Je vous remercie de la confiance que vous m'avez accordée en me nommant à l'instant rapporteur de ce projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Ce texte a été adopté en conseil des ministres mercredi dernier. Il sera examiné en séance publique le lundi 28 avril.
La présentation de ce rapport verbal intervient donc « dans l'urgence », et cela pour deux raisons.
Tout d'abord, parce qu'il y a une réelle urgence à parvenir à la mise en oeuvre, dans tous ses aspects, de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Adoptée à une très large majorité sur les bancs de notre assemblée, cette loi a fixé un cap ambitieux en matière d'accessibilité, objectif qu'elle a accompagné de délais de réalisation et de pénalités. Destinée à rattraper le retard qu'accusait notre pays dans ce domaine, la loi de 2005 a d'ores et déjà rendu possible nombre d'avancées tangibles. Mais elle n'a malheureusement pas rempli toutes ses promesses. Plusieurs raisons peuvent être invoquées : une parution tardive des textes d'application, l'absence d'évaluation préalable du coût des travaux nécessaires, une mauvaise appréciation des délais de réalisation, un manque de suivi des différentes mesures, ainsi qu'un défaut de hiérarchisation qui a découragé plus d'un acteur. Moi-même, je me souviens avoir été confronté en tant qu'élu local, à des estimations exorbitantes réalisées par des experts, de travaux qui pouvaient être effectués à moindres coûts. Ainsi, le délai du 11 février 2015, imposé pour l'accessibilité des services de transport collectif, ne pourra - cela est certain aujourd'hui - être respecté, même par les autorités organisatrices de transport les plus volontaristes.
Pour autant, - et je crois qu'il faut le dire clairement - l'objectif d'accessibilité défendu par cette loi n'a jamais été remis en cause - et ne saurait l'être. C'est la raison pour laquelle il n'est pas question de repousser la date-butoir de 2015, inscrite dans la loi de 2005, sauf à décrédibiliser cette exigence fondamentale et à récompenser les acteurs qui ne se sont pas investis dans ce domaine par défaillance ou simplement par attentisme. La priorité est donc que le Gouvernement puisse prendre rapidement les mesures nécessaires à la concrétisation effective de l'impératif d'accessibilité, et cela de façon pragmatique, en suivant un calendrier réaliste et adapté. J'y reviendrai tout à l'heure.
Deuxième élément justifiant la procédure accélérée : le fait que le projet de loi intervient à l'issue d'un travail très approfondi et concerté, effectué sur la durée, par notre collègue Claire-Lise Campion, que je voudrais féliciter. Claire-Lise Campion a remis au Premier ministre en mars 2013 un rapport intitulé « Réussir 2015 ». Deux de ses propositions phares ont été retenues par Jean-Marc Ayrault :
1) d'une part, la mise en place d'agendas d'accessibilité programmée - les Ad'AP -, par lesquels les acteurs s'engagent sur un calendrier de réalisation des travaux de mise en accessibilité. L'adoption d'un Ad'AP permettra de bénéficier d'un report des délais fixés par la loi de 2005, dont le non-respect est autrement soumis à des sanctions ;
2) d'autre part, une adaptation de certaines règles qui, dans la pratique, se sont révélées peu opérationnelles par rapport à l'objectif recherché ou doivent être modifiées en raison de l'évolution des technologies. Cette adaptation s'effectuera par la voie réglementaire. Pour prendre un exemple précis, la largeur minimale d'une place de stationnement réservée aux personnes en situation de handicap, de 3,30 mètres, qui est problématique pour de nombreuses communes, pourra être aménagée sous conditions en fonction de la configuration du terrain.
À la demande du Premier ministre, Claire-Lise Campion a réuni, d'octobre 2013 à janvier 2014, l'ensemble des acteurs concernés (représentants des personnes en situation de handicap, collectivités territoriales, acteurs économiques, autorités organisatrices de transport...) pour définir les modalités d'application de ces deux propositions. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui s'inspire directement de ces travaux de concertation.
Si notre commission s'en est saisie pour avis, c'est parce qu'il comporte, à ses articles 2 et 3, un volet consacré aux transports et un autre à l'aménagement de la voirie.
Dans ces deux domaines, voici ce que la loi de 2005 avait défini :
1) Premièrement, elle avait prévu l'adoption, par les autorités compétentes en matière de transport, de schémas directeurs d'accessibilité. Or, en 2012, seuls 61 % des schémas directeurs attendus avaient été adoptés, et 15 % d'entre eux n'avaient même pas été initiés. De même, seule la moitié des autorités organisatrices de transport urbaines avaient adopté leur schéma.
En ce qui concerne les gares, un schéma directeur national a été établi pour les gares desservies par un service ferroviaire national, les autres gares étant traitées dans le cadre des schémas directeurs élaborés par les régions.
2) Deuxièmement, la loi de 2005 avait prévu l'élaboration d'un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (PAVE), destiné à rendre accessibles l'ensemble des aires de circulation piétonne et de stationnement. Or, seuls 13 % de ces plans avaient été adoptés en 2012, couvrant 30% de la population.
3) La loi de 2005 imposait aussi l'accessibilité de tout matériel roulant acquis lors d'un renouvellement de matériel. Dans ce domaine, les progrès ont été sensibles dans le secteur du transport urbain, puisqu'en 2012, 90 % des autobus étaient à plancher bas et 69 % étaient équipés d'une palette rétractable. Mais le transport interurbain n'a pas connu de telles avancées.
Je rappelle que le volet « transports » de la loi 2005 n'a pas été assorti du même dispositif de sanctions pénales que celui relatif aux établissements recevant du public, sauf en ce qui concerne les gares. Le partage des responsabilités entre les différents acteurs intervenant dans la chaîne du déplacement - autorités organisatrices de transport (AOT) et responsables des infrastructures, qu'elles soient ferroviaires ou routières - rendait difficile l'application de sanctions correctement ciblées.
J'en viens aux modifications inscrites dans le projet de loi d'habilitation sur ces différents points.
L'article 2 du projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances trois séries de mesures pragmatiques pour répondre au défi de l'accessibilité des transports.
Au 1°, est posé le principe suivant lequel les points d'arrêt des transports urbains et des transports routiers non urbains à aménager sont ceux qui revêtent un caractère prioritaire au regard de critères qui seront déterminés par l'ordonnance. Alors que la loi de 2005 imposait une mise en accessibilité de l'ensemble des équipements dans un délai relativement court (dix ans), la démarche proposée est de se concentrer dans un premier temps sur les infrastructures les plus fréquentées ou à proximité d'autres équipements accessibles. Le Gouvernement est aussi autorisé à préciser les impossibilités techniques qui empêchent la mise en accessibilité de certains arrêts et rendent obligatoire l'instauration de transports de substitution.
L'article vise également à étendre l'obligation d'accessibilité du matériel roulant, aujourd'hui circonscrite au renouvellement du matériel. L'objectif est de fixer une proportion de parc de matériel roulant routier devant être accessible, lorsqu'il est utilisé dans le cadre d'un service public. Compte tenu de la durée de vie de ces matériels, il est envisagé d'assurer une mise en accessibilité progressive, jusque 2030 environ. Ces obligations relatives au matériel roulant devront être intégrées dans les marchés publics ou délégations de service public et leur mise en oeuvre devra faire l'objet d'une délibération annuelle des AOT.
L'accessibilité des transports scolaires pourra être adaptée et recentrée sur les demandes individuelles d'aménagement formulées par les personnes concernées, alors que la loi de 2005 ne distinguait pas ce type de transport des autres et imposait une accessibilité uniforme du réseau desservi dans ce cadre. Or, la parfaite application de ces dispositions entraînerait des dépenses disproportionnées pour certaines collectivités.
Par ailleurs, la procédure de « dépôt de plainte », prévue par la loi de 2005 pour signaler les obstacles à la libre circulation des personnes à mobilité réduite - qui était ambigüe, dans la mesure où elle peut être confondue avec le dépôt d'une plainte pénale - pourra être renommée procédure de « signalement des obstacles à la libre circulation ».
En ce qui concerne les gares, abordées au 2° de l'article 2, les obligations de mise en accessibilité pourront être modulées en fonction du caractère prioritaire des gares et les délais de mise en oeuvre pourront être adaptés. Le Gouvernement pourra aussi préciser les cas dans lesquels l'obligation d'accessibilité peut être assurée par la mise en place d'un transport de substitution. Le Gouvernement est également autorisé à revoir en conséquence les conditions d'application des sanctions pénales prévues par la loi de 2005.
Il s'agit encore une fois de faire preuve de réalisme : avec un coût moyen d'aménagement par gare de 2,8 millions d'euros en province et 10 millions en Ile de France, la mise en accessibilité des 1 500 gares existantes est évaluée par le rapport de Claire Lise Campion à 6,5 milliards d'euros... Or, les investissements annuels sur l'ensemble du réseau ferroviaire sont de l'ordre de 3,5 milliards d'euros, dont 1 à 1,5 milliard pour son amélioration !
Le 3° de l'article prévoit la mise en place de schémas directeurs d'accessibilité - agendas d'accessibilité programmée ou SDA-Ad'AP, qui pourront prendre la suite des schémas directeurs d'accessibilité. Ces documents sont semblables aux agendas d'accessibilité programmée mentionnés à l'article premier de la loi pour les établissements recevant du public. Comme l'a énoncé Claire-Lise Campion, il s'agit de « rattraper en quelques années, selon une programmation ferme et financée, le retard constaté pour la mise en accessibilité d'un ou plusieurs établissements recevant du public ou d'un réseau de transport. » Ces schémas devront ainsi « concilier à la fois précision des objectifs à atteindre et souplesse dans la façon de les atteindre », en commençant par les travaux jugés prioritaires.
Par ces agendas, élaborés à l'issue d'une concertation avec les représentants des personnes en situation de handicap, les autorités compétentes en matière de transport devront prendre des engagements précis pour assurer l'accessibilité des transports, en les assortissant d'un calendrier de réalisation qui ne devra pas dépasser une certaine durée (3 ans pour les transports urbains, 6 ans pour les transports interurbains, 9 ans pour le transport ferroviaire, selon les conclusions de la concertation). Ils devront être déposés avant le 31 décembre 2014 ou au plus tard douze mois après la publication de l'ordonnance, si l'AOT s'engage à entrer dans une telle démarche.
En contrepartie de la conclusion de ces documents, les autorités organisatrices de transport pourront bénéficier d'une suspension ou d'une prorogation des délais prévus par la loi de 2005, dans des limites qu'établira l'ordonnance.
Des sanctions administratives sont prévues dans trois cas :
- si l'AOT ne respecte pas les obligations que l'ordonnance aura fixées en matière d'information du préfet et de la commission communale ou intercommunale pour l'accessibilité aux personnes handicapées ;
- si l'AOT ne respecte pas les délais prévus pour la remise du schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée ;
- enfin, si l'AOT ne met pas en oeuvre les obligations de formation des personnels en contact avec le public et d'information des usagers qui seront établies par l'ordonnance.
Le produit de ces sanctions sera affecté à un fonds dédié à l'accessibilité universelle, comme le prévoit l'article 3 du projet de loi.
Cet article 3 autorise par ailleurs le Gouvernement à exonérer les communes en dessous d'un certain seuil démographique - 500 habitants, d'après l'étude d'impact annexée au projet de loi - de l'obligation d'élaborer un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (PAVE) et, pour les communes entre 500 et 1 000 habitants, à limiter le PAVE aux axes les plus fréquentés. Ces seuils ont été recommandés par le groupe de concertation. Cette mesure devrait répondre aux difficultés éprouvées par les petites communes, qui ne disposent pas des ressources techniques ou des crédits d'ingénierie pour réaliser cette tâche.
L'article 3 prévoit enfin un plus large accès des chiens guides d'aveugle et d'assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics.
Il annonce également un élargissement des commissions communales et intercommunales pour l'accessibilité aux personnes handicapées, qui seront renommées, afin d'y inclure des représentants des personnes âgées et des acteurs économiques.
Sur les délais de ces habilitations, l'article 4 du projet de loi dispose que les ordonnances devront être prises dans un délai de 5 mois à compter de la publication de la loi, et être accompagnées d'un projet de loi de ratification déposé devant le Parlement dans un délai de 5 mois à compter de la publication de l'ordonnance.
Au total et pour conclure, ce projet de loi d'habilitation, élaboré à l'issue d'une large concertation avec les représentants des personnes à mobilité réduite ou en situation de handicap, les collectivités territoriales et les acteurs économiques, me semble constituer un bon équilibre entre l'ambition d'une accessibilité effective des transports à compter de 2015 et les difficultés de ceux qui doivent la mettre en oeuvre, notamment les collectivités territoriales. Les mesures qui y sont annoncées constituent un relais efficace de la loi de 2005, qui maintient la date-butoir de 2015, tout en prévoyant des possibilités d'aménagement rigoureusement encadrées.
À défaut d'un tel texte, la crédibilité même de la démarche de mise en accessibilité serait remise en cause, alors qu'il s'agit d'un impératif pour notre société.
Il s'agit bien, en effet, de façon réaliste et pragmatique, de rattraper les retards constatés par rapport à l'échéance de 2015 inscrite dans la loi de 2005. Réaliste, car la démarche adoptée tient compte des coûts des différentes mesures, qui ont désormais été évalués, et des moyens dont disposent les divers acteurs pour les mettre en oeuvre. Pragmatique, parce qu'elle cible les aménagements à réaliser en priorité, en acceptant que toutes les infrastructures ne soient pas rendues accessibles en un jour, mais suivant un calendrier échelonné. Ce calendrier n'en restera pas moins impératif, puisque des procédures de suivi de l'avancement des opérations seront instituées.
Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi, en rappelant encore une fois l'importance du respect de cette exigence.