Monsieur le ministre, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui était attendu, car il est la pierre angulaire de la démarche « produisons autrement » que vous mettez en place depuis votre arrivée aux responsabilités. L’ambition de ce texte est, vous l’avez dit, de relever le défi de la compétitivité de notre agriculture et de notre filière bois tout en engageant la France sur la voie de la transition écologique. Ce ne sont pas des objectifs contradictoires, bien au contraire ; c’est là tout l’enjeu de votre projet d’agroécologie.
Ce projet de loi intervient également à la suite de la récente réforme de la politique agricole commune dans laquelle la France a beaucoup œuvré pour maintenir les crédits destinés à l’agriculture française, soutenir l’élevage et les petites exploitations qui sont les plus créatrices d’emploi, et encourager l’installation de jeunes agriculteurs : autant d’objectifs qui sont également portés par ce projet de loi.
Il était devenu indispensable et urgent de mieux prendre en compte les réalités économiques et de mener pleinement le combat pour la compétitivité de notre agriculture.
Le constat est là : nous héritons de dix ans d’inaction en la matière. En dix ans, notre pays est passé de la deuxième à la cinquième place mondiale en matière d’exportation agricole et agroalimentaire. Et que dire de l’état de nos filières et du nombre d’exploitations qui n’a cessé de diminuer ? On enregistre une baisse de 20 % à 25 %, selon les régions, entre deux recensements généraux de l’agriculture.
Le rapport de la mission d’information sur la filière viande que j’ai eu l’honneur de présider l’année dernière, rapport adopté à l’unanimité, a démontré que l’élevage français a perdu en dix ans de 15 % à 25 % de ses productions selon les secteurs. C’est un déclin très préoccupant et même dramatique dans les zones à forte production animale telles que la Bretagne. Pour chacune des filières, les chiffres sont inquiétants : 2 millions de porcs en moins ont été produits depuis le début des années deux mille, 44 % des poulets consommés sont importés, contre 8 % en 1990, et l’on constate en vingt ans une baisse de 20 % des effectifs du troupeau bovin et de 31 % du troupeau ovin.
La mission d’information a constaté que ces difficultés proviennent principalement d’un déficit de compétitivité de tous les maillons de la filière et d’une course au prix bas, encouragée par la grande distribution, qui écrase les marges de l’ensemble des acteurs de la production et de la transformation.
Cette situation dégradée que vous avez trouvée à votre arrivée démontre le peu d’efficacité des deux lois agricoles adoptées en 2006 et en 2010.
Notre pays doit réussir à conforter son excellence agricole et agroalimentaire dans un environnement économique de plus en plus concurrentiel. Le présent texte ouvre des perspectives pour de nouveaux modèles de production plus diversifiés et une intégration optimale de l’écologie au service de l’agriculture et de la forêt.
Dans ce nouveau modèle de production, il faut également garder une exigence élevée de qualité, de garantie de sécurité sanitaire pour rassurer les consommateurs mais aussi pour prendre en compte leurs attentes plus sociétales. C’est l’enjeu du titre III de ce projet de loi qui vise à progresser en matière de santé végétale, de santé animale et de garanties de sécurité sanitaire de l’alimentation.
Le texte comporte des avancées en matière de lutte contre le développement du phénomène d’antibiorésistance. La logique de prévention s’impose : fixer un objectif ambitieux concernant les antibiotiques critiques constitue une bonne approche, mais il faut être vigilant à ne pas provoquer un effet destructeur sur le maillage des vétérinaires dont nous savons l’importance pour nos territoires ruraux.
Le texte introduit également des exigences plus fortes en matière de pesticides. Il promeut les méthodes alternatives, et notamment le biocontrôle. Je plaide néanmoins pour une accélération de la mise en place des solutions alternatives, car il y a urgence. En outre, il faut faire comprendre que cette démarche économe en intrants n’est pas celle de la contrainte mais a plutôt pour objectif d’améliorer l’efficacité et la performance économique. Je laisserai à Nicole Bonnefoy, rapporteur en 2012 de la mission commune d’information sur les pesticides, le soin d’en parler plus longuement.
J’en viens au titre V, qui traite des dispositions relatives à la forêt.
Ces dispositions permettent de donner à ce texte une véritable reconnaissance. À cet égard, je m’associe à ce qui a déjà été dit par M. le rapporteur Philippe Leroy sur l’importance de la forêt et la nécessité de développer une politique « forêts-bois » ambitieuse qui réponde aux attentes des professionnels. D’ailleurs, le texte s’inscrit déjà dans la continuité d’un ensemble de dispositifs mis en place par le Gouvernement en faveur de la filière, avec la création du comité stratégique de la filière bois, ou avec les mesures prises en lois de finances. Les dispositions de ce texte vont dans le bon sens et permettront de continuer à progresser.
Avant de les détailler, j’interviendrai brièvement pour rappeler la place de la forêt dans l’espace français, mais aussi son poids économique, avec plus de 400 000 emplois dont l’essentiel en zones rurales et 60 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Dans un contexte économique difficile, marqué également par la raréfaction des ressources fossiles, il devient essentiel d’optimiser la valorisation complète de cette ressource renouvelable en fonction de ses différentes utilisations : le bois d’œuvre, le bois d’industrie, le bois énergie ou biomasse forestière.
Toutefois, l’usage optimisé de cette ressource implique une hiérarchie des usages et repose pour une large part sur la capacité des acteurs économiques à créer les conditions d’une complémentarité entre les différentes utilisations du bois et à éviter les conflits d’usage.
Le bois énergie représente 65 % des énergies renouvelables produites actuellement en France, essentiellement par la valorisation des sous-produits de la filière bois ; mais encore faudrait-il s’assurer, lorsqu’un projet industriel est envisagé, que ses besoins en approvisionnement n’engendrent pas une surexploitation directe ou indirecte des ressources sylvicoles locales, régionales, voire nationales, et éviter les déséquilibres en tenant compte aussi des autres besoins d’approvisionnement de structures locales de moindre dimension.
Dans le même temps, nous connaissons bien le constat de l’insuffisante organisation de la filière bois, qui repose sur des petites entreprises, souvent fragiles, et les difficultés de la mobilisation de la ressource bois dans notre pays.
L’industrie de transformation du bois s’est affaiblie.
Le secteur de la scierie française, par exemple, est en recul sur les exportations de sciage qui, entre 2005 et 2012, ont baissé de près de 43 %. Le nombre de scieries a fortement diminué et la production de sciages a baissé de 10 % entre 2002 et 2011. Nous exportons des bois bruts et importons des bois travaillés, transformés, incorporant beaucoup de valeur ajoutée. Les chiffres de la direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires, la DGPAAT, relèvent que le déficit de la balance commerciale en meuble, principal responsable du déficit de la filière bois, a augmenté de 200 millions d’euros entre 2009 et 2010.
C’est bien notre paradoxe : nous avons l’une des meilleures ressources forestières d’Europe – la troisième forêt européenne –, et pourtant nous affichons un déficit record dans notre balance commerciale.
Notre forêt n’est pas suffisamment mise en valeur localement ; en témoignent les exportations de grumes vers la Chine. Or c’est ce potentiel économique qui doit être valorisé sur place.
L’aspect économique est donc un enjeu majeur. Dans ce cadre, l’instauration, dans la loi, du fonds stratégique de la forêt et du bois constitue une avancée fondamentale, car un tel organisme est le fondement de toute politique forestière.
La disparition du fonds forestier national, voilà plus de dix ans, a eu de graves conséquences amplifiées par les tempêtes successives qui ont découragé bon nombre de propriétaires forestiers de replanter.
Toutefois, monsieur le ministre, permettez-moi d’ajouter que, au-delà de la création du fonds stratégique, l’enjeu sera d’assurer la pérennité de ce dernier. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la commission des affaires économiques a adopté la proposition du rapporteur de créer un compte d’affectation spéciale décrivant les recettes du fonds. Vous nous dites que ce n’est pas acceptable. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.
La forêt, outre son potentiel économique, contribue activement à la préservation des équilibres écologiques, des écosystèmes et de la biodiversité, puisqu’elle stocke le carbone, purifie l’eau, enrichit les sols et offre des habitats propices à la faune et à la flore. Enfin, elle abrite une grande diversité d’activités, touristiques, cynégétiques, sportives, scientifiques, etc.
Le présent texte reconnaît pleinement cette multifonctionnalité des forêts, notamment de leurs fonctions d’intérêt général, et ouvre ainsi la possibilité de rémunération de ces aménités environnementales.
La reconnaissance par la loi est importante. Elle émet notamment un signal fort en direction de nos concitoyens, qui n’ont pas toujours conscience des atouts considérables que recèle la forêt, par la diversité de ses fonctions.
De surcroît, ce projet de loi réorganise la gouvernance dans ce domaine. En particulier, le programme national de la forêt et du bois, décliné à l’échelle régionale, permettra de partager des constats et de définir des priorités.
Chacun sait que la forêt française est très morcelée. L’objectif du groupement d’intérêt économique et environnemental forestier est précisément de permettre le rassemblement de tous les professionnels concernés.
Monsieur le ministre, votre projet de loi va dans le bon sens. Il s’appuie sur une PAC réorientée et plus juste. Les membres du groupe socialiste le défendront et vous soutiendront avec conviction et détermination. §