Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 29 avril 2014 à 14h30
Révision des condamnations pénales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Christiane Taubira, garde des sceaux :

La présente proposition de loi s’inscrit dans l’histoire des procédures de révision en France.

Cette histoire, longue, a connu une dynamique constante, marquée par des épisodes retentissants, dont nous avons tous à l’esprit les plus fameux : je pense, notamment, au combat victorieux de Voltaire pour la réhabilitation de Jean Calas et au magnifique « J’accuse… ! » d’Émile Zola, qui a ouvert la voie à la réhabilitation du capitaine Dreyfus.

La procédure de révision, qui permet de corriger les erreurs judiciaires, est une obsession des philosophes, mais aussi de tous les honnêtes gens, c’est-à-dire des citoyens ordinaires. Abstraction faite de quelques parenthèses, elle a connu un mouvement continu d’amélioration de ses procédures.

Cette procédure existe depuis l’Ancien Régime, puisque, en vertu de l’ordonnance criminelle de 1670, une personne injustement condamnée pouvait solliciter du Conseil du roi une lettre de révision. Elle a été supprimée, très brièvement, sous la Révolution. C’est un fait étonnant, mais qui s’explique : les hommes de la Révolution croyaient fortement à l’infaillibilité du jury populaire, un principe qui peut nous paraître étrange aujourd’hui.

Moins d’un an après avoir été abolie, elle a été rétablie par la Convention. Inscrite dans notre code de l’instruction criminelle depuis 1808, elle a fait l’objet de plusieurs réformes, qui toutes ont visé à l’élargir ou à l’approfondir. Je pense en particulier à la loi du 29 juin 1867, qui a étendu la révision aux affaires correctionnelles, et à la loi du 8 juin 1895, qui a affirmé la nécessité de prendre en considération un fait nouveau ou une pièce inconnue à l’époque du procès.

La dernière loi qui a réformé la procédure de révision est la loi du 23 juin 1989, issue d’une proposition présentée par Michel Sapin. Alors que, jusqu’à cette date, le garde des sceaux faisait fonction de commission de recevabilité en examinant les requêtes, la loi de 1989 a judiciarisé la totalité de la procédure. En outre, elle a prévu que le fait nouveau ou la pièce nouvelle pouvait ne pas établir l’innocence du condamné, mais seulement faire naître un doute sur sa culpabilité.

La proposition de loi que vous allez examiner s’inscrit dans la logique d’amélioration de la procédure de révision. C’est néanmoins un texte difficile, qui soulève des questions délicates pour la simple raison qu’il vise à concilier deux impératifs contradictoires : d’une part, la quête permanente de la vérité judiciaire et la lutte contre l’erreur ; d’autre part, un principe tout aussi important et intangible, à savoir l’autorité de la chose jugée.

Il est important, bien entendu, de s’assurer qu’aucun innocent n’est condamné. C’est pourquoi des moyens doivent être disponibles pour éviter les erreurs judiciaires et, le cas échéant, pour corriger la condamnation d’une personne qui ne serait pas coupable.

Toutefois, il est important également, dans l’intérêt du corps social, de la victime et de l’accusé lui-même, de créer des conditions mettant un terme au procès. C’est toute la différence entre les anciens systèmes archaïques de vengeance privée, avec leur spirale sans fin, et le procès pénal : ce dernier, une fois toutes les voies de recours utilisées, pose définitivement une décision. Il a donc aussi une fonction d’apaisement dans la société, car il vient un temps où la procédure doit s’achever.

Il a fallu trouver un chemin entre ces deux contraintes, chemin d’autant plus rocailleux et difficile que la vérité judiciaire n’est pas nécessairement la vérité. En effet, nous le savons tous, que l’on soit juré populaire ou que l’on soit un magistrat qui juge en robe, nul ne peut prétendre à l’infaillibilité.

Notre droit lui-même pose le principe de l’intime conviction, qui permet que des décisions en correctionnelle ou aux assises soient prises sans qu’une preuve formelle vienne établir la culpabilité. Or, à partir du moment où cette règle est posée, même si le principe du doute qui doit profiter à l’accusé est tout aussi fort, il s’ensuit que la vérité judiciaire n’est pas forcément absolue. Il faut l’admettre et avoir le courage d’ouvrir des voies pour que des procédures de révision permettent éventuellement de corriger une condamnation prononcée à tort.

Nous avons retenu dans ce texte de loi un certain nombre de dispositions majeures. Je ne les exposerai pas toutes, car je ne doute pas que M. le rapporteur explicitera dans le détail les plus importantes ou les plus complexes d’entre elles.

Parmi ces mesures majeures, se trouvent notamment deux dispositions visant à garantir, en amont, la possibilité de la révision du procès : il s'agit, d’une part, d’éviter les destructions intempestives de scellés, qui sont des preuves nécessaires, et, d’autre part, d’assurer l’enregistrement des procès, notamment aux assises pour les affaires criminelles.

Voilà des années que, dans son rapport annuel, la Cour de cassation déplore la destruction de scellés qui auraient permis à la cour de révision de se prononcer de façon plus éclairée. Il y a donc un vrai problème, que le Sénat n’ignore pas, d'ailleurs, puisque votre assemblée a été, il y a plusieurs mois, à l’initiative d’une proposition de loi qui nous a permis de débattre de la question. À l’époque, je vous avais exposé les dispositions que le Gouvernement comptait mettre en place pour assurer la conservation des scellés dans de bonnes conditions et procéder à bon escient à leur éventuelle destruction.

À partir du moment où un texte de loi prévoit la conservation des scellés, il est important de s’interroger sur les conditions de cette conservation. Le texte transmis au Sénat prévoyait une destruction limitée et un système équilibré de conservation de scellés. Ces derniers ne seraient pas conservés systématiquement, mais la personne mise en cause pourrait en demander le maintien ; en cas de désaccord avec le parquet, la chambre d’instruction a reçu la compétence d’arbitrage.

Nous en discuterons tout à l’heure, la commission des lois du Sénat a adopté un amendement visant à élargir le champ de la demande de conservation des scellés, le texte de l’Assemblée nationale ne concernant que les scellés d’affaires criminelles, sous réserve bien entendu qu’ils ne soient plus nécessaires à la manifestation de la vérité.

La prolongation du délai de conservation des scellés aura un coût pour nos juridictions. Dans la mesure où il s’agit d’une proposition de loi, ce texte n’est pas obligatoirement assorti d’une étude d’impact. En tant que garde des sceaux, responsable du bon fonctionnement de nos juridictions, j’ai eu le souci de faire évaluer les effets d’une telle mesure. J’ai donc demandé à la direction des services judiciaires d’estimer le mode de conservation des scellés, son coût, les besoins en termes de surfaces, et de mesurer ce que coûteraient leur conservation et leur destruction.

La direction des services judiciaires s’est rendue dans vingt-huit tribunaux de grande instance et dans vingt-deux cours d’appel. Il est apparu que seules 41 % des décisions de destruction de scellés dans les tribunaux de grande instance sont respectueuses des consignes strictes qui ont été précisées par les circulaires, et 65 % dans les cours d’appel. Il ne s’agit pas de mettre en cause nos juridictions, qui sont souvent amenées à prendre des décisions rapidement, d’autant que certains scellés occupent de la place et que leur conservation a un coût.

En tout état de cause, je l’ai dit devant les députés, je suis décidée à assumer le coût de la disposition prévue par l’Assemblée nationale. Sur une dizaine d’années, nous aurons besoin de 160 mètres carrés supplémentaires pour la conservation des scellés, mais aussi d’un peu plus de six magistrats et d’une quinzaine de fonctionnaires. Compte tenu de l’importance de la conservation de ces pièces pour les procédures de révision, c’est une dépense à laquelle nous ferons face.

Néanmoins, je vous le dis tout de suite, car je sais que vous êtes aussi respectueux que moi de la bonne gestion de nos budgets, compte tenu des discussions que nous avons eues sur la nécessaire rationalisation de la gestion des scellés, nous compenserons ces coûts, notamment en dématérialisant certains scellés très encombrants qu’il n’est pas indispensable de conserver en l’état compte tenu des affaires en cause.

Par ailleurs, nous améliorerons, notamment pour les affaires correctionnelles, les procédures de ventes de scellés qui ne sont plus nécessaires à la manifestation de la vérité. Nous prendrons donc un certain nombre de dispositions qui permettront, en rationalisant davantage la gestion, d’économiser sur ce que coûte aujourd'hui la conservation parfois assez peu encadrée de certains scellés.

À la suite d’une QPC, d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a rendu une décision il y a un peu moins de deux semaines, le 11 avril dernier, supprimant une disposition du code de procédure pénale qui autorisait le procureur à décider de la destruction de scellés au motif que les textes ne prévoyaient aucun recours.

Dans le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, que le Sénat a adopté, j’ai rétabli par voie d’amendement à l’Assemblée nationale la possibilité pour le procureur de décider de la destruction des scellés, mais en instaurant une disposition de recours.

Cet amendement ayant été adopté par les députés, je souhaite un plein succès à la commission mixte paritaire qui examinera ce texte bientôt !

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