Mon rapport porte sur la mise en oeuvre du volet relatif à l'accessibilité de la loi du 11 février 2005 sur les personnes handicapées. Après en avoir discuté avec des collègues de la commission des Lois, dont vous-même, Madame la présidente, ainsi qu'Alain Richard, il est apparu important d'engager une réflexion qui ne soit pas partisane afin de répondre aux préoccupations des collectivités à ce sujet. Telle est l'origine du rapport que je vous présente aujourd'hui. J'ajoute que sa préparation est intervenue alors que notre collègue Claire-Lise Campion travaillait sur le même sujet, dans le cadre d'une mission gouvernementale ayant donné lieu, tout d'abord, à la publication d'un rapport en mars 2013, puis à une vaste consultation de l'ensemble des intéressés, pour déboucher très prochainement sur la discussion au Sénat d'une proposition de loi d'habilitation à légiférer par voie d'ordonnance. La commission des Affaires sociales va débattre demain de cette proposition de loi.
Ce n'est pas la première fois que le Sénat se penche sur la question des normes, puisqu'un certain nombre de rapports lui ont déjà été consacrés par notre Assemblée, en particulier par notre délégation. L'accessibilité est l'un des aspects de cette problématique cruciale pour les collectivités territoriales. Qu'en est-il ? La loi du 11 février 2005 fait suite à une loi de 1975 qui n'a jamais été véritablement appliquée, d'où sans doute le caractère très ambitieux du dispositif normatif qu'elle a mis en place, qui combine des énoncés d'objectifs extrêmement contraignants, et un système lourd de sanctions administratives et pénales.
Où en est-on aujourd'hui de l'application de cette loi ? Il était prévu que la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des locaux d'habitation, des transports publics et de la voirie serait, pour l'essentiel, achevée au début de 2015 en ce qui concerne l'existant. Il n'en sera rien. C'est pourquoi, compte tenu du contexte économique et financier dans lequel nous nous trouvons, le Gouvernement a lancé un chantier de réexamen du dispositif institué en 2005, spécialement les échéances fixées pour sa mise en oeuvre et le dispositif réglementaire institué pour son application. Sur cette question des échéances, je voudrais souligner que nous sommes, bien entendu, très en retard mais que, pour autant, la différence de situation entre la France et d'autres pays européens, qui ont engagé plus tôt que nous le processus de mise en accessibilité de l'espace public, n'est pas si extraordinaire qu'on l'entend souvent dire. Nous sommes partis plus tard, en outre nous avons entendu progresser à marche forcée : une étude du CEREMA consacrée à cinq pays européens montre que notre pays privilégie la rigidité normative et l'édiction d'obligations de moyens par rapport à des pays tels que le Royaume-Uni, qui préfèrent fixer des objectifs et n'en sont pas moins très en avance sur nous. Comme le constatait un rapport de trois inspections générales publié à la fin de 2012, aucun pays n'a pu franchir dans l'accessibilité des étapes aussi radicales que celles que nous avons inscrites dans la loi de 2005, dans une période aussi courte.
La loi de 2005 repose sur le principe de l'accessibilité universelle. C'est en fonction de ce principe qu'un certain nombre d'associations défendent avec une certaine radicalité la mise en oeuvre intégrale de cette loi. Je voudrais souligner à ce propos que la formulation extrêmement exigeante retenue à cet égard par la loi de 2005 va au-delà de ce que prévoient un certain nombre de textes internationaux et européens. Je pense en particulier à l'article 2 de la convention relative aux droits des handicapés élaboré par l'ONU en 2006, et à l'article 5 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail relative à la prévention des discriminations dans le travail.
Par ailleurs, le principe d'accessibilité universelle, tel que libellé dans la loi de 2005, tel qu'interprété par les textes d'application, est sanctionné par une gamme de sanctions administratives et pénales très sévères, que le projet de loi d'habilitation en cours de discussion propose de renforcer notablement. Je crois de mon côté qu'en ce qui concerne les sanctions, comme pour d'autres éléments de la loi, il faut se rapprocher le plus possible du droit commun.
Nous connaissons tous les procédures administratives qui encadrent la mise en oeuvre de la loi de 2005 : schémas directeurs d'accessibilité des services de transport public et plans de mise en accessibilité de la voirie et des espaces publics, en particulier, ainsi que les commissions communales pour l'accessibilité aux personnes handicapées et les commissions consultatives départementales de sécurité et d'accessibilité. Ces dernières constituent le centre de gravité de la mise en oeuvre de la loi. Elles sont suffisamment près du terrain pour examiner de façon pertinente les demandes de dérogation présentées par les maîtres d'oeuvre et gestionnaires, tout en présentant des garanties de technicité qui ne seraient pas nécessairement acquises au niveau communal.
J'ai mentionné l'important retard de la mise en oeuvre des dispositions de la loi de 2005. Il faut envisager cette situation au regard de la situation économique de notre pays, en particulier celles des collectivités territoriales, à un moment où l'État a décidé de les mettre à contribution à hauteur de 10 milliards d'euros. Il est intéressant de comparer ce chiffre au coût estimé de la mise en accessibilité des établissements recevant du public : 20 milliards d'euros pour le secteur public, dont 18 % pour l'État, 65 % pour les communes et les intercommunalités, 14 % pour les conseils généraux et 3 % pour les régions. Pour les transports collectifs, ce sont 15 milliards d'euros qui seraient nécessaires pour la mise en accessibilité des arrêts départementaux.
Au vu de ces masses financières, il n'est pas étonnant que, selon des estimations publiées en mars 2013, seuls 63 % des établissements recevant du public intercommunaux de première catégorie et 56 % des établissements communaux aient fait l'objet d'un diagnostic à cette date. De son côté, l'ARF note, au vu des réponses de 32 départements à une enquête réalisée en novembre 2013, que 87 % des répondants avaient réalisé les diagnostics d'accessibilité de leurs bâtiments et que 47 % seulement avaient adopté un programme de travaux.
Pour ce qui est du secteur privé, il est extrêmement difficile d'obtenir des chiffres, soit des commissions départementales, soit des chambres de commerce et d'industrie (CCI), qui disposent d'un logiciel facilitant l'instruction des dossiers des établissements privés. Ce logiciel tend à faciliter la mise en oeuvre de la dérogation relative à la disproportion économique de l'investissement nécessaire à la mise en accessibilité prévue par la loi. J'insiste sur le fait que les services de l'État dans le département ne disposent pas des moyens de concevoir ces outils nécessaires. La CCI de mon département a calculé qu'il faudrait à la commission départementale six ans pour terminer l'instruction du stock de dossiers existants susceptibles d'être soumis à celle-ci au titre de ses compétences en matière d'accessibilité.
J'ai travaillé avec la volonté de présenter des propositions à la fois fidèles à l'objectif d'accessibilité et de nature à faciliter sa mise en oeuvre efficace. C'est en effet dans l'équilibre que réside la vérité, c'est-à-dire l'efficacité. Je me suis situé au regard des propositions très riches élaborées par Mme Campion en concertation avec l'ensemble des intéressés.
Dans cette perspective, je propose, en ce qui concerne les procédures, d'approuver la création des agendas d'accessibilité programmée, tout en remarquant que le délai du 31 décembre 2014 fixé pour le dépôt des dossiers d'agenda ou pour l'engagement d'entrer dans un agenda est court, sans doute insuffisant dans de nombreux cas, au vu des goulots d'étranglement administratifs que je viens d'évoquer. Avant le dépôt d'un agenda, l'élaboration d'un diagnostic est nécessaire, or il est vraisemblable que les maîtres d'ouvrage et gestionnaires d'ERP se préoccuperont de cette nécessité à partir 1er janvier 2015, date symbolique de lancement des Ad'AP, et se heurteront alors à l'insuffisance de la ressource nécessaire en professionnels compétents. Je souhaite donc que l'on intègre les diagnostics dans le calendrier prévu pour le lancement des agendas. Il s'agit de permettre aux préfets de prolonger les délais en fonction de la situation dans le département.
Pour répondre aux préoccupations de l'ADF, et compte tenu des budgets et de la technicité à mettre en oeuvre, je propose de permettre au préfet, sur avis de la commission départementale, d'allonger de moitié le délai de mise en accessibilité des transports collectifs.
Par ailleurs, dans la perspective de la simplification du droit, je propose que le maître d'oeuvre soit chargé d'attester la conformité des travaux aux règles d'accessibilité, conformément au droit commun du permis de construire.
Je propose aussi que la commission départementale donne un avis simple sur les demandes de dérogation, et que le silence gardé par l'administration sur une demande de dérogation ait valeur de décision implicite d'acceptation, conformément au droit commun des actes administratifs, sauf à ce que le préfet institue un délai supplémentaire de trois mois pour les besoins de l'instruction du dossier.
J'estime, par ailleurs, inopportun de mettre en place une sorte d'instance nationale de recours contre les décisions des commissions départementales. Là encore, il s'agit de simplifier les choses. En outre, dans la mesure où les décisions relèvent in fine des préfets, c'est à ceux-ci qu'il appartiendra d'homogénéiser les pratiques en tant que de besoin, sous le contrôle du juge administratif.
Voilà pour les procédures. En ce qui concerne le contenu, j'estime qu'il faut ouvrir la dérogation pour disproportion manifeste aux collectivités territoriales.
Je crois, par ailleurs, qu'il faut étendre aux ERP de 1e à 4e catégories la possibilité de satisfaire aux obligations d'accessibilité sur le fondement de la notion d'accès à la prestation.
Je rappelle le nombre de faillites particulièrement préoccupant des hôteliers et restaurateurs. Il ne faut pas leur porter un coup fatal avec des mesures qu'ils ne seraient pas en mesure de supporter. Je propose à cet égard de mettre en oeuvre une expérimentation aux fins de permettre aux professionnels de se regrouper pour organiser sur un territoire donné l'accessibilité sur une base mutualisée. Je me suis rapproché de l'AFNOR pour voir si elle est en mesure d'apporter une contribution à ce schéma, ce qui m'a été confirmé. Les professionnels aussi m'ont confirmé l'intérêt de cette expérimentation, qui aurait la vertu d'offrir des solutions à certaines situations difficiles, les services concernés étant largement ouverts à l'ensemble des handicaps sur le territoire considéré.