Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du 14 avril 2014 à 21h30
Agriculture alimentation et forêt — Article 22

Stéphane Le Foll, ministre :

Ce débat est important dans la mesure où cet article vise à modifier les procédures en vigueur.

Trois points divergents ont été avancés par les sénateurs ayant défendu leurs amendements de suppression.

Vous avez parlé, messieurs les sénateurs, de la responsabilité du ministre et de la responsabilité politique en général, puis, à plusieurs reprises, de la responsabilité de la direction générale de l’alimentation. Certains ont même accusé cette direction, représentée ici ce soir et dont je tiens à saluer le travail, d’avoir délivré des autorisations qui n’auraient pas dû l’être. Enfin, vous avez dit que l’ANSES avait besoin de moyens parce que les AMM mettaient trop de temps à être délivrées. Mais je vous signale que tous ces éléments mis bout à bout sont assez contradictoires.

Pour gagner du temps, il faut que les procédures soient simples et claires. De deux choses l’une : si c’est la responsabilité de la DGAL qui est posée, pourquoi mettre en question celle du ministre ? Si c’est celle du ministre, pourquoi mettre alors en question celle de la DGAL ?

La clarification dans le débat procède d’un point que j’ai déjà évoqué tout à l’heure : si l’on veut mettre en jeu la responsabilité d’un ministre et des politiques, il faut le faire sur des choix clairs, sur des choix politiques qui les engagent, et non pas sur tout un tas de choses dont on parle ce soir et qui font de la décision politique une fiction. À cet égard, permettez-moi de rappeler la situation actuelle et de vous dire comment on en est arrivé à la mesure proposée dans cet article.

Générations futures, une association qui surveille toutes les AMM, a accusé le ministre de l’agriculture de refuser de délivrer des autorisations ou de suivre l’ANSES, alors qu’il n’y avait en réalité qu’un seul problème, à savoir l’encombrement dû aux dossiers que l’on ne parvenait pas à traiter. Avec deux ETP et demi, les équivalents temps plein, la DGAL ne peut pas tout régler et tout suivre. Dès lors, l’ANSES et la DGAL se renvoyaient parfois les dossiers importants, ce qui entraînait un allongement de la durée des navettes. Au bout du compte, on accumulait les dossiers sur lesquels aucune décision n’avait été prise. C’est pourquoi on a fini par accuser le ministre, qui a découvert qu’il y avait près de 2 000 dossiers tous les ans à traiter ; je dis bien 2 000 !

Prenons l’exemple d’un insecticide. L’AMM peut être autorisée pour plus de 300 usages dans 70 cultures ou groupes de cultures différents. Je vous laisse effectuer la multiplication pour obtenir le nombre de dossiers à étudier. Et on laisserait croire qu’un ministre pourrait étudier chaque année tous ces dossiers ? Qui peut laisser croire cela ? A-t-on le droit d’entretenir cette fiction chez nos citoyens ? Peut-on dire que le ministre n’assume pas sa responsabilité ? Mais comment pourrait-il l’assumer dans de telles conditions ?

Les propos de M. le rapporteur sont très justes : comment le ministre pourrait-il prendre une décision contraire à celle qui a été émise par un collège de scientifiques ? Même s’il est lui-même scientifique, est-il capable d’avoir un avis systématique sur tous ces dossiers, sauf à considérer que le ministre de l’agriculture doit s’occuper de toutes les AMM et qu’il est ministre des AMM ? Mais alors, il ne faudra pas lui demander d’aller à Bruxelles négocier la réforme de la PAC, ni de venir débattre au Parlement des lois d’avenir ! Il y a quand même un minimum de réalité à ne pas perdre de vue ! On ne peut pas rester dans la fiction.

Je l’ai souligné tout à l’heure, le politique assume des décisions, à condition que ce soit des choix clairs, qui l’engagent politiquement ! Mais on ne saurait laisser persister l’idée selon laquelle le ministre a la responsabilité de délivrer tous les ans 2 000 AMM. Ce n’est pas vrai ! Que ce soit moi, mes prédécesseurs, de droite comme de gauche, ou mes successeurs, ce n’est pas vrai !

Ce soir, je veux parler clair, parler vrai sur cette question. L’ANSES est composée d’un collège de scientifiques qui émettent des avis, qu’ils doivent assumer, comme c’est le cas pour l’ANSM, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Qui oserait dire aujourd’hui que même l’affaire du Mediator est due à une mauvaise gestion de l’ANSM ? Ce n’est pas vrai ! Qui oserait dire aujourd’hui que le système fonctionne bien ? Vous êtes les premiers à dire qu’on perd du temps, qu’il y a des retards, que certaines autorisations ne sont pas délivrées alors qu’on en a besoin. C’est la vérité ou pas ?...

Dès lors, que faut-il faire ? Simplifier ? Tout le monde en parle. Eh bien, l’occasion nous est offerte de simplifier et de clarifier les choses, tout en posant des garde-fous, comme cela a été très bien souligné. Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. En l’espèce, le ministre aura la possibilité de refuser la délivrance d’AMM eu égard à certaines réalités politiques ; il assumera sa décision. C’est cela qui paraît logique, et c’est politique. Voilà la responsabilité du ministre, ce sont de tels choix qu’il doit assumer.

On est là dans un débat de clarification. Concernant l’ANSES, la question du plafonnement des emplois sera posée. Oui, le codicille, c’est de donner à l’ANSES les moyens d’assumer jusqu’au bout l’ensemble de ses missions, en l’occurrence de conduire des études et des évaluations. On l’a dit, in fine, ce sera le conseil scientifique qui décidera de l’AMM.

Soyons clairs et n’ayons pas de faux débats ! Ne laissons pas penser que la situation actuelle est imputable à une responsabilité politique, ce n’est pas vrai ! Mon expérience le prouve, et mes prédécesseurs le savent aussi très bien, même s’ils n’en ont pas parlé.

Il faut donc que nous soyons honnêtes entre nous : nous visons tous le même objectif, faire en sorte que ces AMM respectent tous les engagements qui doivent être pris, sachant que, en plus, les substances elles-mêmes relèvent d’une décision européenne et politique : aucune molécule ne peut être mise sur le marché sans autorisation à l’échelle européenne. En revanche, les AMM au niveau national dépendent des décisions de l’agence. Les débats politiques sur toutes les molécules se font à l’échelle européenne et relèvent, je le répète, d’une décision politique, assumée.

Je veux donc que les choses soient claires dans ce débat. Je ne veux pas qu’on cherche à biaiser, en imputant des responsabilités à qui n’en a pas. Cela vaut pour l’agence comme pour le ministre.

Aussi, je ne peux pas laisser dire que le Gouvernement veut retirer une responsabilité, non ! Je le répète, nous sommes là pour clarifier, simplifier et faire en sorte que tout marche, tant pour le fonctionnement général de l’agriculture que dans notre rapport avec les citoyens et l’opinion publique. Il faut donner de la clarté aux décisions ; on le doit aux citoyens et aux agriculteurs. Tel est l’enjeu ! Il n’y en a pas d’autre, le Gouvernement n’a pas la volonté de faire autre chose.

C’est pourquoi je demande sincèrement aux auteurs des amendements de suppression, qui ont avancé des arguments contradictoires, de bien vouloir les retirer, en considération du travail réalisé par la commission et au bénéfice des précisions apportées par Pierre Camani : des garde-fous très clairs sont prévus, afin que les véritables décisions politiques soient prises. On ne saurait laisser penser que le ministre peut prendre la responsabilité de se prononcer sur les milliers de dossiers d’AMM concernant des sujets extrêmement techniques – le chou pommé, le chou vert, tel insecticide sur telle fleur, tel légume, tel fruit –, car ce n’est pas vrai. Cette décision doit être assumée par ceux qui ont la connaissance, ceux qui évaluent. En revanche, il doit y avoir des décisions politiques si elles sont nécessaires, ainsi que l’a relevé le rapporteur. Sur ce point, je suis prêt à assumer.

Ne nous trompons pas de débat ! Ne faisons pas semblant de croire que le système actuel fonctionne et que c’est le politique qui décide ! C’est faux ! En tant que ministre, on ne peut pas, je le répète, traiter tous les ans 2 000 dossiers sur des sujets particulièrement techniques concernant l’usage de tel ou tel insecticide ou pesticide dans telles ou telles conditions pour telle et telle production dans tel et tel jardin. Ce n’est pas vrai !

L’association Générations futures m’a accusé de retarder la délivrance d’AMM au motif que je ne voulais pas suivre les avis de l’ANSES, alors que je n’y étais pour rien. Je le répète, ces retards sont dus à toutes les navettes entre l’ANSES et la DGAL. Essayons de faire simple, de faire efficace et, en même temps, assumons chacun nos responsabilités ! Pour ma part, je suis prêt à assumer les miennes, celles du politique.

Concernant cette question du transfert de responsabilité à l’ANSES, il n’est absolument pas question de remettre en cause l’expertise scientifique ni les engagements qui doivent être pris envers les citoyens et les utilisateurs. La seule volonté du Gouvernement est de clarifier et de simplifier – c’est absolument nécessaire ! – pour répondre aux exigences de sécurité et de protection et pour que les choses fonctionnent parfaitement.

Tel est l’enjeu : il est simple, il est clair. Je souhaite vivement que le Sénat se rallie aux propositions de la commission des affaires économiques. §

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