Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mes chers collègues, comme toujours, ou comme très souvent, nous pouvons saluer l’apport des propositions de loi dans notre ordre juridique, ainsi que le travail rédactionnel du Sénat et de sa commission des lois. À chaque lecture d’un texte, c’est une amélioration sensible que nous apportons, tant en termes de rédaction que sur le fond.
La proposition de loi en discussion vise à faire œuvre de justice, et même de belle justice, puisqu’il est question de réparer les erreurs judiciaires.
Qu’il soit un professionnel de la justice, un citoyen ou une citoyenne temporairement en charge d’une mission de justice, l’être humain est toujours faillible. Il est soumis à ses préjugés – le comble pour un juge –, à ses passions, à ses faiblesses. Il est manipulable ou manipulateur. Bref, il est humain !
Or la justice est un idéal, et nos lois doivent tendre à la rendre la moins sujette à caution possible. Il faut donc rendre une justice humaine en mettant des garde-fous à l’humain.
La Révolution française s’est faite non seulement sur l’organisation des pouvoirs ou le vote des finances publiques, mais aussi sur l’organisation des lois et de la justice. Depuis toujours, en effet, la société aspire à une justice « parfaite », idéale, qu’elle émane des dieux ou de Dieu, avec les rituels des ordalies, ou des hommes, avec les ordonnances ou les codes.
Pour cela, il ne suffit pas de supprimer la torture, d’établir les droits de la défense, de reconnaître la place des victimes, de supprimer la peine de mort. Les décisions de justice doivent aussi être irréprochables, acceptables et acceptées aussi bien par la société qui juge et condamne que par celui qui est condamné.
En outre, le condamné doit toujours être le coupable. Un seul innocent condamné, et c’est la confiance dans la bonne marche de notre société qui s’effrite ! Chaque crime ou délit doit être résolu. Chaque coupable d’une rupture dans notre pacte sociétal doit être jugé, condamné, amendé et libéré.
L’ultime parapet avant que la justice et, donc, la société ne se retrouvent en faute, c’est de permettre la révision d’une décision de justice.
Comme le rappellent le rapport de M. Alain Tourret pour l’Assemblée nationale et celui de M. Nicolas Alfonsi pour le Sénat, l’antique procédure de révision permettant de s’assurer qu’aucune erreur judiciaire ne perdurait, surtout si des faits nouveaux étaient découverts, n’est pas, n’est plus satisfaisante aujourd'hui, et ce malgré plusieurs réformes, dont les plus récentes remontent déjà à 1989 et 2000.
Il faut en effet que le doute – je ne sais pas s’il doit être petit ou grand – profite même au condamné, même à celui qui a été jugé par les citoyens. C’est là l’apport le plus important de cette proposition de loi : la réaffirmation du fait que douter n’est pas condamner. Douter, c’est réexaminer les faits, donc refaire le procès.
Toutefois, cette proposition de loi va plus loin encore, en facilitant une nouvelle discussion au travers de la conservation des preuves, qui est un élément essentiel lors d’une procédure de révision et de réexamen, tout autant que la mémoire des débats.
Nous possédons depuis longtemps des moyens d’enregistrement fiables, et pour un faible coût, de l’ensemble des débats, mais nous nous étions jusqu’ici abstenus, en tant que législateurs, d’ouvrir largement cette possibilité. Le texte répare, là aussi, un oubli dommageable.
Enfin, il met fin à une absurdité de notre système juridique. Alors que la Convention européenne des droits de l’homme est issue des réflexions de grands juristes dont certains, comme René Cassin, étaient français, nous n’avions pas dans notre code de procédure spécifique de réexamen. C’est maintenant chose faite !
Reste que pour minimiser le risque d’erreurs judiciaires, surtout pour les crimes, l’obligation de motiver les jugements des cours d’assises, telle qu’elle est issue de la loi du 10 août 2011, doit devenir effective et, surtout, efficace. Comme le souligne notre rapporteur, le contenu de la motivation reste succinct et varie d’une juridiction à l’autre, ce qui est totalement contraire à notre État de droit.
Nous comptons donc sur votre vigilance, madame la garde des sceaux, pour rappeler cette nécessité absolue : l’intime conviction n’est pas simplement une intuition, une lubie. Elle repose sur une réflexion, certes collective, mais qui peut être couchée sur le papier. Si la réflexion précède l’écriture, l’écriture approfondit la réflexion.
D’ailleurs, il faut sans doute s’interroger sur la nature des délibérés d’assises face à cette obligation de motivation. Le vote sur la culpabilité doit-il intervenir avant la motivation couchée par écrit ou la motivation, avec ce qu’elle devrait comprendre de résumé des charges et décharges, ne devrait-elle pas constituer les prémisses du jugement ?
Je ne serai hélas plus là pour vous proposer un texte en ce sens ou le voter, et si vous m’autorisez à déborder un peu de mon temps de parole, monsieur le président, je veux profiter de cet instant pour vous dire, ainsi qu’à Mme la ministre et à tous mes collègues, au revoir.