Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 10 avril 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Article 34 A

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi apporte des réponses pour l’agriculture ultramarine et témoigne de la qualité d’écoute du Gouvernement face aux demandes relayées par les élus de nos collectivités.

Pour autant, il faut regretter que la promesse d’une loi portant sur l’agriculture et la forêt spécifique à l’outre-mer ne soit pas tenue.

Ce texte fait écho à de nombreuses revendications et prend en compte toute une série de particularismes.

Il faut ainsi se réjouir que l’article 34 A fixe des objectifs spécifiques à la politique agricole et forestière en outre-mer, et aussi que l’article 34 prévoie des plans régionaux pour concrétiser ces objectifs.

Tout est dans la seconde finalité : « consolider les agricultures traditionnelles d’exportation, renforcer le développement des filières de diversification et soutenir l’agriculture vivrière. »

Cela ne pourra se faire sans un renforcement de la gouvernance locale, sans le soutien aux jeunes agriculteurs, sans la modernisation des techniques ou sans le développement des moyens pour lutter contre les maladies et ravageurs qui détruisent nos agricultures.

Des avancées sont réelles concernant les questions foncières, la transmission des exploitations, l’installation des jeunes, les structures coopératives, le nouvel essor des GAEC, la formation, l’agroécologie.

L’adaptation à l’outre-mer est bienvenue, en particulier la dérogation supplémentaire accordée aux agriculteurs de trente-cinq ans pour bénéficier du contrat de génération, mais aussi le régime révisé de l’indivision sur les terres agricoles.

Il reste que la situation des jeunes agriculteurs est difficile en raison de leur manque de ressources propres pour s’installer, démarrer l’exploitation et la rendre pérenne : les prêts bonifiés sont rarement accordés, les dossiers d’installation aidée ne sont pas validés à temps et les conditions de rachat des terres agricoles sont trop contraignantes pour permettre la continuation des exploitations. Je soutiens dès à présent les amendements du président de la délégation sénatoriale à l’outre-mer qui vont dans le sens d’un meilleur accompagnement des jeunes agriculteurs.

D’autres questions sont à peine abordées dans ce texte. Il en est ainsi de la concurrence entre nos territoires et les pays voisins sur la production agricole et de la compétitivité de nos productions. Ce sujet concerne évidemment l’agriculture d’exportation mais aussi l’agriculture vivrière. Lorsque les normes phytosanitaires sont favorables à une grande qualité à nos produits, elles conduisent à des surcoûts importants vis-à-vis des productions étrangères.

En Guyane, la vie chère oblige bon nombre d’habitants proches ou éloignés des fleuves frontières à s’avitailler en productions venant du Surinam ou du Brésil, bien moins onéreuses.

L’agriculture vivrière ne peut rivaliser avec ces produits importés. Dès lors que la majorité des exploitations guyanaises s’étendent sur moins de 2 hectares, elles disparaissent, comme aux Antilles. Or seulement 15 % de la consommation locale est satisfaite par la production locale : s’il était possible d’importer des produits ou des techniques agricoles des territoires voisins, l’offre locale pourrait être compétitive, attractive et ouverte sur les marchés régionaux ; cela permettrait aux agriculteurs de sortir de la précarité dans laquelle ils se trouvent souvent.

Ce sujet avait déjà été discuté lors de l’examen du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer, mais nous attendons toujours l’étude que le Gouvernement doit réaliser sur ce point.

Le second sujet que je veux aborder est celui du foncier.

Dans les territoires insulaires, la pression foncière est trop importante. L’urbanisation prend le pas sur la vocation agricole des terrains et la plupart des parcelles ont cette double vocation. Cela empêche les SAFER de préempter. Cela conduit les propriétaires à préférer le développement de la construction plutôt que celui de la production agricole.

Monsieur le ministre, madame la ministre, il faut trouver des solutions pour conserver ces surfaces agricoles utiles et garantir leur exploitation.

La superficie du territoire guyanais pourrait le mettre à l’abri de ce genre de difficultés. Pourtant, la mainmise de l’État sur plus de 90 % du foncier de Guyane rend la situation quasiment similaire. Bien souvent, les exploitants agricoles s’installent sans titre sur les terrains de l’État.

Ces deux phénomènes ne peuvent être acceptés : l’État doit rétrocéder le foncier aux collectivités locales pour qu’elles puissent mener une réelle politique foncière et le proposer pour l’installation initiale d’une exploitation agricole plutôt que pour une régularisation au coup par coup.

Enfin, la Guyane représente 8 millions d’hectares de forêt primaire certifiée d’un seul tenant : 1 200 espèces d’arbustes y sont recensées, contre 130 en métropole ; le potentiel de prélèvement atteint 5 tonnes de bois par hectare, sans effets négatifs sur l’environnement.

En revanche, la destruction de la forêt est bien réelle. Cela est dû non à une exploitation illégale du bois, mais à l’orpaillage clandestin.

Sur le plan économique et humain, l’exploitation du bois ne suffit pas à couvrir les besoins locaux. Au total, la filière du bois mobilise aujourd’hui 700 à 800 emplois et produit 65 000 mètres cubes de bois par an. Or des études scientifiques ont établi, sur la base de scénarios réalistes, que la Guyane pourrait nourrir l’ambition, d’ici à 2030, de créer 10 000 emplois supportés par une filière forêt-bois performante.

Sur le plan réglementaire, le bois commercialisé de Guyane répond à l’exigence du marquage Communauté Européenne, comme des autres certifications. Il est cependant handicapé par le non-référencement de certaines essences et la non-adaptation des normes de construction aux conditions climatiques locales.

Monsieur le ministre, madame la ministre, la France ne peut pas faire moins pour sa propre forêt tropicale que ce qu’elle s’engage à faire pour les bois tropicaux étrangers. Quel avenir espérer pour la filière forêt-bois en Guyane ? Quelles mesures concrètes seront prises pour favoriser ce modèle de développement responsable qui peut faire de la France, grâce à sa forêt guyanaise, un exemple pour la planète ?

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