Intervention de Ségolène Neuville

Réunion du 28 avril 2014 à 16h00
Accessibilité pour les personnes handicapées — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Ségolène Neuville :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà dix ans, le 1er mars 2004, le projet de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées était adoptée en première lecture par le Sénat. Certains d’entre vous ont pris part à ces débats et s’en souviennent. Le rapporteur était M. Paul Blanc.

Le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire a été adopté près d’un an plus tard, le 3 février 2005. Cette loi a imposé que les établissements publics et privés recevant du public soient accessibles à tous avant le 1er janvier 2015, et que les transports collectifs soient accessibles à tous avant le 13 février de la même année. Où en est-on aujourd’hui, à quelques mois de l’échéance ?

Celle qui connaît le mieux la réponse à cette question, pour l’avoir beaucoup travaillée depuis deux ans, est Claire-Lise Campion, rapporteur du projet de loi d’habilitation que je vous présente aujourd’hui.

Madame la rapporteur, je souhaite avant tout vous remercier et vous féliciter pour tout le travail que vous avez accompli. Vous avez fait preuve d’une constance et d’une ténacité exceptionnelles.

Dans votre rapport du mois de juillet 2012, rédigé avec votre collègue Isabelle Debré, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, vous aviez déjà conclu que la généralisation de l’accessibilité du cadre bâti, des transports et de la voirie ne pourrait être effective en 2015.

En septembre 2012, un travail conjoint du Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et du Contrôle général économique et financier, le CGEF, a été publié. Il a abouti au même constat : on déplore des difficultés et des retards dans la mise en œuvre des obligations fixées par la loi de 2005.

En octobre 2012, vous avez été chargée par le Premier ministre d’évaluer l’accessibilité en France, et de rechercher les solutions concrètes permettant à notre pays de mettre en œuvre les objectifs de la loi précitée.

Je souhaite en cet instant, mesdames, messieurs les sénateurs, vous livrer quelques chiffres extraits du rapport de votre collègue intitulé Réussir 2015.

En France, 86 % des communes ont installé leur commission communale d’accessibilité, mais seulement 13 % d’entre elles ont adopté leur plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Il existe 298 000 établissements communaux recevant du public. Un diagnostic d’accessibilité a été réalisé pour 56 % d’entre eux.

Le nombre total d’établissements recevant du public, qu’ils soient publics ou privés, est difficile à estimer. On l’évalue à 2 millions. Parmi ces établissements, 330 000 ont déjà fait l’objet de travaux d’ensemble ou partiels.

Par ailleurs, 80 % des quelque 34 millions de logements existants sont dotés d’un ascenseur ou situés en rez-de-chaussée, mais cette estimation est contestée.

Pour ce qui concerne les transports publics urbains, 90 % des autobus ont un plancher bas, 69 % sont équipés d’une palette rétractable, 65 % disposent d’un système d’annonce sonore des arrêts et 72 % d’un système d’annonce visuelle des arrêts. Les chiffres en la matière ne sont malheureusement pas disponibles pour les transports interurbains.

Quant aux transports publics ferroviaires, sur les 3 000 gares existantes, seules 172, dites « de référence », sont sous l’entière responsabilité de la SNCF. Parmi celles-ci, 50 sont entièrement accessibles, et les 122 autres le seront en 2015.

Ces quelques chiffres, qui peuvent sembler fastidieux, révèlent deux choses. D’une part, ces données sont parcellaires et très incomplètes : nous ne disposons en France d’aucun système exhaustif pour connaître l’état des lieux exact de l’accessibilité. D’autre part, étant donné le retard pris, il est totalement utopique d’imaginer que tous les établissements recevant du public, tous les systèmes de transport public, toutes les voiries seront en conformité avec la loi de 2005 d’ici à quelques mois.

Face à ce constat, et conformément aux recommandations formulées par Claire-Lise Campion dans son rapport, le comité interministériel du handicap du 25 septembre 2013 a décidé d’engager des travaux de concertation, afin de faire évoluer le cadre juridique de manière consensuelle, avec le pragmatisme pour objectif.

Les premières concertations ont porté sur la mise en œuvre des agendas d’accessibilité programmée, ou Ad’AP, proposition phare du rapport Réussir 2015. Ces agendas permettront aux acteurs, publics et privés, de s’engager sur un calendrier précis et chiffré de travaux d’accessibilité, rendant ainsi concrète et réelle l’accessibilité pour tous visée par la loi de 2005. C’est l’objet principal du projet de loi d’habilitation qui vous est aujourd'hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs.

En parallèle, d’autres réunions de concertation concernant les normes d’accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports publics ont eu lieu, afin d’adapter ces normes à l’évolution des techniques, de les simplifier pour les rendre plus efficaces en tenant compte des contraintes, et de les compléter de manière à mieux prendre en compte l’ensemble des formes de handicap. En effet, l’accessibilité concerne non seulement le handicap moteur, mais aussi les handicaps mental, visuel, auditif, psychique.

Au total, cent quarante heures de concertation inédite ont mobilisé l’ensemble des parties prenantes : les associations de personnes handicapées, les associations d’élus et les collectivités locales, les fédérations professionnelles des secteurs économiques concernés et les professionnels de l’accessibilité.

L’objet du présent texte est de permettre la mise en œuvre par voie d’ordonnances des décisions prises par le Gouvernement, à partir des préconisations issues de la concertation, du moins pour celles qui nécessitent des mesures de nature législative.

L’article 1er du projet de loi rassemble les dispositions devant être prises afin de prolonger au-delà de 2015 le délai permettant d’effectuer les travaux de mise en accessibilité des établissements recevant du public et des installations ouvertes au public. Il vise la mise en place d’un nouvel outil, l’agenda d’accessibilité programmée, et d’un dispositif de suivi et de sanctions, puisque la loi de 2005 n’avait pas prévu la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui.

L’agenda d’accessibilité programmée est un document de programmation financière des travaux d’accessibilité qui permettra à ceux qui ne sont pas en conformité avec la loi précitée de s’engager sur un calendrier précis. Il s’agit, pour le Gouvernement, de créer une dynamique d’accessibilité et de garantir son prolongement au-delà du 1er janvier 2015.

En effet, si nous ne faisions rien, qu’adviendrait-il à cette date ? Pour l’immense majorité des établissements non accessibles, il ne se passerait rien, si ce n’est la menace d’une plainte d’un usager. La réforme qui vous est aujourd’hui proposée va permettre de rappeler à tous les obligations existantes en termes d’accessibilité. Chacun aura alors le choix : ne rien faire et risquer les sanctions définies par la loi de 2005 en cas de plainte, ou s’engager dans un programme financier et technique très précis, l’agenda d’accessibilité programmée.

Ces agendas s’adressent aux maîtres d’ouvrage et aux exploitants d’établissements recevant du public, ou ERP, quelle que soit leur catégorie. Encore une fois, les mesures de la loi de 2005 demeurent : le non-respect de l’échéance du 1er janvier 2015 reste passible de sanction pénale. Les agendas d’accessibilité programmée sont un dispositif d’exception permettant de poursuivre des travaux d’accessibilité en toute sécurité juridique après le 1er janvier 2015. L’ordonnance définira le contenu de l’agenda d’accessibilité programmée, les procédures applicables pour son dépôt et sa validation par l’autorité administrative, et les modalités de suspension ou de prolongation éventuelles.

Un suivi de l’avancement des travaux prévus associé à la transmission de bilans sera également instauré par l’ordonnance. Il pourra conduire à des sanctions en cas de non-respect des engagements pris par le signataire de l’agenda. Ce dispositif de contrôle constituera la contrepartie de la souplesse nouvelle conférée au calendrier. Il ne faut pas l’oublier, l’une des raisons de la non-application de la loi de 2005 réside dans l’absence de dispositif de contrôle pendant dix ans.

L’article 2 du projet de loi habilite le Gouvernement à modifier les exigences relatives à l’accessibilité des services de transport public de voyageurs et des gares, et à créer un agenda pour les transports, le schéma directeur d’accessibilité - agenda d’accessibilité programmée.

L’article 3 habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances les dispositions relatives à l’outre-mer, ainsi que diverses mesures relevant du domaine de la loi.

Ainsi, il est prévu d’exempter les communes de très petite taille de l’obligation d’élaborer le plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics. Le seuil en deçà duquel l’élaboration de ce plan sera facultative sera fixé par ordonnance. Pour les petites communes dépassant ce seuil mais dont la population est inférieure à une limite fixée également par l’ordonnance, l’article 3 prévoit une simplification du plan de mise en accessibilité.

Par ailleurs, ce même article tend à autoriser plus largement l’accès des chiens guides d’aveugle et des chiens d’assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics.

Enfin, il sollicite l’habilitation du Parlement pour permettre au Gouvernement de créer par ordonnance un fonds dédié à l’accompagnement de l’accessibilité universelle, dont les ressources proviendront des sanctions financières prononcées du fait du non-respect des agendas d’accessibilité programmée et des schémas directeurs d’accessibilité.

Le choix de recourir aux ordonnances a pu surprendre, ainsi que je viens encore de l’entendre, tant le sujet du handicap et de l’accessibilité nous concerne tous, et en premier lieu la représentation nationale. Mais il y a urgence à agir pour mettre en place les agendas d’accessibilité programmée si nous voulons parvenir dès 2015 à de réelles avancées concrètes dans le domaine de l’accessibilité pour tous. Notre objectif est non pas de nous accorder plus de temps, mais bien de nous donner les moyens d’appliquer une loi qui, jusqu’à ce jour, ne l’était pas, ou l’était insuffisamment.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de la présentation du présent projet de loi d’habilitation, je suis aujourd’hui venue vous parler de l’ensemble de la réforme de l’accessibilité. Alors que, jusqu’à présent, l’absence d’accompagnement efficace des acteurs publics et privés expliquait en partie la difficulté à parvenir au rendez-vous de 2015, le Gouvernement s’engage à garantir le succès de cette réforme. Ainsi, je signerai très prochainement une convention avec la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d’investissement, ou Bpifrance, afin de faciliter dès cette année l’accompagnement financier des collectivités locales et des entreprises dans leurs travaux d’accessibilité.

J’engagerai d’ici à l’été une vaste campagne de communication, pour expliquer le nouveau dispositif et sensibiliser à l’accessibilité universelle. Cette campagne sera relayée sur le terrain par 1 000 volontaires en service civique, qui seront de véritables ambassadeurs de l’accessibilité.

Par ailleurs, la réforme comporte également un réajustement des normes qui va permettre à des milliers d’établissements de réaliser des travaux qu’ils avaient jusqu’à présent jugés irréalisables. Ce réajustement, fruit de la discussion entre tous les acteurs concernés, est équilibré entre les attentes et les contraintes des uns et des autres. L’ensemble des propositions issues de la concertation présidée par Claire-Lise Campion ont été retenues par le Gouvernement.

Ainsi, la réglementation sera simplifiée pour la rendre plus efficace. Par exemple, les solutions techniques alternatives aux normes réglementaires seront autorisées dès lors que démonstration aura été faite que les solutions équivalentes proposées offrent le même niveau de service. Cette accessibilité pragmatique permettra aux collectivités locales, comme aux acteurs privés, de définir plus facilement leur stratégie d’accessibilité. Dans les commerces, en dernier ressort, l’installation d’une rampe amovible sera autorisée. Hôtels et restaurants verront aussi leurs normes plus adaptées à leur activité.

Parallèlement, l’ensemble des formes de handicap seront mieux prises en compte. La formation des personnels chargés de l’accueil et de la sécurité à l’accueil de clients et usagers handicapés, quel que soit le type de handicap, sera généralisée. À l’instar du registre de sécurité, un registre d’accessibilité devra être renseigné par tous les établissements recevant du public, de manière à préciser les modalités d’accès aux prestations des personnes handicapées, tous handicaps confondus.

D’autres mesures de simplification et d’amélioration des normes sont prévues. Elles seront très rapidement traduites par le biais de textes réglementaires, afin d’être mises en œuvre dès cette année, en même temps que les agendas d’accessibilité programmée.

Enfin, la réforme de l’accessibilité vise aussi une partie des mesures prises par le comité interministériel du handicap du mois de septembre dernier, et qui ne font pas partie de ce projet de loi.

Par exemple, afin que le téléphone, outil incontournable de la vie quotidienne, ne constitue plus un obstacle pour les personnes sourdes ou malentendantes et les personnes handicapées de la parole, je supervise actuellement une expérimentation nationale de relais téléphonique.

Pour faciliter la circulation des chiens guides dans les lieux publics et améliorer leur formation, nous renforçons la labellisation des centres d’éducation des chiens guides et d’assistance.

Je travaille également, avec le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, à l’amélioration de l’accessibilité des campagnes électorales et des opérations de vote.

Tous les membres du Gouvernement œuvrent aussi à faciliter l’accès à l’information publique et gouvernementale, en promouvant le français facile à lire et à comprendre par tous, car, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le discours politique est parfois un peu ardu.

L’accessibilité des sites internet, publics et privés, du cinéma, du livre, des festivals, de l’information des consommateurs est également à mon programme.

En réalité, les progrès d’une société se mesurent, entre autres, à sa capacité à se rendre accessible à tous sans distinction. Notre mission collective consiste donc à supprimer ou à réduire autant que possible les situations de handicap que peuvent rencontrer quotidiennement plusieurs millions de nos concitoyens. L’autonomie, la participation et la citoyenneté sont en jeu. L’accès à l’école, à la formation, à l’emploi, aux soins, à la culture, aux services publics, à la consommation, au logement, à la vie démocratique en dépend.

La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : dans quelle société voulons-nous vivre ? Si nous souhaitons une société plus juste et plus solidaire, alors nous devons agir maintenant, pour permettre enfin l’application généralisée de la loi de 2005.

Il n’est plus question de regarder vers le passé, de regretter ce qui n’a pas été fait, ou d’énumérer ce qui aurait pu être fait. Je vous propose de regarder vers l’avenir et de considérer l’accessibilité non plus comme une charge supplémentaire, mais bel et bien comme un investissement d’avenir.

Dans notre pays, on estime à 12 millions le nombre de personnes dont le quotidien pourrait être amélioré par l’accessibilité universelle. Dans le monde, des centaines de millions de personnes voyagent et choisissent leur destination en fonction de l’accessibilité des lieux publics et touristiques, des hôtels, des restaurants, des commerces. Afin de développer son attractivité, il est temps que la France ajoute à ses nombreux atouts l’accessibilité pour tous.

Pour aboutir à ce résultat, il nous faut enclencher une véritable réforme de société. C’est l’objectif que nous poursuivons aujourd’hui. Mesdames, messieurs les sénateurs, je compte sur vous !

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