Comme mon collègue Jean-Étienne Antoinette vous l'a annoncé, il me revient de faire le point sur les ressources des ZEE ultramarines dont la grande diversité, l'abondance, et le caractère stratégique pour certaines d'entre elles attisent les convoitises.
Les ressources des ZEE sont à la fois énergétiques, minérales et biologiques.
Pour ce qui est des ressources énergétiques, les présomptions sont très fortes de voir les ZEE françaises receler des gisements d'hydrocarbures. La prospection la plus avancée en la matière concerne la Guyane où, depuis 2012, des opérations d'exploration sont menées par un consortium conduit par Shell France dont nous avons auditionné deux fois le président. Ce dernier évaluait le gisement à 300 millions de barils, même si quatre des cinq forages se sont révélés infructueux, conduisant la compagnie à annoncer en janvier dernier, puis tout récemment, qu'elle renonçait à étendre sa zone de prospection au large et près des côtes pour se concentrer sur celle déjà étudiée, située à 150 kilomètres. Précisons que les résultats plutôt négatifs des derniers forages n'ont rien d'étonnant : dans les années 1960-1970, il avait fallu une vingtaine de forages pour localiser les puits de la mer du nord. L'intérêt pour le gisement guyanais est d'ailleurs confirmé par les demandes de permis d'exploration déposées en janvier 2014 par de nouvelles compagnies.
Dans l'océan Indien, on sait que le ravivement des contestations de la présence française dans le canal du Mozambique, notamment à l'occasion de l'élection présidentielle malgache, est lié à des questions pétrolières. En effet, la ZEE française des Îles Éparses recouvre une large partie du canal où des gisements de pétrole et de gaz sont hautement probables. Les Comores viennent ainsi d'attribuer les premiers lots de prospection, laquelle est estimée pouvoir déboucher sur une production de pétrole effective en 2018.
Ces enjeux ne sont pas non plus étrangers au débat entre la France et le Canada sur le plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Comme l'a rappelé Jean-Étienne Antoinette, ce mouvement ne concerne pas que les ZEE françaises, comme en atteste notamment dans l'actualité récente du Pacifique les passes d'armes entre la Chine et le Japon à propos des îles Senkaku.
Outre les hydrocarbures, les ZEE apparaissent de plus en plus comme des gisements avérés d'énergies marines renouvelables (EMR).
C'est un sujet stratégique majeur pour des territoires, éloignés des grands centres de production énergétique, en particulier du fait de leur insularité. On sait que l'approvisionnement énergétique est l'un des handicaps traditionnels rencontrés par les territoires ultramarins dans leur développement. Le Grenelle de l'environnement ne s'y est pas trompé, fixant un objectif de 50 % d'énergie renouvelables pour les DOM à l'horizon 2020, contre 22 % pour l'hexagone.
Parmi les nombreuses technologies actuellement envisagées, une mention particulière doit sans doute être faite de l'énergie thermique des mers (ETM). Fondée sur la différence de températures entre les eaux de surface et les eaux profondes dans les mers tropicales, elle présente le grand avantage de ne pas être intermittente et l'on dispose aujourd'hui de solutions permettant d'acheminer l'eau froide du fond. L'un des responsables de DCNS était d'ailleurs venu nous expliquer combien l'invention de tuyaux, assez solides pour résister à de fortes pressions et suffisamment souples pour s'adapter aux courants marins, était un défi technique démontrant à quel point la conquête des mers pouvait stimuler l'innovation, avec de multiples retombées possibles pour nos entreprises. Reste cependant à répondre au défi de l'acheminement à terre de l'énergie produite au large. Les prototypes actuellement développés en Martinique et en Polynésie consistent à faire produire de l'hydrogène par la centrale ETM, celui-ci étant ensuite acheminé par des navires spécialisés. L'objectif est de réaliser des stations produisant plusieurs centaines de mégawatts.
Assez comparable aux ETM, parce qu'ils utilisent les eaux froides du fond des mers tropicales - mais cette fois, situées près des côtes - on peut aussi citer les systèmes de climatisation de type SWAC (Sea Water air conditioning) utilisées à La Réunion ou, en Polynésie française, à l'hôpital de Papeete et dans plusieurs hôtels, à Bora Bora et dernièrement à l'hôtel Brando de Tetiaroa.
Plusieurs technologies sont aujourd'hui à un stade pré-industriel, généralement grâce à l'appui des collectivités. C'est le cas des deux prototypes de station houlomotrice installés à La Réunion, même si l'un d'eux - connu sous le nom de CETO - a été détruit par le cyclone Bejisa il y a trois mois.
Outre les ressources énergétiques, les mers - notamment les mers tropicales - sont d'abondantes sources de biodiversité. Le rapport fait un point sur le potentiel halieutique de nos outremer avec trois conclusions principales sur la façon d'exploiter davantage et mieux les ressources de nos ZEE :
- en structurant les filières de pêche aujourd'hui encore trop artisanales pour valoriser l'ensemble de ce nouveau territoire marin,
- en luttant de façon plus résolue contre la pêche illégale, au besoin dans le cadre d'une coopération internationale comme celle qui se met en place dans l'océan Indien,
- et enfin en diversifiant les activités, notamment par le développement de l'aquaculture pour laquelle les outremer français peuvent faire valoir leurs avantages compétitifs, à commencer par la qualité et la traçabilité des produits.
Autre ressource importante, les algues mériteraient sans doute un rapport à elles seules tant elles s'annoncent comme à l'origine de nouveaux pans entiers de l'économie.
Par leur faculté d'adaptation et de croissance dans des conditions extrêmes, les algues ont développé des propriétés biochimiques inédites que les chercheurs ne cessent de découvrir et que les industriels exploitent. Chimie, pharmacie et nouvelles thérapies, agro-alimentaire, protection de l'environnement, les utilisations sont nombreuses et parfois simultanées. La société française Amadéite, basée dans le Morbihan, a ainsi créé un nouveau matériau composé de feuilles intercalées d'argile et d'algues vertes. Ce matériau a des propriétés multiples : il permet à la fois de renforcer les défenses immunitaires dans le cadre de l'alimentation animale, réduisant ainsi la consommation d'antibiotiques. Ses propriétés mécaniques et physiques en font également un excellent candidat à l'utilisation dans les carrosseries de voitures ou dans l'emballage alimentaire ! La production est par ailleurs saine pour l'environnement, puisqu'elle ne nécessite aucun procédé chimique.
Les applications incluant des algues sont en pleine expansion, jusqu'aux biocarburants de troisième génération, les algues ayant un rendement à l'hectare dix fois supérieur à celui des oléagineux. Les eaux tropicales, dont la biodiversité - animale comme végétale - est encore plus riche que celle des eaux tempérées, constituent donc un terrain privilégié de ce que les spécialistes annoncent comme une authentique « nouvelle économie ».
Ce rapide inventaire des ressources des ZEE ne serait évidemment pas complet sans l'évocation des ressources minérales.
L'attention s'est, comme on le sait, focalisée depuis longtemps sur les nodules polymétalliques, riches en fer, en manganèse, en cuivre, en nickel et en cobalt, alors que ceux-ci, situés dans les plaines abyssales des océans, sont les plus difficiles à exploiter et que l'on est encore au stade de l'exploration, dans l'ouest de la Polynésie, comme près de la ZEE française de Clipperton dans une zone internationale où plusieurs pays ont lancé des programmes.
Les opérations d'extraction concernent aujourd'hui d'autres types de minéraux, ceux des sulfures hydrothermaux présents dans des volcans sous-marins actifs ou récents à environ 1 000 mètres de profondeur. La teneur de ces « amas sulfurés » en fer, en cuivre, en mercure et en zinc est supérieure à celle des mines terrestres, et un projet Solwara 1 mené par la société canadienne Nautilius dans la ZEE de Papouasie Nouvelle-Guinée est actuellement en cours à 1 700 mètres de fond. Il a déjà permis de démontrer la faisabilité du ramassage des minerais et devrait être, si tout se passe bien, en phase industrielle l'an prochain.
Pour la France, ce type de formations minérales a été identifié à Wallis-et-Futuna, près des îles Matthew et Hunter en Nouvelle-Calédonie, ce qui n'est sans doute pas pour rien dans la contestation de la souveraineté sur ces îlots français par le Vanuatu. Des amas sulfurés seraient aussi présents autour des îles Saint-Paul et Amsterdam, à Crozet, à Kerguelen, à Mayotte ainsi qu'aux Antilles et en Polynésie.
Outre les nodules et les sulfures hydrothermaux, on cite aussi souvent les encroûtements cobaltifères constitués dans des volcans anciens ou des atolls immergés. C'est le cas dans l'archipel des Tuamotu, à Kerguelen, à Mayotte et dans les îles Éparses. Ils sont surtout riches en oxyde de fer et en manganèse auxquels dont associés des terres rares, notamment le titane, le lanthane ou le cérium, avec des densités particulièrement intéressantes. D'après une étude de l'université de Tokyo qui a eu un fort retentissement dans la presse scientifique mondiale en 2011, les gisements situés autour des Tuamotu constitueraient une part très importante des réserves mondiales de terres rares. Comme l'a rappelé Jean-Étienne Antoinette, tout ceci n'a pas laissé la Chine indifférente. J'ajouterai que les enjeux géopolitiques se posent en des termes particuliers s'agissant de collectivités qui - comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie - disposent de larges compétences propres et figurent même sur la liste de l'ONU des « territoires non autonomes ». Je rappelle que cette réinscription de la Polynésie française a été adoptée par l'assemblée générale des Nations unies le 17 mai 2013.
Les stipulations de l'article 73 de la Charte des Nations unies de 1945 dont la France est cosignataire, prévoient en effet le principe de primauté des intérêts des habitants des territoires non-autonomes tel que figurant sur la liste du Comité spécial de décolonisation. Il importe dès lors d'observer cette règle en matière de politique maritime locale et d'exploitation des ZEE calédonienne et polynésienne, de manière à ce que nos intérêts nationaux ne viennent pas méconnaître, comme cela a pu être le cas par le passé, ceux des habitants de ces deux territoires.
Pour la cohérence politique nationale, il serait à mes yeux difficile d'une part, de prendre appui sur des stipulations internationales en vigueur - notamment en bénéficiant des licences d'exploration de l'AIFM pour initier un développement largement fondé sur l'outre-mer - et d'autre part, de se dispenser de reconnaître l'applicabilité de stipulations internationales spécifiques davantage protectrices des intérêts propres des collectivités ultramarines.
Face à des perspectives prometteuses se pose inévitablement la question de l'exploitation des minerais sous-marins et, en particulier, de la rentabilité comparée d'une telle exploitation.
Comme je vous l'annonçais, on peut globalement parler d'une accélération de la maturation des procédés de production et d'exploitation.
Cela vaut pour les énergies marines renouvelables et pour les applications industrielles concernant les algues, mais aussi pour la valorisation des minéraux sous-marins. Certes, on estime que leur coût d'extraction est encore entre 4 et 5 fois supérieur à celui des minerais à terre, mais les auditions auxquelles nous avons procédé ont démontré que les avis divergent quant au moment où les ressources sous-marines seront compétitives, en particulier pour les terres rares dont la pénurie est annoncée.
Ce qui est certain en tous cas, c'est que la course est bel et bien lancée. C'est entre autres l'avis de la Commission européenne qui justifie le lancement de sa consultation publique sur l'exploitation des minéraux sous-marin par le développement rapide des technologies et l'avancement des projets en cours dans tous les océans.
L'opération Solwara devrait donner le coup d'envoi à d'autres projets et l'entrée rapide dans une phase industrielle avec une baisse sensible du coût de production, dès que les équipements seront produits en série. Tout le monde s'y prépare : les industriels chinois qui ont créé un centre d'innovations à une centaine de kilomètres de Pékin où a été mis au point très récemment un véhicule d'exploration des fonds marins rivalisant avec ceux traditionnellement développés par les sociétés françaises DCNS et Technip. De même, dans son programme cadre pour l'innovation « Horizon 2020 », l'Union européenne fixe d'ores et déjà pour objectif la réalisation d'un robot extracteur des minerais des fonds marins. Ce projet devrait aussi être soutenu par le Gouvernement français dans le cadre du « concours mondial d'innovation » mettant en oeuvre les sept priorités stratégiques définies par le récent rapport remis par la commission Lauvergeon au Président de la République.
Tout en nous félicitant de cette mobilisation, nous insistons dans notre rapport sur la nécessité de ne pas oublier de poursuivre en parallèle le travail de connaissance de la ressource qui porte à la fois sur sa localisation, sa consistance et son environnement afin de bien mesurer et encadrer les effets de l'exploitation sur les écosystèmes. Or, sur la question de l'inventaire de la ressource, tous les voyants sont au rouge. Comme cela nous avait été indiqué il y a un an et demi, l'unique chercheur permanent de l'Ifremer, spécialiste français des nodules polymétalliques, a pris sa retraite sans avoir pu transmettre son savoir et sans être remplacé. La transmission du capital de connaissances acquises est donc clairement menacée ! La France n'a pas, faute de moyens humains et financiers suffisants, honoré les engagements qu'elle avait souscrits lors de l'obtention de son permis d'exploration dans la zone internationale de Clarion--Clipperton en 2001 alors que celui-ci arrive à échéance dans deux ans ! Quant au travail d'inventaire mené en Polynésie, il a été interrompu. Idem pour celui, pourtant le plus avancé et le plus proche de perspectives d'exploitation, mené à Wallis-et-Futuna.
Voilà des priorités toutes trouvées pour le « programme national d'accès aux ressources marines » annoncé par le Premier ministre à Montpellier le 3 décembre 2013 dernier lors des Assises de l'économie maritime et du littoral. Aussi notre recommandation n° 3 vise-t-elle à inclure dans le plan national annoncé le renforcement des moyens de la recherche sur les ressources minérales dans la ZEE française, ainsi que dans la zone internationale pour les permis attribués à la France.
Pour en revenir au programme d'exploration mené à Wallis-et-Futuna en dépit de ces difficultés liées aux moyens, nous estimons que sa conduite par un consortium mêlant organismes scientifiques et industriels - de l'Ifremer à l'opérateur minier Eramet en passant par Technip - constitue un bon modèle de partenariat entre les différents acteurs. Il devrait pouvoir être étendu à d'autres activités liées à l'exploitation des ressources marines : les énergies renouvelables, l'industrie des algues, voire la pêche afin de contribuer à mieux structurer ces filières. La recommandation n° 7 du rapport propose précisément de promouvoir la structuration des activités marines en filières intégrées, de la recherche jusqu'aux activités marchandes, en prenant en compte l'objectif de valorisation des ZEE ultramarines.
Elle part aussi du constat que les actions déployées, notamment par les deux grands pôles de compétitivité maritimes existants, sont encore trop hexagonales et prennent peu en compte l'enjeu de la valorisation de cet immense territoire que constituent les ZEE ultramarines.
Quant à l'engagement des partenaires industriels dans ce nouveau territoire où les perspectives de retour sur investissement ne sont pas encore parfaitement connues, il suppose d'aménager un cadre normatif et financier attractif, faute de quoi le risque existe toujours de les voir préférer des zones maritimes proches de nos ZEE aux ressources comparables mais plus accueillantes. Notre recommandation n° 6 préconise l'aménagement d'un cadre normatif et financier attractif pour des partenaires privés disposant de l'expertise technique et susceptibles de contribuer à l'exploration et à l'exploitation des ressources des ZEE.