Ce projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt traduit votre volonté affirmée, monsieur le ministre, « de faire de la France le leader européen de l’agroécologie ».
Il y a un an tout juste, vous avez réaffirmé cet objectif en introduction au colloque que j’organisais au Sénat sur l’agroécologie. Cette coïncidence de dates, je la vois comme un bon signe, celui d’une reconnaissance officielle de la nécessaire transition agroécologique de notre agriculture, traduite dans le projet de loi que nous allons examiner au cours des prochains jours.
J’évoquerai tout d’abord les points majeurs issus de ce colloque, car ils éclairent la position que nous, écologistes, défendrons ici et que je développerai dans le second temps de mon intervention.
L’agroécologie est à la fois une science, au croisement de l’agronomie et de l’écologie, un mouvement social et une pratique agricole. Elle ne se résume pas à un concept scientifique, et donc à une vision technique, voire techniciste, de l’agriculture.
Améliorer les techniques est une chose ; proposer un modèle de développement et répondre à des demandes sociales et sociétales – celles des agriculteurs, des consommateurs, des citoyens – en est une autre.
S’engager dans l’agroécologie, à titre individuel et collectif, suppose d’engager un certain nombre de ruptures.
Il s’agit de ruptures avec les modèles en place, avec nos schémas de pensée habituels : rupture dans le système alimentaire, pour aller vers une alimentation plus locale, moins standardisée, moins riche en produits animaux, respectant l’environnement et la santé ; rupture dans le système économique, pour assurer un revenu équitable aux agriculteurs en développant les filières courtes, en recherchant un ancrage territorial dans l’économie locale, sachant que, au niveau international, cette relocalisation de l’économie agricole suppose une souveraineté alimentaire effective pour chaque grande région du monde ; rupture dans les politiques publiques, l’agroécologie nécessitant une nouvelle gouvernance avec une reconnaissance de la multifonctionnalité de l’agriculture, ce qui implique que ces politiques publiques soient davantage territorialisées et mieux adaptées aux agro-écosystèmes locaux.
Ce n’est pas simple, car cela suppose une implication collective non seulement des agriculteurs, mais de l’ensemble de la société.
Si la responsabilité est collective, elle est donc bien sûr politique, car il s’agit de déverrouiller les systèmes. Les politiques que nous sommes doivent retrouver leur véritable place, exercer leur pleine responsabilité et imposer leurs vues face aux intérêts des lobbies de l’agrochimie, de l’agro-industrie, de l’agro-business.
Ce n’est pas simple, mais il est urgent d’agir si nous voulons répondre à la désespérance sociale qui gagne le monde rural, ainsi qu’au décrochage des territoires périphériques par rapport aux métropoles.
Élu breton, je citerai l’exemple du modèle agricole et agroalimentaire de ma région, un modèle qui a atteint, et même dépassé, ses limites. Les conséquences du manque d’anticipation des dirigeants des grands groupes agro-industriels, mais aussi des élus et de l’État, nous les vivons au jour le jour en Bretagne.
Poursuivre selon les mêmes logiques, ce serait enterrer définitivement toute évolution vers une économie territoriale qui ne soit ni prédatrice ni destructrice, mais bien créatrice de valeur ajoutée, d’emploi et de qualité de vie.
Aussi, ce ne sont pas la multiplication des dérogations, comme le relèvement du seuil d’autorisation des élevages industriels de porcs, le renflouement financier permanent d’un modèle à bout de souffle sans contreparties – à l’exemple du pacte d’avenir pour la Bretagne – ou les fausses bonnes idées à vision « court-termiste », comme le développement massif de projets de méthanisation pour traiter les effluents d’élevage, qui nous permettront de reconquérir cette économie territoriale et de répondre à la demande légitime de « vivre, travailler et décider au pays », slogan que l’on a beaucoup entendu chez nous ces derniers temps.
Le modèle actuel met aussi en avant la prétendue vocation agro-exportatrice de la France, et ce sur fond de solidarité alimentaire internationale.
Cette vocation agro-exportatrice est fondée sur l’exportation de produits bas de gamme pour lesquels nous ne pourrons pas rester compétitifs. De plus, elle déstructure les agricultures de pays tiers. L’exemple du poulet breton destiné à l’exportation est édifiant, quand on sait que plus de 40 % de la viande de poulet consommée en France est importée, notamment du Brésil ! C’est grandiose !
En outre, pour alimenter ces élevages, nous sommes nous-mêmes toujours totalement dépendants des protéines végétales importées. La production des 2, 6 millions de tonnes de soja importées en Bretagne, en majeure partie OGM, mobilise plus de l million d’hectares de terres en Amérique latine, au détriment des agricultures vivrières locales, ainsi que de la forêt primaire. On ne peut donc pas parler de souveraineté alimentaire de la France !
Pourtant, certains osent encore dire qu’il faut encore augmenter nos rendements, grâce à une agriculture toujours plus productiviste, pour nourrir les populations de la planète. Ce discours devient absolument insupportable ! Commençons d’abord par cesser d’affamer ces populations par nos modes de production : notre enfermement dans le système maïs ensilage-soja en production intensive cause des dégâts sociaux, économiques, environnementaux irrémédiables, autant chez nous qu’à l’échelle de la planète.