Intervention de Vincent Berjot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 avril 2014 : 2ème réunion
Audition de M. Vincent Berjot directeur général des patrimoines au ministère de la culture et de la communication

Vincent Berjot, directeur général des patrimoines :

Sur ce dernier point, je suis en effet favorable à la transmission de textes « avant arbitrage », qui permettrait à chacun de travailler à partir de textes et non de rumeurs.

Pour répondre à Monsieur Le Scouarnec, l'idée n'est pas de créer une nouvelle catégorie, appelée « Cité historique », qui s'ajouterait aux « secteurs sauvegardés », à la ZPPAUP et aux AVAP. Le champ de la catégorie « Cité historique » inclurait tout espace protégé, quel que soit sa nature et dès lors que l'architecte des bâtiments de France est appelé à intervenir, en raison de l'existence d'une servitude d'utilité publique. J'ai bien entendu que cette appellation « Cité historique » ne recueillait pas l'unanimité, bien au contraire. Elle devra donc évoluer dans la mesure où je ne vois pas de raison de ne pas parvenir à un accord. Certes, l'appellation n'est pas un sujet de fond, mais la sémantique constitue un enjeu important, notamment en ce qu'elle participe à la lisibilité des politiques patrimoniales, et donc à leur effectivité.

Concernant l'accueil qui sera fait à ce projet de réforme au Parlement, le ministère a bien conscience des risques qui sont pris. Cependant, nous gardons l'espoir de pouvoir adopter le texte le plus consensuel possible. Il n'en reste pas moins que s'exprimeront toujours, à l'occasion du débat parlementaire, des divergences de vue, concernant notamment le rôle de l'architecte des bâtiments de France et la servitude d'utilité publique. Nous n'échapperons donc pas au dépôt d'amendements visant à affaiblir le régime de protection du patrimoine. Mais ces amendements sont récurrents dès lors qu'est proposée une réforme passant par une modification du code de l'urbanisme, dès lors que le ministère en charge de l'aménagement du territoire, ou le ministère de l'écologie, déposent un texte. La ministre entend donc présenter au Parlement un texte portant une politique de protection et de valorisation du patrimoine. C'est dans ce contexte qu'il conviendra ensuite de « gérer » les amendements visant à un affaiblissement des régimes de protection.

Concernant la réticence des architectes des bâtiments de France, je tiens à souligner que nous avons consulté un groupe d'architectes des bâtiments de France, dont les membres ont été choisis et réunis par l'Association des architectes des bâtiments de France, afin qu'ils puissent nous faire part de leurs observations. Nous avons donc mené un véritable travail de concertation. Je ne suis pas certain que l'architecte des bâtiments de France que vous avez reçu à l'occasion de la table ronde du 19 février dernier sur la décentralisation culturelle ait été représentatif de la totalité des opinions qui ont pu être exprimées à l'occasion des huit réunions que nous avons menées. Nous recevrons à nouveau les architectes des bâtiments de France au mois de juin, et il est possible que certains ne se retrouvent pas dans le texte, mais nous avons vraiment eu à coeur de les entendre et de travailler en amont avec eux sur l'élaboration de ce texte.

J'aborde à présent la question relative au risque de voir s'affaiblir les PSMV, dans la mesure où les élus favoriseraient le recours au PLUP, en raison de la moindre contrainte qu'il représente. Avant même de nous interroger sur la mort possible des PSMV, nous devons constater qu'à ce jour, après cinquante ans de politique publique en la matière, il existe 105 secteurs sauvegardés, dont tous ne sont pas couverts par un PSMV : on ne décompte que 80 PSMV pour 105 secteurs sauvegardés. La situation actuelle n'est donc pas entièrement satisfaisante. Je rappelle également que certains règlements d'AVAP ou de ZPPAUP se révèlent parfois imprécis, ce qui donne lieu à des interprétations concurrentes par les différents acteurs chargés de les mettre en oeuvre et conduit à des contentieux entre les services de l'État et les services de la collectivité territoriale. Il ne faut donc pas magnifier la situation actuelle. Pour répondre à certaines observations qui ont pu être faites à ce sujet, un PSMV reste un document très lourd à élaborer et on ne peut pas imposer cette démarche aux élus. L'élaboration d'un tel document ne peut résulter que d'une démarche volontaire. La lourdeur et la précision qui caractérisent les PSMV ne sont d'ailleurs pas justifiées pour tous les espaces patrimoniaux et n'ont de sens que dans les cas où le potentiel patrimonial et historique est très important. Imposer partout l'élaboration de ces programmes reviendrait à prendre le risque d'une très forte opposition, ce qui aurait pour conséquence d'affaiblir la protection patrimoniale. L'objectif reste cependant d'inciter les collectivités territoriales à aller vers le PSMV. Il reviendra aux services de l'État de faire connaître aux collectivités territoriales les avantages que présentent ces programmes et d'accompagner les efforts financiers faits en vue de leur mise en oeuvre.

En ce qui concerne la disparition des ZPPAUP, la date couperet a été repoussée d'un an et est maintenant fixée à juillet 2016. Il faut reconnaître que ce report ne nous laisse que peu de temps. Suite aux dernières élections, de nouvelles équipes municipales se sont formées et doivent prendre le temps de se mettre en place. La loi relative au patrimoine mettra fin, une fois adoptée, à cette date couperet et aura pour effet de transformer automatiquement les ZPPAUP et les AVAP en cités historiques. L'entrée en vigueur de cette loi doit donc intervenir rapidement. En revanche, je ne suis pas maître du choix qui sera fait de déposer ce texte au Sénat ou à l'Assemblée Nationale. Mais je vous rejoins sur le fait que le texte doit être déposé rapidement devant le Parlement.

En réponse à l'interrogation de M. Leleux relative au patrimoine mondial de l'UNESCO, il me paraît utile de préciser qu'il n'est pas question de substituer une règlementation UNESCO à une règlementation nationale. Mais, en l'état, la notion de patrimoine mondial n'a pas été consacrée par notre corpus juridique, ni dans le droit du patrimoine, ni dans le droit de l'urbanisme. Et ce alors même qu'à l'occasion des demandes d'inscription au patrimoine de l'UNESCO, nous nous engageons vis-à-vis d'elle au travers de plans de gestion, sur lesquels l'État Français doit rendre régulièrement des comptes. Nous manquons d'outils dans notre droit national permettant de mettre en application ces engagements. Le projet de loi prévoie donc que les documents patrimoniaux devront prendre en compte ces plans de gestion. Je rappelle que ces engagements sont pris volontairement par la France. Il s'agit simplement de créer des passerelles entre ces plans de gestion et le droit français, qui n'existent pas à ce jour.

Pour répondre à l'inquiétude que vous avez exprimée quant aux contraintes supplémentaires qui seraient liées au nouveau statut de « Cité historique », il est clair que le projet de loi n'affecte pas le contenu des documents relatifs aux PSMV. Concernant le PLUP, document qui suscite le plus de débats, les règlements de ZPPAUP et des AVAP coexistent avec des PLU, voire se chevauchent. Le PLUP permettrait de rassembler au sein d'un document unique l'ensemble des prescriptions en matière d'urbanisme, de sorte d'assurer une plus grande lisibilité des règlementations, ce qui devrait faciliter le dialogue entre les collectivités locales et les services de l'État.

Concernant l'articulation des PLU communaux ou intercommunaux avec les documents patrimoniaux, le choix de recourir à l'un ou à l'autre revient aux collectivités territoriales, selon les modalités prévues par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 relative à l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », suivant les règles de majorité que vous connaissez. Nos documents s'inscriront dans le cadre choisi, quel qu'il soit. Si c'est l'intercommunalité qui reçoit la compétence en matière d'urbanisme, les documents d'urbanisme patrimoniaux s'inscriront dans le cadre intercommunal. Il vous reviendra ensuite de déterminer la façon dont le PSMV ou le PLUP seront pris en compte à l'échelon intercommunal. Autrement dit, les documents patrimoniaux seront indifférents au choix opéré au moment des règles de vote des règles de l'intercommunalité.

Les « Grands sites de France » constituent un label délivré par le ministère de l'écologie dans un but de valorisation touristique. Il ne crée aucune servitude, à la différence de la notion de « site classé » et de « site inscrit ». Par ailleurs, il ne fera l'objet d'aucune disposition du projet de loi. Concernant le projet de loi relatif à la biodiversité, le ministère de l'écologie a d'ailleurs formulé des propositions sur l'évolution des sites inscrits.

Pour répondre à la question posée à propos des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), des dispositions à ce sujet figurent bien dans le projet de loi, même si je dois reconnaître qu'elles font encore l'objet de débats au sein des réunions interministérielles. Il s'agit de proposer que les CAUE fournissent un service de conseil gratuit, mais obligatoire, à toute personne individuelle amenée à construire sans l'aide d'un architecte, sur le territoire d'une collectivité au sein de laquelle se trouve un espace protégé. Notre volonté est de protéger l'espace protégé en lui-même, mais également de veiller à la qualité des constructions qui sont réalisées autour de cet espace. Pour ce faire, il nous semblait important que les CAUE puissent délivrer un conseil architectural de manière obligatoire mais à titre gratuit, aux personnes qui construisent sans faire appel à l'aide d'architectes. Pour l'instant, ces dispositions ne font l'objet d'aucun consensus au sein de réunions interministérielles.

Au sujet du patrimoine le plus récent, le projet de loi contient une disposition courte mais importante. Il est fréquent que les questions relatives au patrimoine récent ne remontent que tardivement. En général, un projet d'aménagement est déjà élaboré, faisant fi de ce patrimoine. Au dernier moment, certains insistent sur le fait que le projet d'aménagement néglige un bâtiment qui, s'il ne peut pas encore prétendre à une labellisation ou à une protection, présente néanmoins un intérêt architectural. Dans ces conditions, le ministère de la culture est saisi, et se trouve démuni face à l'état d'avancement du projet d'aménagement. Il est alors très difficile de le remettre en cause. Des avis des ABF peuvent d'ailleurs avoir été délivrés, mais au titre d'autres règles d'urbanisme ; je pense notamment à la législation relative à la protection des abords de monuments historiques. L'avis en question peut cependant ne pas s'être intéressé en tant que tel au bâtiment récent, dans la mesure où sa destruction n'entraîne pas de conséquences sur les abords de monuments historiques. Le ministère se trouve alors dans une position extrêmement délicate. Le projet de loi prévoit la mise en place d'un dispositif en vertu duquel, dès lors qu'un bâtiment est labellisé, non plus « Patrimoine du XXe siècle » mais « Patrimoine le plus récent », tout projet d'aménagement qui inclut ce bâtiment doit le prendre en compte. Il convient que cette prise en compte se traduise, dès la phase d'élaboration du projet d'aménagement, par une discussion entre l'aménageur, les services de l'État et, le cas échéant, les collectivités territoriales. Par ailleurs, il faudra relancer une politique de labellisation de ce patrimoine, qui reste, à ce jour, inégale et partielle sur le territoire. Elle a été jusqu'à présent menée selon des axes dispersés, en fonction des politiques conduites par les différentes Directions régionales de l'action culturelle (DRAC). Certaines de ces directions se sont plutôt intéressées aux églises du XXIe siècle, tandis que d'autres s'intéressaient davantage aux bâtiments industriels. Il faut donc coordonner cette labellisation, afin de permettre que le sort du patrimoine le plus récent fasse l'objet d'une discussion en amont. Celle-ci n'exclut d'ailleurs pas les transformations d'usage qui peuvent se révéler nécessaires, mais ces dernières doivent être décidées en amont.

Par ailleurs, le projet de loi reprend beaucoup de dispositions qui figuraient dans la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l'État, déposée par M. Jacques Legendre et Mme Françoise Férat.

Je souscris également à ce qui a été dit par M. Jacques Legendre : le PLUP doit constituer un premier pas vers la prise en compte par les documents d'urbanisme non seulement des questions relatives à l'aménagement du territoire, mais également des enjeux patrimoniaux. Le PLUP peut en effet permettre d'évoluer vers un PSMV, sans pour autant que cette évolution soit imposée.

Concernant, enfin, la propriété des vestiges archéologiques, le projet de loi ne prévoit pas leur transfert systématique aux collectivités territoriales, à charge pour elles d'en assurer la conservation et l'entretien. L'idée est bien évidemment de créer les conditions d'un dialogue équilibré entre l'État et les collectivités territoriales, afin, notamment, que l'État ne se réserve pas les plus belles pièces. Par ailleurs, la question des centres de conservation devra être posée. Comme cela est fait pour les archives, il faudra également envisager la destruction de certains vestiges, sans qu'il y ait de pertes. Il faudra faire des choix, sélectionner ceux des vestiges archéologiques qu'il est nécessaire de conserver ad vitam aeternam et détruire les autres, une fois qu'ils auront été étudiés, inventoriés ou qu'ils auront fait l'objet de publication. Cette démarche fonctionne pour les archives et il faudra l'enclencher pour les archives.

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