Intervention de Cécile Cukierman

Réunion du 29 avril 2014 à 14h30
Révision des condamnations pénales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Cécile CukiermanCécile Cukierman :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est bon parfois de se souvenir que l’infaillibilité n’est pas dans la nature humaine.

Pour cette raison, il est nécessaire que tout système trouve en lui-même ses propres correctifs. Les procédures de révision et de réexamen des condamnations pénales définitives, qui font l’objet d’une réforme dans la présente proposition de loi, font partie de ces correctifs multiples prévus par notre législation.

Notre système juridique prévoit en effet depuis bien longtemps des procédures destinées à pallier les dysfonctionnements ou les erreurs de la justice. Un encadrement strict de ces procédures nécessaires permet de ne pas porter une atteinte disproportionnée au principe de l’autorité de la chose jugée.

Ce principe du droit donne « force de vérité légale », selon la formule d’Henri Capitant, à une décision de justice devenue définitive par l’épuisement des voies de recours. Comme notre rapporteur l’a souligné, l’autorité de la chose jugée est la condition de l’extinction des litiges, de la paix sociale et de la stabilité de l’ordre juridique. Tout ceci participe de la confiance dans la justice, qui, une fois qu’elle s’est prononcée, ne peut indéfiniment être remise en cause.

Ce principe posé, il ne faut néanmoins pas oublier que cette confiance passe également par la capacité du système judiciaire à rectifier et à réparer une erreur judiciaire ou, plus généralement, un dysfonctionnement. J’emploie ici le terme « erreur » au sens large, si je puis dire, car toute décision dommageable ne procède pas nécessairement d’un manquement ou même d’une faute. Sans qu’il y ait manquement d’un magistrat, des éléments nouveaux ou inconnus au moment de la décision peuvent en effet apparaître et renverser les éléments de preuve initialement retenus.

La législation française, tout comme celles des autres pays européens, n’accepte donc pas, heureusement, qu’une erreur de fait ou de droit – monsieur le président de la commission, je n’ajouterai pas ici d’adjectif qualificatif ! §–, imputable ou non à un juge, soit ignorée au nom de l’autorité de la chose jugée, dès lors qu’elle est de nature à faire douter de la culpabilité du condamné. Preuve que c’est non pas seulement au moment de la décision, mais aussi après, durant l’exécution de cette dernière, que le doute doit profiter à l’accusé.

Aujourd’hui, cependant, le constat du caractère restrictif de la procédure de révision et du problème d’intelligibilité et d’accessibilité des deux procédures a permis de dégager un consensus au sein des professionnels du droit et des élus sur la nécessité d’en modifier les dispositions.

La Cour de cassation, dans ses rapports annuels, appelle de ses vœux une réforme du système actuel. De même, les cinquante personnes auditionnées dans le cadre de la mission d’information menée par nos collègues députés ont indiqué de façon presque unanime qu’il était nécessaire de changer la législation.

Si cette réforme est bienvenue, mes chers collègues, elle doit s’efforcer de respecter l’équilibre entre, d’une part, la nécessité de réparer l’erreur judiciaire, et, d’autre part, l’exigence de ne pas remettre abusivement en cause la chose jugée. En se gardant justement d’ébranler l’autorité de la chose jugée ou de créer un troisième degré de juridiction – c’était un risque –, cette proposition de loi respecte, à mon sens, cet équilibre.

Ainsi, la refonte de l’architecture globale de l’examen des demandes tendant à revenir sur une décision pénale définitive, l’élargissement de la liste des personnes fondées à agir et la clarification des droits des parties ne peuvent être que bénéfiques.

La proposition de loi n’oublie pas de créer les conditions matérielles nécessaires à la recherche de la vérité judiciaire, en réformant la durée de conservation des scellés criminels et en systématisant l’enregistrement sonore des débats en cours d’assises. Nous reconnaissons la pertinence de l’ensemble de ces modifications.

Parce que le sujet n’est pas simple, comme toujours lorsque la loi que nous créons est susceptible d’avoir un impact direct sur les libertés individuelles, la discussion en séance nous permettra certainement d’approfondir plusieurs points.

Un débat intéressant en commission nous a déjà permis de nous accorder sur l’inutilité de qualifier le doute sur la culpabilité de l’accusé créé par le fait nouveau ou l’élément inconnu.

En effet, la commission des lois, sur l’initiative de notre rapporteur, a choisi de revenir sur la notion de « moindre doute » votée à l’Assemblée nationale. Cette notion était destinée à inciter les magistrats à apprécier plus largement le doute. Notre commission a opportunément préféré laisser à ces derniers une liberté d’appréciation, en évitant de le qualifier.

Si je partage l’objectif de plus grande ouverture des recours visé par nos collègues députés, je pense aussi qu’il vaut mieux laisser une certaine liberté d’appréciation aux magistrats quant aux dossiers qui leur sont soumis. Rien ne leur interdira de considérer que tout doute, toute incertitude sur la culpabilité d’un condamné doit pouvoir ouvrir à ce dernier la voie d’un nouveau procès. Dès lors, ce qualificatif semble effectivement inutile.

Nous nous apprêtons à discuter d’un certain nombre d’amendements, dont certains ont pour objet d’ouvrir encore un peu plus les conditions du recours en révision, et nous serons bien entendu attentifs à l’ensemble des arguments qui seront évoqués.

En attendant, en l’état, nous voterons ce texte.

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