Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 29 avril 2014 à 14h30
Révision des condamnations pénales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la procédure pénale est le rempart de la liberté des citoyens. Ainsi, c’est dans le domaine de la justice et dans le code de procédure pénale que les valeurs fondamentales de la République trouvent leur traduction la plus éclatante.

« La vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera » écrivait Émile Zola en 1898. C’est dans le même esprit d’une recherche constante de la vérité, du respect de la personne humaine, que s’inscrit l’examen de la proposition de loi de notre collègue député Alain Tourret portant réforme de la procédure de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive. Elle fait suite à la mission d’information conduite par celui-ci et son collègue Georges Fenech, et il me plaît de souligner le travail exceptionnel qu’ils ont accompli durant un an. Je tenais à leur rendre hommage et à les remercier de leur contribution.

Il était dès lors naturel que leurs travaux se traduisissent par la proposition de loi dont nous sommes saisis.

Une décision de justice est revêtue de l’autorité de la chose jugée lorsque toutes les voies de recours ont été utilisées et que les délais fixés par la loi pour les exercer sont épuisés. C’est une exigence de sécurité quand on sait que la force de la chose jugée est encore plus grande en matière criminelle, dans la mesure où le jury populaire est réputé infaillible.

Toutefois, il arrive que, postérieurement à une décision passée en autorité de la chose jugée, il se révèle qu’une erreur de fait commise par la cour d’assises ou par le tribunal correctionnel a eu pour effet la condamnation d’un innocent. Elle constitue alors une injustice insupportable, qui frappe et scandalise à la fois le condamné et l’opinion. Dès lors, il est indispensable qu’il existe une procédure exceptionnelle permettant de réviser les condamnations.

En France, une telle procédure de révision existe depuis longtemps, avec l’ordonnance criminelle de 1670, qui permettait d’obtenir du Conseil du roi des « lettres de révision ». Elle fut supprimée à la Révolution, puis rétablie en 1808.

Les cas d’ouverture étaient alors déjà les trois premiers cas précisément définis qui figurent encore dans le code de procédure pénale : la condamnation de deux personnes pour un même crime par deux jugements différents ; la condamnation pour l’homicide d’une personne qui se révèle ensuite être toujours vivante – ce cas ne s’est jamais présenté, me semble-t-il ; enfin, la condamnation ultérieure d’un témoin à charge pour faux témoignage.

En 1867, la révision est étendue aux délits. En 1895, le législateur se décide à créer un quatrième cas d’ouverture, qui permet en principe de couvrir toutes les hypothèses où un innocent a été condamné : c’est le fameux « fait nouveau ou élément inconnu au jour du procès » de nature à établir l’innocence du condamné et qui constitue le cas de révision de loin le plus utilisé. Il contient en réalité les trois autres.

Enfin, l’affaire Mis et Thiennot a conduit Robert Badinter en 1983 à proposer un nouveau projet de loi, qui n’aboutira pas, puis Michel Sapin à déposer une proposition de loi, qui débouchera sur la loi du 23 juin 1989 relative à la révision des condamnations pénales.

Les apports de cette loi sont nombreux et importants, notamment la substitution du « doute sur la culpabilité » à la certitude de « l’innocence » pour permettre la révision et la juridictionnalisation complète de la procédure, alors que, auparavant, le garde des sceaux avait la lourde charge de filtrer les requêtes.

Enfin, en 2000, l’affaire Hakkar a conduit le Parlement à introduire la procédure de réexamen d’une décision pénale, consécutivement au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.

La proposition de loi que nous examinons se fonde essentiellement sur le constat suivant : la loi de 1989 n’a pas abouti à une augmentation significative du taux de succès des recours en révision. Sur les raisons de ce taux homéopathique, les avis peuvent être partagés ; je vous dirai mon opinion tout à l’heure.

Depuis 1989, seulement 2, 65 % des demandes sont parvenues à la cour de révision, soit 84 sur 3 358. Celle-ci a procédé à l’annulation de 52 condamnations pénales – 9 criminelles et 43 correctionnelles –, madame la garde des sceaux l’a rappelé. Il arrive donc fréquemment qu’elle ne fasse pas droit aux pourvois, pourtant déjà filtrés par la commission de révision, soit parce qu’elle estime que l’élément présenté comme nouveau ne l’est pas, soit parce que celui-ci ne suscite pas de doute sur la culpabilité du condamné.

En outre, les auteurs de cette proposition de loi font valoir à juste titre que le code de procédure pénale ne fixe pas la composition de la cour et que la procédure suivie n’est pas non plus définie de manière précise. Dès lors, le présent texte tend à réformer en profondeur la juridiction et la procédure de révision.

La commission des lois a approuvé les grands axes de cette réforme. Elle a toutefois procédé à quelques modifications importantes.

À titre préliminaire, j’indique qu’elle n’a pas modifié les deux premiers articles relatifs à l’amélioration des moyens matériels susceptibles d’être utilisés dans le cadre de l’examen d’une demande de révision.

Mme la garde des sceaux a évoqué à l’instant le problème des scellés ; nous y reviendrons à l’occasion de l’amendement déposé par le Gouvernement. Les auteurs de la proposition de loi proposent d’allonger à cinq ans renouvelables, au lieu de six mois, la durée de conservation des scellés criminels, à la demande du condamné. Cet allongement est unanimement salué comme une avancée pour préserver des preuves indispensables afin de remédier aux erreurs judiciaires.

Par ailleurs, la proposition de loi prévoit l’enregistrement sonore systématique des débats des cours d’assises, ce qui permettra dans certains cas à la juridiction de révision d’apprécier plus facilement le caractère réellement « nouveau du fait ou de l’élément inconnu ».

J’en viens à l’article 3, qui constitue le cœur de la réforme. Il prévoit d’abord de fusionner les instances de révision et celles de réexamen.

Dans la mesure où les deux voies de recours portent atteinte à l’autorité de la chose jugée, sont mises en œuvre par des juridictions similaires et suivent une procédure relativement proche, il est préférable de fusionner ces deux juridictions.

Certes, la révision porte sur des questions de fait, alors que le réexamen ne porte sur une question de droit. Toutefois, la commission a finalement approuvé cette fusion, tout en adoptant un amendement visant à remédier à sa conséquence la moins opportune : l’examen des demandes en réexamen par la commission d’instruction.

En effet, il s’agit seulement de constater l’existence d’un arrêt de la CEDH et le respect du délai d’un an. Notre commission a donc adopté un amendement tendant à permettre au président de cette commission de statuer par ordonnance pour rejeter les demandes en réexamen ou les renvoyer immédiatement à la cour de révision et de réexamen.

La deuxième modification importante concerne la composition de la cour. Celle-ci serait formée de 18 magistrats nommés pour trois ans, à raison de trois pour chaque chambre de la Cour de cassation, le président de la chambre criminelle étant président de la cour et de la formation de jugement.

Cinq de ces magistrats seraient désignés en son sein pour constituer la commission d’instruction. Ce dispositif a deux avantages : premièrement, la composition de la cour est désormais fixée par la loi ; deuxièmement, il assure une plus grande diversité de vues. Il faut souligner que les questions abordées par la cour ne supposent pas de grandes connaissances juridiques.

La question posée – l’élément nouveau met-il en doute la culpabilité du condamné ? – place la cour de révision dans une situation quelque peu comparable à celle d’un jury. En outre, les magistrats des autres chambres de la Cour de cassation, du fait de leur parcours antérieur, sont rarement ignorants en matière de procédure pénale ! La commission a donc approuvé cette nouvelle composition.

Troisième modification importante : l’appréciation du « doute » que fait naître le fait nouveau ou l’élément inconnu au jour du procès sur la culpabilité du condamné.

Il est proposé de transférer entièrement à la formation de jugement de la cour de révision l’appréciation de ce doute, alors que, actuellement, la commission de révision examine également cet aspect.

Il s’agit ainsi de mieux distinguer les rôles des deux instances, afin d’éviter que, quand la première juge la demande recevable et que la seconde la rejette, l’opinion y voie une contradiction de la cour avec elle-même. La commission a approuvé cette modification.

En revanche, la notion de « moindre doute » soulève davantage de difficultés.

Tout d’abord, il est vrai que la chambre criminelle s’est plusieurs fois fondée sur la notion de « doute sérieux ». Néanmoins, elle l’a fait justement pour assouplir l’examen de la requête, à une époque où le code de procédure pénale prévoyait que seule la conviction de l’innocence du condamné pouvait justifier la révision.

Ensuite, l’appréciation de la cour de révision a toujours varié, selon que de nouveaux débats devant une autre juridiction sont possibles ou ne le sont plus. S’ils le sont, l’appréciation est alors plus indulgente que dans le cas où la cour doit statuer en dernier ressort sans renvoi.

Enfin, n’essayons pas de qualifier le doute : celui-ci ne se divise pas. Notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt avait à juste titre déposé un amendement, adopté par le Sénat, visant à supprimer l’adjectif « sérieux » qui qualifiait le doute dans le texte initial de la loi de 1989. Il ne serait pas plus raisonnable aujourd’hui d’introduire la formule « le moindre doute ».

En réalité, les magistrats cherchent à établir si le fait nouveau ou l’élément inconnu est susceptible, ou non, de remettre en cause l’édifice intellectuel qui a mené à la condamnation. Le fait d’ajouter « moindre » à « doute » n’aura aucun effet. C’est le doyen Carbonnier qui considérait l’adjectif comme « l’acné du style juridique »... La commission a donc supprimé le mot « moindre ».

Quatrième modification, si la proposition de loi tend à conserver les quatre cas d’ouverture déjà existants et à placer simplement le plus utilisé – le fait ou élément nouveau – en premier, la commission des lois a supprimé les trois derniers cas d’ouverture. En effet, si ces derniers sont le reflet de l’histoire et peuvent éventuellement, à ce titre, intéresser des étudiants, ils sont tous contenus dans le premier par le renvoi à un fait nouveau. Les magistrats et praticiens que j’ai entendus ont d’ailleurs été unanimes sur ce point.

Concernant les personnes autorisées à présenter un recours en révision, la proposition de loi tend à compléter la liste actuelle en ajoutant le procureur général près la Cour de cassation et les procureurs généraux. En effet, il n’est pas illogique que le parquet puisse déclencher la révision sans avoir à passer par le ministre de la justice. Pour tenir compte de l’évolution de la société, le recours serait élargi à la personne liée à lui par un PACS, à son concubin et à ses petits-enfants.

Par ailleurs, la proposition de loi tend à préciser les pouvoirs d’investigation de la commission d’instruction – nous aurons d’ailleurs à examiner des amendements qui ont été déposés sur ce point – et de la formation de jugement.

Actuellement, la plupart des actes d’investigation effectués lors de la phase d’instruction sont des demandes d’expertises et des auditions de témoins. Un débat existe toutefois sur la possibilité de prendre des mesures telles qu’une garde à vue à l’encontre de tiers soupçonnés d’avoir un lien avec l’affaire. Le texte de la proposition de loi n’est pas suffisamment clair à cet égard.

Il nous a semblé que ce genre d’actes ne relève pas de la compétence de la cour de révision, d’autant que la proposition de loi prévoit la possibilité de demander à un procureur de la République d’ouvrir une information dans les cas où de tels actes sont nécessaires.

Dès lors, la commission a adopté un amendement tendant à préciser que les mesures d’investigation qui peuvent être effectuées par la cour, en particulier par la commission d’instruction, sont toutes celles qui correspondent aux prérogatives du juge d’instruction, à l’exclusion de la mise en examen, de la garde à vue et de l’audition libre. Parallèlement, elle a précisé les conséquences de la saisine du procureur de la République lorsqu’il apparaît qu’un tiers pourrait être impliqué dans la commission des faits : après avoir mené des investigations, celui-ci pourra toujours ouvrir une information judiciaire.

La proposition de loi reprend en outre, en les précisant, les dispositions actuelles relatives à la suspension éventuelle de l’exécution de la condamnation par la commission d’instruction ou la formation de jugement

Pensons au précédent malheureux de l’affaire Leprince : Dany Leprince avait été libéré par la commission de révision, puis réincarcéré lorsque la cour de révision avait rejeté sa demande en révision.

Dès lors, les députés ont souhaité instaurer une possibilité pour le parquet de faire appel de la décision de la commission d’instruction et, symétriquement, une voie de recours pour le condamné. Ce dispositif ne répond pas vraiment à la difficulté posée, dans la mesure où la commission d’instruction pourrait toujours décider de la suspension de la condamnation, alors même qu’il est parallèlement proposé dans le texte de réduire son rôle en matière d’appréciation de la requête.

La commission a donc prévu que toute demande de suspension sera examinée par une tierce instance, la chambre criminelle.

Enfin, le plan de l’article 3 de la proposition de loi nous a semblé manquer de cohérence. C’est la raison pour laquelle la commission en a modifié en profondeur l’architecture, afin de rendre la procédure plus lisible.

Telles sont, mes chers collègues, les mesures proposées par ce texte et les principales modifications que la commission des lois y a apportées. La commission vous proposera également d’adopter quelques amendements supplémentaires de coordination.

Au-delà des conclusions de la commission, la proposition de loi appelle de ma part deux ou trois observations.

Aucun amendement n’a été déposé pour demander la révision des décisions d’acquittement évoquée à l’occasion d’une actualité récente. Toutefois, il ne serait pas convenable de ne pas évoquer l’amendement déposé, lors des débats à l’Assemblée nationale, par M. Georges Fenech, et qui a été rejeté. Pour ma part, je n’y suis pas favorable.

Tout d’abord, le principe non bis in idem veut que l’on ne puisse pas être deux fois poursuivi ou condamné pour les mêmes faits. Ce principe apparaît également dans le protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, qui engage la France. Enfin, une telle possibilité irait à l’encontre du principe de la prescription, dès lors que la demande en révision n’est soumise à aucun délai. Paradoxalement, une personne acquittée pourrait alors être rejugée, à l’inverse d’un criminel non découvert pendant le délai de prescription.

Blackstone, jurisconsulte anglais au XVIIIe siècle, déclarait : « Mieux vaut dix coupables en liberté qu’un innocent en prison ». L’unanimité des personnes entendues partage ce sentiment. Il n’y a pas de société parfaite et les erreurs judiciaires sont toujours possibles. Il fallait toute l’audace de Moro-Giafferi pour déclarer : « Je ne connais comme erreurs judiciaires que les acquittements que j’ai obtenus ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion