Commission des affaires sociales

Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 9 heures 30.

La commission procède à l'audition de Mme Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa), sur la mise en oeuvre du Plan cancer.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Je suis heureuse d'accueillir Mme le professeur Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer, qui est accompagnée de Mme Catherine Morin, responsable de la mission Plan cancer auprès de la présidence et de la direction générale de l'INCa.

L'INCa a pour mission de coordonner les actions de lutte contre le cancer. L'Etat, les grandes associations de lutte contre le cancer, les caisses d'assurance maladie, les organismes de recherche et les fédérations hospitalières sont représentés en son sein.

A ce titre, l'INCa coordonne le suivi et l'évaluation du Plan cancer, et sa présidente est membre de son comité de pilotage. Le Président de la République a présenté le 4 février dernier le troisième Plan cancer, qui couvrira les années 2014-2019.

C'est pourquoi il m'a paru utile d'entendre aujourd'hui Mme Buzyn.

Le troisième Plan cancer est détaillé dans un document de près de 150 pages, diffusé sur internet. Il vous en a été communiqué une synthèse qui en présente les grands axes. J'ai noté qu'il comporte de nombreux objectifs relevant de la politique de santé publique, mais également des aspects novateurs touchant à l'exposition aux risques dans le travail, à l'impact de la maladie sur la vie professionnelle ou l'accès au crédit.

Je vais laisser Mme Buzyn nous présenter les principales caractéristiques de ce plan avant d'ouvrir le débat avec les membres de la commission.

Debut de section - Permalien
Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa)

Je vous remercie de votre invitation et débuterai mon intervention sur les raisons qui justifient la mise en oeuvre d'un nouveau Plan cancer.

Responsables de 148 000 décès annuels, les cancers constituent la première cause de mortalité prématurée. Avec 355 000 nouveaux cas chaque année, leur incidence a doublé au cours des trois dernières décennies. Cependant, les cancers sont également la première cause de mortalité évitable puisque 80 000 décès, dont environ la moitié est imputable au tabac, pourraient être évités grâce à la prévention.

Grâce aux progrès thérapeutiques et aux diagnostics plus précoces, le risque de décéder d'un cancer a reculé : une personne sur deux guérit aujourd'hui après un diagnostic de cancer.

Les impacts économiques et sociaux sont majeurs. En effet, le progrès médical s'accélère et modifie les modes de prise en charge (médecine personnalisée, innovations médicales et technologiques, développement des soins délivrés en ambulatoire). Les contraintes économiques et financières s'accroissent compte tenu du coût des nouveaux médicaments et des conséquences de l'évolution des prises en charge sur la tarification des établissements de santé. Les cancers sont en outre des vecteurs d'inégalités, avec une paupérisation des personnes et des familles qui font face à des pertes de revenus ainsi que l'apparition de difficultés dans la vie professionnelle ou dans l'accès à l'emprunt. Enfin, s'affirme de plus en plus une volonté des malades et des usagers d'être impliqués dans les choix de santé qui les concernent. C'est la question de la démocratie sanitaire et « scientifique ». Les attentes de la société sont fortes.

Les plans cancer se caractérisent par un engagement fort de l'Etat au plus haut niveau puisqu'il s'agit de plans présidentiels. Ils supposent la mobilisation de l'ensemble des acteurs (pouvoirs publics, grandes associations caritatives, fédérations hospitalières, professionnels, etc.) dans le cadre d'un effort collectif et l'activation de tous les moyens d'intervention (la recherche, la prévention, les soins et l'accompagnement).

Quel bilan tirer des deux précédents plans ? Le premier, qui couvrait les années 2003 à 2007, a impulsé une dynamique décisive dans la lutte contre le cancer en France et dans la prise en charge des malades. Ses principaux résultats sont les suivants : un recul de la consommation de tabac, grâce à une stratégie complète de lutte contre le tabagisme (hausse des prix, interdiction de la vente au moins de 16 ans, campagnes d'information, aide à l'arrêt du tabac) ; une généralisation du dépistage organisé du cancer du sein en 2003 et du cancer colorectal en 2006 ; la définition de critères d'autorisation définissant le standard minimum de qualité dans la prise en charge ; la mise en place des sept canceropôles pour animer la recherche dans les régions ; enfin, la création en 2005 de l'INCa, agence sanitaire et scientifique chargée de coordonner les actions de lutte contre le cancer.

Le Plan cancer 2009-2013 a quant à lui consolidé les bases posées par le plan précédent tout en impulsant un nouvel élan. Il comporte des avancées majeures. Les autorisations des établissements de santé pour garantir la sécurité et la qualité des soins ont été mises en place. Des prises en charge spécifiques ont en outre été organisées, en particulier pour les cancers rares, pour les enfants atteints de cancer et dans le domaine de l'oncogériatrie. La participation aux essais cliniques a connu un essor important, avec une croissance de 72 % de 2008 à 2012. La médecine personnalisée s'est développée grâce à l'installation de 28 plateformes permettant des thérapies ciblées via les tests moléculaires, la création de 16 centres labellisés de phase précoce (Clip2) pour promouvoir les essais de phase précoce et le développement de la génomique.

Aujourd'hui, la recherche sur les cancers est mieux structurée grâce à la création de 8 sites de recherche intégrée sur le cancer (Siric), de 9 bases clinicobiologiques et de 5 grandes cohortes cancers.

Enfin, la connaissance et l'information sur les cancers a été améliorée, en particulier par la mise en place du portail des données et du rapport annuel « les cancers en France ». La plateforme « Cancer Info » a également connu un essor important.

Malgré ces avancées, des insuffisances demeurent, ce qui justifie un nouveau plan. Tout d'abord, la consommation de tabac n'a pas reculé dernièrement et elle a même connu une progression chez les femmes et les chômeurs. Ensuite, la prévention des risques environnementaux doit encore progresser, de même que la connaissance de l'impact sur les cancers. En outre, la participation aux dépistages organisés stagne. Elle ne s'élève qu'à 52 % pour le cancer du sein et à 32 % pour le cancer colorectal. S'agissant des parcours personnalisés, la coordination entre l'hôpital et la ville est à améliorer. Enfin, les conséquences du cancer sur la vie des personnes touchées sont encore insuffisamment prises en compte et les inégalités sociales face aux cancers restent très marquées.

J'en viens aux modalités d'élaboration du plan Cancer 2014-2019. Celui-ci se fonde sur les recommandations du professeur Jean-Paul Vernant dans son rapport d'août 2013 ainsi que sur le bilan du Plan cancer 2 réalisé dans le rapport publié en juillet 2013 par le directeur général de la santé (DGS) conjointement avec l'INCa.

Plus de 3 000 contributions individuelles et collectives émanant en particulier de malades, d'associations et de fédérations ont été collectées et analysées. Cinq groupes de travail interministériels thématiques ont ensuite été installés. Quant à la rédaction du plan, elle a incombé à l'INCa sous la responsabilité des ministres chargés de la santé et de la recherche. A l'issue des arbitrages interministériels, le Plan cancer 2014-2019 a été annoncé par le Président de la République le 4 février 2014.

Le plan est codirigé par les ministres chargés de la santé et de la recherche, qui président à ce titre son comité de pilotage. L'INCa est l'opérateur désigné pour piloter la mise en oeuvre du plan avec les institutions responsables des actions dans leurs champs de compétence respectifs.

La construction du plan répond à plusieurs exigences : répondre aux attentes et aux besoins des malades et de leurs proches, réaffirmer la vision intégrée de la lutte contre les cancers, mettre l'accent sur la prévention, personnaliser les prises en charge quel que soit le parcours de la personne malade, réduire les inégalités et les pertes de chance, éviter les ruptures provoquées par la maladie et enfin gagner en efficience à travers les organisations et les modes de financement.

Nous visons quatre grands objectifs de santé compréhensibles pour le grand public. Il s'agit en premier lieu de guérir plus de personnes malades en favorisant les diagnostics précoces et en garantissant l'accès de tous à une médecine de qualité et aux innovations. Nous devons en second lieu préserver la continuité et la qualité de vie, en proposant une prise en charge globale de la personne pendant et après la maladie, tenant compte de l'ensemble de ses besoins. Nous voulons en troisième lieu investir dans la prévention et la recherche pour réduire le nombre de nouveaux cas de cancers et préparer les progrès à venir. A ces ambitions s'ajoute en dernier lieu la volonté d'optimiser le pilotage et les organisations de la lutte contre les cancers pour une meilleure efficience, en y associant pleinement les personnes malades et les usagers du système de santé.

S'inscrivant dans la mise en oeuvre de la stratégie nationale de santé et de l'Agenda stratégique pour la recherche, le plan est décliné en 17 objectifs opérationnels.

Le premier chapitre du plan regroupe les six objectifs visant à guérir un plus grand nombre de malades. Le premier objectif consiste à favoriser des diagnostics plus précoces par l'amélioration des dépistages, en particulier la généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l'utérus et la vaccination. Le second vise à garantir la qualité et la sécurité des prises en charge par la réduction des délais de prise en charge, de meilleurs indicateurs de qualité, la mise en place d'organisations spécifiques, par exemple pour les enfants, et une plus grande coordination entre la ville et l'hôpital. L'objectif 3 tend à accompagner les évolutions technologiques et thérapeutiques (chimiothérapies orales, chirurgie ambulatoire, radiologie interventionnelle). Il s'agit, quatrièmement, de faire évoluer les formations et les métiers de la cancérologie, avec en particulier une réforme du DES en oncologie ou encore la reconnaissance de la profession de radiophysicien. L'objectif 5 vise à accélérer l'émergence de l'innovation au bénéfice des patients, en favorisant notamment la recherche clinique et translationnelle. L'objectif 6, enfin, consiste à conforter l'avance de la France dans la médecine personnalisée. Je pense tout particulièrement à l'oncogénétique, aux séquences haut débit ou aux thérapies ciblées.

Le deuxième grand chapitre du Plan cancer a pour objectif la préservation de la continuité et de la qualité de la vie des patients. A ce titre, l'objectif 7 vise à assurer une prise en charge globale et personnalisée des malades, grâce au démarrage du parcours dès le diagnostic jusqu'à une consultation de fin de traitement, à l'adaptation du dispositif d'annonce et à l'amélioration de l'accès aux soins de support et à l'éducation thérapeutique. L'objectif 8 tend à réduire les risques de séquelles et de second cancer à travers le suivi à long terme des enfants et des adolescents, et porte une attention particulière à la préservation de la fertilité et le renforcement de la prévention tertiaire (notamment une augmentation du forfait alloué pour le sevrage tabagique). L'objectif 9 vise à diminuer l'impact du cancer sur la vie quotidienne des patients en favorisant la poursuite de la scolarité et des études des jeunes malades, grâce notamment à la gratuité du Cned à partir de 16 ans, en améliorant les conditions du maintien dans l'emploi ou du retour à l'emploi, en assurant le respect d'un véritable « droit à l'oubli » de la maladie auprès des banques ou des assurances, et en atténuant les impacts économiques de la maladie sur la vie des patients, notamment s'agissant des restes à charge, qui expliquent un fort taux de renonciation à la reconstruction mammaire par exemple.

L'investissement dans la prévention et la recherche constitue le troisième grand axe du Plan cancer. L'objectif 10 porte sur le programme national de réduction du tabagisme. L'objectif 11 vise à donner à chacun les moyens de réduire son risque de cancer, ce qui passe notamment par un suivi des expositions professionnelles et des risques environnementaux spécifiques aux cancers, en lien avec le plan national santé environnement (PNSE). A travers l'objectif 13, nous souhaitons nous donner les moyens d'une recherche innovante, cinq axes stratégiques de recherche ayant été définis.

En quatrième lieu, nous recherchons l'optimisation du pilotage et des organisations de la lutte contre le cancer. L'objectif 14 vise à faire vivre la démocratie sanitaire en systématisant la participation de la représentation des malades-usagers et en assurant la formation de ces représentants. Un quinzième objectif tend à appuyer les politiques publiques sur des données robustes et partagées : il s'agit notamment de conforter les registres des cancers et de renforcer l'utilisation des bases de données publiques ainsi que le partage des données, tout en garantissant la confidentialité et la sécurité des informations. L'objectif 16, qui porte sur l'optimisation des organisations dans le sens d'une plus grande efficience, concerne le rôle de pilotage technique de l'INCa ainsi que le renforcement de l'organisation régionale, notamment par l'apport d'un appui fort aux ARS sur le cancer. Enfin, un dix-septième objectif vise à faire évoluer les modes de financement afin de les adapter aux défis de la cancérologie, dans le cadre fixé par le comité de réflexion sur la tarification hospitalière (Coretah), par exemple par l'expérimentation de forfaits au parcours.

Le Plan cancer pourrait faire l'objet de traductions législatives sur plusieurs points. Le droit à l'oubli, en premier lieu, qui consiste à pouvoir ne pas déclarer que l'on a été malade au-delà d'un certain délai lors de la souscription d'un contrat, doit être pris en compte par les organismes bancaires et assurantiels. A défaut d'un accord dans le cadre conventionnel Aeras avant la fin de l'année 2015, ce droit pourrait être mis en oeuvre par voie législative. En deuxième lieu, l'alimentation du fonds dédié à la lutte contre le cancer par l'augmentation des recettes perçues sur la vente des produits du tabac concerne également les élus. L'Etat ne doit pas continuer à faire preuve du cynisme qu'il a montré jusqu'à présent en tirant ses recettes de la vente de tabacs : toute recette nouvelle doit abonder un fonds dédié à la lutte contre le cancer, à l'amélioration de la prévention et à la lutte contre le tabagisme. Des mesures visant à renforcer la transparence des liens d'intérêt entre des industriels du tabac et les acteurs publics sont par ailleurs discutées dans le cadre de l'élaboration du programme national de réduction du tabagisme. Enfin, certains articles de la future loi de santé publique devraient concerner la place de l'INCa en tant que pilote technique des structures de cancérologie, la construction des indicateurs de qualité ou encore l'accès aux données.

Des évolutions qui pourraient avoir un effet sur la mise en oeuvre du Plan cancer sont par ailleurs en cours au niveau européen. Selon le règlement de la Commission concernant les médicaments à usage pédiatrique, l'industrie pharmaceutique doit assortir tout développement d'un médicament d'un plan de développement pédiatrique. Or, les industriels sont peu incités à le faire et il existe peu d'AMM en pédiatrie. C'est pourquoi nous souhaitons que ce texte fasse l'objet d'une révision afin d'améliorer l'accès à ces médicaments pour les jeunes malades ; celle-ci n'est cependant pas prévue avant 2017. Par ailleurs, nous nous inquiétons que soit introduite une obligation de signature attestant d'un consentement éclairé pour la collecte de données pour toute personne entrant, par exemple, dans un registre du cancer : cette mesure nous paraît très dangereuse pour la recherche en ce qu'elle induit un biais de sélection et menace l'exhaustivité des registres.

J'aimerais enfin revenir sur le pilotage singulier du Plan cancer. Il s'agit d'un pilotage politique sous la responsabilité des ministres chargés de la santé et de la recherche. L'INCa est désigné comme l'organe responsable de la mise en oeuvre du Plan : à ce titre, nous souhaiterions que nos missions soient clarifiées dans le cadre de la prochaine loi de santé publique. Il existe une forte articulation entre le niveau national et le niveau régional, que nous souhaitons voir renforcée : les ARS, qui participent au comité de pilotage, sont responsables de la déclinaison du Plan dans leur région. Le pilotage inclut également une dimension de démocratie sanitaire, à travers la concertation avec les usagers et les acteurs. Le site internet de l'INCa comprend un lieu d'information du public (www.e-cancer.fr). Je vous rappelle que le Plan cancer dispose d'un budget s'élevant à 1,5 milliard d'euros, dont 750 millions d'euros de mesures nouvelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je vous remercie pour cette présentation. Dans le cadre du rapport consacré à la fiscalité comportementale, Yves Daudigny et moi-même avons rappelé que l'augmentation du prix du tabac avait prouvé son efficacité sur la diminution de la consommation dans le cadre du premier Plan cancer. Nous avons préconisé une hausse du prix du tabac de 10 % par an pendant 5 ans, ce qui semble correspondre aux attentes des tabacologues et des pneumologues. Ceux-ci se félicitent également du renforcement de l'aide au sevrage tabagique, tout en demandant un élargissement de la tranche d'âge bénéficiaire de cette mesure.

En ce qui concerne le dépistage, de nombreuses inquiétudes ont été exprimées sur le vaccin contre le cancer du col de l'utérus destiné aux jeunes filles. Des interrogations existent également sur le dosage biologique utilisé pour le dépistage du cancer de la prostate, qui semble peu efficace mais est largement pratiqué.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les indicateurs utilisés pour la classification des établissements de santé ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Je vous félicite pour la qualité de votre présentation, qui montre bien en quoi le nouveau plan place le patient au coeur de la prise en charge du cancer ; il serait intéressant que la même approche soit retenue pour d'autres pathologies. La question qui me taraude est celle de la perte de chances ; pouvez-vous nous en dire plus ? Quant aux indicateurs de qualité des établissements, ils doivent aussi tenir compte de leur environnement. Dans ma région, le Nord Pas-de-Calais, les mauvais indicateurs s'expliquent en partie par le recours tardif aux soins. Enfin, je m'interroge sur la manière de diffuser l'innovation à l'ensemble du territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Je me joins aux remerciements qui vous ont été adressés pour cette présentation très claire. Je rejoins les interrogations de Catherine Deroche sur le Gardasil : alors que la presse relaie très largement les inquiétudes sur ce vaccin, les pouvoirs publics ne devraient-ils pas prendre position de manière plus ferme ? La même question pourrait être posée pour les vaccins contre les hépatites B et C. D'une manière générale, certains protocoles font l'objet d'intenses discussions qui inquiètent légitimement les patients, s'agissant par exemple du dépistage du cancer de la prostate ou du traitement préventif du cancer de la thyroïde : sur tous ces sujets, la Haute Autorité de santé (HAS) pourrait mettre à jour ses recommandations. Si je considère le Plan cancer comme un très bon plan, je pense donc que beaucoup de patients attendent une ligne et une direction claires de la part des pouvoirs publics.

Je m'interroge également sur les modalités de la définition des indicateurs de qualité. Dans certaines spécialités chirurgicales, on considère que la sécurité n'est pas garantie en-deçà de 30 à 40 interventions par an. Ne devrait-on pas plutôt se fonder sur l'évolution des malades ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Cardoux

La surexposition médiatique en matière de prévention fait que l'on entend tout et son contraire. Sans doute y aurait-il un effort de coordination à mener, qui ferait de votre institut la voix officielle de la prévention du public. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur le risque de cancer associé à l'exposition aux ondes électromagnétiques ?

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

La prévention et de l'environnement me paraissent d'une importance centrale et je regrette que l'on ait séparé les mesures liées à l'environnement du plan cancer. Le PNSE n'a pas le même poids ni la même capacité de mobilisation des acteurs de santé. Je suis par ailleurs convaincue que les études de cohortes, bien qu'elles soient très coûteuses, sont le seul moyen de mesurer l'importance des facteurs environnementaux dans les cancers.

S'agissant du tabac, il est certain que certaines administrations centrales se trouvent en conflit d'intérêts. Nous devons examiner cette question, de même que celle de la cigarette électronique qui, parce qu'elle est présentée comme non nocive, peut devenir une porte d'entrée des jeunes sur la consommation de tabac.

Je suis convaincue de l'importance de la prévention nutritionnelle. Le rapport du professeur Hercberg chiffre à 30 % la baisse d'incidence qui pourrait être obtenue par la mise en place de mesures nutritionnelles.

Je souhaiterais également connaître vos préconisations en matière d'alcool, sur lequel il me semble qu'il faut envisager des taxes comportementales, et d'activité physique.

Debut de section - Permalien
Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa)

S'agissant des mesures sur le tabac, on sait qu'une augmentation majeure du prix a le plus d'impact sur les jeunes. C'est pour cette raison qu'elles sont jugées utiles, malgré leur impact plus faible sur les consommateurs plus âgés et le risque de contrebande.

S'agissant du HPV à l'origine du cancer du col de l'utérus, nous sommes très embarrassés par les campagnes contre la vaccination qui s'appuient sur des cas individuels. Le plan de suivi mis en place par l'Agence Nationale de sécurité du médicament (ANSM) montre à l'heure actuelle que le taux d'événements indésirables est identique pour les personnes non vaccinées. Les pouvoirs publics doivent prendre leur responsabilité et indiquer clairement qu'il n'y a pas de signal d'alerte.

M. Barbier, les critères utilisés pour l'évaluation des établissements ont été élaborés par l'INCa lors du premier plan cancer. Ils sont en cours d'évaluation avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS). On constate que l'interprétation des indicateurs est variable selon les agences régionales de santé (ARS). Incontestablement il faut tenir compte des réalités locales mais ceci ne doit pas se faire au détriment de la qualité des soins.

Les indicateurs actuels ne sont pas strictement quantitatifs. Ils sont pondérés par la prise en compte des populations concernées. En pratique donc, la question des seuils d'activité ne se pose que pour le traitement de certaines pathologies comme le cancer de l'ovaire ou le cancer de l'oesophage. C'est donc par pathologie qu'il convient d'évaluer les établissements.

Sur l'accès aux indicateurs, il me semble qu'il est préférable que les données publiques soient diffusées au public afin qu'il puisse juger et n'ait pas à s'en remettre aux classements réalisés par la presse.

Mme Génisson, vous avez raison de souligner la complexité des nouvelles chimiothérapies pour lesquelles une grande expertise est nécessaire. Certains craignent que cela n'entraîne une prise en charge uniquement hospitalière. Nous pensons que la médecine de ville peut conserver toute sa place et nous élaborons des guides de bonnes pratiques, des guides de suivi et des programmes d'éducation thérapeutique des patients.

Sur le dépistage du cancer de la prostate, le nouveau plan prévoit de remettre en question les mauvaises pratiques. Nous n'avons pas obtenu le déremboursement du dosage de PSA mais des études sont en cours sur son efficacité.

Il est nécessaire d'arrêter de communiquer sur les facteurs de risque individuellement car cela est source de confusion. Il faut mettre en place un nouvelle politique de recommandations qui suppose une coordination forte pour laquelle nous nous appuyons sur la DGS et l'Inpes.

L'impact des ondes électromagnétiques sur la santé a été évalué par un récent rapport de l'Anses qui est plutôt rassurant. Il est sans doute nécessaire de mieux communiquer sur ce fait.

L'alcool est un risque majeur en matière de cancer. Même si l'on prend en compte l'effet cardio-vasculaire positif, le seuil auquel la consommation devient dangereuse est très bas, cinq grammes d'alcool par jour, soit un demi-verre.

L'activité physique est très importante. Pour le cancer du sein, dans certains cas, elle diminue autant le risque de récidive qu'une chimiothérapie adjuvante. Malheureusement il n'existe pas de prise en charge par l'assurance maladie d'une activité physique adaptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Une expérimentation en ce sens est actuellement menée à Strasbourg avec de bons résultats. Je sais par ailleurs qu'en Suisse, les forfait sportifs sont pris en charge afin d'encourager l'activité physique.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Nous sommes particulièrement interpellés par le problème des terribles inégalités dans l'accès aux soins. Dans le département que je représente, la Seine-Saint-Denis, où la prévalence de cancers est forte, ces inégalités sont visibles. Dès lors, il paraît difficile d'attendre les mesures qui doivent être prises dans le PNSE.

L'action sur les cancers professionnels me paraît également cruciale avec 2 millions de salariés exposés au risque cancérigène. Un comité de suivi de notre commission se penche actuellement sur les problèmes liés au désamiantage et on voit que le risque existe.

Il faut également nous pencher plus avant sur le risque atmosphérique.

Je souhaite également savoir comment sont financés les projets libres et quelles sont les garanties d'indépendance de la recherche.

Enfin, pouvez-vous nous préciser comment sont tenus les registres des cancers ?

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Lors des auditions que nous avons menées sur la vaccination, la Caisse nationale d'assurance maladie nous a signalé que la vaccination contre le HPV était rarement menée à son terme car elle nécessite trois injections. Ainsi, alors que les remboursements s'élevaient à 35 millions d'euros, une part importante des jeunes filles concernées n'était pas protégée contre le virus. Il semble qu'aujourd'hui, un nouveau vaccin existe qui nécessite deux injections seulement. Faut-il y recourir prioritairement ?

Par ailleurs quels sont vos relais territoriaux en matière de communication ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Les inégalités sociales et territoriales dans l'accès aux soins sont inadmissibles et pourtant les moyens manquent de manière criante à l'hôpital et l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) baisse chaque année. Or, pour faire face au cancer, il y a urgence.

Je m'interroge sur l'objectif du Plan cancer concernant la prise en charge hors institution hospitalière. Ceci suppose à mon avis de remédier au faible niveau de qualification et de reconnaissance sociale que subissent les aides à domicile, profession largement féminisée et de ce fait considérée comme naturellement capable de s'occuper de personnes malades.

Je pense qu'il faut également écouter les messages des lanceurs d'alerte, que ce soit sur les sels aluminiques dans les vaccins ou sur le Gardasil. Je siège au conseil d'administration de l'ANSM et j'insiste pour que des études soient financées sur ces questions.

Enfin, s'agissant des frottis, même si plusieurs professionnels de santé peuvent les pratiquer, il me semble qu'il y a un problème d'accès aux spécialistes et donc de formation.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

La lutte contre l'exposition professionnelle aux cancérigènes, dont l'amiante, est très importante. Mais je ne trouve pas dans le Plan cancer de référence à l'impact des activités addictives. Par ailleurs, sur l'alcool, c'est la surconsommation qui pose problème, de même que pour la viande rouge ou la charcuterie. Il faut également tenir compte des inégalités physiologiques.

Pouvez-vous nous indiquer si les risques liés aux nitrates ont été évalués ?

Les critères de qualité des établissements peuvent être biaisés. J'ai connu des services qui avaient de forts taux de réussite car tous les cas difficiles étaient écartés. D'autres services les prenaient en charge et réussissaient parfois à sauver le patient.

Je ne suis pas sûr que le déremboursement du dosage de PSA soit une bonne idée car cela est susceptible de renforcer les inégalités face au diagnostic.

Enfin je partage complètement votre analyse sur le tabac.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Roche

Il me semble que le cancer est vécu encore par de nombreuses personnes comme un coup du destin, mystérieux et inéluctable, et ceci crée une peur du dépistage car on ne veut pas savoir. Dans mon expérience médicale, j'ai été frappé par la pusillanimité des populations saines et par le courage des malades. Sans doute la population ne connait-elle pas l'ampleur des progrès accomplis dans le traitement des cancers et souffre encore d'une peur panique de la maladie qui n'est pas justifiée.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Comme l'a souligné Catherine Deroche, nous avons récemment publié un rapport sur la fiscalité comportementale. Le problème, s'agissant de la fiscalité du tabac, est de parvenir parallèlement à lutter contre les achats aux frontières et contre la contrebande qui expose parfois les usagers à des produits encore plus dangereux.

Sur l'alcool, il ne fait aucun doute que les effets d'un gramme d'alcool sont les mêmes quel que soit le type de produit concerné. Mais il existe déjà des taxes importantes sur les alcools forts et les bières. La question se pose éventuellement pour le vin tranquille. Nous n'avons pas fait de recommandations en ce sens sur la base de deux constats. D'une part, la consommation de vin a baissé d'un tiers en cinquante ans. D'autre part, ce n'est pas le produit consommé en priorité par les jeunes.

Le lien entre nutrition et santé, et plus spécifiquement entre les produits consommés et le cancer, est pour moi source d'inquiétude étant donné la contamination de produits que l'on pouvait estimer sains comme les légumes et le poisson. Comment savoir ce que l'on peut encore consommer ?

Enfin, le problème des campagnes de prévention est qu'elles ont l'impact le plus important sur les populations aisées.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Giudicelli

Je rejoins l'intervention précédente. Il me paraît nécessaire de mieux cibler les messages de santé publique, et particulièrement les messages nutritionnels qui culpabilisent les populations les plus fragiles sans qu'elles aient les moyens de changer leur comportement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

L'impact psychologique du stress sur le déclenchement des cancers me paraît déterminant. Quels sont les moyens mis en oeuvre pour lutter contre ce risque ?

Debut de section - Permalien
Agnès Buzyn, présidente de l'Institut national du cancer (INCa)

S'agissant des inégalités territoriales, plusieurs orientations ont été prises pour permettre la mise en oeuvre de mesures de santé publique au plus près du territoire. Les ARS assurent un suivi des délais d'accès à l'IRM par exemple ; un suivi est également assuré par les centres régionaux de cancérologie.

En ce qui concerne le financement des projets libres de recherche en cancérologie, deux voies existent : la première passe par l'INCa, la deuxième par les associations caritatives, selon les mêmes modalités de sélection dans les deux cas. Les financements consacrés aux projets de recherche sont stables à l'horizon de ce plan.

Certes, notre système de santé est inégalitaire. Cependant, ce n'est ni l'objectif ni le rôle du Plan cancer que de régler les délicates questions des restes à charge ou des dépassements d'honoraires. Si nous travaillons sur les moments-clés auxquels sont associés une perte de chance, nous ne pouvons apporter de solution globale aux inégalités d'accès aux soins. Nos relais de communication et d'information, qui diffèrent en fonction des sujets, permettent de réduire les inégalités. L'information sur le dépistage organisé du cancer du sein fait ainsi l'objet d'une très large diffusion à travers tous nos réseaux, notamment à travers les relais de la ville, et dans sept langues différentes. Il s'agit sans doute de l'un des dépistages les moins inégalitaires : même les femmes les plus précaires en ont connaissance.

S'agissant du vaccin contre le cancer du col de l'utérus, une AMM européenne vient de paraître qui autorise le passage de 3 à 2 injections. En ce qui concerne la réalisation de frottis de dépistage, deux problèmes doivent être distingués. Un problème d'accès, tout d'abord, que la possibilité de faire réaliser cet examen par les médecins généralistes - ce qui nécessite une formation - ou par les sages-femmes doit permettre en partie de régler. Un problème de recours excessif à cet examen ensuite : alors qu'il est recommandé de l'effectuer tous les trois ans, certaines femmes, encouragées par leur gynécologue, le font tous les ans, occasionnant ainsi une dépense qui pourrait être mieux utilisée ailleurs.

Sur le lien entre usage de drogues et cancers, des recherches sont actuellement en cours. Le cannabis semble être particulièrement concerné dans la mesure où il est utilisé en mélange avec du tabac.

Sur l'alcool, en dehors des facteurs individuels de risques que l'on ne sait pas encore mesurer, nous communiquons sur une moyenne de risque globale : le risque de cancer augmente de 10 % à 20 % à partir d'une consommation de 5 grammes par jour, soit un demi-verre d'alcool. La synergie tabac-alcool est particulièrement porteuse de risque puisqu'elle multiplie celui-ci par 35. L'alcool est responsable de 10 % à 15 % des cancers observés en France, le tabac à hauteur de 10 %, tout comme la nutrition.

S'agissant du rôle du stress, une récente étude de l'Inserm n'a pas produit de conclusion sur un quelconque lien entre stress aigu et cancer.

Les indicateurs de qualité associés aux établissements sont bien sûr pondérés en fonction des facteurs de risque spécifiques. Nous sommes attentifs à ce qu'ils n'effectuent pas de tri entre les patients.

La lutte contre le cancer passe aussi par la lutte contre l'image négative associée à la maladie : nous avons fait une grande campagne en ce sens il y a deux ans, afin de rappeler qu'un malade sur deux guérit et que le dépistage précoce augmente les chances de guérison. Nous pensons que les médecins généralistes ont un grand rôle à jouer dans la diffusion du dépistage.

L'éducation à la santé rencontre en effet l'écueil de la culpabilisation du public. Pour autant, ces messages ne doivent-ils pas être diffusés et ne faut-il pas au moins essayer de transmettre l'information ? Il s'agit d'une question sensible. Du reste, ces campagnes sont gérées par l'Inpes et non par l'INCa.

Beaucoup de recherches restent à mener sur les liens entre cancer et éléments toxiques contenus dans l'alimentation. Bien souvent, les progrès réalisés dans la recherche sur les facteurs de risque résultent des études menées sur les professions exposées : lorsqu'un excès de risque associé à une profession est détecté, on peut ensuite en déduire les seuils acceptables pour la population générale. C'est ainsi que l'on a détecté les risques associés aux pesticides.

La commission désigne Mme Catherine Deroche rapporteur de la proposition de loi n° 301 (2011-2012), adopté par l'Assemblée nationale, visant à permettre le don de jours de repos à un parent d'un enfant gravement malade.

La réunion est levée à 11 h 35.