Cet amendement, extrêmement important à la lumière de l’arrêt qui a été rendu, hier, dans la douloureuse affaire des jumelles Mennesson, vise à régler une question qui me semble fondamentale, à savoir la transcription des actes de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger.
En effet, ces enfants, en quelque sorte « fantômes », voire, demain, sans-papiers, pâtissent de l’absence de transcription de leur acte de naissance au registre français de l’état civil. Or, malheureusement, ils sont nombreux à se trouver aujourd’hui dans cette situation ! Dans l’affaire Mennesson, l’avocat général près la Cour de cassation avait pourtant requis la cassation de l’arrêt d’appel et, de fait, il sollicitait la transcription à l’état civil des actes de naissance étrangers de ces enfants.
Or la haute juridiction, en rejetant hier le pourvoi formé par les époux, place ces enfants dans une situation aberrante. Il nous appartient, en tant que législateurs, de régler cette question que les instances judiciaires se refusent à trancher. En effet, en statuant ainsi, la Cour de cassation renvoie implicitement les législateurs que nous sommes à leurs responsabilités.
Mes chers collègues, j’en appelle aujourd’hui à votre vote, afin que cet amendement puisse être adopté et que la transcription des actes de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger soit valablement autorisée en France, sans contestation possible.
Pour tous ces enfants, il est impossible d’en rester à la décision rendue hier par la Cour de cassation. En effet, la France reconnaît leur filiation maternelle et paternelle, telle qu’elle est inscrite sur l’acte de naissance étranger, mais refuse de transcrire ce dernier, ce qui est juridiquement infondé.
Si la filiation est établie à l’égard de parents dont l’un au moins est français, notre code civil prévoit que l’enfant aura la nationalité par filiation. Dès lors, cet enfant français, né à l’étranger, devrait voir son acte de naissance transcrit au registre de l’état civil, comme tous les enfants de Français nés à l’étranger.
Si ces enfants sont nés par GPA dans un pays étranger qui ne reconnaît pas le droit du sol, ils sont apatrides. En effet, dans ce cas de figure, bien qu’ils soient nés de parents français, et comme ils n’ont pas la possibilité d’obtenir la nationalité du pays de naissance, ils sont dépourvus de nationalité, donc d’identité.
Les jumelles Mennesson sont nées aux États-Unis. Ce pays accordant la nationalité selon le droit du sol, elles ont pu bénéficier d’un passeport américain, ce qui a permis à certains d’affirmer qu’elles n’avaient pas besoin de papiers français !
Cette remarque est aberrante à plus d’un titre. D’une part, elle est contraire aux règles de notre droit de la nationalité, telles qu’elles sont posées par le code civil – j’y ai fait référence tout à l'heure. D’autre part, elle est privée de fondement pour les enfants nés dans un autre État, qui, à la différence de la France, ne reconnaîtrait pas le droit du sol.
Par ailleurs, dans cette affaire, la Cour de cassation aurait dû faire application de la notion d’ordre international public atténué, dans la mesure où il s’agit d’une situation valablement constituée à l’étranger. Dès lors que la filiation envers les époux Mennesson a été reconnue par l’État français, la Cour aurait dû en tirer toutes les conséquences juridiques et casser l’arrêt d’appel qui a refusé la transcription des actes de naissance.
Si la GPA n’est pas encore autorisée en France – elle le sera peut-être, un jour, à l’issue d’un autre débat que nous aurons mené sur cette question – et si elle est pour le moment contraire à notre ordre international public direct, il en va différemment des enfants nés par GPA à l’étranger, qui devraient pouvoir bénéficier de l’effet atténué de notre ordre international public.
En effet, un raisonnement par analogie devrait être opéré avec d’autres situations qui sont interdites en France, mais auxquelles notre pays fait produire des effets lorsqu’elles ont été valablement constituées à l’étranger. Je pense, par exemple, au mariage homosexuel valablement contracté à l’étranger, qui peut produire en France des effets, notamment en matière fiscale ou successorale.
Il en va de même des mariages polygamiques qui, s’ils ne peuvent être célébrés sur notre territoire, ne sont pas pour autant dépourvus de portée juridique, par le jeu de l’effet atténué de notre ordre public. Je pense, par exemple, à la pension alimentaire, qui peut être sollicitée par la deuxième épouse, ou aux successions.
Quoi qu’il en soit, le droit international privé français distingue selon que les situations sont valablement constituées à l’étranger ou se réalisent en France.
Ce n’est pas parce que notre pays refuse actuellement de légaliser la GPA sur son territoire qu’il doit méconnaître les règles de son propre droit international privé.
Enfin, comme l’a rappelé à juste titre l’avocat général dans l’affaire Mennesson, l’absence de transcription des actes de naissance des fillettes aux registres français de l’état civil est contraire à l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 26 janvier 1990, ainsi qu’à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, cette situation porte atteinte à la fois à l’intérêt supérieur de l’enfant et à son droit à mener une vie familiale normale.
Pour toutes ces raisons, et afin d’éviter qu’ils ne restent clandestins, illégaux, sans-papiers, ces enfants doivent retrouver une nationalité.