Intervention de Robert Tropeano

Réunion du 28 avril 2014 à 16h00
Accessibilité pour les personnes handicapées — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Robert TropeanoRobert Tropeano :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la qualité d’une société s’apprécie notamment au regard de sa capacité à accueillir les différences et à permettre à toute personne handicapée d’être un acteur de la vie sociale, culturelle, professionnelle et sportive.

De ce point de vue, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a marqué un progrès considérable et suscité beaucoup d’espoir pour les personnes handicapées et leur famille. Cette loi concernait tous les aspects de la vie des personnes en situation de handicap et visait à assurer l’égalité entre les personnes valides et les personnes non valides.

Pourtant, encore aujourd’hui, un quart des réclamations liées aux discriminations dont est saisi le Défenseur des droits concerne le handicap.

La loi de 2005 imposait notamment la mise en accessibilité des établissements recevant du public, les ERP, et des transports publics pour 2015. Ce délai de dix ans était particulièrement ambitieux, mais malheureusement assez peu réalisable. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer, comme l’a parfaitement rappelé Claire-Lise Campion dans son rapport Réussir 2015 : mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation des travaux, complexité des règles, délai de parution des décrets trop long et coût des travaux non évalué.

Lors de l’examen du texte, en 2004, le groupe RDSE avait d’ailleurs relevé qu’il suscitait beaucoup de questions, faisait planer quelques menaces et manquait cruellement des moyens de son ambition en termes de financement.

Force est de constater que, neuf ans après, les craintes exprimées alors se sont révélées exactes : le bilan sur l’avancement du chantier est plutôt mitigé. En effet, à peine plus de la moitié des écoles et seulement 42 % des réseaux de bus sont accessibles aux personnes en situation de handicap.

Cependant, la situation est surtout préoccupante au niveau des commerces de proximité et des cabinets médicaux et paramédicaux. Malgré des actions de sensibilisation, les commerces de proximité se mobilisent peu pour proposer des services accessibles. Dans son cinquième baromètre de l’accessibilité, l’Association des paralysés de France déplore ainsi que le système de santé français, l’un des meilleurs au monde, soit toujours inaccessible aux personnes en situation de handicap. Il peut paraître en effet choquant que le libre choix du médecin traitant, de l’ophtalmologiste, du gynécologue ou du dentiste n’existe pas pour ces personnes. Le choix s’effectue en fonction du degré d’accessibilité du cabinet et non en fonction des compétences du professionnel.

Depuis quelques années, nous savons bien que l’échéance de 2015 ne sera pas tenue. En 2011, un rapport de trois inspections générales alertait déjà sur les retards pris par l’ensemble des acteurs, et le Gouvernement l’a reconnu en septembre dernier.

Toutefois, la loi de 2005 a conduit au développement d’une meilleure accessibilité et d’une qualité d’usage toujours plus grande. Des structures adaptées aux personnes handicapées se développent et s’enrichissent au fil du temps. Des efforts incontestables ont été déployés par les acteurs concernés pour faire avancer l’accessibilité et, bien que soumises à de fortes contraintes, les communes apportent chaque jour la preuve de leur volonté d’améliorer l’accueil de tous les publics dans les équipements communaux et de faciliter ainsi l’accès au service public.

L’Association des paralysés de France, qui évalue les communes en fonction du cadre de vie adapté, des équipements municipaux accessibles et de la politique locale volontariste, relève d’ailleurs que la moyenne nationale progresse. En 2013, aucune commune n’obtenait une note globale sous la moyenne alors qu’elles étaient encore vingt et une dans ce cas en 2010.

Pour autant, nous le savons bien, ces chiffres ne sont pas satisfaisants !

Je l’ai dit tout à l’heure, la mise en accessibilité impose des contraintes financières très importantes. En mai 2010, une étude menée par Accèsmétrie sur le coût de la mise en accessibilité des établissements recevant du public avait évalué le montant des travaux de mise en accessibilité des quelque 300 000 ERP publics. L’investissement nécessaire était alors estimé à 20 milliards d’euros : 3 milliards d’euros pour l’État et 17 milliards d’euros pour les collectivités, essentiellement les communes et les intercommunalités. Il s’agit d’une somme non négligeable que les élus locaux doivent financer sans l’aide de l’État.

L’étude a également chiffré le budget moyen de la mise en accessibilité par ERP. Pour les communes de moins de 3 000 habitants, il s’établirait à 10 775 euros et s’élèverait à 73 000 euros pour celles qui comptent plus de 3 000 habitants. Selon l’ampleur des travaux et le nombre d’ERP, l’impact pourrait représenter le tiers, voire la moitié, du budget d’équipement annuel. Pour les départements, le coût moyen par ERP atteindrait 170 400 euros, 226 000 euros pour les régions et 140 000 euros pour l’État.

La loi de 2005 a imposé de nouvelles dépenses aux collectivités sans prévoir d’accompagner financièrement celles qui s’engagent sur une programmation. Or, nous le savons bien, les collectivités sont dans une situation financière extrêmement difficile, leurs ressources étant soit bloquées, soit réduites. Elles sont véritablement asphyxiées. Le manque d’incitation de l’État a laissé les acteurs de terrain dans des difficultés inextricables, même pour les plus volontaristes d’entre eux. Dans ces conditions, il est assez difficile, notamment pour les petites communes, de se mettre en conformité avec la loi, d’autant que l’évaluation du coût ne concerne que les établissements publics et ne prend en compte ni les travaux de voirie ni les transports, pourtant indispensables.

Il n’est pas toujours évident de circuler dans nos villes en fauteuil roulant, sans parler des personnes aveugles qui rencontrent des difficultés dans les déplacements de leur vie quotidienne. La personne handicapée doit planifier ses déplacements et très souvent elle ne peut pas se passer d’aide en ville. Interphones inaccessibles, trottoirs trop hauts, marches à l’entrée des magasins, absence de passages piétons aménagés... Si les personnes dites valides sont peu affectées par ces défauts d’aménagement, en revanche, pour les personnes handicapées ou à mobilité réduite, ces obstacles s’avèrent trop souvent insurmontables.

Néanmoins, travailler sur la voirie est un véritable casse-tête. Il faut équiper les feux rouges de balises sonores et installer des bandes podotactiles pour faciliter la traversée des personnes malvoyantes, faire des travaux de nivellement des trottoirs pour que les arrêts de bus soient accessibles aux personnes à mobilité réduite. Ces aménagements sont, bien sûr, nécessaires et légitimes pour permettre aux personnes en situation de handicap de circuler librement. Mais les communes, au-delà des difficultés financières, sont confrontées à des complications d’ordre technique : étroitesse des rues et des trottoirs, topographie locale, respect du caractère historique d’un bâtiment ou difficulté de concilier les besoins des différents handicaps.

Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre ce qu’attendent les uns et ce que peuvent faire les autres, car la réalisation de cet objectif d’accessibilité est légitime, et nous ne le contestons pas.

Les élus locaux doivent prévoir des dépenses nouvelles pour la mise aux normes des bâtiments, des trottoirs, des voiries et des transports. Ceux qui gèrent ce type d’infrastructures le savent, les schémas d’accessibilité les amènent à envisager des dépenses auxquelles il est parfois très difficile de faire face.

S’agissant de la mise en conformité des transports en commun, la question est tout aussi préoccupante. Lorsque l’on élabore un schéma d’accessibilité, on se rend compte, au vu des coûts considérables et des difficultés techniques, que les normes sont une fois de plus trop contraignantes et souvent contraires à la réalité du terrain.

Je comprends la déception et l’impatience des personnes en situation de handicap. Elles attendent depuis des décennies que l’effort en faveur de l’accessibilité se concrétise. Pour autant, le projet de loi ne remet pas en cause la loi de 2005. L’échéance de 2015 est maintenue. Comme le souligne l’étude d’impact, il s’agit de compléter la loi de 2005 qui n’avait peut-être pas prévu suffisamment d’outils pour fixer l’objectif d’une accessibilité universelle d’ici à 2015.

Le projet de loi prévoit donc d’accompagner les maîtres d’ouvrage qui n’auront pas achevé la mise aux normes avant la date butoir. Seront ainsi mis en place les agendas d’accessibilité programmée, qui demanderont aux acteurs n’étant pas en conformité avec la loi de 2005 de s’engager sur un calendrier précis et resserré de travaux d’accessibilité, sous peine de sanctions. Il est également prévu d’adapter un certain nombre de normes pour prendre davantage en compte l’ensemble des formes de handicap et simplifier de nombreuses dispositions réglementaires.

Pour le Gouvernement, « cette réforme est indispensable pour maintenir l’objectif d’accessibilité fixé par la loi du 11 février 2005. Elle permettra d’impulser rapidement une accélération des aménagements dans les prochains mois et d’engager un processus irréversible vers l’accessibilité universelle ». Nous l’appelons de nos vœux.

Ces mesures devraient garantir aux associations que les objectifs de mise en accessibilité pourront être tenus. Elles devraient aussi offrir aux gestionnaires d’ERP et de services de transport une solution adaptée et réaliste. L’Association pour adultes et jeunes handicapés a ainsi estimé que, « au vu des retards accumulés, [les agendas d’accessibilité programmée] apparaissent comme la solution la plus réaliste pour avancer de façon pragmatique, dans des délais resserrés » vers l’objectif d’accessibilité pour tous.

Un effort supplémentaire doit être fait pour permettre aux personnes en situation de handicap de participer pleinement à la vie de la cité. Nous souhaitons ardemment que les mesures que vous proposez, madame la secrétaire d’État, puissent contribuer à cet objectif. C’est avec cet espoir que le groupe RDSE, à l’unanimité, apportera son soutien au projet de loi.

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