Intervention de René Vandierendonck

Réunion du 29 avril 2014 à 14h30
Révision des condamnations pénales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de René VandierendonckRené Vandierendonck :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à six reprises depuis le règne de Louis XIV, le législateur a cherché une voie étroite pour lutter efficacement contre les erreurs judiciaires, tout en évitant de faire de la révision un troisième degré de juridiction.

Il est en effet juste, dans un État de droit, de prévoir une procédure exceptionnelle, permettant de revenir sur l’autorité de la chose jugée, lorsqu’elle a pour but de faire triompher la vérité ou d’assurer les droits fondamentaux.

C’est donc une nouvelle page de l’histoire de la justice qui s’écrit aujourd’hui, d’une justice plus respectueuse de la présomption d’innocence, mais également de l’innocence elle-même, lorsqu’elle est injustement bafouée.

Je souhaite tout d’abord saluer l’initiative de la commission des lois de l’Assemblée nationale de confier, en juillet 2013, pour la première fois au cours de cette législature, à un avocat, le député Alain Tourret, et à un magistrat, le député Georges Fenech, de sensibilités politiques différentes, une mission d’information sur la révision des condamnations pénales.

À partir d’une cinquantaine d’auditions de hauts magistrats de la Cour de cassation, d’avocats, de chercheurs, de juristes, de sociologues, de condamnés réhabilités, de victimes, d’experts scientifiques, ainsi que de nombreuses contributions et de l’expertise des deux corapporteurs, la mission d’information a rédigé en décembre 2013 un important rapport. Celui-ci inspire très directement cette proposition de loi, déposée par Alain Tourret et plusieurs de ses collègues membres du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste de l’Assemblée nationale.

Ces travaux parlementaires, dépassionnés de tous faits divers et dépaysés de tout sectarisme, ont ainsi permis de trouver un consensus sur une réforme législative réclamée par la Cour de cassation elle-même au fil de ses rapports annuels.

Que nous disent les statistiques ? Elles sont éloquentes : sur les 3 358 demandes dont a été saisie la commission de révision, seules 84 ont été adressées à la cour de révision. Quelque 9 condamnations criminelles seulement, et 43 condamnations correctionnelles ont été annulées.

Notre collègue Jean-Jacques Hyest le rappelait, les statistiques du deuxième degré de juridiction créé en matière criminelle par la loi de 2000 indiquent, par comparaison, que de 2003 à 2005 quelque 1 262 personnes ont été jugées en appel d’une condamnation criminelle, dont 64 ont finalement été acquittées. On mesure ainsi l’ampleur de l’angle mort : 9 révisions, contre 64 acquittements en appel en trois ans, en matière criminelle !

Notre commission des lois a, pour l’essentiel, approuvé la réforme législative que nous examinons aujourd’hui en séance publique et qui tend à réformer la procédure de révision afin d’améliorer les chances d’aboutir de ces requêtes, lorsqu’elles sont justifiées.

Je voudrais, après le président de la commission des lois, relever l’importance de la création de cette nouvelle juridiction unique de révision et de réexamen, dont la composition est déterminée par la loi, ainsi que le souhaitait la CEDH, de la clarification des attributions de la commission d’instruction et de celles de la cour de révision et de réexamen, ainsi que des dispositions offrant une définition plus précise du droit des parties dans la procédure.

Au nom du groupe socialiste, je tiens également à saluer l’important travail de cohérence rédactionnelle réalisé par notre rapporteur, notamment à l’article 3 de la proposition de loi, proposant une meilleure lecture du texte. Il a permis de bien distinguer successivement les demandes en révision ; la composition de la cour de révision et de réexamen ; la procédure, avec pour la première fois, à la suite d’un amendement du rapporteur, la généralisation de l’assistance à l’audience par un avocat ; la décision de la cour de révision et de réexamen ; les demandes de suspension ; les demandes d’actes préalables ; enfin, les modalités de réparation à raison d’une condamnation.

Nous arrivons maintenant à ce moment de bravoure qu’est la question de l’appréciation du doute.

Madame la garde des sceaux, j’ai suivi la même démarche que vous : je me suis penché sur le compte rendu des travaux en séance de l’Assemblée nationale. Un passage est particulièrement intéressant, qui date du 27 février dernier. Le député Tourret pose la question suivante : « Quel doute pour quel fait nouveau ? Quelle notion retenir, celle de doute raisonnable, de doute sérieux ? ». Lors de la réforme de 1989, notre regretté collègue Michel Dreyfus-Schmidt – il le cite lui aussi – avait, à juste titre, déposé un amendement, adopté par le Sénat, visant à supprimer l’adjectif « sérieux » dans la qualification du doute.

En février dernier, nos collègues députés n’ont pas souhaité supprimer la qualification du doute. Je cite à nouveau le rapporteur Tourret : « Nous n’avons pu que constater que la jurisprudence, ne tenant pas compte de la volonté du législateur, s’appliquait toujours à imposer un doute sérieux, quand elle ne demandait pas à la personne jugée de dire qui était le véritable coupable. Comment s’étonner, dès lors, qu’il n’y ait pas de révision ? Nous avons choisi la notion du moindre doute. »

Je ne partage pas cette analyse et je continue à considérer, avec M. le rapporteur et la majorité des membres de la commission des lois, qu’il est inopportun de qualifier le doute. Je pense que nos travaux en séance publique seront suffisamment clairs en la matière, et nous pourrons donc nous en remettre avec confiance à la Cour de cassation.

À cet égard, la clarification proposée des attributions de la commission d’instruction évite les doublons et l’autocensure quant à la qualification du doute ; c’est un point important. Mme Anzani, ancienne présidente de la Commission de révision des condamnations pénales, la future commission d’instruction, en atteste. À ce stade, on constate une autocensure des magistrats, de peur de voir les mêmes faits qualifiés différemment par la Cour de révision. La procédure proposée par la commission des lois est donc susceptible de réduire les discussions sur la nature du doute.

Pour terminer, mes chers collègues, permettez-moi d’insister rapidement sur deux points.

Tout d’abord, je veux souligner que mon collègue Jean-Pierre Michel, retenu aujourd'hui dans son département, est satisfait de voir que la question des scellés est traitée ici, même si elle ne concerne que les scellés criminels. Le 1er août 2013, celui-ci avait d’ailleurs déposé une proposition de loi sur ce sujet. Lors de la discussion des amendements, nous essaierons d’avancer encore en la matière.

Si l’appel d’un arrêt de la cour d’assises a constitué un progrès colossal, la généralisation des enregistrements sonores des débats d’une cour d’assises qui nous est proposée, suivant en cela les préconisations des députés – vous avez bien fait de laisser les parties concernées décider du recours à l’enregistrement audiovisuel – marque, elle aussi, un progrès indéniable. L’air de rien, cette mesure sera également de nature à favoriser un réexamen en cas de doute.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste – vous attendez tous, mes chers collègues, de connaître notre position, avec une angoisse à peine dissimulée ! §…

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