Intervention de Ambroise Dupont

Réunion du 9 avril 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Ambroise DupontAmbroise Dupont :

Je commencerai en vous félicitant, monsieur le ministre, de votre reconduction à ce ministère si important pour notre pays et de l’élargissement du champ de votre compétence à l’agroalimentaire.

Je me félicite que ce débat puisse avoir lieu à un moment où l’agriculture se porte mal dans certaines de nos régions, en particulier celles d’élevage, et alors que nous n’avons pas pu débattre au Sénat du budget de l’agriculture, en décembre dernier.

Force est de constater que, malgré les lois successives, la situation des agriculteurs, des éleveurs en particulier, ne s’est pas améliorée. Le secteur agricole a été très affecté par la crise, par la mondialisation, dans le cadre d’une concurrence grandissante des pays émergents ou de certains de nos voisins européens. C’est la raison pour laquelle les grandes lois nationales, quelles que soient les majorités, nous apparaissent parfois insuffisantes.

Ainsi, en raison de la découverte de sangliers porteurs de la peste porcine en Lituanie, sur fond de tensions politiques en Ukraine, la Russie a décrété un embargo sur le porc européen, qui fait chuter les cours et pénalise nos régions exportatrices, pourtant exemptes de cette maladie. Monsieur le ministre, quelles mesures envisagez-vous de promouvoir sur ce point, à l’échelle européenne et au sein de l’OMC ?

Ces dernières années, notre modèle agricole a eu tendance à sacrifier le secteur primaire – les producteurs – au profit du secteur tertiaire, c’est-à-dire les services agricoles, financés par les premiers. À terme, le modèle économique du secteur primaire est difficilement tenable. Si l’on ne prend pas en compte ses spécificités, il entraînera dans sa chute les deux autres secteurs !

L’un des moyens d’accroître les revenus des agriculteurs consiste à valoriser les productions et à les attacher à leur terroir. C’est tout le principe des produits sous signes de qualité, tels que les AOC et les IGP. Vous souhaitez ici simplifier les procédures de reconnaissance et renforcer leur protection contre les risques d’usurpation et de détournement ou d’affaiblissement de leur notoriété. C’est un pas en avant, nécessaire, mais qui ne règle pas tout. Ainsi, certains distributeurs créent encore des labels, sources de confusion dans l’esprit du consommateur.

À ce propos, je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir accepté de participer au prochain festival des AOC de Cambremer, événement que j’ai créé voilà plus de vingt ans. Après l’Italie et le Japon notamment, la Norvège est cette année l’invitée d’honneur du festival, ce qui montre que la problématique des produits sous signes de qualité est largement mondialisée.

Le grand sujet du jour est la répartition des aides agricoles entre « grandes cultures » et « élevage ». Un rééquilibrage était nécessaire. La France a choisi, à travers les mécanismes de la nouvelle PAC, de soutenir en priorité l’élevage. Il le faut, et je me réjouis d’une telle décision, bien que ce ne soit pas encore suffisant.

À ce sujet, comment se feront les nouvelles répartitions entre les différentes formes d’élevage, en particulier pour les filières et les territoires les plus fragiles, et entre grandes exploitations exportatrices et petites exploitations ?

J’en viens à une autre question, en vous priant de m’excuser de ne pas traiter plus à fond chacun des thèmes : celle de l’urbanisme dans les zones agricoles, que Didier Guillaume a évoquée. Je regrette l’absence de souplesse de certaines règles inscrites dans la loi ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Je pense notamment, à cet égard, à la problématique de l’habitat isolé situé au cœur des terres d’élevage. Ce bâti, souvent ancien, et pas uniquement lié à l’activité agricole, est menacé, puisque toute évolution du bâti existant, en particulier les extensions, est devenue quasiment impossible. Les territoires ruraux sont vivants et leurs habitants doivent pouvoir entretenir et faire évoluer l’habitat existant sans contraintes excessives.

La filière équine est la grande absente de votre projet de loi. Je milite depuis longtemps, avec beaucoup de mes collègues sénateurs, pour la reconnaissance de son caractère agricole. Nous en avons souvent parlé avec vous et M. Cazeneuve.

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner, le relèvement du taux de TVA a des conséquences très lourdes sur cette filière. J’ai noté quelques aménagements récents en faveur des centres équestres, qui devraient ramener le taux moyen de TVA applicable à environ 10 %, ce qui est déjà élevé ! En revanche, l’enseignement de l’équitation, les prises en pension, le dressage, les ventes d’équidés seront taxés au taux normal de 20 %. Et je n’oublie pas les courses, auxquelles ce taux s’applique depuis 2013. La fixation du taux à 20 % ne fera que fragiliser davantage les acteurs les plus modestes de la filière, en particulier les petits propriétaires et éleveurs, et encourager les paiements « au noir ».

Le groupe « cheval » du Sénat s’est aussi interrogé sur l’encadrement du commerce de chevaux, dont la législation a été largement abrogée voilà plusieurs années, ce qui a créé des dysfonctionnements importants dans les filières loisir, sport et viande. À l’heure de la sécurisation des filières, et après le scandale des « lasagnes de bœuf au cheval », la dérégulation du commerce de chevaux conduit, par exemple, à des problèmes de traçabilité, notamment lors de l’entrée d’équidés sur notre territoire, ce qui peut induire des risques sanitaires.

Une autre inquiétude de la filière concerne la « taxe affectée » sur les paris hippiques en ligne au profit des sociétés de courses, dont le dispositif a dû être adapté pour tenir compte des observations de Bruxelles. Le taux, initialement fixé à 8 %, a été ramené à 5, 9 %, ce qui, pour les courses organisées à l’étranger – qui attirent 10 % des enjeux en France –, et compte tenu de la rémunération versée aux organisateurs locaux, laissera dans ce cas 2, 9 % pour la filière. Comment feront alors les sociétés-mères ?

Par ailleurs, vous le savez, depuis plusieurs mois, le comité stratégique que je préside travaille à l’avenir de l’Institution des courses en France. Il faut, j’en suis convaincu, aboutir à un projet qui allie le sceau des acteurs et celui de l’État.

Le cheval est une filière agricole à part entière, qui fait vivre certains de nos territoires, mais qui revêt aussi une dimension sportive, comme en témoigne l’organisation en Basse-Normandie, cet été, des Jeux équestres mondiaux. Cet événement international – plus de soixante nations seront représentées – mettra en lumière l’excellence de la filière équine française.

Si votre texte n’aborde pas la filière équine, il crée un nouvel établissement public à caractère national, dénommé « Haras national du Pin ». Placé sous tutelle du ministère de l’agriculture, il aura notamment pour objectifs la préservation et la valorisation du patrimoine du haras national du Pin, la création d’un pôle international dédié aux sports équestres ou encore l’appui à la filière et la promotion des métiers du cheval, reprenant les accords professionnels et régionaux. C’est, à mon sens, une bonne mesure, mais l’installation d’une déchetterie industrielle près du haras du Pin nous inquiète. Il s’agit d’un dossier complexe, qui suscite de nombreuses réactions localement. Monsieur le ministre, je souhaite que vous et votre collègue de l’écologie restiez attentifs aux éventuels risques environnementaux.

Sur tous ces dossiers d’actualité, notre filière équine a besoin de votre soutien. Elle est plus fragile qu’on ne le croit et représente, je le rappelle, 75 000 emplois.

Pour conclure, je compte sur votre engagement pour redonner le caractère d’excellence « à la française », celui de son avenir, à notre agriculture, cette filière économique majeure de notre pays. §

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