les insectes pollinisateurs et d’améliorer l’usage des traitements phytosanitaires.

L’avenir de l’agriculture passe par ce type d’expériences volontaires et innovantes, que ce projet de loi contribuera à encourager.

Je terminerai en évoquant d’un mot le volet du texte consacré à la forêt. Notre commission a adopté deux amendements de simplification.

Tout d’abord, nous avons supprimé la disposition prévoyant l’élaboration annuelle, par le département, en concertation avec les communes et les EPCI concernés, d’un schéma d’accès à la ressource forestière. Ce schéma constitue une formalité administrative supplémentaire, qui pourrait avoir des implications très lourdes pour les communes, lesquelles n’ont pas nécessairement les moyens d’adapter leur voirie. En outre, la problématique porte davantage sur l’accès aux parcelles au sein des espaces forestiers.

Par ailleurs, les députés avaient également ajouté une obligation d’incorporation de bois dans les constructions neuves. Aussi louable l’intention soit-elle, une telle disposition comporte un risque sérieux d’inconstitutionnalité.

En outre, la filière bois-construction ne semblant pas encore à même de répondre à la demande, la mise en œuvre de ce dispositif aurait pour conséquence d’aggraver le déficit de la balance commerciale et de subventionner les importations.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Camani

Notre commission, soucieuse d’encourager des productions territorialisées et durables, a proposé la suppression de ce dispositif ; elle a été suivie par la commission des affaires économiques.

Telle est, rapidement présentée, la position de la commission du développement durable sur ce projet de loi. Nous estimons qu’il s’agit d’un bon texte, qui accompagne réellement l’agriculture vers la modernité, une modernité à la fois économique, en réponse aux enjeux de compétitivité, et environnementale, en réponse aux attentes profondes de nos concitoyens. §

M. Jean Desessard applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, chers collègues, vous ne serez pas surpris que mon propos porte très largement sur l’agroécologie. Cependant, je tiens en préambule à saluer la capacité d’écoute de M. le ministre et des membres de son cabinet, ainsi que celle des rapporteurs, même si, au final, le compte n’y est pas encore tout à fait à nos yeux !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt traduit votre volonté affirmée, monsieur le ministre, « de faire de la France le leader européen de l’agroécologie ».

Il y a un an tout juste, vous avez réaffirmé cet objectif en introduction au colloque que j’organisais au Sénat sur l’agroécologie. Cette coïncidence de dates, je la vois comme un bon signe, celui d’une reconnaissance officielle de la nécessaire transition agroécologique de notre agriculture, traduite dans le projet de loi que nous allons examiner au cours des prochains jours.

J’évoquerai tout d’abord les points majeurs issus de ce colloque, car ils éclairent la position que nous, écologistes, défendrons ici et que je développerai dans le second temps de mon intervention.

L’agroécologie est à la fois une science, au croisement de l’agronomie et de l’écologie, un mouvement social et une pratique agricole. Elle ne se résume pas à un concept scientifique, et donc à une vision technique, voire techniciste, de l’agriculture.

Améliorer les techniques est une chose ; proposer un modèle de développement et répondre à des demandes sociales et sociétales – celles des agriculteurs, des consommateurs, des citoyens – en est une autre.

S’engager dans l’agroécologie, à titre individuel et collectif, suppose d’engager un certain nombre de ruptures.

Il s’agit de ruptures avec les modèles en place, avec nos schémas de pensée habituels : rupture dans le système alimentaire, pour aller vers une alimentation plus locale, moins standardisée, moins riche en produits animaux, respectant l’environnement et la santé ; rupture dans le système économique, pour assurer un revenu équitable aux agriculteurs en développant les filières courtes, en recherchant un ancrage territorial dans l’économie locale, sachant que, au niveau international, cette relocalisation de l’économie agricole suppose une souveraineté alimentaire effective pour chaque grande région du monde ; rupture dans les politiques publiques, l’agroécologie nécessitant une nouvelle gouvernance avec une reconnaissance de la multifonctionnalité de l’agriculture, ce qui implique que ces politiques publiques soient davantage territorialisées et mieux adaptées aux agro-écosystèmes locaux.

Ce n’est pas simple, car cela suppose une implication collective non seulement des agriculteurs, mais de l’ensemble de la société.

Si la responsabilité est collective, elle est donc bien sûr politique, car il s’agit de déverrouiller les systèmes. Les politiques que nous sommes doivent retrouver leur véritable place, exercer leur pleine responsabilité et imposer leurs vues face aux intérêts des lobbies de l’agrochimie, de l’agro-industrie, de l’agro-business.

Ce n’est pas simple, mais il est urgent d’agir si nous voulons répondre à la désespérance sociale qui gagne le monde rural, ainsi qu’au décrochage des territoires périphériques par rapport aux métropoles.

Élu breton, je citerai l’exemple du modèle agricole et agroalimentaire de ma région, un modèle qui a atteint, et même dépassé, ses limites. Les conséquences du manque d’anticipation des dirigeants des grands groupes agro-industriels, mais aussi des élus et de l’État, nous les vivons au jour le jour en Bretagne.

Poursuivre selon les mêmes logiques, ce serait enterrer définitivement toute évolution vers une économie territoriale qui ne soit ni prédatrice ni destructrice, mais bien créatrice de valeur ajoutée, d’emploi et de qualité de vie.

Aussi, ce ne sont pas la multiplication des dérogations, comme le relèvement du seuil d’autorisation des élevages industriels de porcs, le renflouement financier permanent d’un modèle à bout de souffle sans contreparties – à l’exemple du pacte d’avenir pour la Bretagne – ou les fausses bonnes idées à vision « court-termiste », comme le développement massif de projets de méthanisation pour traiter les effluents d’élevage, qui nous permettront de reconquérir cette économie territoriale et de répondre à la demande légitime de « vivre, travailler et décider au pays », slogan que l’on a beaucoup entendu chez nous ces derniers temps.

Le modèle actuel met aussi en avant la prétendue vocation agro-exportatrice de la France, et ce sur fond de solidarité alimentaire internationale.

Cette vocation agro-exportatrice est fondée sur l’exportation de produits bas de gamme pour lesquels nous ne pourrons pas rester compétitifs. De plus, elle déstructure les agricultures de pays tiers. L’exemple du poulet breton destiné à l’exportation est édifiant, quand on sait que plus de 40 % de la viande de poulet consommée en France est importée, notamment du Brésil ! C’est grandiose !

En outre, pour alimenter ces élevages, nous sommes nous-mêmes toujours totalement dépendants des protéines végétales importées. La production des 2, 6 millions de tonnes de soja importées en Bretagne, en majeure partie OGM, mobilise plus de l million d’hectares de terres en Amérique latine, au détriment des agricultures vivrières locales, ainsi que de la forêt primaire. On ne peut donc pas parler de souveraineté alimentaire de la France !

Pourtant, certains osent encore dire qu’il faut encore augmenter nos rendements, grâce à une agriculture toujours plus productiviste, pour nourrir les populations de la planète. Ce discours devient absolument insupportable ! Commençons d’abord par cesser d’affamer ces populations par nos modes de production : notre enfermement dans le système maïs ensilage-soja en production intensive cause des dégâts sociaux, économiques, environnementaux irrémédiables, autant chez nous qu’à l’échelle de la planète.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Pour l’examen du présent projet de loi, nous nous sommes attachés à ne pas rester au milieu du gué.

Monsieur le ministre, ce texte porte un message positif extrêmement important pour les agriculteurs et pour les citoyens. En vous attachant à faire évoluer les politiques foncières et d’installation ainsi que les outils de préservation des terres agricoles, en reconnaissant la dimension tant collective qu’individuelle du changement par la création des GIEE, en renforçant la participation de la société civile et des collectivités territoriales aux instances de gouvernance, vous avez très clairement engagé le mouvement de bascule nécessaire. Toutefois, comme toujours, nous vous inviterons à aller plus loin encore sur ces sujets.

En effet, si nous parlons de transition, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une coexistence, certes politiquement très commode, entre les modèles agroécologique et agro-industriel : pour nous, ces deux modèles sont en concurrence, et refuser de choisir entre eux, c’est choisir la loi du plus fort.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Nous pensons vraiment que ce projet de loi porte en lui les germes de la transition, mais qu’il peut et doit être renforcé pour que l’ensemble des outils disponibles soient mobilisés en faveur de l’agroécologie, et seulement de celle-ci.

Les amendements que nous présenterons s’articulent selon les axes suivants.

En premier lieu, selon nous, produire autrement, c’est aussi adopter un autre mode de production des connaissances.

C’est pourquoi nous prônons la reconnaissance des associations, « têtes de réseaux » du développement agricole et rural, parties prenantes au quotidien et de longue date à l’accompagnement des agriculteurs et des créateurs d’activités en milieu rural, moteurs de l’innovation sur nos territoires.

Produire autrement les connaissances, c’est aussi s’atteler à la formation des jeunes, des moins jeunes et du corps enseignant, en proposant une formation en phase avec les principes de l’agroécologie. C’est orienter clairement la conduite des exploitations agricoles et des ateliers technologiques des établissements d’enseignement.

Produire autrement, c’est sortir la recherche de l’ornière de l’orientation exclusive vers l’agriculture productiviste, en privilégiant la pluridisciplinarité, entre techniques, sciences sociales et sciences économiques, sans oublier la psychologie, pour comprendre les freins au changement.

Produire autrement, c’est redonner toute sa place à l’agronomie.

En deuxième lieu, nous entendons promouvoir l’autonomie des agriculteurs : autonomie décisionnelle, autonomie des exploitations, autonomie à l’égard des grands groupes industriels. Il s’agit, par exemple, de reconnaître le droit inaliénable de ressemer, ou encore de sortir les préparations naturelles peu préoccupantes, les PNPP, de la liste des produits phytosanitaires.

En troisième lieu, nous souhaitons mettre l’accent sur la préservation des ressources : préservation des ressources foncières, bien sûr – la terre doit retrouver sa première fonction, celle de terre nourricière –, préservation de la biodiversité, de l’eau et des sols. Ainsi, nous plaidons pour une diminution drastique de l’utilisation des produits pesticides et pour l’interdiction des produits phytosanitaires classés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques de type 1, tout comme pour l’interdiction formelle des épandages aériens, notamment dans les outre-mer. Ces demandes d’interdiction sont, bien sûr, aussi motivées par les conséquences avérées et graves de l’utilisation de ces produits et méthodes sur la santé humaine.

En quatrième lieu, nous voulons encourager le renouvellement des générations et le soutien aux nouveaux agriculteurs, quel que soit l’âge d’entrée dans le métier, par la progressivité des cotisations sociales et la reconnaissance des cotisants solidaires, ainsi que par la reconnaissance des formes coopératives, telles les coopératives d’activités et d’emploi agricoles, et par la mise en place de fonds de cautionnement public pour l’installation des hors-cadres familiaux.

Enfin, nous voulons une agriculture ouverte sur la société. Cela nécessite de reconnecter agriculture, alimentation et territoires. C’est dans cet esprit que nous préconisons le renforcement des projets alimentaires territoriaux, introduits par nos homologues écologistes de l’Assemblée nationale, et que nous proposerons la prise en compte de l’agriculture en tant que telle dans le diagnostic des schémas de cohérence territoriale, les SCOT.

Nous développerons tous ces points, et bien d’autres encore, dans les jours qui viennent.

Pour terminer, je voudrais évoquer le titre relatif à la forêt, sur un point particulier : la présomption de garantie de gestion durable accordée aux codes de bonnes pratiques sylvicoles, à laquelle est adjointe une obligation de coupes et travaux, mais sans volet social et environnemental, est contraire aux objectifs affichés et contribuera à renforcer davantage encore la concentration de la filière. Il faudra revenir sur cette disposition.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi pose des bases intéressantes et pertinentes pour s’engager sur le chemin de la transition vers le « produire autrement », mais aussi le « consommer autrement », et même le « vivre autrement ». J’espère vivement, monsieur le ministre, que votre ambition de faire de la France le leader européen de l’agroécologie pourra aboutir.

À propos de l’Europe, quelle ne serait pas notre déconvenue si, dans quelques mois, tous les efforts engagés devaient être anéantis par l’adoption en l’état du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis ! Ce serait la victoire de l’agro-industrie tant européenne qu’américaine, et nos produits de qualité issus de l’agroécologie seraient concurrencés par l’alimentation OGM, le bœuf aux hormones et le poulet javellisé ! Monsieur le ministre, nous comptons beaucoup sur vous !

Le groupe écologiste soutient l’ambition agroécologique de votre projet de loi, ambition que je souhaite voir s’inscrire dans les faits. J’en appelle donc à une cohérence globale de nos politiques publiques agricoles, alimentaires et commerciales. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons enfin ce soir en séance publique de ce projet de loi, tant attendu, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail accompli par nos deux rapporteurs, MM. Guillaume et Leroy, qui ont su être vraiment à l’écoute des organisations dont nous avons auditionné les représentants et des sénateurs. Grâce à eux, nous avons pu aborder l’examen du texte très sereinement et travailler dans un climat de dialogue et d’ouverture, ce qui nous a déjà permis de trouver plusieurs points d’accord.

Avant d’évoquer le contenu du projet de loi, je souhaiterais faire à mon tour un point sur le contexte actuel et les situations très contrastées que l’on rencontre dans le monde agricole.

De nombreux agriculteurs sont dans une situation de désespérance absolue. Telle est la réalité ! Crise de l’élevage, déficit d’installations, terrible déprise agricole dans certaines zones, particulièrement de montagne : la liste des aspects de la situation gravissime que nous connaissons est très longue. Dans certains cas, y compris s’agissant d’ateliers industriels, nous avons même atteint un point de non-retour. Je pense notamment à la production laitière.

Devant ce constat dramatique, vous nous annoncez, monsieur le ministre, une grande loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. L’intitulé du texte pouvait nous donner quelques espoirs, mais j’ai le regret de vous dire que son contenu nous déçoit. On n’y trouve vraiment pas l’élan, le souffle nouveau que nous attendions, eu égard au vocabulaire employé : l’emballage est beaucoup plus brillant que le contenu !

Le texte comporte certes des améliorations des dispositifs existants, mais il s’agit beaucoup plus d’un toilettage que d’une véritable loi d’avenir, monsieur le ministre ! Je reviendrai un peu plus tard sur les grands sujets oubliés dans ce projet de loi et dont le traitement aurait pu, de notre point de vue, faire de ce texte une réelle loi d’avenir.

Au-delà de ce manque d’élan, je souhaite évoquer l’orientation globale qui a été choisie et, surtout, le déséquilibre marqué entre dimension économique et dimension environnementale.

Bien entendu, il faut un juste équilibre entre la recherche de performances économiques et l’orientation vers une agriculture « verte », agroenvironnementale. S’il est évident que l’environnement doit avoir sa place dans l’agriculture, cela ne doit pas être au détriment de la performance économique. Or, dans ce projet de loi, si l’écologie est bien présente, la place de l’économie n’est pas suffisante. Mon collègue Daniel Dubois le démontrera tout à l'heure.

Pourtant, renforcer la compétitivité de la France dans le domaine agricole est primordial. Il est nécessaire de toujours innover, en s’appuyant sur de nouveaux outils économiques, en explorant de nouvelles pistes. Surtout, il nous faut stabiliser et sécuriser la situation financière des agriculteurs.

Sur le fond, le travail effectué ne nous inspire pas que des critiques : nous notons aussi quelques avancées.

À cet égard, je pense notamment à la « clause miroir ». Il faut dire que nous revenons de loin : à la suite de nombreuses discussions, un compromis semble avoir été trouvé. Je m’en réjouis et je salue le travail des rapporteurs.

Je pense aussi aux débats sur le foncier, lesquels se sont déroulés sereinement, monsieur le président de la commission des affaires économiques. Sur ce sujet très délicat, il convient d’avancer très prudemment, les points de vue étant extrêmement éloignés les uns des autres. Grâce à ce projet de loi, nous avons pu convenablement en débattre et évoquer certaines pistes.

Il en va de même pour le registre de l’agriculture, qui vient renforcer le statut d’agriculteur, auquel est lié l’octroi de certaines aides. Certes, les mesures proposées ne sont peut-être pas parfaites, mais le débat devrait permettre d’améliorer le dispositif, pour aboutir probablement à un contenu satisfaisant.

Malheureusement, à côté de plusieurs avancées notables, on note l’omission de nombreux sujets dans ce projet de loi. Cette situation est regrettable, car, sans cet oubli de questions primordiales pour le futur de l’agriculture, on aurait réellement pu faire de ce texte une vraie loi d’avenir.

Je pense, par exemple, aux organismes génétiquement modifiés. Comment est-il possible que le Gouvernement préfère inscrire à l’ordre du jour de nos travaux l’examen en procédure accélérée de propositions de loi portant spécifiquement sur une variété d’OGM plutôt que d’aborder ce grand sujet d’avenir dans un projet de loi qualifié justement « d’avenir » ? Monsieur le ministre, avec les OGM, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Lasserre

… nous sommes en plein dans l’avenir, et la recherche en la matière est capitale ! Le présent projet de loi aurait pu être le véhicule adéquat pour traiter ce sujet, selon une perspective beaucoup plus globale. Il est dommage que vous n’ayez pas saisi cette occasion. Nous n’allons tout de même pas élaborer une proposition de loi pour chaque nouvelle variété d’OGM ! Il serait regrettable de passer à côté du rendez-vous que constitue l’examen de ce texte.

Un autre sujet oublié me semble important : la politique agricole commune. Monsieur le ministre, votre texte n’y fait que très peu référence. Or je pense que certains problèmes auraient dû être évoqués, concernant notamment ce qui est laissé à l’appréciation des États membres, en particulier la marge de manœuvre dont nous disposons sur le volet « verdissement » et les obligations d’assolement, qui seront véritablement catastrophiques pour certaines régions de monoculture.

Troisième point oublié : la relation avec la grande distribution. Le médiateur de la coopération agricole pourra intervenir, mais il manque, à mon sens, dans la définition de ses attributions, un cadre contractuel beaucoup plus précis, beaucoup plus resserré, permettant de mieux garantir le secteur de la production.

Un autre thème, primordial à mon sens, n’est pas évoqué dans le projet de loi : la couverture des risques. Cette dernière année, des catastrophes météorologiques se sont produites dans presque toutes les régions de France, à commencer par mon département. Devant ces désastres, les agriculteurs sont désemparés, et nous en connaissons tous qui ne pourront pas s'en relever.

Des dispositifs existent certes en matière de gestion de crise ou d'après-crise à la suite d’inondations, par exemple, mais je crois que nous devons pointer ces lacunes. Cela engendrera d'autres réflexions, par exemple sur l'articulation des rôles des différentes collectivités ou sur les obligations auxquelles les collectivités devraient souscrire : assurance ou pas, création de fonds spécifiques… Cet aspect est un des grands oubliés de ce projet de loi.

Dernier point sur lequel nous attendions au moins un débat : la simplification administrative en agriculture. Je pense notamment à l’application de la loi sur l’eau. Des régions entières, en particulier les zones humides, marécageuses, souffrent terriblement d’une mauvaise interprétation de cette loi ou de son application irréfléchie. En matière de simplification administrative, nous aurions pu accomplir quelques belles avancées…

Vous l’aurez compris, notre position sur ce projet de loi est mitigée. L’avenir de l’agriculture n’est, de toute évidence, pas suffisamment esquissé dans ce que nous considérons être un texte de toilettage, monsieur le ministre. L’intitulé de votre projet de loi suscitait des espoirs, mais nous restons un peu sur notre faim, car nombre de sujets importants ne sont pas abordés. La suite des débats déterminera notre vote.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC – M. Didier Guillaume, rapporteur, applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

Je salue le travail des rapporteurs. J’ai particulièrement apprécié les propos de Philippe Leroy sur la forêt.

J’aurais préféré pour ma part que l’examen de ce projet de loi intervienne encore plus tard, après la fin des discussions sur la PAC. Les enjeux fondamentaux sont bien pris en compte. Sur plusieurs points essentiels, ce texte apporte des réponses opportunes, mais il suscite aussi beaucoup d’inquiétudes. Je l’ai dit au ministre Stéphane Le Foll, ce projet de loi fait la promotion de l’agroécologie, or cette notion choque tous nos agriculteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

Dans les campagnes, ce mot ne veut rien dire : quand on retourne un champ, ce n’est pas écologique puisqu’on ne lui conserve pas son caractère naturel, quand on épand un pesticide, ce n’est pas non plus écologique, pourtant ce sont là des pratiques agronomiques absolument indispensables. Ainsi, monsieur le ministre, l’élu de la campagne que je suis aurait plutôt parlé, tout simplement, d’agriculture raisonnée.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

Cela aurait évité de choquer nos agriculteurs, et les choses, monsieur Guillaume, seraient beaucoup mieux passées dans nos milieux très ruraux, sans qu’il soit besoin de les expliquer en permanence…

Je suis d’accord avec Joël Labbé §: je ne souhaite pas que l’on bousille tout, que l’avenir de l’agriculture se résume à une production idiote, que les prairies naturelles disparaissent, que l’on multiplie les épandages de pesticides ! Pour autant, je le répète, il aurait été préférable de parler d’agriculture raisonnée, plutôt que d’agroécologie.

Joël Labbé veut aller beaucoup plus loin, et incite le ministre à le suivre ; quant à moi, j’en appelle à faire preuve de plus de bon sens, et l’on verrait où cela nous conduit.

Nous avons le souci de préserver l’environnement, tout en permettant de produire. Le monde agricole, c’est tout de même des milliers de personnes qui travaillent dur pour parvenir à vivre de leur métier. En Lozère, certains agriculteurs touchent moins de 10 000 euros de primes par an… Certes, d’autres, en particulier des céréaliers, peuvent toucher jusqu’à 200 000 ou 300 000 euros, mais il s'agit en tout cas de gens qui travaillent dur, et il faut donc d’abord leur parler de leur revenu, de leurs difficultés, souligner qu’ils sont une des forces vives du pays. Le Premier ministre, cet après-midi, nous disait que la France était un grand pays, pouvant s’appuyer sur des savoir-faire remarquables. La France peut notamment compter sur son agriculture, qui contribue à améliorer nos comptes extérieurs, souvent déséquilibrés. Il faut en tenir compte.

J’aurais aimé que l’on envisage une revalorisation des indemnités compensatoires de handicaps naturels et des droits à paiement unique, même si je n’ignore pas que cela ne relève pas d’un texte de cette nature.

La création des groupements d’intérêt économique et environnemental est une bonne chose. Dans certaines filières, on devrait pouvoir faire beaucoup mieux, en réfléchissant à une plus grande échelle, en promouvant les labels quand cela est possible, en favorisant la création d’ateliers de transformation de taille importante, en mettant en place de vraies stratégies industrielles. Cela est par exemple nécessaire pour le lait.

Certaines questions sont bien traitées, comme celle de la protection des terres agricoles. Si je comprends la réserve du ministre et des commissions quant à l’extension du droit de préemption des SAFER, …

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Elles sont pourtant renforcées dans le texte !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

… je fais confiance, pour ma part, à ces outils qui marchent bien et sont pilotés par des gens efficaces et proches du terrain. J’aurais donc préféré que l’on aille plus loin. Ainsi, le texte prévoit qu’une SAFER pourra acquérir, en vue de l’installation d’exploitants, des bâtiments ayant été utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des cinq dernières années. Or, dans le milieu rural, beaucoup de bâtiments agricoles sont abandonnés depuis bien plus longtemps. On ne pourra donc pas y installer de jeunes agriculteurs, alors que ces bâtiments ne sauraient avoir d’autre vocation qu’agricole, sauf à être transformés, le cas échéant, en maisons de campagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

M. Alain Bertrand. En matière de défrichements, on entend des histoires de cornecul, comme dit mon préfet…

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

Je suis maire de Mende, petite ville de 14 000 habitants. On a décidé de créer une zone d’activité, avec deux plateformes d’une trentaine hectares. Cela fait sept ans que nous y travaillons ! Pour pouvoir déboiser trente-trois hectares de mauvais pins sylvestres sur la première plateforme – déjà retenue à 80 % et où plusieurs centaines de personnes travailleront à terme –, on a dû batailler un an avec la direction départementale des territoires ! De telles situations ne sont plus acceptables.

Quant au loup… §

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Bertrand

Je ne crois pas au déclassement du loup au titre de la convention de Berne. De même, les cormorans pillent toutes les rivières de France et sont en train de faire disparaître les truites fario sauvages, dans l’indifférence générale. Ces oiseaux, que l’on compte par millions chez nous, en Afrique ou en Asie, sont pourtant toujours protégés par l’Europe !

Là aussi, le bon sens doit prévaloir. Concernant le loup, il faut prendre des mesures pour éviter que la situation ne dégénère. Je suis sûr que Joël Labbé et M. le ministre seront d’accord avec moi.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais remercier particulièrement les rapporteurs de la commission des affaires économiques, Didier Guillaume et Philippe Leroy, de nous avoir fait bénéficier de toute leur expertise.

Contrairement aux apparences, la majorité et l'opposition ne défendent pas des visions antagonistes de l’agriculture.

Bien sûr, le débat autour de ce projet de loi est accaparé par la promotion de l'agroécologie et de l'ensemble des dispositions devant conduire à un verdissement de notre politique agricole.

Dans ce texte, le Gouvernement redouble d'efforts sémantiques pour satisfaire toutes les composantes de sa majorité. Cela n'a rien de surprenant.

Cependant, il ressort des débats à l'Assemblée nationale qu'il y aurait deux visions irréconciliables de l’agriculture française, avec, d'un côté, une majorité désireuse d’incarner une rupture écologique, et, de l'autre, une opposition hostile au développement de l’agriculture biologique.

Mes chers collègues, je ne crois pas à ce clivage, largement artificiel. Il existe, j'en suis certain, des dénominateurs communs.

Le premier d’entre eux est, selon moi, la satisfaction de notre demande intérieure. Oui, il est incompréhensible que la France importe la moitié de ses fruits et de ses légumes. Oui, il est incompréhensible que la France importe 20 % de sa consommation de viande bovine ou la majeure partie de sa consommation de viande ovine.

Dans le même temps, la France est passée, en quelques années, du deuxième au cinquième rang mondial pour les exportations agroalimentaires, derrière les États-Unis, l'Allemagne, les Pays-Bas et le Brésil.

Certes, notre agriculture affronte de nouveaux concurrents redoutables, mais nous ne profitons pas suffisamment des marchés des pays émergents, qui, eux, parviennent à pénétrer les marchés européens.

Tout le monde peut faire le constat suivant : nous avons un potentiel énorme, largement sous-exploité, et lorsqu'il ne l'est pas, notre offre est inadaptée parce que mal organisée.

Pourtant, si l’on regarde de près la part de chaque production dans l’agriculture française, on observe que l'élevage arrive en première position, avec 26 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour 2012, suivi par l'activité céréalière, qui a rapporté 15 milliards d'euros. En troisième position, on trouve le secteur des fruits et légumes, avec plus de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

Nous sommes donc face à un immense gâchis. Nous avons un terroir, un savoir-faire, des produits, une valeur ajoutée incomparables par rapport à ceux de nos concurrents, même européens, mais nous sommes incapables de valoriser notre offre, que ce soit pour répondre à la demande intérieure ou à celle des pays émergents.

Par conséquent, il n'est pas utile de se quereller sur le point de savoir si la réponse à apporter à ce défi doit être biologique, écologiquement responsable ou propre à conjuguer rentabilité et préoccupations environnementales. Tous les leviers devront être activés pour reconquérir des parts de marchés.

Alors oui, je déplore un recours abusif au champ lexical de l'écologie, comme si l'agriculteur français n'avait que faire de ces préoccupations.

Cela étant, je me dois de souligner une omission. Monsieur le ministre, vous fondez une part substantielle de votre texte sur la notion d'agroécologie. Pourquoi pas, mais encore aurait-il fallu en donner une définition précise, qui ne se limite pas à évoquer « une diminution de la consommation d'énergie, d'eau, d'engrais, de produits phytopharmaceutiques et de médicaments vétérinaires, en particulier les antibiotiques ».

En ce qui concerne la création des GIEE, nous sommes, là encore, perplexes. Notre critique portera non pas sur la mesure elle-même, mais sur sa mise en œuvre. Monsieur le ministre, quelles sont ces majorations d’aides publiques dont pourront bénéficier les exploitants agricoles concernés ? L'article 3 est pour le moins silencieux sur ce point.

Quoi qu'il en soit, il s'agit de promouvoir des modes de production agricole de manière incitative, et non pas coercitive. Or l’article 4 va précisément à l’encontre de cette démarche.

Cet article introduit notamment le bail environnemental. D'un point de vue opérationnel, on se rend très vite compte que ces dispositions réduiront l'accessibilité du foncier agricole. Fort heureusement, l’examen en commission a conduit à l'adoption d'un amendement de notre rapporteur Didier Guillaume, visant à n'étendre le bail environnemental que s'il s'agit, pour le bailleur, de nouvelles pratiques ne marquant pas de régression par rapport à l'existant.

Malheureusement, tous les exploitants agricoles ne seront pas en mesure de satisfaire aux clauses inscrites dans le bail, même si elles ont été respectées par un autre exploitant.

Une autre difficulté doit être mentionnée : qu’adviendra-t-il pour les agriculteurs qui s’étaient engagés à respecter des clauses très contraignantes et qui, par manque de viabilité économique, veulent changer de production ?

En conséquence, notre groupe reste opposé à cet article 4, car il traduit, selon nous, une conception punitive de l’écologie qui restreindra l’accès au foncier agricole. Pour cette raison, nous défendrons un amendement visant à supprimer ce qu’il reste du bail environnemental.

J’en viens maintenant aux « clauses miroirs » introduites à l’article 6.

L’alinéa 11 de cet article prévoit que, pour les sociétés coopératives agricoles, l’organe chargé de l’administration détermine les critères relatifs aux fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires affectant significativement le coût de production de ces produits. En réalité, il s’agit bien du conseil d’administration, qui traite des marchés, et donc de tout ce qui concerne l’activité de la coopérative.

Je profite de cette occasion pour vous demander, monsieur le ministre, où en est la médiation sur la mise en œuvre de la clause miroir que vous avez proposé de mettre en place en décembre dernier. De la même manière, quid du refus de Bruxelles de faire bénéficier les coopératives agricoles du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE ?

Monsieur le ministre, l’engagement que vous aviez pris à l’occasion des états généraux de l’agriculture, le 21 février dernier, de solliciter le Premier ministre, en contrepartie de votre refus de poursuivre les négociations sur le CICE avec Bruxelles, « pour que soit accordée aux coopératives, par anticipation, la suppression des charges liées aux cotisations familiales que le Gouvernement envisage » est-il toujours valable ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Je l’ai dit dans mon intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Si tel est le cas – je ne voudrais pas avoir l’air de douter de votre parole –, ces aides seront-elles intégrées au pacte de responsabilité, et selon quelles échéances ? Seront-elles accompagnées d’autres allégements de charges ?

Dans le même esprit, je voudrais savoir, monsieur le ministre, où en sont les négociations entre l’Union européenne et les États-Unis sur le volet agricole du traité de libre-échange transatlantique. Il serait curieux que le Gouvernement, dans le même temps qu’il fait la promotion de l’agroécologie et des circuits courts, accepte un traité de libre-échange conduisant notre pays à admettre l’entrée sur son territoire de produits alimentaires qui ne répondent pas au quart de nos exigences.

J’évoquerai maintenant l’article 7 du projet de loi, relatif à la contractualisation, aux contrats et autres accords interprofessionnels.

Vous consacrez au travers de cet article le médiateur des contrats. L’intention est louable, mais comment pouvez-vous nous assurer, monsieur le ministre, que celui-ci ne jouera pas un simple rôle de spectateur ?

J’en viens aux points qui vont nous rassembler. Je pense en particulier à l’article 10 bis, prévoyant que les organismes chargés des appellations d’origine protégée, les AOP, ou des indications géographiques protégées, les IGP, ainsi que l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’INAO, puissent s’opposer à l’enregistrement d’une marque s’il y a un risque d’atteinte au nom et à l’image, y compris pour les produits similaires – c’est une innovation introduite par la commission.

Nous nous réjouissons de cette mesure, ainsi que de l’avancée des discussions, au sein de la commission des affaires économiques unanime, sur la classification du vin comme élément du patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France. Je vous remercie de votre concours et de votre précieux soutien dans cette affaire, monsieur le ministre.

J’ajoute à ce sujet que cette classification doit être circonscrite aux produits phares de notre patrimoine, et donc aux emplois directs et indirects qu’ils représentent. En résumé, ce n’est pas en banalisant la classification que nous protégerons ces produits d’excellence.

En ce qui concerne les SAFER, pourquoi prévoyez-vous que deux associations agréées de protection de l’environnement au minimum devront être représentées au sein de leur conseil d’administration ? À quel titre y siégeront-elles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Enfin, votre texte prévoit d’interdire la publicité pour les produits phytosanitaires. Cette mesure me semble à terme dangereuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

En conclusion, au lieu d’une écologie incitative, vous promouvez une écologie punitive.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Au lieu d’un choc de simplification, vous mettez en place de nouvelles normes, de nouvelles contraintes. Au lieu d’un abaissement des charges, vous instaurez des charges supplémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard César

Je suis agriculteur, monsieur Raoul, je sais de quoi je parle ! Je vous montrerai mes factures de produits phytosanitaires : vous verrez quel sera le montant des taxes !

Les mesures proposées me semblent éluder les questions de fond, en particulier en matière d’innovation et de recherche, dimension essentielle pour le futur de nos jeunes agriculteurs.

Comment permettre à notre agriculture de rendre notre pays souverain ? Comment armer notre agriculture pour qu’elle puisse lutter à égalité avec ses concurrents européens et ceux des pays émergents ? Nous pensons que ce projet de loi ne répond pas à ces questions, aussi réservons-nous notre vote, qui sera fonction du sort réservé à nos amendements.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Stéphane Le Foll, ministre

Monsieur le président, je demande une suspension de séance de quelques minutes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le ministre.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt-trois heures trente-cinq, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La séance est reprise.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Le Cam.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt dont nous allons débattre pendant plusieurs jours est en lui-même un sujet passionnant. Notre assemblée porte d’ailleurs toujours un intérêt particulièrement soutenu à tout ce qui touche à l’agriculture et à la ruralité.

C’est à dessein que, au cours de mon intervention, je partirai du local pour aller vers le mondial, afin de bien montrer que les solutions au défi mondial alimentaire doivent partir d’en bas, et non répondre à une mondialisation colonisatrice et destructrice en marche depuis plusieurs décennies.

Récemment réélu maire d’une très grande commune rurale costarmoricaine comptant plus de 6 000 hectares et plus de quatre-vingts exploitations, j’ai eu à cœur de proposer d’instaurer une aide à l’installation d’un montant de 3 000 euros, venant en complément de l’aide de la communauté de communes, soit un montant total d’aide de 6 000 euros pour tout agriculteur qui s’installe, mais aussi pour tout artisan ou commerçant. À cela vient s’ajouter l’exonération des taxes foncières pour les jeunes agriculteurs. Il ne s’agit pas de cadeaux, mais de la nécessité impérative d’apporter un soutien à la structuration de l’économie locale, pour éviter que, demain, nos bourgs ne soient dépeuplés et nos campagnes réduites à quelques estancias à la sauce bretonne.

Cela m’amène à confirmer la nécessité de maintenir la clause de compétence générale pour les communes et à dénoncer les ponctions envisagées au détriment des collectivités locales, dans le cadre du financement du pacte de responsabilité. Après les 4, 5 milliards d’euros annoncés, on parle maintenant d’amputer de 10 milliards d’euros le budget des collectivités locales. Monsieur le ministre, il s’agit tout simplement d’une grande erreur politique et économique : quand un gouvernement fait les poches des communes, il met en danger les élus qui le soutiennent, il met en danger le Sénat de gauche, il met en danger l’économie et l’emploi local.

En Bretagne, l’écotaxe a été le détonateur d’une crise agricole profonde, qui comporte de multiples causes : les prix à la production insuffisamment rémunérateurs, la baisse des volumes produits, parfois une gestion capitalistique à court terme des outils de transformation, la concurrence allemande et européenne, mais aussi les rythmes d’enfer et les bas salaires imposés dans le secteur agroalimentaire. À titre d’exemple, il faut savoir que six secondes suffisent pour abattre et transformer un porc, soit un rythme de 600 porcs à l’heure : Les Temps modernes de Charlie Chaplin ne sont pas une fiction, mais bien une triste réalité !

Le pacte d’avenir breton, que nous avons soutenu au conseil régional, apporte un début de réponse aux difficultés de notre région : 1 milliard d’euros pourrait engendrer 5 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2020 ; c’est mieux que rien. Notre région est l’un des principaux « garde-manger » du pays, sa remise en route est indispensable.

Au plan national, si l’agriculture apporte un excédent de 11 milliards d’euros à la balance commerciale, elle perd chaque jour des agriculteurs, victimes le plus souvent d’une politique des prix désastreuse. De nombreuses productions sont en baisse, les questions sanitaires et environnementales sont toujours pendantes, la course à l’agrandissement des exploitations se poursuit inexorablement…

Si le revenu annuel moyen des agriculteurs se situe autour de 36 500 euros, des disparités importantes existent, le rapport étant de 1 à 5 entre céréaliers et éleveurs. En effet, un éleveur d’ovins ou de bovins à viande gagne en moyenne 15 000 euros par an, contre 79 800 euros pour un producteur de céréales, de pommes de terre ou de betteraves. Par ailleurs, le temps de travail consacré à l’exploitation est inversement proportionnel au revenu, ce qui n’est pas sans poser des problèmes en matière de choix opérés par les jeunes agriculteurs.

Au-delà, c’est la conception même de l’agriculture, des pratiques culturales, du niveau des productions destinées à la consommation nationale ou réservées à l’export qui reste à définir et à mettre en œuvre. Ce projet de loi introduit l’agroécologie et vise à la fois les volets économique, écologique et social de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la consommation. C’est pourquoi nous le soutenons, même s’il n’apporte qu’une réponse partielle à l’avenir de l’agriculture.

Au niveau européen, les discussions sur la PAC, assez prometteuses dans leurs prémices, accouchent au final d’un projet plutôt décevant. Le verdissement promis est devenu un greenwashing, selon de nombreux observateurs. Hormis les compétences transmises aux États, la PAC reste dans la droite ligne de l’économie de marché et de la mondialisation, laissant libre cours à la dérégulation, à la fin des quotas, à la spéculation alimentaire. Et ce ne sont pas les accords transatlantiques en cours de négociation qui vont arranger les choses pour l’agriculture française.

Enfin, à l’échelon mondial, nourrir 9 milliards de bouches à l’horizon 2050 constitue un véritable défi : chaque pays doit apporter sa contribution pour le relever. Chaque jour, 219 000 nouvelles bouches à nourrir s’invitent à la table du monde. Plus d’un milliard d’individus souffrent actuellement de la faim, en particulier les populations agricoles en activité et celles ayant migré vers les banlieues des grandes villes.

Si nous laissons faire le marché et la spéculation au profit des plus nantis, nous courons à la catastrophe humanitaire et environnementale. Nos sociétés doivent impérativement promouvoir socialement et politiquement d’autres choix, à l’instar de ce projet de loi. À titre d’exemple, les États-Unis ont consacré l’an passé 130 millions de tonnes de céréales à la production de carburants, sur une production totale de 400 millions de tonnes. Des réorientations sont donc possibles. Les modes de consommation, entre protéines animales et protéines végétales, vont également être amenés à évoluer très rapidement. L’aide alimentaire sauve les vies, mais ne règle pas les problèmes au fond. Il est également urgent d’investir des milliards, aujourd’hui consacrés à l’industrie de la mort, dans l’irrigation et la mise en œuvre de technologies culturales économes en énergie, afin que chaque pays puisse tendre vers l’indépendance alimentaire.

J’en viens à présent aux principales dispositions qui nous sont présentées.

Le titre préliminaire du projet de loi fixe des objectifs ambitieux pour la politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation. Il le fait selon une dimension triple : européenne, nationale et territoriale. La dimension internationale n’apparaît pas. Pourtant, les réglementations, les accords commerciaux internationaux emportent des conséquences importantes sur les politiques agricoles et les modèles agricoles dans le monde.

La France est représentée au sein de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Même si la compétence exclusive de l’Union européenne en matière de politique commerciale commune pèse sur les choix des États, la France devrait, en toute cohérence, défendre dans ces instances internationales les mêmes ambitions que celles qui sont affichées dans le titre préliminaire du présent texte.

Pour imposer ce nouveau modèle de l’agroécologie, il faut le soustraire au périmètre des négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange. Il faut le faire non seulement pour protéger nos terroirs, nos filières agricoles, tout particulièrement l’élevage, mais également pour assurer à nos concitoyens une alimentation saine et de qualité.

Comment atteindre l’objectif « de contribuer à la protection de la santé publique, de veiller au bien-être et à la santé des animaux, à la santé des végétaux » si l’on accepte la fin des barrières non tarifaires et un nivellement par le bas des normes sanitaires et environnementales ?

Autre exemple, dans le cadre de la PAC, la France a fait du soutien à l’élevage l’un des axes forts de sa politique. Or les professionnels du bétail et des viandes ont exprimé les inquiétudes que leur inspire le futur accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, qui prévoit des quotas d’exportation de viandes canadiennes vers l’Union européenne. Ils ont souligné que cet accord serait d’autant plus déséquilibré que, au Canada, les exigences en termes de normes de production en matière environnementale, sanitaire et de bien-être animal sont bien inférieures aux nôtres et en inadéquation complète avec les exigences des consommateurs français et européens. Sans rupture avec les politiques de libéralisation et de déréglementation, l’agroécologie risque de rester une belle idée, sans traduction concrète au-delà de quelques expériences.

Atteindre les objectifs énoncés à l’article 1er nécessite également un changement radical de politique générale. Assurer l’ancrage territorial de la production et de la transformation des produits agricoles, c’est prendre des mesures fortes pour mettre en place des circuits de production, de distribution, et de consommation qui soient le plus courts possible. Cela passe, par exemple, par la sécurisation de l’abattage dans les filières locales. Le passage à l’agroécologie nécessite en réalité de changer plus profondément notre modèle économique et social.

J’en viens maintenant aux outils proposés pour renforcer nos filières agricoles et agroalimentaires.

Nous saluons la création, à l’article 3, des groupements d’intérêt économique et environnemental, désormais fondés sur un triple objectif associant la dimension sociale. Cet ajout est un gage essentiel, qui permet de mettre au cœur de nos débats la juste rémunération du travail et la protection sociale des salariés et des exploitants agricoles.

Pour renforcer cet outil novateur, nous souhaitons également garantir aux exploitants agricoles un accompagnement, à travers une offre de conseils diversifiée et gratuite. Afin de faire écho aux dispositions du titre II du projet de loi, nous proposerons de préciser que le regroupement foncier doit être un des objectifs des GIEE.

Enfin, nous devons nous assurer que les majorations d’aide publique profitent en priorité aux exploitants agricoles, et non aux différentes personnes morales susceptibles de les capter. L’examen de ce texte doit être l’occasion de donner des gages forts aux agriculteurs.

L’article 4, relatif à la déclaration de l’azote commercialisé et à l’extension du bail environnemental, participe au verdissement nécessaire du secteur agricole. Cependant, là encore, il est nécessaire de trouver un juste équilibre, afin de ne pas faire peser des contraintes disproportionnées sur les exploitants, en particulier les fermiers. Il s’agit toutefois d’une bonne idée, que nous soutiendrons.

L’article 6 comporte des avancées en matière de transparence des contrats au sein des coopératives agricoles. Ces dernières doivent être des acteurs phares de l’agroécologie. À cet égard, leur ancrage territorial doit être une exigence forte. De cette manière, elles participeront à la relocalisation des filières agricoles. Nous vous proposerons également de renforcer la participation des salariés du secteur aux organes de décision des coopératives agricoles et de revenir, dans le cadre des organisations de producteurs, à la version initiale du projet de loi, afin d’assurer une meilleure représentation des syndicats agricoles.

Enfin, dernier point clé du titre Ier, l’article 7, relatif aux relations commerciales et au médiateur, apporte des réponses timides à la problématique des relations commerciales déséquilibrées au sein des filières agricoles et industrielles.

La loi relative à la consommation n’est pas allée bien loin. Les producteurs attendent aujourd’hui des mesures fortes pour garantir une répartition juste de la valeur ajoutée au sein des filières agricoles et agroalimentaires. Il ne faut pas que cette loi d’avenir soit une occasion manquée quant au traitement de la question centrale des prix et des revenus. La volatilité des marchés fragilise les exploitations agricoles. Afin d’endiguer la baisse du revenu agricole, on peut agir sur les prix. Il fut un temps, pas si ancien, où les parlementaires de gauche soutenaient l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits agricoles périssables.

Nous proposerons également qu’une conférence bisannuelle sur les prix, rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs, soit organisée pour chaque production agricole par l’interprofession compétente, afin que la négociation puisse aboutir à la fixation d’un prix rémunérateur indicatif. C’est dans ce sens que nous demandons que l’on revoie à la hausse le seuil de revente à perte, que l’on encadre les pénalités imposées par les distributeurs, ainsi que les conditions du déférencement, épée de Damoclès planant au-dessus de la tête des producteurs. Si nous n’y arrivons pas, monsieur le ministre, il faudra que l’Observatoire des prix et des marges puisse fixer des prix indicatifs.

Le titre II, consacré à la politique foncière et au renouvellement des générations, apporte des outils intéressants pour la relocalisation de l’activité agricole et l’installation.

Les outils fonciers et de contrôle des structures destinés à lutter contre le changement d’affectation des sols et la concentration des exploitations sont indispensables. La volonté politique locale est fondamentale pour les faire vivre.

Il est important de ne pas oublier le rôle des collectivités locales. L’article 12, qui tend à renforcer l’arsenal de protection des terres non urbanisées contre la pression foncière, répond à un objectif que nous partageons tous. Cependant, il ne faudrait pas qu’il serve de prétexte pour dessaisir les collectivités locales de l’administration de leur territoire et donner des pouvoirs exorbitants à des commissions n’ayant aucune légitimité démocratique. Là encore, soyons vigilants sur les équilibres.

L’article 13, relatif aux sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, élargit les missions de ces dernières et conforte leurs prérogatives. Il leur permet de faire jouer leur droit de préemption pour acquérir l’usufruit de terres agricoles ou la totalité de parts de sociétés à objet agricole. Cela va dans le bon sens. Nous avions déposé, en commission des affaires économiques, des amendements qui se sont vu opposer l’article 40 de la Constitution ; ils visaient à élargir le droit de préemption à l’acquisition de la nue-propriété ou de la majorité des parts sociales.

L’article 15 du projet de loi s’inscrit dans la même logique et place à l’échelon régional le schéma directeur départemental des structures agricoles, le SDDSA. Il est important que les orientations définies tiennent compte des réalités agricoles, qui peuvent être très différentes d’un département à l’autre. Nous y reviendrons dans la suite des débats.

L’article 14, quant à lui, porte sur l’installation, l’un des enjeux majeurs pour l’avenir : il s’agit des femmes et des hommes qui travaillent pour nous nourrir. Nous saluons des dispositions positives, comme le nouveau dispositif de contrat de génération-transmission ou le renforcement du répertoire à l’installation. La viabilité économique des projets et la capacité professionnelle sont des dimensions déterminantes. Cependant, nous devons aider financièrement les personnes qui, pour diverses raisons, s’installent après 40 ans ou n’ont ni emploi ni diplôme mais se sont engagées dans des formations.

De plus, au regard de la réalité économique très dure du secteur, ne serait-il pas possible d’adapter le dispositif d’installation progressive, afin qu’il favorise la transmission générationnelle et la consolidation économique progressive des exploitations agricoles ?

Pour terminer sur le titre II du projet de loi, nous souhaitons garantir un haut niveau de protection sociale pour tous les actifs et les retraités du secteur agricole, en métropole comme en outre-mer. Le projet de loi modernise les conditions d’affiliation à la Mutualité sociale agricole. Les pluriactifs sont enfin reconnus par notre commission.

Le titre III, relatif à la politique de l’alimentation et à la performance sanitaire, ouvre des pistes intéressantes pour diminuer la consommation de produits phytopharmaceutiques et d’antibiotiques, ainsi que pour renforcer l’indépendance des contrôles sanitaires. Encore faut-il que les budgets suivent !

En revanche, nous sommes opposés au transfert à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de la compétence de délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires et des matières fertilisantes. Nous considérons en effet que l’État doit garder la maîtrise en ce domaine. Nous demanderons donc la suppression de cet article.

Sur le titre IV, relatif à la formation et la recherche, nous partageons les inquiétudes de Mme la rapporteur pour avis de la commission de la culture, et nous demanderons la suppression de la création de l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, dont le statut, le périmètre, les missions, le financement demeurent trop flous.

J’achèverai mon propos en évoquant les dispositions relatives à la forêt.

Nous approuvons les outils mis en place par le projet de loi, notamment le groupement d’intérêt économique environnemental forestier, pour garantir une gestion des forêts de particuliers allant dans le sens de la durabilité et de la multifonctionnalité.

Cependant, à plusieurs égards, ce volet mérite d’être précisé. Je pense ici au rôle de l’Office national des forêts et à la dénaturation des missions des agents, en raison d’une gestion marchande de la forêt publique, ainsi qu’à la place et au rôle des chasseurs.

Monsieur le ministre, les sénateurs du groupe CRC partagent la philosophie de ce projet de loi d’avenir, tendant à faire de l’agroécologie le cœur d’un nouveau modèle agricole et économique. Cependant, pour défendre le droit à une alimentation de qualité pour tous les citoyens, à un revenu décent pour les salariés et les exploitants agricoles, pour mettre en place une agriculture relocalisée faisant vivre nos territoires, il nous semble nécessaire d’adopter des mesures plus ambitieuses. Nous nous efforcerons de vous en convaincre dans la suite de la discussion. §

Debut de section - PermalienPhoto de Renée Nicoux

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt est l’occasion de mettre à l’honneur une population et des territoires qui ont, souvent de manière légitime, le sentiment d’être relégués au second plan des préoccupations nationales : je veux parler du milieu agricole et rural.

Les chiffres sont pourtant parlants : les terres agricoles et forestières représentent plus de 80 % du territoire de la France hexagonale. À l’heure où notre pays connaît une des crises économiques les plus graves de ces dernières décennies, je tiens à rappeler que l’agriculture française assure 19 % de la production de l’ensemble des pays de l’Union européenne.

C’est une richesse et un potentiel à ne pas négliger, qu’il faut au contraire développer. C’est bien l’objectif visé au travers de ce projet de loi, pour que continuent de vivre nos territoires.

Dès son arrivée au pouvoir, le Gouvernement a clairement affiché sa volonté de redonner la priorité au renforcement de notre modèle agricole, en termes économiques, sociaux, mais aussi environnementaux.

Une première étape, et non des moindres, a été franchie grâce à l’impulsion et à la témérité de la France lors des négociations sur la réforme de la politique agricole commune pour les six prochaines années, avec notamment la sauvegarde du budget, qui n’était pas acquise au départ. Cette avancée ne peut être dissociée du présent projet de loi d’avenir.

Je salue le travail du Président de la République et du ministre de l’agriculture. Ce sont les objectifs mêmes de la PAC qui ont été profondément révisés grâce à leur engagement fort : les aides dont bénéficient les agriculteurs se voient conférer un caractère plus égalitaire entre filières et agriculteurs, la diversité des productions est favorisée et la priorité est clairement donnée à l’élevage allaitant, une filière longtemps lésée dans l’attribution des aides.

La France a défendu une agriculture respectueuse de l’environnement et protectrice des ressources, en s’appuyant sur un dispositif appliqué dans tous les pays d’Europe : le verdissement. Bénéficiant de 30 % des aides du premier pilier de la PAC, celui-ci aura une incidence sociétale importante, en termes de qualité de la production, de durabilité des capacités productives des terres, mais aussi de compétitivité, puisque tous les agriculteurs européens seront soumis au même règlement.

Enfin, la France a également fait le choix d’orienter une partie de ces aides européennes vers un soutien à l’activité, à l’emploi et à l’installation des jeunes agriculteurs.

Partant de ces avancées obtenues à l’échelle européenne, le projet de loi d’avenir dont nous débattons aujourd’hui permet d’aller encore plus loin dans la transition vers le nouveau modèle agricole que nous souhaitons pour l’avenir. Ce texte a pour vocation de fournir un cadre législatif permettant à nos agriculteurs et au secteur forestier d’assurer leur développement économique, tout en prenant en compte la dimension écologique de leurs activités.

Les outils sont là pour encourager un changement de pratiques et conduire nos agriculteurs à entamer une transition vers un système de production agroécologique, privilégiant l’autonomie des exploitations agricoles et l’amélioration de leur compétitivité et de leurs résultats, grâce à des pratiques plus économes en énergie, en eau, en engrais, en produits phytopharmaceutiques ou en médicaments vétérinaires. Ces démarches innovantes, répondant aux attentes de la société et aux défis environnementaux actuels, sont constitutives d’un modèle pour l’avenir.

Le projet de loi tend à engager dès à présent cette transition et à façonner un nouveau cadre pour la politique agricole nationale. Le renforcement de la performance économique et environnementale de l’agriculture, la préservation du foncier, le soutien à l’installation des jeunes, mais aussi l’accent mis sur l’enseignement agricole, technique et supérieur, font partie des priorités retenues.

Tout d’abord, la loi vise à apporter un cadre législatif et réglementaire pour favoriser le développement des filières, en s’attachant à concilier les performances économique, sociale et environnementale de notre agriculture. Cela est facilité par la promotion d’une démarche collective, avec la création du groupement d’intérêt économique et environnemental. Ce regroupement des exploitants agricoles, soutenu par des aides publiques spécifiques, a pour objectif de modifier ou de consolider durablement leurs systèmes de production, de développer l’entraide et l’expérimentation, de faciliter la commercialisation des produits et d’apporter une réponse pertinente au problème de l’isolement en milieu rural.

Par ailleurs, les structures légales existantes de regroupement d’agriculteurs sont significativement renforcées et leur fonctionnement est amélioré par le texte. Par exemple, la transparence des groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, est clairement définie, et la gouvernance des coopératives agricoles sera améliorée par l’accès, pour tout adhérent, à l’information sur les prix et les transactions commerciales.

Ces dispositions sont cruciales pour mieux associer l’agriculture à l’agroalimentaire en aval. Il est en effet essentiel de donner aux agriculteurs la possibilité de peser dans leurs relations avec les acteurs économiques qui assurent le débouché de leur production. C’est pourquoi il semble indispensable d’étendre la contractualisation, via les accords interprofessionnels, à d’autres secteurs agricoles que l’élevage ovin ou le secteur des fruits et légumes frais, par exemple. La mise en place du médiateur des relations commerciales agricoles et le renforcement du rôle des interprofessions dans la régulation des filières, avec une meilleure représentation des syndicats, devraient contribuer à cette généralisation.

Le projet de loi tend également à préserver le foncier agricole et les espaces naturels et forestiers, de manière à répondre à la difficulté grandissante, pour les agriculteurs, surtout les jeunes, à accéder au foncier.

Pour cela, le rôle des SAFER, outils d’organisation de l’occupation du foncier agricole, est considérablement renforcé. Elles pourront accéder à l’information sur les cessions de biens agricoles, ainsi que sur les mouvements de parts sociales des sociétés à objet agricole ou encore sur les donations. Elles pourront aussi intervenir sur les terrains agricoles laissés à l’abandon, et user de leur droit de préemption en cas de vente de l’usufruit de biens.

Un amendement sera présenté, tendant à autoriser la dissociation des terres et du bâti lors d’une rétrocession, afin de faciliter les transactions au profit des agriculteurs.

En outre, le contrôle des structures, qui donne l’autorisation d’exploiter, est conforté et rénové afin de lutter plus efficacement contre les agrandissements excessifs d’exploitations, qui se font au détriment de l’installation.

À ce propos, je voudrais particulièrement insister sur l’impulsion qui est donnée au travers de ce texte pour encourager l’installation, le renouvellement des générations, ainsi que la formation des futurs agriculteurs, qui seront les promoteurs d’une agriculture d’avenir, diversifiée et génératrice de valeur ajoutée.

Tout d’abord, le cadre juridique de la politique d’installation est significativement rénové, avec l’allongement à cinq ans de l’application du dispositif d’installation progressive, la mise en place d’une couverture sociale pour les candidats à l’installation pendant la phase de préparation de leur installation, l’adaptation des contrats de génération au secteur agricole pour faciliter la transmission de l’exploitation à un jeune par le chef d’exploitation partant, la modernisation des critères d’installation, l’activité minimale d’assujettissement remplaçant la surface minimum d’installation. Cela va dans le sens d’une meilleure équité et d’une facilitation de la reconnaissance des jeunes agriculteurs, puisque l’attribution des terres et l’affiliation des agriculteurs à la Mutualité sociale agricole se feront non plus selon la taille des exploitations, mais selon l’activité économique.

La mise en place du registre des actifs agricoles, réclamé par la profession, constitue une autre avancée.

En amont de l’installation, la question de l’enseignement et de la recherche en agriculture devait aussi être abordée, afin que nos agriculteurs bénéficient de la meilleure formation possible. Même si l’enseignement agricole est reconnu comme étant de très bonne qualité et permettant une bonne insertion professionnelle, celui-ci doit accompagner l’évolution des pratiques culturales. La création d’un Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, visant au rapprochement entre les sciences agronomiques, biologiques, écologiques et agricoles, y contribue.

Je tiens, pour conclure, à souligner la qualité de ce texte. Comme je l’ai dit, les outils sont là. De l’enseignement au soutien à l’installation, à l’accès au foncier et à l’encouragement au regroupement des agriculteurs pour créer de la valeur ajoutée, cette loi posera les jalons essentiels d’un renouveau des pratiques agricoles et de l’agroécologie. Les jeunes agriculteurs pourront se saisir de ces outils et s’engager sur une nouvelle voie de développement agricole, pour affronter les défis économiques et environnementaux actuels, tout en bénéficiant d’une protection accrue. C’est pourquoi les sénateurs du groupe socialiste soutiennent, bien sûr, ce projet de loi, qui prépare un nouveau modèle d’agriculture ambitieux pour l’avenir de notre pays. §

Debut de section - PermalienPhoto de Ambroise Dupont

Je commencerai en vous félicitant, monsieur le ministre, de votre reconduction à ce ministère si important pour notre pays et de l’élargissement du champ de votre compétence à l’agroalimentaire.

Je me félicite que ce débat puisse avoir lieu à un moment où l’agriculture se porte mal dans certaines de nos régions, en particulier celles d’élevage, et alors que nous n’avons pas pu débattre au Sénat du budget de l’agriculture, en décembre dernier.

Force est de constater que, malgré les lois successives, la situation des agriculteurs, des éleveurs en particulier, ne s’est pas améliorée. Le secteur agricole a été très affecté par la crise, par la mondialisation, dans le cadre d’une concurrence grandissante des pays émergents ou de certains de nos voisins européens. C’est la raison pour laquelle les grandes lois nationales, quelles que soient les majorités, nous apparaissent parfois insuffisantes.

Ainsi, en raison de la découverte de sangliers porteurs de la peste porcine en Lituanie, sur fond de tensions politiques en Ukraine, la Russie a décrété un embargo sur le porc européen, qui fait chuter les cours et pénalise nos régions exportatrices, pourtant exemptes de cette maladie. Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous de promouvoir sur ce point, à l’échelle européenne et au sein de l’OMC ?

Ces dernières années, notre modèle agricole a eu tendance à sacrifier le secteur primaire – les producteurs – au profit du secteur tertiaire, c’est-à-dire les services agricoles, financés par les premiers. À terme, le modèle économique du secteur primaire est difficilement tenable. Si l’on ne prend pas en compte ses spécificités, il entraînera dans sa chute les deux autres secteurs !

L’un des moyens d’accroître les revenus des agriculteurs consiste à valoriser les productions et à les attacher à leur terroir. C’est tout le principe des produits sous signes de qualité, tels que les AOC et les IGP. Vous souhaitez ici simplifier les procédures de reconnaissance et renforcer leur protection contre les risques d’usurpation et de détournement ou d’affaiblissement de leur notoriété. C’est un pas en avant, nécessaire, mais qui ne règle pas tout. Ainsi, certains distributeurs créent encore des labels, sources de confusion dans l’esprit du consommateur.

À ce propos, je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir accepté de participer au prochain festival des AOC de Cambremer, événement que j’ai créé voilà plus de vingt ans. Après l’Italie et le Japon notamment, la Norvège est cette année l’invitée d’honneur du festival, ce qui montre que la problématique des produits sous signes de qualité est largement mondialisée.

Le grand sujet du jour est la répartition des aides agricoles entre « grandes cultures » et « élevage ». Un rééquilibrage était nécessaire. La France a choisi, à travers les mécanismes de la nouvelle PAC, de soutenir en priorité l’élevage. Il le faut, et je me réjouis d’une telle décision, bien que ce ne soit pas encore suffisant.

À ce sujet, comment se feront les nouvelles répartitions entre les différentes formes d’élevage, en particulier pour les filières et les territoires les plus fragiles, et entre grandes exploitations exportatrices et petites exploitations ?

J’en viens à une autre question, en vous priant de m’excuser de ne pas traiter plus à fond chacun des thèmes : celle de l’urbanisme dans les zones agricoles, que Didier Guillaume a évoquée. Je regrette l’absence de souplesse de certaines règles inscrites dans la loi ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Je pense notamment, à cet égard, à la problématique de l’habitat isolé situé au cœur des terres d’élevage. Ce bâti, souvent ancien, et pas uniquement lié à l’activité agricole, est menacé, puisque toute évolution du bâti existant, en particulier les extensions, est devenue quasiment impossible. Les territoires ruraux sont vivants et leurs habitants doivent pouvoir entretenir et faire évoluer l’habitat existant sans contraintes excessives.

La filière équine est la grande absente de votre projet de loi. Je milite depuis longtemps, avec beaucoup de mes collègues sénateurs, pour la reconnaissance de son caractère agricole. Nous en avons souvent parlé avec vous et M. Cazeneuve.

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, le relèvement du taux de TVA a des conséquences très lourdes sur cette filière. J’ai noté quelques aménagements récents en faveur des centres équestres, qui devraient ramener le taux moyen de TVA applicable à environ 10 %, ce qui est déjà élevé ! En revanche, l’enseignement de l’équitation, les prises en pension, le dressage, les ventes d’équidés seront taxés au taux normal de 20 %. Et je n’oublie pas les courses, auxquelles ce taux s’applique depuis 2013. La fixation du taux à 20 % ne fera que fragiliser davantage les acteurs les plus modestes de la filière, en particulier les petits propriétaires et éleveurs, et encourager les paiements « au noir ».

Le groupe « cheval » du Sénat s’est aussi interrogé sur l’encadrement du commerce de chevaux, dont la législation a été largement abrogée voilà plusieurs années, ce qui a créé des dysfonctionnements importants dans les filières loisir, sport et viande. À l’heure de la sécurisation des filières, et après le scandale des « lasagnes de bœuf au cheval », la dérégulation du commerce de chevaux conduit, par exemple, à des problèmes de traçabilité, notamment lors de l’entrée d’équidés sur notre territoire, ce qui peut induire des risques sanitaires.

Une autre inquiétude de la filière concerne la « taxe affectée » sur les paris hippiques en ligne au profit des sociétés de courses, dont le dispositif a dû être adapté pour tenir compte des observations de Bruxelles. Le taux, initialement fixé à 8 %, a été ramené à 5, 9 %, ce qui, pour les courses organisées à l’étranger – qui attirent 10 % des enjeux en France –, et compte tenu de la rémunération versée aux organisateurs locaux, laissera dans ce cas 2, 9 % pour la filière. Comment feront alors les sociétés-mères ?

Par ailleurs, vous le savez, depuis plusieurs mois, le comité stratégique que je préside travaille à l’avenir de l’Institution des courses en France. Il faut, j’en suis convaincu, aboutir à un projet qui allie le sceau des acteurs et celui de l’État.

Le cheval est une filière agricole à part entière, qui fait vivre certains de nos territoires, mais qui revêt aussi une dimension sportive, comme en témoigne l’organisation en Basse-Normandie, cet été, des Jeux équestres mondiaux. Cet événement international – plus de soixante nations seront représentées – mettra en lumière l’excellence de la filière équine française.

Si votre texte n’aborde pas la filière équine, il crée un nouvel établissement public à caractère national, dénommé « Haras national du Pin ». Placé sous tutelle du ministère de l’agriculture, il aura notamment pour objectifs la préservation et la valorisation du patrimoine du haras national du Pin, la création d’un pôle international dédié aux sports équestres ou encore l’appui à la filière et la promotion des métiers du cheval, reprenant les accords professionnels et régionaux. C’est, à mon sens, une bonne mesure, mais l’installation d’une déchetterie industrielle près du haras du Pin nous inquiète. Il s’agit d’un dossier complexe, qui suscite de nombreuses réactions localement. Monsieur le ministre, je souhaite que vous et votre collègue de l’écologie restiez attentifs aux éventuels risques environnementaux.

Sur tous ces dossiers d’actualité, notre filière équine a besoin de votre soutien. Elle est plus fragile qu’on ne le croit et représente, je le rappelle, 75 000 emplois.

Pour conclure, je compte sur votre engagement pour redonner le caractère d’excellence « à la française », celui de son avenir, à notre agriculture, cette filière économique majeure de notre pays. §

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous féliciter à mon tour de votre reconduction dans vos fonctions. Vous connaissez bien, désormais, ce secteur de l’économie, dont vous pouvez mesurer pleinement les enjeux. Ils sont de taille, et les attentes sont immenses.

Je souhaite remercier notre collègue Joël Labbé de nous avoir expliqué clairement ce que recouvre la notion d’agroécologie. Pour ma part, je n’en avais pas appréhendé toute la portée en écoutant M. le ministre et M. le rapporteur Guillaume, qui avaient, me semble-t-il, quelque peu idéalisé ce concept…

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Certes, mais notre collègue Joël Labbé est un spécialiste de l’écologie ! Je l’ai donc écouté avec attention.

Monsieur le ministre, de l’avis de beaucoup de professionnels du secteur, le texte que vous nous proposez manque malheureusement un peu de souffle.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

N’y voyez pas un propos politique, encore moins une intention polémique, …

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

… mais, face aux enjeux, nous avons le devoir d’être plus ambitieux, plus réalistes, pour proposer à la « ferme France » une réelle vision d’avenir.

L’agriculture est l’un des secteurs très importants de notre économie, tant par sa taille que par sa qualité. Elle évolue en permanence. Nous devons accompagner cette évolution, mais aussi, et surtout, l’anticiper, pour permettre à nos exploitants d’être encore plus performants, encore plus innovants, en un mot compétitifs.

Nous avons une chance inouïe. Notre pays possède en général de bonnes terres, notre climat est favorable aux cultures, nos agriculteurs sont parmi les mieux formés. Qu’attendons-nous pour mieux profiter de ces atouts, de cette capacité de pouvoir produire plus et mieux, alors que la demande mondiale augmente de 2 % à 3 % par an ?

La production agricole française représente 19 % de la production européenne et emploie plus d’un million d’actifs. C’est une filière d’avenir, qui, avec l’agroalimentaire, apporte près de 8 milliards d’euros d’excédent à la balance commerciale de notre pays. Nous avons donc, j’en suis convaincu, le devoir de veiller à sa compétitivité.

Des pays voisins, comme l’Allemagne, sont en train de nous dépasser petit à petit. La main-d’œuvre y est globalement moins chère que chez nous, d’environ 20 %. Cette différence atteint même 50 % dans le secteur des fruits et légumes. Ce n’est pas une question de revenu, car le niveau de rémunération de nos agriculteurs est déjà trop faible. Il s’agit plutôt de mieux faire correspondre le coût du travail et la rémunération des producteurs. Monsieur le ministre, j’ai entendu, au travers de vos propos, que le Gouvernement s’engageait sur le sujet.

La compétitivité de l’agriculture ne se mesure pas sur un seul secteur. C’est le résultat des performances de toute la filière, du producteur au consommateur en passant par la transformation. Pour améliorer la compétitivité, il faut réduire le coût du travail et aussi, je le pense, simplifier les normes administratives. Par ces temps de disette budgétaire, une telle simplification des normes ne coûte rien, ou très peu, au regard des avantages qu’elle procurerait à nos paysans.

Le Président de la République a promis un choc de simplification. Le Premier ministre, pas plus tard qu’hier, a promis une réduction drastique des normes pour libérer les entreprises. Monsieur le ministre, je pense qu’il faut s’engager également dans cette voie pour l’agriculture.

Je prendrai un exemple parmi tant d’autres, dont nous avons beaucoup débattu en commission : les transporteurs d’engrais minéral devront désormais remplir leur lot de déclarations, ce que les agriculteurs font déjà… Pourquoi faut-il deux déclarations, alors que l’on connaît le sort irrémédiablement réservé à ces documents : se perdre dans les méandres d’une administration tatillonne, qui trop souvent contrôle au lieu d’accompagner et de soutenir ?

Vous souhaitez ajouter une norme ? Soit. Supprimez alors l’obligation de déclaration faite aux agriculteurs. Voilà qui serait efficace et donnerait un peu d’oxygène aux professionnels. D’ailleurs, ce serait conforme à la demande du Président de la République de ne pas créer une nouvelle norme sans en supprimer une existante.

Abandonnez aussi cette idée d’une écologie punitive. On peut allier agroécologie et performance : il suffit de le vouloir. Qui peut penser aujourd’hui que les agriculteurs sont les ennemis de l’environnement, alors que la nature est leur bien le plus précieux ? Heureusement, monsieur le ministre, le bail à clause environnementale, à défaut d’être supprimé, comme nous le demandions, a été encadré dans votre texte.

La compétitivité de notre agriculture est plombée par des charges bien trop élevées au regard de la taille moyenne des exploitations et de leur équipement. Alors que, en Allemagne, le produit d’un méthaniseur représente 20 % des revenus d’un exploitant, la France crée toutes les contraintes possibles et imaginables pour en freiner l’installation. Voilà encore un moyen d’améliorer la compétitivité qui n’apparaît pas dans le texte.

Autre grande absente du projet de loi : l’utilisation de l’eau. Or la politique d’irrigation est un enjeu majeur pour l’avenir de l’agriculture en une période de réchauffement climatique. Rien n’en est dit dans ce texte. C’est, là aussi, un vrai rendez-vous manqué.

Au cours de nos débats, je proposerai avec mes collègues du groupe UDI-UC la création d’un observatoire de la compétitivité de l’agriculture française, qui agira sur les prix et les marges, mais aussi sur les distorsions de concurrence.

Pour briser la « boîte noire » des prix et des marges, nous proposons d’instaurer le libre accès aux informations et aux statistiques des centrales d’achat qui ne jouent pas le jeu de la transparence. Le name, blame and shame pratiqué chez les Anglo-Saxons est bien plus efficace que des amendes souvent dérisoires. Cette accessibilité imposera le consommateur comme arbitre des distorsions entre prix d’achat au producteur et prix payé par le consommateur.

Cet observatoire réalisera de plus chaque année une étude exhaustive des distorsions de concurrence imposées aux agriculteurs dans l’application des directives communautaires et des normes françaises. L’identification rapide de ces distorsions permettra, d’une part, de mieux négocier à Bruxelles, et, d’autre part, de supprimer rapidement, au niveau national, des règlements et des normes inutiles et inefficaces pour l’agriculture.

Encore une fois, le choc de simplification décrété par le Président de la République doit aussi être mis en œuvre dans ce secteur. Monsieur le ministre, des actes, de l’air, de l’oxygène pour l’agriculture française ! J’espère sincèrement que vous entendrez cette proposition et que vous y adhérerez.

Pour conclure, je tiens à saluer le travail des rapporteurs au fond et du président de la commission des affaires économiques, qui ont su trouver des compromis sur de nombreux articles du projet de loi, rattrapant ainsi un peu les défauts du texte qui nous arrivait de l’Assemblée nationale.

Naturellement, j’ai déposé, avec mes collègues du groupe UDI-UC, d’autres amendements, concernant le registre des actifs, la compensation agricole ou les produits phytosanitaires. J’espère vivement que nous serons entendus.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 10 avril 2014 :

À neuf heures trente :

1. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (279, 2013-2014) ;

Rapport de MM. Didier Guillaume et Philippe Leroy, fait au nom de la commission des affaires économiques (386, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 387 rectifié, 2013-2014) ;

Avis de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (344, 2013-2014) ;

Avis de M. Pierre Camani, fait au nom de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire (373, 2013-2014) ;

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze et le soir :

3. Suite de l’ordre du jour du matin.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le jeudi 10 avril 2014, à zéro heure trente.