Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les relations entre l'État et les collectivités territoriales ne sont plus de toute quiétude, et l'euphorie qui régnait autour des lois sur la décentralisation est quelque peu retombée.
Certes, le principe de la libre administration des collectivités territoriales est inscrit dans la Constitution, mais il est aujourd'hui impossible de déterminer qu'il s'applique de manière effective et satisfaisante.
D'un côté, l'État s'oriente vers une décentralisation plus poussée et donne davantage d'autonomie aux collectivités territoriales. Nous en avons eu l'illustration avec les deux actes de la décentralisation Raffarin.
L'acte I, avec la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, a consacré l'autonomie des collectivités territoriales à l'article 72-2 de la Constitution, et a créé notamment le droit à l'expérimentation.
L'acte II était censé entériner ce principe d'autonomie en transférant de nouvelles compétences aux collectivités. Mes chers collègues, je n'évoquerai pas immédiatement le problème des transferts financiers, sur lequel j'aurai l'occasion de revenir.
Si nous nous en tenons à cette vision purement conceptuelle, il n'est pas faux d'affirmer que l'État a fait le choix de renforcer l'autonomie des collectivités territoriales.
D'un autre côté, toutefois, certaines décisions politiques et budgétaires prises par le Gouvernement entravent cette autonomie et portent atteinte au principe de libre administration.
En évoquant les choix politiques du Gouvernement, dont les conséquences sur les finances des collectivités sont dramatiques, je pense à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Cela dit, nous n'avons cessé de le répéter lors des débats, et la justesse de nos propos semble, aujourd'hui, atteindre les élus locaux de la majorité, catastrophés par la situation financière dans laquelle ils se trouvent.
La loi du 13 août 2004, et plus précisément les transferts de compétences et de personnels qu'elle a organisés, pèse aujourd'hui lourdement sur le budget des collectivités, qui se retrouvent dans des situations inextricables.
Ainsi, les collectivités ne sont pas en capacité financière, à moins d'augmenter considérablement leur fiscalité, d'exercer leurs missions et de répondre de façon pleinement satisfaisante aux attentes de leurs habitants.
Le Gouvernement a beau jeu d'appeler les collectivités territoriales à plus de responsabilité : celles-ci ne sont plus en mesure de compenser les carences de l'État et elles ne pourront augmenter indéfiniment la fiscalité locale.
Toutefois, la situation n'est pas près de s'arranger, si l'on en croit le rapport d'information d'Éric Doligé sur les transferts des personnels TOS et DDE, c'est-à-dire des personnels techniciens, ouvriers et de service et des personnels des directions départementales de l'équipement
En effet, notre collègue constate que, « malgré un processus de transferts des personnels en bonne voie, [le] volet financier [est] d'ores et déjà préoccupant ».
La fonction publique territoriale a, jusqu'à présent, remporté un véritable succès auprès des personnels TOS. Au 29 septembre 2006, 50, 35 % de ces personnels avaient fait connaître leur choix : 73, 5 % d'entre eux avaient choisi d'être intégrés dans la fonction publique territoriale dès le 1er janvier 2007, et 26, 49 % avaient opté pour le détachement sans limitation de durée.
Il existe une explication à cet engouement : les rémunérations et les primes versées dans la fonction publique territoriale sont sensiblement plus élevées que dans la fonction publique d'État.
Dans ces conditions, l'État sera-t-il en mesure de compenser les transferts à l'euro près, comme cela a été promis, alors que la compensation affectée aux collectivités locales est établie sur les rémunérations et les primes versées dans la fonction publique d'État ?
Par ailleurs, les collectivités se trouveront certainement dans l'obligation d'embaucher. La commission consultative sur l'évaluation des charges indiquait, dans son relevé de conclusions du 6 avril 2006, que la compensation des emplois disparus doit intervenir à la fin de la période d'exercice du droit d'option, soit le 1er janvier 2009 pour les postes relevant du ministère de l'éducation nationale et le 1er janvier 2010 pour ceux qui relèvent du ministère de l'équipement.
Les compensations arriveront donc très tardivement, alors que les besoins en personnels se font sentir dès à présent. Les collectivités devront par conséquent faire des avances de trésorerie pour procéder aux recrutements nécessaires.
Enfin, la question des retraites de ces personnels transférés est une véritable épée de Damoclès au-dessus de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL.
En l'état actuel, le régime de retraite des agents des collectivités locales devra financer, sans contrepartie de cotisations, la retraite des agents transférés. De la part de l'État, il s'agit d'une facétie quelque peu mesquine ! Le transfert de ces personnels vers la fonction publique territoriale constituera autant de pensions en moins à verser, sans que l'État ait, en contrepartie, à transférer aux collectivités les cotisations déjà perçues.
Les comptes de la CNRACL seront donc lourdement affectés par ces transferts de personnels. Parallèlement, ce seront les finances des collectivités locales qui en pâtiront. Rien ne leur est épargné !
Cette situation fait dire à notre collègue Éric Doligé que le volet financier des transferts constitue une véritable « bombe à retardement » pour les collectivités, du fait notamment de la faiblesse de la compensation des emplois disparus ou vacants, de la non-compensation « au réel » de l'alignement des indemnités des agents transférés sur celles de leurs collègues de la fonction publique territoriale, et de la dégradation, d'ici à 2015-2020 des comptes de la CNRACL.
La décentralisation, telle qu'elle a été voulue par le Gouvernement, coûtera décidément très cher au contribuable, sans pour autant que la qualité des services publics de proximité soit améliorée.
Les dotations de l'État que nous examinons aujourd'hui, et qui ont prétendument pour vocation de permettre aux collectivités d'assumer leurs compétences et de corriger les inégalités existant entre elles, sont très loin de correspondre à leurs besoins. Elles sont d'autant moins suffisantes que l'État reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre, en opérant des choix budgétaires allant à l'encontre de l'intérêt des collectivités, et donc des contribuables locaux.
Je pense ici à l'instauration du bouclier fiscal par la loi de finances pour 2006.
Le plafonnement de la taxe professionnelle à 3, 5 % de la valeur ajoutée constituera un important manque à gagner pour les collectivités locales. Même l'Association des maires de France s'inquiétait, l'année dernière, de l'adoption d'une telle disposition. La position de son bureau était claire et sans équivoque : « Le Bureau refuse la prise en compte des impôts locaux dans le calcul du bouclier fiscal. En tout état de cause, si ce dispositif était retenu, l'État devrait en assumer intégralement le coût. » Mais il n'est pas question pour l'État d'en assumer totalement le coût, puisque la compensation de ce financement ne sera plus assurée à partir de 2007.
Cette décision est d'une extrême gravité, d'un point de vue tant moral que financier, car elle remet en cause le principe de responsabilité de l'entreprise devant la collectivité locale. Par ailleurs, elle grèvera fortement le budget des intercommunalités, dont la principale recette est souvent la taxe professionnelle unique.
Par conséquent, le plafonnement de la taxe professionnelle remet en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, pourtant si cher au Gouvernement.
En conclusion, je partage les propos de ma collègue Marie-France Beaufils, qui plaidait la semaine dernière pour une réforme urgente de la fiscalité locale. Les collectivités sont censées disposer d'une plus grande autonomie. Pourtant, elles se retrouvent prises dans un véritable carcan fiscal et auront de plus en plus de difficultés à assumer leur mission de service public.