Intervention de Hervé Lemoine

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 avril 2014 : 2ème réunion
Audition de M. Hervé Lemoine directeur chargé des archives de france au ministère de la culture et de la communication

Hervé Lemoine, directeur des archives de France :

Trois grandes orientations ont guidé nos travaux et ont inspiré nos propositions qui font encore l'objet de concertation interministérielle.

Le premier axe concerne la simplification des règles d'accès aux archives et à la réduction des délais d'accès à ces documents qui sont souvent trop longs. La loi de 2008 avait déjà donné plus de transparence et raccourci certains délais mais certaines dispositions législatives peuvent être améliorées. Il faut aller plus loin pour faciliter l'accès aux archives et raccourcir les délais de communication des archives publiques.

Le deuxième axe est relatif à la conservation et à la protection du patrimoine archivistique public et privé. Les archivistes sont associés très en amont, dès la création de ce qui sera notre futur patrimoine historique, mais qui constitue d'abord une masse d'information documentaire qui a une valeur administrative probante très forte. C'est une responsabilité importante que nous partageons avec l'ensemble des institutions publiques. Il faut veiller dès la création des documents, pendant leur cycle de vie, à ce que ces documents soient accessibles, exploités et éliminés afin de ne conserver que le bon grain qui servira à nourrir la réflexion à des fins de recherche historique, scientifique ou statistique. C'est tout un processus d'accompagnement depuis la création des données et des informations publiques. Il faut prendre les bonnes décisions pour permettre leur exploitation et leur bonne conservation. Trop d'information tue l'information. Le risque est également d'être submergé par un flux énorme d'information que nous ne pourrions plus exploiter.

Le troisième axe traite de l'adaptation de notre dispositif législatif à la révolution du numérique. Cela a une incidence sur le cycle de vie des données. Dans ce contexte de numérisation et de production d'archives numériques natives, nous devons être vigilant quant aux conditions de production de ces données numériques natives. Il est essentiel de se poser la question au moment même de la production de création des données publiques, de sorte que le cycle de vie de ces données soit défini le plus en amont possible pour assurer une bonne gestion de ces informations.

Concrètement, s'agissant de la meilleure protection du patrimoine archivistique public et privé, la loi de 2008 était en retrait par rapport à la loi de 1979 sur la domanialité publique des archives, notamment en ce qui concerne les archives produites par des entreprises publiques ou des opérateurs publics ou privés agissant dans le cadre d'une mission de service public concernant l'intérêt général. Il est nécessaire de revoir la définition et le périmètre de ce qui constitue les archives publiques en réintégrant, par exemple, les archives produites dans le cadre de la gestion du domaine privé de l'État.

Il faut également remettre dans le périmètre de la domanialité publique des archives certaines archives produites par des grandes entreprises comme la SNCF qui a une mission de service public avec le transport des voyageurs et une mission commerciale avec le fret. Aujourd'hui, au regard de la loi, seul le transport des voyageurs entre dans le périmètre d'application de la loi. Les documents relatifs au fret ne sont pas considérés comme des archives publiques et peuvent donc être détruits sans contrôle. C'est problématique pour l'opérateur lui-même. On pourrait aussi citer les cas d'Areva ou de la banque postale... Tout ne doit pas, bien sûr, être conservé. Il faut un intérêt général public, ce que la loi de 2008 ne permet pas de déterminer de façon efficace.

S'agissant de la protection du patrimoine privé, certaines archives peuvent être classées comme trésors nationaux et mais pour autant elles peuvent être dispersées et démembrées au cours de ventes publiques. C'est contradictoire avec le motif qui a présidé à leur classement. L'intérêt de la conservation de ces fonds réside dans leur unicité. Aussi nous proposons, quand il s'agit d'un fonds d'archives privées, classé au titre d'archives historiques, de préserver son unicité, sauf avis contraire de l'administration.

Concernant l'adaptation du régime législatif à l'évolution numérique, deux mesures sont prévues dans le texte pour :

- associer l'administration dès les opérations de sélection des archives, c'est-à-dire en amont de la politique d'archivage, car aujourd'hui elle n'intervient que tardivement, au stade du tri ;

- permettre la mutualisation des moyens entre les collectivités et l'État pour tirer les conséquences des évolutions technologiques et adapter la cartographie des compétences aux enjeux du numérique, ce que la loi ne permet pas aujourd'hui ;

- éviter les « effets de bord » entre la législation relative à la commission d'accès aux documents administratifs et le code du patrimoine, qui conduisent à une sollicitation croissante des services départementaux de la part des usagers au titre du droit d'accès, pour des raisons soit personnelles soit administratives. L'inflation des demandes constitue un réel obstacle pour des procédures importantes imposant des délais courts, telles que le règlement d'une succession. Nous devons encore trouver une rédaction qui ne donnera pas l'impression de faire obstacle aux droits d'accès, à copie et à réutilisation ;

- régler la question des délais de communication des archives, contrainte par plusieurs types d'obstacles. Il existe tout d'abord des difficultés d'interprétation des « délais composites », que l'on retrouve, par exemple, dans le cas des dossiers de santé puisque trois délais peuvent s'appliquer. Il convient de garantir une meilleure sécurité aux citoyens tout en assurant une meilleure transparence. Un autre dossier fait l'objet de discussions avec le secrétaire général de la défense nationale, celui du délai appliqué aux archives classifiées et notamment aux archives nucléaires, bactériologiques, chimiques (NBC) qui, dans la loi de 2008 sont réputées « incommunicables de façon perpétuelle et absolue ». Il nous semblerait préférable d'envisager un délai de cent ans prorogeable après avis de la commission consultative du secret de la défense nationale, dont il faudrait alors étendre les compétences. Il me semble que les points de vue des différentes administrations ne sont pas irréconciliables.

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