Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 17 avril 2014 à 21h45
Égalité réelle entre les femmes et les hommes — Article 14

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Parce que l’égalité ne peut pas faire l’objet de demi-mesures, parce que l’égalité ne peut être subordonnée à la régularité du séjour, parce que l’égalité implique une politique décidée envers tous, sans discrimination, sans exclusion, je voudrais évoquer la situation des femmes étrangères victimes de violences conjugales.

En effet, ces femmes en situation irrégulière sont plus couramment que d’autres confrontées à des situations de discrimination et de violence. En tant que personnes étrangères, les lois sont plus restrictives à leur égard. Oui, dans les faits, malgré quelques dispositions protectrices, encore très insuffisantes, nous constatons que ces femmes, parce qu’elles sont en situation irrégulière, se voient dénier leurs droits fondamentaux, les obstacles étant nombreux avant qu’elles puissent porter plainte pour les violences subies. Par ailleurs, elles ne peuvent pas assurer pleinement la défense de leurs droits devant les tribunaux ni accéder à certains types d’hébergement.

Si des lois ou des circulaires ouvrent des perspectives pour améliorer l’accès effectif au droit pour ces femmes, ces textes restent insuffisants, méconnus ou mal appliqués : il est donc de notre devoir d’y remédier.

Il nous est proposé de revenir sur ce sujet à l’occasion de l’examen d’un autre texte, mais je rappellerai que ces femmes font partie de celles qui tombent, jour après jour, sous les coups de leur conjoint. L’urgence ne permet pas d’attendre. Je suis ainsi persuadée que le présent texte est le véhicule approprié pour avancer, quitte à poursuivre ensuite le travail si cela s’avère nécessaire.

Les violences exercées à l’encontre de ces femmes sont multiples.

Elles sont tout d’abord psychologiques : pour ces femmes, il s’agit souvent d’un chantage aux papiers, puisque la dépendance administrative est forte – « si tu me quittes, tu perds tes papiers » –, de la confiscation du passeport ou du refus de délivrer certains documents nécessaires à la régularisation. Dans ces violences, on retrouve aussi le contrôle de l’emploi du temps par le conjoint, d’autant que l’isolement est un facteur qui favorise les violences. Il arrive également que les pressions psychologiques viennent de la famille de la victime, qui refuse l’idée de la séparation et du divorce.

Les violences sont aussi physiques : elles sont les plus faciles à détecter, car elles marquent généralement le corps de la victime. Cependant, il faut que la victime les fasse constater par un médecin. Cela n’est pas toujours évident pour les femmes étrangères, qui ne font pas la démarche, par ignorance ou même par peur, parce que leur médecin est le même que celui de leur conjoint.

Les violences peuvent être également sexuelles : les femmes étrangères éprouvent beaucoup de difficultés à évoquer une violence liée à la sexualité, qui reste associée au « devoir conjugal ». Cela est d’autant plus vrai pour des femmes étrangères dont les sociétés d’origine réservent à la femme un statut différent de celui des hommes.

Malheureusement, mes chers collègues, à ces violences se surajoute une violence d’un autre type : la « violence administrative ». Vous le savez, les personnes qui peuvent prétendre à l’obtention d’un titre de séjour en tant que « partenaires » d’une autre personne doivent justifier de leur communauté de vie avec cette dernière. Il existe ainsi un fort lien de dépendance administrative. Or les situations de violence au sein du couple entraînent généralement la rupture de la communauté de vie, ce qui peut avoir des implications sur la régularité du séjour. La loi, pour les conjoints de Français ou pour les personnes qui se marient avec un conjoint étranger vivant de façon régulière et stable en France, prévoit la délivrance d’un titre de séjour d’un an renouvelable. En cas de violences conjugales, la délivrance de ce titre de séjour est prévue, mais encore faut-il pouvoir prouver les violences subies.

De manière générale, faire la preuve des violences subies reste problématique. Or de la preuve que l’on va apporter découle la reconnaissance des droits et la reconnaissance de la qualité de victime.

À ce problème majeur de preuve s’ajoute celui de l’accès à l’aide juridictionnelle. Des femmes souhaitent se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel dans le cadre des poursuites pénales engagées à la suite de leur plainte en raison des violences subies. D’autres souhaitent demander le divorce. Or, étant en situation irrégulière, elles ne peuvent pas, en principe, prétendre au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Elles se retrouvent donc de fait dans l’incapacité de se défendre.

Nous devons compléter le dispositif législatif existant sans plus attendre : tel est l’objet de nos amendements, qui ne constituent qu’une première étape.

N’hésitons pas ensuite à proposer l’élargissement du bénéfice de l’aide juridictionnelle à toutes les personnes étrangères, sans condition de régularité du séjour, notamment dans les procédures de divorce ou de garde d’enfants.

N’hésitons pas non plus à supprimer les taxes pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour.

Transposons la directive européenne sur la qualification pour permettre une meilleure prise en considération du genre dans les demandes d’asile.

Mettons en place des formations pour que les lois soient effectivement appliquées, sans que soit opposée la situation administrative, élément avancé souvent de manière illégale lors d’un dépôt de plainte ou de l’ouverture d’un compte bancaire.

Tout à l’heure, Mme la ministre nous a incités à ne pas voter certains amendements pour ne pas instaurer une double peine, voire une triple peine, pour les entreprises. Dans le cas présent, nous souhaitons que les femmes d’origine étrangère ne soient pas victimes d’une double, voire d’une triple peine.

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