Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 29 avril 2014 à 14h30
Révision des condamnations pénales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la justice humaine est imparfaite ; elle se trompe. Et comme elle est humaine, elle a infiniment de mal à reconnaître ses erreurs. Pourtant, quoi de plus insupportable qu’un innocent condamné ?

L’erreur judiciaire au pénal est une tragédie pour tous les acteurs de la procédure : celui qui en est victime et ses proches, bien sûr, mais aussi les juges, les enquêteurs et les avocats.

Ce sont des innocents détenus, parfois pendant des années, pour des faits qui leur sont étrangers. D’ailleurs, l’actualité assez récente nous en a donné des exemples particulièrement frappants.

Ce sont des proches détruits par une procédure judiciaire lourde, aux reflets parfois kafkaïens : des formalités interminables pour obtenir un permis de visite, des parloirs difficiles d’accès et parfois interdits aux familles... Chaque fois, la justice se trouve éclaboussée et remise en cause dans son professionnalisme, sa vérité ; la vie d’un innocent, ainsi que celle de sa famille, est irrémédiablement blessée.

Face à ce qui est toujours une tragédie, la procédure de révision constitue le cinquième et dernier acte – l’acte final qui doit permettre de trancher ce nœud gordien.

En matière de révision, les garanties de l’individu n’ont cessé d’avancer par à-coups, au gré des scandales judiciaires qui ont secoué et embrasé l’opinion. Par exemple, l’affaire dite « du courrier de Lyon » a entraîné la loi de 1867, qui a instauré la révision après décès et la révision sans renvoi.

Sous la IIIe République, les affaires Borras et Vaux, contemporaines de l’affaire Dreyfus, furent à l’origine de la loi du 8 juin 1895, qui permit la révision pour fait nouveau et offrit la possibilité au condamné innocenté de demander réparation à l’État.

Plus proche de nous, l’affaire Seznec a donné lieu à la réforme de 1989, qui a élargi l’ouverture au « doute sur la culpabilité du condamné » à la suite d’une extraordinaire campagne de presse. Pourtant, depuis cette dernière réforme majeure, il est significatif de constater – certains de mes collègues l’ont rappelé – que seules neuf condamnations criminelles ont été révisées.

À cet égard, les chiffres sont éloquents. Permettez-moi de vous les rappeler. Chaque année, environ 150 condamnés saisissent la cour de révision. En vingt ans, près de 3 000 condamnés ont ainsi demandé l’annulation de leur condamnation. Parmi eux, la commission a estimé que seuls 75 dossiers transmis à la Cour de révision répondaient aux critères.

Au final, la Cour de révision a annulé 45 condamnations, y compris celles qui sont délictuelles, soit 1, 5 % des demandes, ce qui peut d'ailleurs se concevoir, comme l’ont souligné certains de mes collègues. Parmi elles, huit seulement concernaient des affaires criminelles ; trois condamnations ont été annulées et les personnes concernées sont actuellement en attente de procès. Dans le même temps, la demande de certains condamnés a été rejetée par la Cour de révision ; je ne reviendrai pas sur certaines affaires célèbres.

À n’en pas douter, il s’agit d’un signe du bon fonctionnement de notre système judiciaire, qui repose, à la différence des systèmes judiciaires anglo-saxons, sur la procédure inquisitoire. Enquête au préalable approfondie, recherche exhaustive de la vérité, prise en compte scientifique des éléments collectés, communication de tout le dossier à la défense, preuve libre, intime conviction encadrée, second degré de juridiction : la procédure inquisitoire paraît, en effet, mieux protéger les innocents que ne le fait la procédure accusatoire, chère aux Anglo-Saxons.

Toutefois, il s’agit également d’un signal quant à la nécessité d’améliorer la procédure de révision, son accès, son organisation, ses moyens d’information, afin de nous prémunir, autant que faire se peut, contre toutes les erreurs judiciaires. Récemment, l’affaire Nelly Haderer a ému le grand public. Des traces d’ADN du principal suspect, définitivement acquitté en 2008, au cours d’un troisième procès, ont été identifiées, avec les conséquences que l’on peut imaginer.

Ce n’est pourtant pas la réaction immédiate, forcément émotionnelle et parfois irréfléchie, qui doit guider la réflexion sur la procédure de révision. Cette dernière doit être particulièrement encadrée, au nom de la sécurité juridique, et rester une voie d’exception.

Le législateur que nous sommes doit parfois faire le choix de la sagesse et de la mesure, au risque d’être, dans un premier temps, incompris, en dépit du mouvement naturel qui nous pousse à nous révolter contre les injustices.

Aujourd’hui, parce que, comme l’écrivait François Mauriac, « la civilisation d’un peuple se mesure à sa justice », je souhaite saluer l’initiative du député radical de gauche Alain Tourret et de ses collègues du groupe RRDP, c'est-à-dire radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que du député Georges Fenech, une initiative qui est le fruit d’un long travail minutieux et qui a permis de dégager les enjeux de la réforme de notre procédure de révision.

Il est remarquable de noter, en ces temps particuliers où l’opinion du plus grand nombre fait la loi, où les faits divers sont sans cesse érigés en exemples de l’insuffisance de la loi pénale, que cette proposition de loi est non pas une loi de circonstance, mais un texte issu de la réflexion du législateur et de la concertation des divers acteurs de la justice. De nombreuses auditions ont été organisées et un travail important de réflexion a été engagé.

À cet égard, permettez-moi de saluer le travail de notre collègue Nicolas Alfonsi, qui représente, je tiens à le lui dire aujourd'hui, la quintessence de l’intelligence parlementaire.

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