Intervention de Nicolas Alfonsi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 avril 2014 : 1ère réunion
Réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi, rapporteur :

La proposition de loi sur la réforme des procédures de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive a été déposée à la suite des travaux de la mission d'information sur la révision des condamnations pénales de la commission des lois de l'Assemblée nationale conduite par MM. Alain Tourret et Georges Fenech. Les députés ont entendu tous les professionnels concernés et accompli un travail remarquable. L'Assemblée nationale l'a votée à l'unanimité. Néanmoins ce texte soulève quelques difficultés.

Une décision de justice est revêtue de l'autorité de la chose jugée lorsque toutes les voies de recours ont été utilisées. Dès lors, elle ne peut plus, en principe, être remise en cause. C'est une exigence de sécurité juridique et de paix sociale, sinon les procès n'auraient pas de fin. Toutefois, il arrive que, postérieurement à une décision passée en autorité de chose jugée, une erreur de fait soit découverte, qui a eu pour effet la condamnation d'un innocent. Cette erreur judiciaire constitue une injustice qui frappe et scandalise. Dès lors, il est indispensable qu'une procédure exceptionnelle permette de réviser une condamnation en cas de présomptions très fortes qu'elle résulte d'une erreur de fait. Cette procédure doit cependant être étroitement encadrée pour éviter les excès.

En France, l'ordonnance criminelle du 26 août 1670 permettait d'obtenir de Conseil du roi des lettres de révision. Supprimée à la Révolution, cette procédure fut rétablie, dans des hypothèses extrêmement limitées, en 1793, puis rénovée à l'occasion de la rédaction du code d'instruction criminelle de 1808. Les cas d'ouverture de la révision étaient très précisément définis et figurent encore aujourd'hui dans le code de procédure pénale : la condamnation de deux personnes pour un même crime par deux jugements différents ne pouvant se concilier ; la condamnation pour l'homicide d'une personne qui se révèle ensuite vivante ; enfin la condamnation ultérieure d'un témoin à charge pour faux témoignage. En 1867, la révision est étendue aux délits et non plus aux seuls crimes. Ce n'est qu'en 1895 que le législateur se décide à créer un quatrième cas d'ouverture, plus large que les trois précédents : c'est le fameux « fait nouveau ou élément inconnu au jour du procès » de nature à établir l'innocence du condamné. Il constitue désormais le cas de révision de loin le plus utilisé, il contient en réalité les trois autres.

L'affaire Mis et Thiennot a conduit Robert Badinter à proposer, en 1983, un projet de loi qui n'a pas abouti, puis Michel Sapin à déposer en 1989 une proposition de loi qui a débouché sur la loi du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales. Les apports de cette loi sont nombreux et importants : substitution du doute sur la culpabilité à la certitude de l'innocence, juridictionnalisation complète de la procédure, possibilité pour le condamné, et non plus pour le seul ministre de la justice, de demander la révision. Enfin, en 2000, l'affaire Hakkar conduit le Parlement à envisager, sur un amendement de Jack Lang, l'introduction d'un nouveau cas de révision à la suite d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Le Gouvernement a toutefois préféré créer une procédure distincte : le réexamen d'une décision pénale définitive.

Cette proposition de loi se fonde essentiellement sur le constat que la loi du 23 juin 1989 n'a pas abouti à une augmentation significative du taux de succès des recours en révision. Faut-il intervenir pour autant ? La question est ouverte... Contrairement à la procédure de réexamen d'une décision pénale définitive au bénéfice d'une personne reconnue coupable en violation d'un droit ou d'une liberté fondamentale dûment constatée par la CEDH, la procédure de révision reste en effet très strictement encadrée et n'aboutit que rarement. Ainsi, depuis 1989, seulement 2,65 % des demandes ont franchi le filtre de la commission de révision composée de cinq magistrats de la Cour de cassation. Finalement, sur un total de 3358 demandes adressées à la commission de révision, 84 seulement ont été transmises à la Cour de révision. Celle-ci a annulé 52 condamnations pénales, dont neuf criminelles et 43 correctionnelles. Ainsi, il arrive fréquemment que la Cour de révision ne fasse pas droit aux pourvois transmis par la commission d'instruction, qu'elle estime que l'élément présenté comme nouveau ne l'est pas réellement ou qu'elle pense que le doute suscité ne justifie pas l'annulation de la condamnation.

L'impartialité de la Cour est parfois mise en cause car le code de procédure pénale ne fixe pas sa composition et la procédure suivie n'est pas non plus définie de manière précise par les textes. C'est pourquoi la proposition de loi réforme en profondeur la juridiction et la procédure de révision. Je vous proposerai d'approuver les grands axes de cette réforme, tout en apportant quelques modifications importantes. Je ne suggère pas de modifier les deux premiers articles relatifs à l'amélioration des moyens matériels susceptibles d'être utilisés dans le cadre de l'examen d'une demande de révision. L'allongement à cinq ans renouvelables, au lieu de six mois, de la durée de conservation des scellés criminels, à la demande du condamné, aura un coût, car il faudra des surfaces supplémentaires pour conserver les scellés. Toutefois, la ministre de la justice s'est engagée devant l'Assemblée nationale à accorder les crédits nécessaires. La proposition de loi prévoit aussi l'enregistrement sonore systématique des débats des cours d'assises, pour apprécier plus facilement le caractère réellement nouveau du fait ou de l'élément présenté à l'appui d'une requête en révision.

L'article 3 constitue le coeur de la loi. Je propose de revoir son architecture. Tout d'abord, dans un souci de simplification, il fusionne les instances de révision et de réexamen. Toutefois, la révision porte essentiellement sur des questions de fait alors que le réexamen porte sur une question de droit, l'éventuelle violation des garanties apportées par la convention européenne des droits de l'homme. En outre, alors que la révision ne peut pas conduire à l'aggravation de la peine du condamné, il n'en est pas de même du réexamen, ce qui explique d'ailleurs en partie le faible nombre de recours en réexamen. Au total, les arguments en faveur et en défaveur de la fusion de la Cour de révision et de la commission de réexamen s'équilibrent. Toutefois, est-il nécessaire que les demandes en réexamen soient instruites par l'ensemble de la commission d'instruction puisqu'il s'agit seulement de constater l'existence d'un arrêt de la CEDH et le respect du délai d'un an ? Je vous suggèrerai ainsi d'autoriser son président à statuer par ordonnance pour rejeter ces demandes en réexamen ou les renvoyer immédiatement à la Cour de révision et de réexamen.

La Cour sera désormais composée de 18 magistrats nommés pour trois ans, à raison de trois pour chaque chambre de la Cour de cassation, le président de la chambre criminelle présidant la formation de jugement. Cinq de ces dix-huit magistrats seront désignés pour constituer la commission d'instruction.

Dans un premier temps, réduire à trois magistrats sur dix-huit la représentation de la chambre criminelle m'était apparu incongru. Toutefois, j'ai évolué à l'issue des auditions que j'ai menées. Comme la composition de la Cour sera désormais fixée par la loi, les soupçons sur l'impartialité de la formation retenue disparaîtront. En outre, le texte assure une plus grande diversité de vues. Les questions abordées par la Cour de révision ne supposent pas de grandes connaissances en droit pénal. Quand bien même il ne s'agirait pas surtout de bon sens, les magistrats de la Cour de cassation possèdent, du fait de leur parcours antérieur, les compétences nécessaires. Aussi je vous propose d'approuver cette modification.

La troisième modification proposée par le texte transfère entièrement à la formation de jugement l'appréciation du doute que fait naître le fait nouveau ou l'élément nouveau sur la culpabilité du condamné, alors qu'actuellement la commission de révision examine également cet aspect. Il s'agit ainsi de mieux distinguer les rôles des deux instances, afin d'éviter que l'opinion y voie une contradiction de la Cour avec elle-même lorsque la commission accepte la requête et que la Cour la rejette.

Certes, on pourrait objecter que la commission d'instruction devra forcément apprécier si le fait nouveau a un lien réel avec l'affaire, et donc s'il peut faire naître un doute. Toutefois, l'ancienne présidente de la commission de révision Mme Anzani nous a bien indiqué que celle-ci se bornait, de plus en plus, à établir la réalité du fait nouveau, laissant à la Cour l'appréciation du doute.

La notion de « moindre » doute me paraît quant à elle des plus contestables, l'adjectif constituant comme le disait le doyen Carbonnier l'acné du droit. S'il est vrai que la chambre criminelle s'est plusieurs fois fondée sur la notion de doute sérieux, c'était justement pour assouplir l'examen de la requête à une époque où seule la conviction de l'innocence du condamné justifiait la révision. Ensuite, l'appréciation de la cour de révision a toujours varié selon que de nouveaux débats devant une autre juridiction sont possibles - l'appréciation étant alors plus indulgente - ou non.

N'essayons pas de qualifier le doute. Notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt avait déposé un amendement adopté par le Sénat, supprimant l'adjectif « sérieux » qui qualifiait le doute dans le texte initial de la proposition de loi ayant abouti à la réforme de 1989. Il ne serait pas plus raisonnable d'introduire le « moindre » doute. Il est préférable de laisser les magistrats décider dans leur âme et conscience s'ils ont un doute ou s'ils n'en ont pas. Par ailleurs, la proposition de loi réintroduit la mention de l'innocence du condamné à côté du doute sur sa culpabilité. Il s'agit de mieux fonder en droit une décision d'annulation sans renvoi lorsqu'aucune incrimination ne subsiste à la charge du condamné, ce qui me paraît utile.

En quatrième lieu, comme la proposition de loi conserve les quatre cas d'ouverture déjà existants en plaçant simplement le plus utilisé - le fait ou élément nouveau - en premier, je vous proposerai de simplifier radicalement le texte en supprimant les trois derniers cas d'ouverture, qui cas sont tous contenus dans le premier et n'ont pas de raison d'être juridique. Les magistrats et praticiens que j'ai entendus ont d'ailleurs été unanimes sur ce point.

La proposition de loi ajoute à la liste actuelle des personnes autorisées à présenter un recours le procureur général près la Cour de cassation et les procureurs généraux près les cours d'appel. Le recours serait également élargi, en cas de décès du condamné, à la personne liée à lui par un Pacs. Je ne vous proposerai pas de modification sur ces différents points.

Le texte précise les pouvoirs d'investigation de la commission d'instruction et de la formation de jugement. Actuellement, la plupart des actes d'investigation effectués lors de la phase d'instruction sont des demandes d'expertises et des auditions de témoins. Un débat existe toutefois sur la possibilité de prendre des mesures coercitives telles qu'une garde à vue à l'encontre de tiers soupçonnés d'avoir un lien avec l'affaire. Le texte de la proposition de loi n'est pas suffisamment clair pour trancher. Après audition du président de la commission de révision et de son prédécesseur, il me semble que ces actes ne relèvent pas de la compétence de la cour de révision. En revanche, la proposition de loi prévoit justement la possibilité de demander à un procureur de la République d'ouvrir une information dans les cas où de tels actes sont nécessaires.

Dès lors, je vous proposerai d'indiquer que les mesures d'investigations qui peuvent être effectuées sont toutes celles correspondant aux prérogatives du juge d'instruction, à l'exclusion de « l'audition d'une personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction », ce qui exclut la mise en examen, la garde à vue et l'audition libre. Parallèlement, je précise les conséquences de la saisine du procureur de la République par la commission d'instruction lorsqu'il apparaît qu'un tiers pourrait être impliqué dans la commission des faits.

La proposition de loi comporte également des dispositions de procédure codifiant des règles jusqu'alors prétoriennes sur lesquelles je ne vous soumettrai que des modifications de précision ou d'amélioration rédactionnelle.

Le texte reprend en outre en les précisant les dispositions actuelles relatives à la suspension éventuelle de l'exécution de la condamnation par la commission d'instruction ou la formation de jugement. La commission des lois de l'Assemblée nationale a toutefois considéré que la possibilité de suspendre la condamnation était une prérogative exorbitante pour la commission d'instruction. Pensons au précédent malheureux de l'affaire Leprince, où Danny Leprince avait été libéré par la commission de révision puis réincarcéré lorsque la cour de révision avait rejeté sa demande en révision. Les députés souhaitent instaurer une possibilité pour le parquet de faire appel de la décision de la commission d'instruction et, symétriquement, une voie de recours pour le condamné. Ce dispositif m'a semblé complexe et peu satisfaisant, puisqu'il laisse à la commission d'instruction ce pouvoir au moment où l'on réduit son rôle. Je vous propose donc de prévoir que toute demande de suspension, qu'elle émane du condamné, de la commission d'instruction ou de la formation de jugement, soit examinée par une tierce instance, la chambre criminelle, ce qui supprime la nécessité d'un recours contre la suspension ou le refus de suspension.

La proposition de loi reprend également sans les modifier les dispositions relatives à la réparation morale et pécuniaire à raison d'une condamnation annulée à la suite d'une décision en révision ou en réexamen.

Enfin, je vous indique que j'ai réorganisé l'ensemble de la proposition de loi, dont le plan manquait de clarté. Certains de mes amendements sont donc de pure coordination ; je vous l'indiquerai au fil de leur examen.

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