J'ai l'honneur de vous présenter le rapport effectué à la suite du déplacement de quatre membres de la commission au Québec en septembre dernier. J'aimerais commencer par saluer Jean-Luc Fichet, Hervé Maurey et Rémy Pointereau qui m'accompagnaient lors de ce déplacement, et que je souhaite associer à cette présentation.
Notre délégation avait pour mission d'étudier les politiques locales en matière d'énergies renouvelables et de gaz de schiste dans ce pays, avec cette particularité que le Canada, contrairement à la France, est un État fédéral, dont le Québec constitue l'une des provinces.
Le Québec a été fortement avantagé par la nature : c'est un véritable réservoir d'eau. L'électricité provient à 98 % de l'énergie hydraulique. L'entreprise d'État, Hydro-Québec, dont nous avons rencontré les représentants à Montréal, gère d'immenses ensembles de barrages, qu'elle peut ouvrir ou fermer quasiment instantanément pour ajuster l'offre à la demande. L'électricité est donc abondante, propre et surtout constante, contrairement aux autres énergies renouvelables généralement intermittentes. Pour vous donner une idée, l'électricité est tellement bon marché au Québec que 70 % des foyers se chauffent par ce moyen en hiver. Le prix de l'électricité est en outre le même partout, par péréquation, que l'on se situe dans la communauté inuit du Nord ou en plein centre de Montréal. Le tarif pratiqué est plat : ni dégressif, ni progressif.
Le Québec est donc un modèle en termes d'électricité renouvelable. À titre de comparaison, le mix électrique pour l'ensemble du Canada se répartit comme suit : 65 % d'hydroélectricité, 14 % de nucléaire, 12 % de charbon, et 9 % de gaz naturel.
À côté des 98 % d'hydroélectrique, le reste de la production québécoise est assuré par quelques centrales thermiques et par de l'éolien. La seule et unique centrale nucléaire du pays, Gentilly 2, a été fermée fin 2012. Le mix électrique québécois est donc très vert. C'est un avantage commercial significatif par rapport à son principal partenaire et rival commercial, à savoir le Nord-Est des États-Unis. Certaines entreprises américaines sont d'ailleurs intéressées par l'achat d'électricité avec des certificats d'économie verte. Le Québec profite également du pic de demande aux États-Unis durant l'été, du fait de la climatisation, pour vendre ses surplus à bon prix sur le marché spot. Hydro-Québec a en outre une gestion très fine de ses importations d'énergie. L'entreprise importe parfois de l'électricité des États-Unis, quand c'est avantageux économiquement. En effet, les centrales thermiques américaines ne peuvent pas être arrêtées rapidement. En fonction de l'évolution de la demande, elles se trouvent parfois à produire de l'électricité en surplus. Hydro-Québec ferme alors ses turbines hydroélectriques - les responsables de l'entreprise nous ont expliqué que cela pouvait être fait en une minute - et achète à prix négatif de l'électricité aux Américains.
Malgré la manne hydroélectrique, et donc une incitation très limitée à varier le mix énergétique, le Québec investit pour développer des sources d'énergies alternatives. Le Gouvernement utilise en particulier l'éolien dans une optique d'aménagement du territoire, pour développer économiquement certaines régions. Les projets éoliens se font généralement en associant financièrement les municipalités concernées, et dans le but de développer des filières locales. Les entreprises décrochant les contrats doivent par exemple s'engager à recourir à de la main-d'oeuvre ou à des entreprises locales. La raison d'être de l'éolien au Québec est donc bien une volonté politique d'aménagement du territoire, et non la rentabilité économique des projets.
Le Québec est également en pointe pour ce qui est du développement d'éco-quartiers. Plusieurs projets innovants ont été lancés ces dernières années, avec là encore un enjeu en termes d'aménagement du territoire. Nous avons pu, par exemple, visiter le quartier de la Tohu à Montréal. La Tohu était une ancienne décharge, aujourd'hui fermée. L'objectif est désormais d'en faire un immense parc ouvert au public. La décharge a été enterrée. Des tuyaux récupèrent le biogaz s'échappant encore des déchets en décomposition. Ce biogaz doit servir à alimenter les infrastructures sportives, culturelles et industrielles qui ont été ouvertes autour du parc. C'est un projet ambitieux de réhabilitation de l'espace urbain, en plein coeur d'un quartier défavorisé, actuellement en pleine revitalisation du fait du projet de parc.
Le modèle énergétique québécois est un modèle unique. L'entreprise Hydro-Québec gère, en situation de monopole, les grands barrages et la distribution d'électricité. L'énergie hydraulique permet de stocker l'électricité et de gérer très finement le commerce de l'énergie avec les États-Unis et les autres provinces, tout en garantissant des prix très bas au consommateur québécois. Le kWh d'électricité à Montréal coûte en effet 6,8 centimes de dollars canadiens, contre 12 à Ottawa ou 21 à New York. À titre de comparaison, le prix de l'électricité en France est d'environ 13,5 centimes d'euros, donc 17 centimes de dollars. En Allemagne, il s'élève à 36 centimes de dollars. L'électricité québécoise est particulièrement compétitive. Le revers de cette médaille est l'effet fortement désincitatif en matière d'économies d'énergie. Les filiales des entreprises françaises établies sur place nous ont indiqué qu'il n'était pas évident de mener au Québec des projets d'efficacité énergétique du fait de l'effondrement des prix de l'énergie.
Le mix énergétique québécois est donc un modèle intéressant, mais difficilement transposable ailleurs dans le monde. En France, nous n'avons, par exemple, plus beaucoup de marges de manoeuvre en termes d'aménagements de barrages sur nos cours d'eau.
Le deuxième axe d'étude de notre déplacement concerne la politique d'indépendance énergétique menée par le Québec. Pour bien en comprendre les enjeux, il faut revenir sur le contexte politique québécois.
Au niveau provincial, l'élection générale de 2012 a vu l'arrivée au pouvoir du Parti Québécois, parti souverainiste qui souhaite la séparation du Canada. Leur principal opposant est le Parti libéral, favorable au maintien au sein de l'État fédéral, et qui vient de remporter les élections générales la semaine dernière. Au niveau fédéral, le gouvernement élu en 2011 est un gouvernement conservateur. Les relations entre le Parti québécois et la capitale canadienne étaient difficiles, à l'époque où nous avons réalisé cette mission, du fait de la volonté d'indépendance de la province. Dans ce climat politique très particulier, le programme d'indépendance énergétique était un des aspects cruciaux de la politique menée par le gouvernement provincial. L'arrivée au pouvoir du Parti libéral va peut-être faire évoluer les priorités.
Si le Québec est indépendant pour son électricité, il est en revanche totalement dépendant de l'extérieur pour ses hydrocarbures. Pour pallier cette dépendance, le Québec travaille principalement sur deux politiques : l'électrification dans les transports et les gaz et pétroles de schiste.
Les transports constituent un gisement considérable d'économies d'énergie. Le gouvernement a investi 516 millions de dollars sur la période 2013-2017 pour encourager les véhicules électriques et développer des filières industrielles dans ce domaine. Dans le cadre de cette politique des transports, le sujet du train à grande vitesse est une question récurrente. Nous avons été surpris de l'absence de ligne à grande vitesse entre Québec et Montréal. À plusieurs reprises par le passé, un projet a été envisagé entre ces deux villes, avec un prolongement éventuel jusqu'à Toronto. La rentabilité incertaine et le coût considérable du projet, 29 milliards de dollars, ont conduit à abandonner cette idée. En outre, les habitudes de déplacement des Québécois, qui ont le réflexe de la voiture et de l'avion plus que la culture du train, n'incitent pas à poursuivre dans cette voie. La politique d'électrification des transports au Québec ne devrait donc pas passer par le train à grande vitesse.
Au Québec a eu lieu un débat, à peu près au même moment qu'en France, sur l'exploitation des gaz et pétroles de schiste. Le Québec dispose d'un gisement conséquent de gaz de schiste : le gisement d'Utica. Sa spécificité est qu'il se situe sous des zones fortement urbanisées, le long du fleuve Saint-Laurent. La problématique de l'exploitation de cette ressource est donc comparable à celle que nous connaissons en France, où les gisements semblent se trouver dans des zones fortement peuplées, en Île-de-France notamment. C'est très différent de la situation d'autres provinces canadiennes, en particulier la Colombie britannique, autour de Vancouver, où la densité de population est extrêmement faible et où l'exploitation soulève donc moins de problèmes d'acceptabilité.
Pour bien comprendre les enjeux du débat au Québec, nous avons rencontré l'ensemble des parties prenantes : gouvernement provincial, agence publique en charge de l'étude d'impact environnemental, consortium d'entreprises pétrolières et gazières, ONG... Ces rencontres nous ont permis de retracer la chronologie des décisions et de mieux cerner les positions en présence.
Au Québec, le droit minier est similaire au droit français. Les ressources souterraines, pétrole et gaz, appartiennent à la province, et non aux propriétaires privés du terrain. Le ministère des ressources naturelles distribue les permis et encadre l'exploitation du sous-sol. À partir de 2009, des permis d'exploitation des gaz de schiste ont été accordés à de grandes entreprises gazières. Les habitants des rives et de la plaine du Saint-Laurent ont vu s'installer, du jour au lendemain, parfois à deux pas de chez eux, des têtes de puits de forage, sans aucune information ou consultation préalable. Des associations environnementales et de riverains se sont progressivement constituées. Face à l'ampleur de la mobilisation, le gouvernement a alors confié au Bureau d'audience publique sur l'environnement la mission d'évaluer l'impact environnemental des gaz de schiste. Le bureau a mené une longue campagne de débats publics dans toutes les villes concernées et commandé de nombreuses expertises. Le rapport produit par le bureau a mis en évidence un certain nombre de dangers, notamment quant à l'étanchéité des forages, avec les risques de contamination de l'eau potable que cela implique. Ces éléments n'ont évidemment pas contribué à l'acceptabilité sociale de ces projets.
Le débat s'est finalement arrêté du fait de deux évolutions : d'une part, le gouvernement a pris un moratoire sur la fracturation hydraulique, d'autre part, les prix du gaz ont fortement chuté.
Les entreprises gazières que nous avons rencontrées mettent en avant l'évolution des techniques et la nécessité d'une exploration scientifique. Ils soutiennent en particulier l'idée d'un projet pilote, surveillé de sa conception à son exploitation par les autorités et par des experts indépendants, afin d'apaiser le débat public.
Les pétroles de schiste constituent une problématique à part. Contrairement au gaz, compte tenu des cours du baril de pétrole, il y a un réel intérêt économique à exploiter le pétrole de schiste au Québec. Un gisement a été découvert dans la région de l'île d'Anticosti, dans l'estuaire du Saint-Laurent. Ce gisement est estimé à 48 milliards de barils. L'île en elle-même est peu peuplée, mais il s'agit d'une réserve naturelle protégée. De nombreuses ONG environnementales s'opposent donc actuellement au projet.
Ces exemples montrent l'importance de la manière dont on démarre un projet pour son acceptabilité sociale. Face à la question de la perception du risque, l'enjeu d'information et de transparence est crucial. En France, l'apaisement du débat passe probablement par la poursuite d'une recherche transparente et indépendante sur ces questions.
Ce déplacement a donc été riche en enseignements, en particulier sur l'articulation entre politique énergétique et aménagement du territoire. Bien que le modèle énergétique québécois soit unique, certains des enjeux, notamment en termes de sécurisation de l'approvisionnement énergétique ou d'acceptabilité sociale des projets, recoupent parfaitement les débats que l'on peut avoir aujourd'hui en France.