Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 17 avril 2014 à 21h45
Égalité réelle entre les femmes et les hommes — Article 17 bis

Najat Vallaud-Belkacem, ministre :

Dans 80 % des cas, les parents sont d’accord sur les modalités de résidence de l’enfant. Ils choisissent, dans 71 % des cas, de fixer la résidence de l’enfant chez la mère, dans 10 % des cas chez le père, la résidence alternée concernant 19 % des enfants.

Dans la mesure où la loi permet déjà aux parents d’opter pour la résidence alternée si cette solution est conforme à l’intérêt de l’enfant, il n’est pas nécessaire d’en faire un principe dont manifestement l’application ne conviendrait pas à la majorité des situations. Ce serait même contre-productif.

Inscrire dans la loi la notion de résidence en alternance paritaire, qui signifie que le temps passé chez chacun des parents doit être exactement le même, aurait par ailleurs pour effet d’introduire une rigidité telle que la résidence alternée pourrait, d’une part, être impossible à mettre en œuvre pour de nombreuses familles, et, d’autre part, entraver, voire empêcher l’adaptation de la vie quotidienne aux besoins spécifiques de l’enfant. C’est aussi cela qui m’inquiète. Les nombreuses études menées sur ce sujet révèlent l’importance des contraintes matérielles liées à l’organisation d’une résidence alternée, qui suppose notamment la proximité des domiciles des deux parents et des logements adéquats. Vous le voyez, à chaque situation, une réponse particulière doit être apportée.

Contrairement à ce qui est soutenu dans l’exposé des motifs de cet amendement, les professionnels ne sont pas nécessairement favorables à la systématisation de la résidence alternée et à la séparation de manière prolongée d’un enfant de moins de 3 ans d’avec sa mère. Les choses sont plus complexes que cela, et c’est pourquoi ce sujet mérite d’être traité avec davantage de sérénité.

Enfin, l’alinéa de l’amendement visant à la remise en cause du principe de la résidence alternée en cas de non-respect d’une obligation alimentaire n’est pas acceptable à nos yeux : les modalités de résidence de l’enfant ne sauraient être conditionnées au respect de l’obligation alimentaire par l’un des parents. Une telle disposition nous semble extrêmement problématique. Je rappelle que, en cas de non-paiement de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, une sanction pénale s’applique déjà.

Ce nouveau délit d’entrave à l’exercice de l’autorité parentale, qui repose sur des éléments de qualification aussi flous que des « manipulations diverses », me semble particulièrement fragile, qui plus est à l’heure des questions prioritaires de constitutionnalité.

En troisième lieu, prévoir l’audition systématique des enfants me semble être une mauvaise réponse. Je n’y suis pas favorable.

Aujourd’hui, le code civil consacre un véritable droit pour l’enfant à être entendu dans toutes les procédures le concernant, le juge ne pouvant pas refuser cette audition dès lors qu’elle est demandée par l’enfant. Dans le même temps, il prévoit le respect du « droit au silence » de l’enfant, puisque, en l’absence de toute demande de sa part, le juge ne l’entendra que s’il l’estime nécessaire. Dans certaines procédures, notamment de divorce, l’audition peut constituer une épreuve très douloureuse pour l’enfant, culpabilisante, contraire à sa volonté. Dès lors, il paraît inopportun, voire dangereux, de prévoir qu’un juge pourrait « apprécier le bien-fondé du refus » d’être entendu et donc imposer à l’enfant une audition, comme vous le proposez.

En tout état de cause, l’audition systématique de l’enfant se heurterait à d’importantes difficultés de mise en œuvre sur le plan pratique, car elle alourdirait la tâche du juge aux affaires familiales et rallongerait la durée des procédures.

En quatrième lieu, le dispositif de cet amendement apporte une mauvaise réponse en matière de médiation familiale.

La médiation familiale est une question complexe. Des expérimentations sont en cours dans les tribunaux de grande instance de Bordeaux et d’Arras. Il serait prématuré, voire incohérent, de légiférer sur ces questions avant de connaître le résultat de ces expérimentations.

De surcroît, la rédaction proposée marque un net recul par rapport aux dispositions actuelles, puisqu’elle supprime la possibilité, pour le juge aux affaires familiales, d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur pour les informer sur l’objet et le déroulement de la mesure de médiation.

Les autres dispositions présentées, portant sur les obligations des parents dans le cadre de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, soulèvent également des difficultés pratiques et juridiques. Je ne les détaille pas ici, mais je pourrai le faire si nécessaire.

En conclusion, vous l’aurez compris, le Gouvernement est très défavorable à cet amendement.

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