Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 17 avril 2014 à 21h45
Égalité réelle entre les femmes et les hommes — Article 17 bis

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Je partage nombre des arguments avancés par le Gouvernement.

En première lecture, mon groupe avait déjà voté contre cet amendement de nos collègues du RDSE, portant essentiellement sur la résidence alternée en cas de séparation.

Ceux qui défendent une telle position, sous couvert d’égalité entre les hommes et les femmes – je le dis volontairement dans cet ordre –, ne le font pas, consciemment ou non, pour de bonnes raisons.

Nous avons nous-mêmes été régulièrement interpellés par ces « pères perchés » sur des grues. Si, au départ, leurs arguments et cause peuvent sembler légitimes, force est de constater que, d’une manière générale, leurs prises de position sont loin d’aller dans le sens de l’égalité entre les femmes et les hommes. Au contraire, leur vision des choses ne tient pas compte, à notre avis, de la réalité des rapports de force au sein d’un couple en cas de problèmes.

Pour étayer mon propos, je reprendrai certains chiffres que ces pères avancent pour justifier leurs revendications et qui sont censés démontrer l’existence d’une inégalité de traitement en leur défaveur. En fait, ces chiffres prouvent au contraire que ce sont les mères qui sont désavantagées.

Je m’explique : les enfants sont confiés à la mère dans 75 % à 80 % des cas de divorce pour faute ; dans 15 % à 20 % des cas, c’est la garde alternée qui est décidée, et, dans 5 % à 8 % des cas seulement, les enfants sont confiés au père.

Premier élément, les pères demandent bien moins souvent la garde des enfants que les mères. Ce n’est pas qu’ils aiment moins leurs enfants – loin de nous cette idée ! –, mais on sait très bien quels sacrifices professionnels induit souvent la garde des enfants ; manifestement, les hommes sont moins souvent que les femmes prêts à les consentir, en raison aussi d’une inégalité professionnelle sur laquelle je ne reviendrai pas.

Deuxième élément, si le père et la mère demandent la garde, c’est le juge qui doit trancher, en appréciant prioritairement l’intérêt de l’enfant. Or, comme les pères se sont souvent moins investis dans l’éducation des enfants, cela peut entraîner des difficultés pour obtenir la garde.

Ces deux éléments expliquent donc les chiffres avancés par ces pères.

En ce qui concerne la proposition de privilégier la résidence alternée, elle ne tient pas compte non plus des inégalités salariales qui perdurent. Si le juge impose d’office la résidence alternée parce que le père la demande, le plus souvent, la mère ne pourra assumer financièrement cette résidence alternée, car elle ne recevra plus de pension alimentaire. Elle n’aura alors d’autre choix que de laisser la garde exclusive des enfants au père, avec obligation de lui verser une pension. Ce schéma de résidence alternée ne fonctionne que pour les familles suffisamment aisées. Tant que les femmes n’auront pas les mêmes droits que les hommes et des salaires équivalents, on ne pourra pas parler d’égalité en matière de divorce ou de séparation et de garde des enfants.

Je terminerai en évoquant un autre point important de l’amendement qui pose également problème : la création d’une nouvelle incrimination pénale d’entrave à l’exercice de l’autorité parentale, l’ascendant ayant commis des « agissements répétés » ou des « manipulations diverses » pouvant être puni à ce titre d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Cette formulation crée un doute quant à la sincérité de l’ascendant dénonçant, par exemple, des violences sexuelles ou un inceste ou des carences et déficiences parentales. Même si des cas d’insincérité existent, ils sont très minoritaires. Nous voyons dans cette rédaction, pour notre part, un grand danger pour les femmes victimes de violences conjugales et pour les enfants victimes ou témoins de ces violences.

Pour toutes ces raisons, et parce que la question de l’intérêt de l’enfant doit être abordée à l’occasion de la discussion d’un texte relatif à la famille plutôt qu’au détour de l’examen d’un projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, nous voterons contre cet amendement.

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