Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 17 avril 2014 à 15h00
Égalité réelle entre les femmes et les hommes — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les rapporteurs, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui a été étoffé et renforcé par le travail parlementaire, et il est plus à même de rendre véritablement effective l’égalité entre les femmes et les hommes, à condition que ses auteurs aient bien sûr la volonté politique de mettre à exécution les différentes dispositions qui y sont incluses.

Colette Guillaumin, dans son livre Sexe, Race et Pratique du pouvoir, écrivait en 1992 : « si les femmes sont des objets dans la pensée et l’idéologie, c’est que d’abord elles le sont dans les rapports sociaux, dans une réalité quotidienne dont l’intervention sur le corps est l’un des éléments clés. Ces mêmes interventions jouent pour les hommes dans le sens de la construction d’un sujet, sujet de décision et d’intervention sur le monde. »

Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est de ceux qui peuvent aider la société à opérer la transition, dans les mentalités, de la femme-objet à la femme-sujet.

Le rapport de pouvoir des hommes sur les femmes est de fait à analyser, toujours selon Colette Guillaumin, en tant que rapport de « classes de sexe ». La vigilance est donc toujours et plus que jamais de rigueur. Au détour d’un amendement que certains pourraient presque qualifier de rédactionnel, nos collègues députés ont pu constater qu’il n’est pas de droit acquis qui ne puisse faire l’objet d’une remise en cause rétrograde.

Je songe, on l’aura compris, à l’article 5 quinquies C qui prévoit la suppression de la référence à la notion de « détresse » dans le cadre d’une demande d’interruption volontaire de grossesse et à l’article 5 quinquies qui étend le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. C’est bien du corps de la femme qu’il est encore ici question, c'est-à-dire de cet « objet » à propos duquel on croit encore, de haut, avoir le droit de dire ce qui est bien et ce qui est mal.

Il n’est pas inutile de le rappeler, les thématiques soulevées par le féminisme des années 1970 tournaient en grande partie autour du corps. Et pour cause. La liberté d’avortement avait été l’enjeu fondamental des luttes de cette époque-là. Les slogans répétés étaient révélateurs, ils étaient clairs : « un enfant, si je veux, quand je veux », « c’est à nous de décider », « la politique sur notre corps ne se fera pas sur notre dos ». Il s’agissait de faire de la maternité un choix. Les femmes mettaient en avant autant une capacité de décision morale que leur simple droit de propriété sur leur propre corps.

Aujourd’hui, alors que nous avons avancé sur le chemin de l’égalité, nous ne voulons plus, nous ne pouvons plus accepter ce mot de « détresse », figurant dans la loi initiale autorisant l’IVG, qui place notre droit de choisir la maternité en seconde position.

Le droit à l’IVG est un acquis fondamental. Or le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes constate, dans son récent rapport de 2013, presque quarante ans après son inscription dans la loi, que le droit à l’avortement reste un « droit à part » et qu’il n’est toujours pas un « droit à part entière ».

Face à ces reculs, face à ces menaces, nous voterons, nous, écologistes, avec conviction et enthousiasme, l’article 5 quinquies C, qui affirme simplement le droit des femmes à disposer de leur corps, celles-ci étant, en tant que sujets matures et éthiques, les seules juges de leur état et des motifs pour lesquels elles ont recours à une IVG.

Mais revenons au texte dans son ensemble, qui paraît, madame la ministre, avoir recueilli un certain consensus auprès des parlementaires ; nous en faisons partie. Nous aurions toutefois souhaité que, sur certains aspects, notamment la protection contre les violences, ce projet de loi fût plus ambitieux encore. Il faut créer plus de places d’hébergement d’urgence pour les 200 000 femmes qui, chaque année, sont victimes de violences conjugales. Il faut donner les moyens aux services de police de lutter efficacement contre la traite des êtres humains, les condamnations pour des faits de traites étant encore trop peu nombreuses.

Je sais que le temps vous manque aujourd'hui, mais je regrette qu’ait été reporté l’examen du projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul sur les violences à l’égard des femmes. Il serait opportun qu’une nouvelle date, en juin, soit fixée prochainement, car ce texte donnerait un coup de pouce à la mise en place du processus de lutte contre les violences.

De même, s’il contient quelques avancées pour les femmes étrangères, il nous semble que ce projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes manque là encore, décidément, d’ambition.

Vous nous avez souvent opposé, madame la ministre, qu’il fallait attendre la grande réforme du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA. Or cette réforme se fait attendre justement et nous avons l’opportunité, dans des délais plus courts, de prendre des mesures importantes pour la vie et l’avenir des femmes étrangères victimes de violences sur notre territoire. C’est la raison pour laquelle nous défendrons, comme en première lecture, des amendements allant dans ce sens.

Notre volonté n’est en l’occurrence que d’enrichir un texte déjà fort solide. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion