Intervention de Claire-Lise Campion

Réunion du 28 avril 2014 à 16h00
Accessibilité pour les personnes handicapées — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Claire-Lise CampionClaire-Lise Campion, rapporteur :

Des efforts incontestables, qui doivent être salués, ont été déployés par les acteurs concernés pour faire avancer l’accessibilité. Les progrès sont tangibles en matière tant de logements neufs, d’établissements recevant du public, les ERP, que de transports.

Pour autant, le 1er janvier 2015, la France ne sera pas au rendez-vous.

Ce constat lucide, Isabelle Debré et moi-même l’avions posé dès juillet 2012 à l’occasion de la remise de notre rapport d’information sur l’application de la loi de 2005 à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Quelques mois plus tard, une mission conjointe de trois inspections parvenait à la même conclusion.

Plusieurs raisons expliquent notre retard : un délai de parution des décrets plus long que prévu, un impact financier des travaux à mener mal évalué, voire non évalué, une mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation de l’ensemble des travaux, une réglementation trop complexe et un défaut de portage politique. Car après la promulgation de la loi et en dehors des deux conférences nationales du handicap, l’impulsion politique, insuffisante, n’a pas permis de mobiliser les acteurs de terrain, ni d’assurer une appropriation suffisante des enjeux de l’accessibilité.

Cette volonté de suivi et d’accompagnement est désormais au rendez-vous. La nécessité de poursuivre l’adaptation de notre société, en vue de la rendre plus inclusive, a en effet amené le Gouvernement à faire de l’accessibilité l’une de ses priorités. Le risque, à quelques mois des échéances, était de revenir sur la loi de 2005. Plusieurs initiatives passées l’ont malheureusement démontré, la tentation peut être grande de revenir sur les acquis de ce texte. Or le Gouvernement n’a pas fait ce choix.

Dès octobre 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault m’a confié une mission afin de faire le point sur l’état d’avancement de ce dossier et de rechercher, en concertation avec l’ensemble des acteurs, ainsi que vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, les solutions permettant à notre pays de répondre le mieux possible aux attentes légitimes suscitées par la loi de 2005. Je lui ai remis le 1er mars 2013 mon rapport intitulé « Réussir 2015 ». Parmi les quarante propositions qu’il contient, deux mesures se distinguent plus particulièrement : la mise en place des agendas d’accessibilité programmée – Ad’AP –, documents d’engagement et de programmation décidés par les maîtres d’ouvrage, et l’ajustement, dans la concertation, des normes d’accessibilité qui se révèlent peu opérationnelles.

C’est sur la base de ce rapport que le Premier ministre a décidé, lors du comité interministériel du handicap réuni, pour la première fois, le 25 septembre 2013, d’ouvrir, dès le mois suivant, deux chantiers de concertation, afin de faire évoluer de manière consensuelle le cadre juridique de l’accessibilité : un premier sur la mise en place, par voie d’ordonnance, du nouvel outil Ad’AP, afin de poursuivre la dynamique engagée par la loi de 2005 ; un second sur les normes d’accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports pour les adapter à l’évolution des techniques, aux besoins des personnes handicapées et aux contraintes des opérateurs.

À la demande du Premier ministre, j’ai assuré la présidence de cette concertation, qui s’est déroulée d’octobre 2013 à février 2014, en collaboration avec Mme la déléguée ministérielle à l’accessibilité.

Permettez-moi, mes chers collègues, de m’arrêter quelques instants sur ce processus inédit, qui constitue le point de départ du projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis.

Cette concertation, qualifiée par tous de « moment historique », a été l’occasion, pour la première fois et à une telle échelle, de réunir autour d’une même table l’ensemble des parties prenantes au dossier de l’accessibilité : les associations de personnes handicapées, les représentants du commerce, de l’hôtellerie-restauration et des professions libérales, les responsables du secteur des transports, les associations d’élus locaux, les maîtres d’œuvre et d’ouvrage, les techniciens et les experts.

Au cours des cent quarante heures de réunion, j’ai pu mesurer et apprécier le respect qui a prévalu dans les discussions, l’esprit constructif et la très grande assiduité qui ont animé la centaine de participants. Ces échanges nourris ont permis – c’est là sans doute la plus grande avancée ! – à tous les acteurs de prendre conscience des attentes, des difficultés et de la réalité vécues par les uns et par les autres, tout en gardant à l’esprit la nécessité de trouver, ensemble, les moyens de faire progresser l’accessibilité.

Menée à son terme, cette concertation est parvenue à deux grandes séries de mesures.

La première grande série de mesures est l’élaboration d’un cadre national aux Ad’AP, qui deviennent un véritable instrument de politique publique.

De quoi s’agit-il ?

L’Ad’AP est un document de programmation et de financement des travaux d’accessibilité, structuré en une ou plusieurs périodes opérationnelles, qui permettra aux acteurs n’étant pas en conformité avec les règles d’accessibilité posées par la loi de 2005 de s’engager sur un calendrier précis et resserré.

C’est un acte d’engagement volontaire qui ne se substitue pas à la loi de 2005, mais la complète. Il s’adresse aux maîtres d’ouvrage et aux exploitants des ERP publics et privés, quelle que soit leur catégorie, ainsi qu’aux autorités organisatrices de transport de voyageurs.

Cet outil, cohérent et opérationnel, est le fruit d’un véritable équilibre entre les attentes légitimes des uns et les difficultés à agir des autres. Il n’est en effet pas imaginable de retrouver, dans quelques années, la même situation que celle que nous connaissons aujourd’hui : il faut donc que l’Ad’AP soit attractif et crédible aux yeux de chacun.

Attractif et crédible, l’Ad’AP l’est, tout d’abord, pour les associations de personnes handicapées en ce qu’il garantit que les objectifs de mise en accessibilité seront tenus.

Les dossiers d’engagement à entrer dans une procédure d’Ad’AP devront être déposés avant le 31 décembre 2014, puis validés par le préfet. L’engagement dans un Ad’AP est irréversible : un dossier validé devra être mené à son terme. En l’absence d’Ad’AP, le non-respect de l’échéance du 1er janvier 2015 sera, sauf dérogation validée, toujours passible des sanctions pénales prévues par la loi de 2005. Il n’y aura pas d’« année blanche » : la programmation des travaux sera échelonnée sur une, deux ou trois périodes et, dès la première année, l’amélioration de l’accessibilité devra être constatée. Des points de contrôle régulier jalonneront toute la procédure, à la fin de la première année, puis au terme de chaque période. Des sanctions financières graduées seront appliquées en cas de non-respect des engagements pris dans le cadre de l’agenda. Dans le domaine des transports, des obligations assorties de sanctions seront fixées en termes de formation des personnels, d’information des usagers et d’accessibilité du parc de matériel roulant routier.

Attractif et crédible, l’Ad’AP l’est, ensuite, pour les gestionnaires d’ERP et de services de transport en ce qu’il constitue une solution adaptée et réaliste pour se mettre en conformité avec la loi de 2005.

Ainsi, l’élaboration d’un Ad’AP permettra de ne pas s’exposer aux sanctions pénales instaurées par la loi de 2005 et de poursuivre au-delà du 1er janvier 2015 les travaux de mise en accessibilité. La procédure d’Ad’AP sera simplifiée pour les ERP de cinquième catégorie, qui constituent la grande majorité des établissements recevant du public. Les dossiers d’Ad’AP pourront être déposés dans un délai d’un an suivant la publication de l’ordonnance, à condition que l’engagement ait été pris avant le 31 décembre 2014. L’obligation d’accessibilité des points d’arrêt et des gares fera l’objet d’une priorisation. Le droit au transport des enfants handicapés scolarisés est réaffirmé autour du projet personnalisé de scolarisation, le PPS.

Au final, c’est bien une démarche d’équilibre, de pragmatisme et de confiance raisonnée, ainsi que je le recommandais dans mon rapport intitulé « Réussir 2015 », qui a prévalu. Non seulement nous n’abandonnons pas l’échéance du 1er janvier 2015, mais nous nous donnons les moyens de poursuivre la dynamique au-delà de cette date.

La seconde série de mesures concerne l’évolution des normes d’accessibilité.

Tout en maintenant l’important corpus juridique issu de la loi de 2005, l’objectif de cet autre volet de la concertation était d’adapter les dispositions techniques et réglementaires, afin de les rendre plus lisibles et plus efficientes. Certaines d’entre elles sont en effet trop souvent perçues comme un frein au progrès et à l’innovation. De même, on a trop tendance aujourd’hui à privilégier le respect strict de la norme plutôt que la qualité d’usage.

Un autre impératif était de mieux prendre en compte toutes les formes de handicap, conformément à l’objectif d’accessibilité universelle.

Là aussi, grâce à une écoute réciproque et à une ferme volonté de trouver des solutions partagées, de nombreuses recommandations ont vu le jour. Parmi celles-ci, je citerai : l’assouplissement de certaines normes pour le cadre bâti ; la simplification et la clarification des exigences dans les secteurs du commerce, de l’hôtellerie et de la restauration ; l’amélioration de la sécurité des déplacements et du repérage dans l’espace ; la généralisation de la formation des personnels d’accueil ; l’obligation d’information des usagers des ERP avec la création d’un registre d’accessibilité tel que vous l’avez décrit, madame la secrétaire d’État ; le développement du sous-titrage dans les lieux publics.

C’est sur la base des deux rapports de conclusion de la concertation que le Premier ministre a confirmé, le 26 février dernier, que les mesures relevant du domaine législatif, comme la création des Ad’AP, feront l’objet d’un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnance, et que les autres mesures, notamment celles qui sont issues du chantier « environnement normatif », seront mises en œuvre par voie réglementaire dans le même calendrier resserré.

Comme vous tous, mes chers collègues, je suis toujours réservée lorsqu’un gouvernement, quel qu’il soit, décide de recourir à la procédure prévue à l’article 38 de la Constitution pour accélérer la mise en œuvre de sa politique. §

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