Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la disparition de 25 % des exploitations en dix ans et un recul de ses parts de marchés à l’exportation, l’agriculture française traverse, il est vrai, des difficultés. Toutefois, la « ferme France » reste l’une des plus performantes du monde.
C’est dans ce contexte en demi-teinte que s’inscrit la discussion du projet de loi que nous présente aujourd’hui le Gouvernement. Elle intervient aussi dans un cadre européen renouvelé par la réforme de la politique agricole commune.
Ce texte traduit la volonté de donner un nouvel élan à notre agriculture, en favorisant des modèles de développement à la fois plus performants et plus durables : compétitivité économique et compétitivité environnementale ne sont plus opposées.
La performance environnementale devient même un atout dans la compétition mondiale. Elle n’est plus perçue comme une contrainte. Au contraire, elle ouvre le champ des possibles, favorise le collectif, l’initiative, l’innovation, l’expérimentation et l’échange.
Dans son rapport consacré à l’agroécologie, Marion Guillou, ancienne présidente-directrice générale de l’INRA, a recensé nombre de pratiques innovantes qui ont fait leurs preuves. Les acteurs de l’agroécologie ont réussi, dans un cadre le plus souvent collectif, à diversifier leur production, à réduire la dépendance de leurs exploitations en matière d’eau, d’énergie, d’engrais et de produits phytosanitaires.
Je me félicite que ce texte permette d’amplifier ces initiatives, en offrant un véritable cadre au développement de l’agroécologie et en favorisant la multiplication de ces expériences innovantes.
Quatre volets de ce projet de loi ont plus particulièrement intéressé la commission du développement durable : les premiers articles, qui posent les grands principes de la politique agricole et inscrivent celle-ci dans une perspective de développement durable réaliste ; les articles concernant la modernisation de nos outils fonciers, pour mieux lutter contre la consommation d’espaces agricoles ; les articles relatifs aux pesticides, qui visent à perfectionner le dispositif de mise sur le marché et de suivi des produits phytosanitaires, tout en encourageant la réduction des intrants ; enfin, le titre relatif à la forêt, dans la mesure où, dans ce domaine également, une inflexion forte est attendue, par l’ensemble des acteurs concernés, en faveur d’une gestion meilleure et plus durable des forêts.
L’article 3 du projet de loi prévoit la création de groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, destinés à favoriser les pratiques agroécologiques. Cette mesure est inspirée d’expériences étrangères réussies. C’est là un tournant historique : il s’agit de promouvoir avec ambition, mais aussi réalisme, une agriculture durable, non pas en imposant une norme uniforme, mais bien en partant des spécificités des territoires.
Ce tournant s’accompagne d’une modernisation des outils fonciers pour mieux lutter contre la consommation d’espaces agricoles, améliorer la répartition parcellaire, concourir à la diversité des systèmes de production et, surtout, mettre fin à la dichotomie stérile entre espaces naturels et espaces agricoles ou forestiers.
En commission du développement durable puis au sein de la commission des affaires économiques, nous avons beaucoup discuté de l’opportunité d’intégrer, dans le diagnostic des SCOT, la prise en compte du potentiel agronomique du territoire. Un amendement en ce sens a été déposé par nos collègues Renée Nicoux et Bernadette Bourzai.
L’intérêt d’une telle démarche est double : connaître le potentiel agronomique d’un territoire permet non seulement d’améliorer les pratiques, mais également d’éviter que l’expansion urbaine s’opère sur les terres agricoles les plus productives.
Je n’ignore pas les coûts à court terme de tels diagnostics et les difficultés opérationnelles qu’il faudra régler pour aboutir. Cependant, à l’heure d’engager l’avenir de notre agriculture, je suis persuadé qu’il s’agirait d’une mesure utile pour s’inscrire dans le long terme et atteindre l’objectif d’une double performance économique et environnementale.
J’en arrive aux apports de la commission du développement durable sur les articles relatifs aux produits phytosanitaires.
Notre commission a tout d’abord souhaité sécuriser le transfert à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de la mission de délivrance des autorisations de mise sur le marché, les AMM, pour les produits phytosanitaires.
Ce transfert est bienvenu : la double instruction des dossiers, par le ministère et par l’ANSES, crée des retards dont les conséquences sur le terrain sont considérables en termes de production.
Je pense, en particulier, à certaines cultures maraîchères, comme les fraises, dont la saison commence – mon département est le premier producteur de France –, qui ont un besoin crucial d’options de traitement phytosanitaire.
L’enjeu est bien, ici, l’efficacité économique par la simplification du droit et la rapidité des procédures. Il est toutefois apparu à notre commission que ce transfert devait s’effectuer dans le strict respect du principe de séparation de l’évaluation du risque et de la gestion de celui-ci.
Dans cette optique, la commission du développement durable a adopté trois amendements.
Le premier tend à doter les inspecteurs de l’ANSES de pouvoirs d’inspection et de contrôle, afin que ces agents puissent mener correctement leur nouvelle mission en matière d’autorisation et de suivi des mises sur le marché.
Un deuxième amendement vise à la réécriture de l’article 22 bis : nous avons renommé le conseil d’orientation créé par les députés « conseil de suivi des autorisations de mise sur le marché ». Y siégeront des représentants des ministères de tutelle, ainsi que des experts de l’ANSES. Point important, notre amendement tend à rendre publics les avis de ce conseil. La transparence est en effet une garantie d’indépendance.
Enfin, un troisième amendement a pour objet de donner au ministre de l’agriculture le pouvoir de prendre, en urgence, toute mesure de retrait ou d’interdiction d’une autorisation de mise sur le marché. C’est là une avancée fondamentale : dans l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement, le ministre doit pouvoir intervenir en urgence, sans préjudice de la compétence confiée à l’ANSES en matière de délivrance des autorisations de mise sur le marché.
Cet amendement garantit que le pouvoir politique restera responsable en matière de pesticides. En effet, nous avons pu le constater ces dernières années, ce qui est compliqué, c’est non pas de donner une AMM, mais bien de la retirer à temps.
Avec l’amendement adopté par la commission des affaires économiques sur l’initiative de Didier Guillaume, qui donne un droit de veto au ministre chargé de l’agriculture sur les décisions d’AMM de l’ANSES, nous disposons désormais d’un dispositif complet et sécurisé, qui permettra un gain d’efficacité considérable.
Restera à régler la question des moyens de l’ANSES, qui sont aujourd'hui insuffisants au regard de ses nombreuses missions, et du plafond d’emplois de l’agence. Nous aurons l’occasion de reparler de ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015.
De manière générale, notre commission se félicite des dispositions relatives aux pesticides contenues dans le projet de loi, car elles visent clairement à atteindre l’objectif de réduction des intrants. Les GIEE doivent également contribuer à cet objectif, en permettant de mutualiser les pratiques innovantes, sobres en pesticides. La dynamique de groupe est, à ce titre, fondamentale.
Dans mon département, le Lot-et-Garonne, une charte de coexistence a été signée en décembre 2012 entre apiculteurs, agriculteurs multiplicateurs de semences, agriculteurs en agrobiologie et collectivités locales. Cette charte a constitué l’une des orientations proposées lors des états généraux de l’agriculture départementale organisés par le conseil général, au cours desquels chacun a pu exprimer ses attentes à l’égard des autres filières et des collectivités.
L’objectif de la charte est, d’une part, de maîtriser les flux de pollen, auxquels sont sensibles les productions de semences hybrides, et, d’autre part, de protéger les abeilles et l’agriculture biologique de la dispersion des produits phytosanitaires.
En deux ans de mise en œuvre, la charte a permis de développer le dialogue entre les différents usagers de l’espace agricole, de mieux prévenir la contamination des semences par les flux de pollen, de préserver les insectes pollinisateurs et d’améliorer l’usage des traitements phytosanitaires.
L’avenir de l’agriculture passe par ce type d’expériences volontaires et innovantes, que ce projet de loi contribuera à encourager.
Je terminerai en évoquant d’un mot le volet du texte consacré à la forêt. Notre commission a adopté deux amendements de simplification.
Tout d’abord, nous avons supprimé la disposition prévoyant l’élaboration annuelle, par le département, en concertation avec les communes et les EPCI concernés, d’un schéma d’accès à la ressource forestière. Ce schéma constitue une formalité administrative supplémentaire, qui pourrait avoir des implications très lourdes pour les communes, lesquelles n’ont pas nécessairement les moyens d’adapter leur voirie. En outre, la problématique porte davantage sur l’accès aux parcelles au sein des espaces forestiers.
Par ailleurs, les députés avaient également ajouté une obligation d’incorporation de bois dans les constructions neuves. Aussi louable l’intention soit-elle, une telle disposition comporte un risque sérieux d’inconstitutionnalité.
En outre, la filière bois-construction ne semblant pas encore à même de répondre à la demande, la mise en œuvre de ce dispositif aurait pour conséquence d’aggraver le déficit de la balance commerciale et de subventionner les importations.