Intervention de Agnès Buzyn

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Mise en oeuvre du plan cancer — Audition de Mme Agnès Buzyn présidente de l'institut national du cancer inca

Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa) :

Je vous remercie de votre invitation et débuterai mon intervention sur les raisons qui justifient la mise en oeuvre d'un nouveau Plan cancer.

Responsables de 148 000 décès annuels, les cancers constituent la première cause de mortalité prématurée. Avec 355 000 nouveaux cas chaque année, leur incidence a doublé au cours des trois dernières décennies. Cependant, les cancers sont également la première cause de mortalité évitable puisque 80 000 décès, dont environ la moitié est imputable au tabac, pourraient être évités grâce à la prévention.

Grâce aux progrès thérapeutiques et aux diagnostics plus précoces, le risque de décéder d'un cancer a reculé : une personne sur deux guérit aujourd'hui après un diagnostic de cancer.

Les impacts économiques et sociaux sont majeurs. En effet, le progrès médical s'accélère et modifie les modes de prise en charge (médecine personnalisée, innovations médicales et technologiques, développement des soins délivrés en ambulatoire). Les contraintes économiques et financières s'accroissent compte tenu du coût des nouveaux médicaments et des conséquences de l'évolution des prises en charge sur la tarification des établissements de santé. Les cancers sont en outre des vecteurs d'inégalités, avec une paupérisation des personnes et des familles qui font face à des pertes de revenus ainsi que l'apparition de difficultés dans la vie professionnelle ou dans l'accès à l'emprunt. Enfin, s'affirme de plus en plus une volonté des malades et des usagers d'être impliqués dans les choix de santé qui les concernent. C'est la question de la démocratie sanitaire et « scientifique ». Les attentes de la société sont fortes.

Les plans cancer se caractérisent par un engagement fort de l'Etat au plus haut niveau puisqu'il s'agit de plans présidentiels. Ils supposent la mobilisation de l'ensemble des acteurs (pouvoirs publics, grandes associations caritatives, fédérations hospitalières, professionnels, etc.) dans le cadre d'un effort collectif et l'activation de tous les moyens d'intervention (la recherche, la prévention, les soins et l'accompagnement).

Quel bilan tirer des deux précédents plans ? Le premier, qui couvrait les années 2003 à 2007, a impulsé une dynamique décisive dans la lutte contre le cancer en France et dans la prise en charge des malades. Ses principaux résultats sont les suivants : un recul de la consommation de tabac, grâce à une stratégie complète de lutte contre le tabagisme (hausse des prix, interdiction de la vente au moins de 16 ans, campagnes d'information, aide à l'arrêt du tabac) ; une généralisation du dépistage organisé du cancer du sein en 2003 et du cancer colorectal en 2006 ; la définition de critères d'autorisation définissant le standard minimum de qualité dans la prise en charge ; la mise en place des sept canceropôles pour animer la recherche dans les régions ; enfin, la création en 2005 de l'INCa, agence sanitaire et scientifique chargée de coordonner les actions de lutte contre le cancer.

Le Plan cancer 2009-2013 a quant à lui consolidé les bases posées par le plan précédent tout en impulsant un nouvel élan. Il comporte des avancées majeures. Les autorisations des établissements de santé pour garantir la sécurité et la qualité des soins ont été mises en place. Des prises en charge spécifiques ont en outre été organisées, en particulier pour les cancers rares, pour les enfants atteints de cancer et dans le domaine de l'oncogériatrie. La participation aux essais cliniques a connu un essor important, avec une croissance de 72 % de 2008 à 2012. La médecine personnalisée s'est développée grâce à l'installation de 28 plateformes permettant des thérapies ciblées via les tests moléculaires, la création de 16 centres labellisés de phase précoce (Clip2) pour promouvoir les essais de phase précoce et le développement de la génomique.

Aujourd'hui, la recherche sur les cancers est mieux structurée grâce à la création de 8 sites de recherche intégrée sur le cancer (Siric), de 9 bases clinicobiologiques et de 5 grandes cohortes cancers.

Enfin, la connaissance et l'information sur les cancers a été améliorée, en particulier par la mise en place du portail des données et du rapport annuel « les cancers en France ». La plateforme « Cancer Info » a également connu un essor important.

Malgré ces avancées, des insuffisances demeurent, ce qui justifie un nouveau plan. Tout d'abord, la consommation de tabac n'a pas reculé dernièrement et elle a même connu une progression chez les femmes et les chômeurs. Ensuite, la prévention des risques environnementaux doit encore progresser, de même que la connaissance de l'impact sur les cancers. En outre, la participation aux dépistages organisés stagne. Elle ne s'élève qu'à 52 % pour le cancer du sein et à 32 % pour le cancer colorectal. S'agissant des parcours personnalisés, la coordination entre l'hôpital et la ville est à améliorer. Enfin, les conséquences du cancer sur la vie des personnes touchées sont encore insuffisamment prises en compte et les inégalités sociales face aux cancers restent très marquées.

J'en viens aux modalités d'élaboration du plan Cancer 2014-2019. Celui-ci se fonde sur les recommandations du professeur Jean-Paul Vernant dans son rapport d'août 2013 ainsi que sur le bilan du Plan cancer 2 réalisé dans le rapport publié en juillet 2013 par le directeur général de la santé (DGS) conjointement avec l'INCa.

Plus de 3 000 contributions individuelles et collectives émanant en particulier de malades, d'associations et de fédérations ont été collectées et analysées. Cinq groupes de travail interministériels thématiques ont ensuite été installés. Quant à la rédaction du plan, elle a incombé à l'INCa sous la responsabilité des ministres chargés de la santé et de la recherche. A l'issue des arbitrages interministériels, le Plan cancer 2014-2019 a été annoncé par le Président de la République le 4 février 2014.

Le plan est codirigé par les ministres chargés de la santé et de la recherche, qui président à ce titre son comité de pilotage. L'INCa est l'opérateur désigné pour piloter la mise en oeuvre du plan avec les institutions responsables des actions dans leurs champs de compétence respectifs.

La construction du plan répond à plusieurs exigences : répondre aux attentes et aux besoins des malades et de leurs proches, réaffirmer la vision intégrée de la lutte contre les cancers, mettre l'accent sur la prévention, personnaliser les prises en charge quel que soit le parcours de la personne malade, réduire les inégalités et les pertes de chance, éviter les ruptures provoquées par la maladie et enfin gagner en efficience à travers les organisations et les modes de financement.

Nous visons quatre grands objectifs de santé compréhensibles pour le grand public. Il s'agit en premier lieu de guérir plus de personnes malades en favorisant les diagnostics précoces et en garantissant l'accès de tous à une médecine de qualité et aux innovations. Nous devons en second lieu préserver la continuité et la qualité de vie, en proposant une prise en charge globale de la personne pendant et après la maladie, tenant compte de l'ensemble de ses besoins. Nous voulons en troisième lieu investir dans la prévention et la recherche pour réduire le nombre de nouveaux cas de cancers et préparer les progrès à venir. A ces ambitions s'ajoute en dernier lieu la volonté d'optimiser le pilotage et les organisations de la lutte contre les cancers pour une meilleure efficience, en y associant pleinement les personnes malades et les usagers du système de santé.

S'inscrivant dans la mise en oeuvre de la stratégie nationale de santé et de l'Agenda stratégique pour la recherche, le plan est décliné en 17 objectifs opérationnels.

Le premier chapitre du plan regroupe les six objectifs visant à guérir un plus grand nombre de malades. Le premier objectif consiste à favoriser des diagnostics plus précoces par l'amélioration des dépistages, en particulier la généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l'utérus et la vaccination. Le second vise à garantir la qualité et la sécurité des prises en charge par la réduction des délais de prise en charge, de meilleurs indicateurs de qualité, la mise en place d'organisations spécifiques, par exemple pour les enfants, et une plus grande coordination entre la ville et l'hôpital. L'objectif 3 tend à accompagner les évolutions technologiques et thérapeutiques (chimiothérapies orales, chirurgie ambulatoire, radiologie interventionnelle). Il s'agit, quatrièmement, de faire évoluer les formations et les métiers de la cancérologie, avec en particulier une réforme du DES en oncologie ou encore la reconnaissance de la profession de radiophysicien. L'objectif 5 vise à accélérer l'émergence de l'innovation au bénéfice des patients, en favorisant notamment la recherche clinique et translationnelle. L'objectif 6, enfin, consiste à conforter l'avance de la France dans la médecine personnalisée. Je pense tout particulièrement à l'oncogénétique, aux séquences haut débit ou aux thérapies ciblées.

Le deuxième grand chapitre du Plan cancer a pour objectif la préservation de la continuité et de la qualité de la vie des patients. A ce titre, l'objectif 7 vise à assurer une prise en charge globale et personnalisée des malades, grâce au démarrage du parcours dès le diagnostic jusqu'à une consultation de fin de traitement, à l'adaptation du dispositif d'annonce et à l'amélioration de l'accès aux soins de support et à l'éducation thérapeutique. L'objectif 8 tend à réduire les risques de séquelles et de second cancer à travers le suivi à long terme des enfants et des adolescents, et porte une attention particulière à la préservation de la fertilité et le renforcement de la prévention tertiaire (notamment une augmentation du forfait alloué pour le sevrage tabagique). L'objectif 9 vise à diminuer l'impact du cancer sur la vie quotidienne des patients en favorisant la poursuite de la scolarité et des études des jeunes malades, grâce notamment à la gratuité du Cned à partir de 16 ans, en améliorant les conditions du maintien dans l'emploi ou du retour à l'emploi, en assurant le respect d'un véritable « droit à l'oubli » de la maladie auprès des banques ou des assurances, et en atténuant les impacts économiques de la maladie sur la vie des patients, notamment s'agissant des restes à charge, qui expliquent un fort taux de renonciation à la reconstruction mammaire par exemple.

L'investissement dans la prévention et la recherche constitue le troisième grand axe du Plan cancer. L'objectif 10 porte sur le programme national de réduction du tabagisme. L'objectif 11 vise à donner à chacun les moyens de réduire son risque de cancer, ce qui passe notamment par un suivi des expositions professionnelles et des risques environnementaux spécifiques aux cancers, en lien avec le plan national santé environnement (PNSE). A travers l'objectif 13, nous souhaitons nous donner les moyens d'une recherche innovante, cinq axes stratégiques de recherche ayant été définis.

En quatrième lieu, nous recherchons l'optimisation du pilotage et des organisations de la lutte contre le cancer. L'objectif 14 vise à faire vivre la démocratie sanitaire en systématisant la participation de la représentation des malades-usagers et en assurant la formation de ces représentants. Un quinzième objectif tend à appuyer les politiques publiques sur des données robustes et partagées : il s'agit notamment de conforter les registres des cancers et de renforcer l'utilisation des bases de données publiques ainsi que le partage des données, tout en garantissant la confidentialité et la sécurité des informations. L'objectif 16, qui porte sur l'optimisation des organisations dans le sens d'une plus grande efficience, concerne le rôle de pilotage technique de l'INCa ainsi que le renforcement de l'organisation régionale, notamment par l'apport d'un appui fort aux ARS sur le cancer. Enfin, un dix-septième objectif vise à faire évoluer les modes de financement afin de les adapter aux défis de la cancérologie, dans le cadre fixé par le comité de réflexion sur la tarification hospitalière (Coretah), par exemple par l'expérimentation de forfaits au parcours.

Le Plan cancer pourrait faire l'objet de traductions législatives sur plusieurs points. Le droit à l'oubli, en premier lieu, qui consiste à pouvoir ne pas déclarer que l'on a été malade au-delà d'un certain délai lors de la souscription d'un contrat, doit être pris en compte par les organismes bancaires et assurantiels. A défaut d'un accord dans le cadre conventionnel Aeras avant la fin de l'année 2015, ce droit pourrait être mis en oeuvre par voie législative. En deuxième lieu, l'alimentation du fonds dédié à la lutte contre le cancer par l'augmentation des recettes perçues sur la vente des produits du tabac concerne également les élus. L'Etat ne doit pas continuer à faire preuve du cynisme qu'il a montré jusqu'à présent en tirant ses recettes de la vente de tabacs : toute recette nouvelle doit abonder un fonds dédié à la lutte contre le cancer, à l'amélioration de la prévention et à la lutte contre le tabagisme. Des mesures visant à renforcer la transparence des liens d'intérêt entre des industriels du tabac et les acteurs publics sont par ailleurs discutées dans le cadre de l'élaboration du programme national de réduction du tabagisme. Enfin, certains articles de la future loi de santé publique devraient concerner la place de l'INCa en tant que pilote technique des structures de cancérologie, la construction des indicateurs de qualité ou encore l'accès aux données.

Des évolutions qui pourraient avoir un effet sur la mise en oeuvre du Plan cancer sont par ailleurs en cours au niveau européen. Selon le règlement de la Commission concernant les médicaments à usage pédiatrique, l'industrie pharmaceutique doit assortir tout développement d'un médicament d'un plan de développement pédiatrique. Or, les industriels sont peu incités à le faire et il existe peu d'AMM en pédiatrie. C'est pourquoi nous souhaitons que ce texte fasse l'objet d'une révision afin d'améliorer l'accès à ces médicaments pour les jeunes malades ; celle-ci n'est cependant pas prévue avant 2017. Par ailleurs, nous nous inquiétons que soit introduite une obligation de signature attestant d'un consentement éclairé pour la collecte de données pour toute personne entrant, par exemple, dans un registre du cancer : cette mesure nous paraît très dangereuse pour la recherche en ce qu'elle induit un biais de sélection et menace l'exhaustivité des registres.

J'aimerais enfin revenir sur le pilotage singulier du Plan cancer. Il s'agit d'un pilotage politique sous la responsabilité des ministres chargés de la santé et de la recherche. L'INCa est désigné comme l'organe responsable de la mise en oeuvre du Plan : à ce titre, nous souhaiterions que nos missions soient clarifiées dans le cadre de la prochaine loi de santé publique. Il existe une forte articulation entre le niveau national et le niveau régional, que nous souhaitons voir renforcée : les ARS, qui participent au comité de pilotage, sont responsables de la déclinaison du Plan dans leur région. Le pilotage inclut également une dimension de démocratie sanitaire, à travers la concertation avec les usagers et les acteurs. Le site internet de l'INCa comprend un lieu d'information du public (www.e-cancer.fr). Je vous rappelle que le Plan cancer dispose d'un budget s'élevant à 1,5 milliard d'euros, dont 750 millions d'euros de mesures nouvelles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion